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  • 02/07/2024

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00:00Dans votre dernier rendez-vous, c'est derrière l'image, on prend le temps de décrypter l'info à partir de photos qui font sens et l'on reçoit aujourd'hui Maya Courtois.
00:09Bonjour Maya de la rédaction d'Infomigrants. Maya, vous rentrez de Bulgarie, c'est l'une des principales portes d'entrée de l'Europe depuis la Turquie voisine.
00:16Le pays vient de rentrer dans l'espace Schengen en mars et les autorités bulgares et européennes tentent de renforcer le contrôle de cette frontière pour le moins en hautement stratégique.
00:24On va en parler à l'appui d'une photo, c'est un peu la tradition. Vous nous ramenez un cliché du terrain, on va le regarder et puis vous allez commencer par nous l'expliquer peut-être.
00:33Oui exactement. Alors nous avons pris cette photo à Svilengrad. Svilengrad c'est une petite ville très isolée située à une dizaine de kilomètres de la frontière turque.
00:41Et en fait c'est le premier point de chute pour les migrants qui viennent de traverser cette frontière hautement stratégique comme vous l'avez rappelé.
00:48Et donc là ce sont un groupe de jeunes marocains âgés d'une vingtaine d'années qui sont à Svilengrad depuis seulement quelques heures.
00:55Et là ils cherchent à prendre un taxi pour rejoindre la capitale du pays, Sofia. Et en fait ils étaient assez soulagés d'être là parce que pour eux,
01:02comme pour la plupart des migrants, ce n'est pas simple du tout d'entrer en Bulgarie. Donc eux notamment ont subi plusieurs refoulements à chaud.
01:10Alors ça s'appelle des push-back et c'est illégal au regard du droit international. Amine, le jeune homme que l'on voit à droite de cette photo, lui en a même subi cinq.
01:19Et tous ces jeunes nous ont dit à chaque fois les gardes frontières nous ont pris notre téléphone, nos affaires, notre argent.
01:26Et Amine nous a aussi raconté que les agents avaient tiré en l'air pour leur demander de s'arrêter, de s'asseoir.
01:33Il nous a même refait sur ce bout de trottoir la scène. Il fallait s'accroupir, mettre les mains sur la tête.
01:39Mais il nous a dit que même malgré cela, les gardes frontières ont lâché leur chien sur le groupe et que deux de ses compagnons ont été gravement mordus à la jambe
01:47et ont même dû être hospitalisés une fois refoulés en Turquie.
01:51Voilà l'histoire de jeunes parmi tant d'autres finalement puisque cette frontière entre la Turquie et la Bulgarie, on va peut-être revoir la carte,
01:59elle est très connue aujourd'hui des ONG qui déplorent ces refoulements violents que vous venez de nous expliquer.
02:06Oui, en fait, ça fait des années que les ONG alertent sur cette pratique, sauf qu'en 2023, avec la perspective d'entrée dans Schengen de la Bulgarie,
02:15la situation s'est encore plus tendue dans cette zone frontalière, vous voyez, entre la Turquie, la Grèce et la Bulgarie, qui est vraiment très stratégique pour l'Europe.
02:24Mais ce que l'on constate en fait avec un faux migrant, c'est que ces refoulements violents se poursuivent encore aujourd'hui.
02:31Voilà, après plusieurs tentatives, finalement les gens finissent par entrer en Bulgarie. Quel est le profil de ces personnes ?
02:38Oui, alors déjà pour rappeler sur ces refoulements violents qui sont normalement illégaux, nous, nous avons interrogé Frontex,
02:44qui est l'agence des gardes frontières européens et qui a triplé ses effectifs dans cette zone, justement en mars, après l'entrée dans l'espace Schengen.
02:53Et donc Frontex nous a su reprendre très au sérieux ce type d'allégations qui visent les gardes frontières.
02:58Ils produisent des rapports d'incidents. Ils forment aussi les gardes frontières bulgares. Mais il semblerait que ce ne soit pas suffisant.
03:04En tout cas, ce qui est sûr, c'est que malgré ces refoulements, en effet, les gens parviennent toujours à rentrer au bout de plusieurs tentatives.
03:10Et donc ce sont principalement des Syriens, des Afghans, mais aussi des Nord-africains comme Amine et ses amis.
03:17Et cela, ça ne change pas trop ces dernières années. Par contre, il y a une évolution marquante en Bulgarie.
03:23C'est que l'on voit arriver de plus en plus de mineurs isolés. Donc ce sont des enfants qui arrivent seuls, sans leurs parents.
03:29Nous avons donc par exemple rencontré, que vous voyez à l'écran, Kanaga et Shazada, qui ont 16 et 17 ans.
03:36Ils sont hébergés dans un centre d'accueil en périphérie de Sofia. Alors pour s'y rendre, il faut marcher de longues minutes, traverser une zone industrielle.
03:44C'est assez isolé. Et ces deux jeunes ont quitté leur pays, l'Afghanistan, vers 14 et 15 ans, donc très jeunes.
03:51Puis ils ont travaillé pendant un an à peu près en Turquie, dans des usines, afin de gagner de l'argent et de pouvoir payer leur passage vers l'Europe et vers la Bulgarie.
04:02Voilà, ça c'est le trajet qu'il faut emprunter pour rejoindre le centre d'accueil qui les prend en charge.
04:08Il y a donc beaucoup de jeunes, si on vous suit bien, comme eux, sur le territoire bulgare aujourd'hui.
04:13Oui, oui, tout à fait. Comme ces deux garçons, il y a environ 4000 mineurs isolés qui sont entrés sur le territoire bulgare en 2023.
04:20Ce sont les chiffres des autorités. Et c'est un record depuis 1996. Donc la plupart de ces enfants sont syriens.
04:27Et puis on a ensuite beaucoup d'Afghans, comme Kanaga et Shazada. Alors aujourd'hui, ces deux enfants, qui sont en plus isolés, sont un peu perdus.
04:35Ils nous ont dit qu'on ne sait pas encore si on veut rester ici en Bulgarie ou bien poursuivre notre chemin vers un pays plus à l'ouest de l'Europe.
04:42Voilà, c'est le titre de votre papier qu'on aperçoit derrière vous. Je ne veux pas rester ici. Les mots de ce mineur que vous avez repris, parce que la Bulgarie, finalement, reste avant tout un pays de transit.
04:52Oui, absolument. Que ce soit des jeunes ou des adultes, l'immense majorité des migrants que nous avons rencontrés comptent bien poursuivre leur route vers des pays comme la France, les Pays-Bas, l'Italie, l'Allemagne.
05:03Le problème, c'est aussi que l'État bulgare ne propose pas vraiment aux migrants de systèmes d'insertion sociale. Par exemple, même quand quelqu'un voit sa demande d'asile acceptée en Bulgarie
05:14et qu'il obtient le statut de réfugié, qui lui donne droit de rester 10 ans dans le pays, eh bien cette personne a 15 jours maximum pour quitter le centre d'accueil dans lequel elle est hébergée.
05:24Et en fait, à cette sortie, aucune aide n'est fournie par l'État pour trouver un travail ou bien pour trouver un nouvel hébergement.
05:31Donc en fait, l'intégration est presque entièrement prise en charge par une poignée d'ONG qui, en plus, sont concentrées uniquement à Sofia, la capitale.
05:39Ce qui arrive avec un visé de travail, est-ce que c'est plus facile ? Est-ce qu'il y a davantage de perspectives ?
05:45Pas vraiment, non. Je vais vous raconter l'histoire de trois amis indiens qui s'appellent Hans, Ramgaria et Grewal.
05:52Depuis l'Inde, ces trois jeunes avaient repéré un emploi sur LinkedIn. Voilà, vous les voyez à l'écran.
05:58Ils avaient repéré l'emploi sur LinkedIn, postulé, passé un entretien à distance en visio et puis ils ont décroché un visa de travail, direction Sofia.
06:07Alors aujourd'hui, ils font de la manutention dans un entrepôt logistique. On les a rencontrés là-bas, comme vous le voyez, donc dans la banlieue de la capitale.
06:15Ils font du 8h à 17h. Ils sont payés environ 800 euros par mois pour ce travail. Alors ils sont contents d'apprendre de nouvelles compétences.
06:24Mais en réalité, Hans et Ramgaria, notamment, espèrent bouger dès que possible ailleurs en Europe.
06:30Hans, que vous voyez tout à gauche de la photo, lui, il a bien conscience qu'il peut avoir un meilleur salaire dans un autre pays européen, même en restant dans la manutention.
06:39Tandis que Ramgaria, celui que vous voyez au milieu, lui, il a un diplôme de cuisine qu'il a eu en Inde.
06:45Et donc son rêve, c'est de travailler un jour en France ou en Allemagne dans un restaurant.
06:49Voilà, ce sont des jeunes qui demandent l'asile en Bulgarie. Mais je répète à nouveau, il y a une volonté de partir, de quitter le pays malgré tout.
06:57Oui, il y a un paradoxe. Alors autant, eux sont venus avec un visa de travail, donc c'est un peu différent.
07:01Mais la plupart des migrants que nous avons rencontrés, en effet, certains, beaucoup même, demandent l'asile alors que c'est un pays de transit, comme on l'a dit précédemment.
07:10Pour comprendre ce paradoxe, en fait, il faut expliquer comment ça se passe quand on traverse la frontière.
07:14Et là, je vais vous donner le cas de Sorab, qui est un ancien militaire afghan qui a fui Kaboul au moment de la chute du régime à l'été 2021.
07:22Donc on l'a rencontré à Sofia, mais à l'origine, Sorab, lui, il voulait aller en Suisse.
07:26Sauf qu'à peine entré sur le sol bulgare, comme l'immense majorité des migrants, il s'est fait appréhender par la police aux frontières bulgares, qui l'a placé dans un centre de détention.
07:35Un centre de détention, c'est un centre fermé, réservé aux étrangers en situation irrégulière.
07:40C'est un peu l'équivalent des centres de rétention en France.
07:44Et pour ne pas y rester des mois et pour ne pas être menacé d'expulsion, Sorab a déposé une demande d'asile dans ce centre.
07:50Il nous a vraiment répété « je n'avais pas le choix ». Et effectivement, grâce à ce dépôt de demande, il a pu ressortir libre au bout de deux semaines.
07:57Alors il est tout de suite parti de Bulgarie vers la Serbie, la Croatie, l'Italie, jusqu'à arriver en Suisse.
08:03Sauf que sa demande d'asile, elle avait été enregistrée en Bulgarie.
08:06C'est ça, dans le centre. Et ça, c'est la loi européenne.
08:09Puisque Sorab avait déposé et laissé ses empreintes en Bulgarie, c'est ce pays d'entrée qui est responsable de sa demande d'asile.
08:16Donc la Suisse l'a renvoyée ici à Sofia, où on l'a rencontrée, en vertu de ce que l'on appelle le règlement du Blin.
08:23Alors aujourd'hui, Sofia, il espère évidemment une réponse positive des autorités bulgares à sa demande d'asile.
08:29Parce que si celle-ci est rejetée, il risque de revenir en centre de détention, d'y être de nouveau enfermée.
08:35Et cette fois-ci, ce serait pour bien plus de deux semaines.
08:38Puisque lorsqu'une personne voit sa demande d'asile rejetée et donc est sous le coup d'une expulsion du pays,
08:44elle peut rester enfermée jusqu'à 6 mois, voire 18 mois dans certains cas, dans ces centres de détention.
08:49Comment ça se passe à l'intérieur de ces centres ? On a une image derrière vous. Qu'est-ce qui se passe au-delà de ces murs et de ces barrières ?
08:56Oui, là, vous voyez le centre de Bousmansi, qui est un des principaux centres de détention du pays, qui se situe en périphérie de Sofia, la capitale.
09:04Et les conditions d'enfermement dans ce centre, comme dans les quelques autres du pays, sont très dures.
09:10Nous avons recueilli plusieurs témoignages, dont celui d'Adoul Arman Al Khalidi.
09:14C'est un activiste des droits de l'homme saoudien, enfermé justement dans ce centre de Bousmansi, à Sofia.
09:20Son cas est assez médiatisé et connu, puisqu'il est menacé d'expulsion vers l'Arabie saoudite depuis 2021, là où il était donc un défenseur des droits de l'homme.
09:29Alors nous n'avons évidemment pas pu entrer dans les chambres.
09:32C'est lui qui vous a fourni ces clichés ?
09:34Exactement. Nous avons échangé avec lui par messagerie sécurisée, par téléphone.
09:39Et donc, il nous a transmis beaucoup de photos depuis l'intérieur du centre de Bousmansi.
09:43Donc, comme vous le voyez sur les images qui défilent, il y a de la saleté, des insectes, des punaises de lit qui causent parfois des problèmes de peau aux détenus.
09:52Et puis, il peut y avoir jusqu'à 20 personnes dans une seule chambre.
09:56Sauf qu'en plus, les détenus n'ont pas le droit d'aller aux toilettes entre 22h et 7h du matin.
10:02Ça, c'est valable dans différents centres de détention. On a recoupé ça avec différents témoignages.
10:06Donc, les gens font leurs besoins dans des bouteilles d'eau ou des bidons.
10:11Et tout ce que je vous décris là, ce n'est qu'un petit aperçu des différentes formes de violences physiques ou psychologiques qu'on nous a décrites.
10:19Malheureusement, les autorités bulgares qui sont en charge du système de détention n'ont pas répondu à nos questions.
10:26Une question qui n'était pas prévue, mais sur les conditions de travail, vous étiez donc en reportage en Bulgarie.
10:31Vous avez appréhendé ces jeunes qu'on aperçoit d'ailleurs visage masqué ou au dodo.
10:35Je pense qu'il y a une volonté de maintenir cet anonymat.
10:38On peut comprendre pourquoi ça a été facile de les appréhender, d'instaurer ce climat de confiance pour qu'ils se livrent à vous ?
10:45Alors en fait, on les avait rencontrés la veille devant le ministère du Travail où ils venaient justement peaufiner leur visa de travail avec leur employeur.
10:53Donc sur le coup, en étant en présence de l'employeur, ils ne pouvaient pas trop nous parler.
10:57Mais ils nous avaient donné quand même rendez-vous le lendemain sur le site pour nous montrer, parce qu'ils venaient eux d'arriver 15 jours pour l'un, un mois pour l'autre.
11:06Donc ils avaient envie de nous faire découvrir l'endroit où ils travaillaient.
11:10Mais effectivement, il y a eu beaucoup de précautions.
11:12Donc on les voit de dos, en effet.
11:14Ça, c'est une volonté qui a été témoignée de leur part.
11:16Oui, oui, tout à fait.
11:17On témoigne, mais à visage masqué.
11:19C'est ça.
11:20Et puis les prénoms que je vous ai donnés aussi sont des prénoms d'emprunt, par crainte d'être aussi identifiés par l'employeur.
11:26Parce que, voilà, notamment sur le salaire qu'ils perçoivent à la fin du mois, ils ont jugé que c'était assez faible et qu'ils aimeraient poursuivre dans d'autres pays d'Europe de l'Ouest.
11:34Et ça, évidemment, leur employeur n'est pas informé du fait qu'eux aient la volonté de partir d'ici au plus vite.
11:40Malgré ces récits difficiles qu'ils vous ont livrés et qu'ils vous livrent, ça c'est quelque chose qui revient assez fréquemment chez un faux migrant,
11:47il y a encore cet espoir qui domine auprès de ces jeunes.
11:52Oui, oui, tout à fait. Alors chacun vient avec parfois des raisons différentes.
11:56C'est soit un cousin qui est en Angleterre ou bien un frère en France ou bien on suit un compagnon de route qui, sur la route de l'exil, nous entraîne avec lui vers tel pays.
12:06Mais ce qui est sûr, c'est que la Bulgarie, c'est vraiment la porte d'entrée et que les gens s'imaginent avec un parcours bien au-delà.
12:13Après, comme je vous le disais, notamment sur ces jeunes, s'il existait, c'est ce que disent les ONG, un système d'insertion et de protection, notamment de ces enfants, dans le système de protection de l'enfance bulgare,
12:23peut-être que ces jeunes pourraient rester et essayer de construire leur vie ici.
12:27Mais comme ce système est assez défaillant, que les jeunes sont hébergés avec des adultes, ils n'imaginent pas changer leur plan initial.
12:34Et comme les adultes, ils poursuivent sur cette route assez dangereuse des Balkans jusqu'au pays d'Europe de l'Ouest.
12:39Merci beaucoup pour ces récits et ces témoignages. J'imagine que vous allez rester en contact avec eux pour éventuellement revenir nous livrer la suite de leurs aventures, leur trajectoire au sein de l'Union Européenne.
12:54Merci Maya Courtois. Reportage à retrouver évidemment sur le site infomigrants.fr.
13:00On retrouvera toute l'équipe évidemment mardi prochain, comme c'est le cas désormais chaque semaine.
13:06Voilà pour l'essentiel de ce...