Xerfi Canal a reçu Eric Lamarque, professeur agrégé des universités de sciences de gestion, Directeur de l’IAE Paris Sorbonne et Président du réseau IAE France, pour parler de l'enseignement de la gestion à l'heure du changement climatique.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
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00:00 Bonjour Éric Lamarck.
00:01 Bonjour, je m'appelle Philippe Denis.
00:11 Éric Lamarck, vous êtes directeur de l'IEE Paris-Sorbonne Business School
00:14 et vous êtes président du réseau des IEE, donc IAE France, le réseau des IAE.
00:18 Préparer l'enseignement supérieur de gestion aux défis énergétiques et écologiques de l'anthropocène,
00:24 pour faire simple, changement climatique notamment,
00:27 c'est l'article publié Guillaume Carton et Bertrand Valliorgue de l'EMU Business School
00:31 dans la revue française de gestion.
00:33 Un article dans lequel ils vous interpellent très directement
00:36 au point que vous avez répondu, vous avez commenté dans la revue française de gestion
00:40 au regard de justement cette interpellation.
00:44 Alors, on va débattre ensemble de votre commentaire.
00:47 Je vous avais déjà reçu, suite à Climat Subfinance, le rapport du Chiffre Project
00:52 et vous nous disiez en gros, ça pose la question des libertés académiques.
00:56 Est-ce qu'on est encore libre au plan académique ?
00:58 Et c'est exactement la clé d'entrée de Guillaume Carton et Bertrand Valliorgue de dire,
01:02 le sujet est tellement grave qu'en fait, il faut un peu qu'on abandonne nos libertés académiques,
01:07 pour partie, qu'on forme autrement, qu'on préserve des espaces de liberté,
01:13 mais pour des espèces protégées qui travaillent sur ces questions d'IAE.
01:18 Vous, vous nous dites, plan de la méthode d'abord et de l'épistémologie,
01:22 ça pose une question majeure.
01:24 Oui, parce que, au-delà de ce principe, pour moi, auquel je suis très attaché, de liberté académique,
01:29 et en fait, la liberté académique, c'est faire confiance aux collègues,
01:32 faire confiance aux collègues qui travaillent bien, qui seront évalués par l'établissement,
01:36 par des instances nationales, lors de concours divers et variés, etc.
01:41 Donc, à un moment donné, toutes ces personnes, je pense, sont raisonnables
01:44 et voient bien qu'il y a un environnement, il y a des sujets sociétaux
01:48 et que faire du management aujourd'hui déconnecté de ça, ce n'est pas possible.
01:52 Donc, toute méthode ou toute façon de voir qui imposerait, d'une certaine façon,
01:57 et même des syllabus, puisqu'à l'époque, vous l'avez dit, c'était l'échifre-project,
02:01 ne correspond pas, tout simplement, à la méthode que moi, j'ai en tête,
02:05 ce qui m'a été enseigné.
02:06 Effectivement, je rappelle des paradigmes, Kuhn versus Lacatos.
02:12 Bon, tout simplement, pourquoi ?
02:14 Parce que je pense qu'on peut faire évoluer les choses
02:16 sans faire une révolution paradigmatique à laquelle je ne crois pas
02:21 et qui est largement normative, puisque tous les travaux que j'ai pu lire
02:24 ou tous les points que j'ai pu lire sont normatifs.
02:27 Or, moi, la première chose qu'on m'a enseigné, c'est qu'un chercheur n'est pas normatif.
02:30 Il fait une recherche, il confronte ça à des pairs, il regarde des terrains
02:35 et puis, à un moment donné, il délivre ce qui pense être des conclusions et des résultats
02:39 qui sont contestés, qui viennent s'ajouter à un ensemble plus vaste,
02:44 ce côté cumulatif de la recherche.
02:46 Là, on part avec des injonctions et donc, ce n'est pas la méthode scientifique,
02:50 moi, qu'on m'a apprise.
02:51 Alors, peut-être qu'il y aura un mouvement révolutionnaire
02:53 qui remet en cause la méthode scientifique.
02:55 Et on le sent bien, cette idée que la science n'a plus de valeur,
02:59 la remise en cause de la science, où tout le monde se forge des convictions
03:03 avec des opinions, avec une vision.
03:05 Ça, c'est la vérité, mais c'est une opinion.
03:07 Et ça affronte.
03:08 Et ça fonctionne à mort, pousser par les réseaux sociaux,
03:10 pousser par ce qu'on veut, c'est le complotisme et tout ce qu'on veut.
03:13 Donc, nous, je pense, et ça a été rappelé encore par la ministre
03:17 lors de ses voeux la semaine dernière, qui disait, non,
03:20 le raisonnement scientifique n'a jamais été aussi important.
03:23 Et donc, on peut effectivement, éventuellement, remettre en cause
03:26 des paradigmes, ou faire bouger des paradigmes existants
03:29 en intégrant un certain nombre d'événements.
03:31 Alors, c'est vrai, sans doute, que la rapidité ou l'urgence
03:35 ne satisfait pas à la méthode, je dirais, traditionnelle.
03:39 Mais entre enseigner des choses qui n'ont pas de validité scientifique
03:42 à ce stade, et des choses valables, mais avec un peu de retard,
03:46 je préfère, pour ma part, la seconde solution.
03:49 Bien sûr, pour faire la pédagogie quand même, parce que là,
03:52 s'il y a du débat de spécialistes, qu'une, c'est tout changement
03:55 passe par un moment, un effondrement d'un paradigme,
03:58 donc une manière de voir le monde à un instant donné,
04:00 pour être remplacé par un autre paradigme.
04:02 C'est la position de Bertrand Valliorghi et Guillaume Carton,
04:05 qui disent, il faut qu'on change de paradigme.
04:07 Donc, ça doit être très brutal.
04:09 Et vous, vous nous dites, c'est la cathose, c'est-à-dire,
04:11 il y a un processus cumulatif de connaissances.
04:14 On n'abandonne pas comme ça un paradigme existant.
04:16 Non, et puis, je pense, très honnêtement,
04:19 on en reparlera peut-être, je pense très honnêtement
04:21 qu'il y a moyen d'intégrer dans les connaissances existantes
04:24 des nouvelles pratiques, des éléments de contrainte
04:27 que les organisations sont en train d'intégrer.
04:30 Et moi, je fais de la recherche dans les organisations
04:33 et je regarde comment font les organisations
04:35 pour intégrer ces phénomènes.
04:37 On fait de la recherche et on l'enseignera à des étudiants
04:39 qui vont eux-mêmes occuper un poste,
04:41 où ils arriveront dans une organisation
04:43 qui sera en train de mettre en œuvre un certain nombre de principes.
04:46 Et c'est d'ailleurs ce qu'attendent les jeunes aujourd'hui.
04:49 Ça prendra sans doute un peu plus de temps,
04:51 parce que sinon, on fait une injonction, on fait un syllabus.
04:53 C'est ça que vous devez enseigner.
04:55 Et ça, pour ma part, tant que je serai directeur d'un établissement,
04:57 il ne sera pas question.
04:59 Les termes du débat sont posés. Merci Eric Lamarck.
05:02 [Musique]