L'OMERTA autour du meurtre du berger de Castellar

  • il y a 7 mois
"Le mystère de Castellar" / Le 17 août 1991, Pierre Leschiera, un berger de 33 ans, est abattu au détour d'un chemin forestier sur la commune de Castellar, dans l'arrière-pays de Menton. Alain Verrando, puis son neveu, Jérôme, seront tour à tour accusés du meurtre et acquittés. Aujourd'hui encore, le mystère demeure quant à l'identité du meurtrier car les habitants du village se sont murés dans le silence. Imen Ghouali et Dominique Rizet se penchent sur cette bien mystérieuse affaire.

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00:00 Ça n'a pas honoré la justice, ce réquisitoire.
00:02 C'était une espèce de construction qui n'a d'intellectuel que le nom.
00:07 Je n'ai rien à en dire. C'était un réquisitoire pathétique.
00:10 [Musique]
00:37 [Musique]
00:44 Pierre Lesquiera, un jeune homme qui avait un rêve, celui d'être berger.
00:49 Le berger d'un petit village de l'arrière-pays niçois, Castellar.
00:54 Mais Castellar, c'était depuis toujours la terre des chasseurs.
00:58 Pierre Lesquiera n'y a jamais été le bienvenu.
01:01 Il m'a dit "je suis condamné à mort".
01:02 [Coup de feu]
01:03 Dès l'instant où j'ai vu Pierre abattu comme ça, je n'ai pas pensé à autre personne.
01:07 C'est eux.
01:08 Si ce n'est pas en tout cas eux directement qui ont tiré dessus, qu'ils le disent, puisqu'ils savent.
01:15 Castellar, c'est un village qui s'est déchiré autour de la mort du berger.
01:20 Suspicion, menace, accusation.
01:23 C'est difficile aujourd'hui au village de vivre...
01:26 Ne me parlez pas du village, s'il vous plaît.
01:28 [Coup de feu]
01:31 Pendant des années, on leur a dit qu'il était l'artisan de leur malheur.
01:35 Je ne vais pas tuer. Je ne suis pas un assassin.
01:38 Castellar, c'est aujourd'hui le nom d'une des plus grandes énigmes judiciaires françaises.
01:44 Il n'y a rien de pire pour une victime de se dire que la justice n'est pas passée.
01:52 Avec Imen Gouali, nous avons décidé de retrouver les protagonistes de cette affaire
01:59 et d'analyser avec eux les conséquences et les répercussions de ce dossier hors norme.
02:03 Jérôme Verrando et son oncle Alain répondent ensemble aujourd'hui devant la cour d'assises
02:12 d'appel des Bouches-du-Rhône du meurtre de Pierre Leschiéra, berger à Castellar.
02:17 Tout commence le 17 août 1991.
02:26 Il est 6 heures du matin, lorsque Pierre Leschiéra quitte sa maison de Castellar.
02:30 Il va rejoindre à moto son troupeau dans la montagne.
02:35 Dans un virage, Pierre Leschiéra ralentit quand soudain...
02:42 [Tir]
02:44 Le berger reçoit deux coups de chevrotine dans le dos avant d'être achevé d'un tir en plein visage.
02:52 [Tir]
02:55 Il avait 33 ans.
02:58 Prévenu par les gendarmes, Francis, son père, arrive quelques minutes plus tard sur les lieux du drame.
03:08 Il avait des impacts dans le dos et tout, et la tête complètement éclatée.
03:18 Papa, dans la douleur, pris par la douleur, a essayé de ramasser lui-même les restes,
03:25 a essayé de rassembler les restes de crâne et de cerveau de son propre fils.
03:30 C'est Francis qui annonce la mort de leur fils à son épouse.
03:43 Il est rentré, il était raide comme un "i".
03:48 Il s'approche de moi, j'étais pris du téléphone, il m'enlève les lunettes et il me dit "on nous a tué le petit".
03:55 Immédiatement, tout Castellar sait que le berger est mort.
04:01 Le village bascule dans le drame.
04:04 Pour la famille Leschiéra, il n'y a aucun doute.
04:08 Pierre est tombé dans un guet-apens, victime de l'éternel rancœur qui l'opposait aux chasseurs.
04:14 La presse adopte cette hypothèse et évoque tout de suite un règlement de compte.
04:20 Au village, tout le monde est choqué, mais pas vraiment surpris.
04:26 On le sent, on le sent cette haine, il serait venu à notre étranger, peut-être ça aurait marché mieux.
04:35 - Et vous pensez qu'on peut arriver jusqu'au crime ?
04:38 - La preuve était là, la preuve était là mon brave.
04:41 Je suis même étonnée qu'il ne soit pas arrivé avant moi.
04:45 Pierre Leschiéra avait toujours rêvé d'être le berger de Castellar.
04:51 Ce village adoré où il passait toutes ses vacances.
04:56 Après le lycée agricole d'Antibes, il est parti deux ans en Afrique.
05:03 Avant de revenir à Castellar.
05:06 Il était persuadé que sa vie avait un sens, qu'il avait quelque chose à faire par rapport à Castellar, par rapport à l'Occitanie, par rapport à tout ça.
05:16 Passionné, Pierre Leschiéra avait même appris l'occitan, qu'il ne pouvait pourtant parler qu'avec les anciens du pays.
05:24 Le maire et les conseillers m'ont dit que l'agriculture c'est fini.
05:29 Avec des raisonnements comme ça, on ne peut pas en aller loin.
05:32 Et puis d'un autre côté, des jeunes, il n'y a plus que des volontaires qui sont en campagne.
05:37 C'est un pays qui se trouve difficile à travailler.
05:41 Pierre Leschiéra installe sa bergerie à Castellar en 1983.
05:49 Dès le début, une partie du village ne l'apprécie pas.
05:57 Il y avait un domaine qui était le domaine des chasseurs et le domaine également du berger.
06:07 C'était ça le problème.
06:09 Rapidement, les incidents se multiplient entre les chasseurs et lui.
06:15 Durite d'essence coupée, pneus crevés, abreuvoir percés, tuyaux d'alimentation abreuvoir coupés en petits morceaux de 50 cm.
06:24 Si l'enfer existe, nous l'avons vécu pendant les 8 années qui ont précédé la mort de Pierre.
06:33 Malgré tout, le berger s'obstine.
06:39 Il a bien l'intention de rester toute l'année sur la montagne, y compris pendant la période de chasse.
06:46 Du jamais vu à Castellar.
06:51 Il savait ce qu'il voulait.
06:54 Et pour lui, être homme, c'était pouvoir s'expliquer, mais ne pas courber les chines.
07:01 De leur côté, les chasseurs, emmenés par leur leader Alain Vérando, sont furieux.
07:09 Pas question que le jeune berger vienne gâcher leur plaisir.
07:14 Dans le village, l'ambiance est délétère.
07:20 Des chèvres du berger sont tués, ses brebis sont attaquées par des chiens de chasse.
07:26 Et ça sent venime.
07:28 Car pour rejoindre sa bergerie, Pierre Leschiara passe devant la maison d'Alain Vérando avec sa moto.
07:35 Il s'est arrêté, il a accéléré sa moto, le chien qu'il s'est fait la brouiller.
07:39 Nous on était en train de boire l'apéritif et puis alors ma belle-soeur, malheureusement elle est morte.
07:44 Elle est sortie, "c'est encore facile, il fait toujours brouiller le chien, il les quitte le chien."
07:49 Alain Vérando avait une fourche crochue, vous savez les fourches à fumier.
07:53 Il a essayé de donner un coup au père à Pierre, il a un peu touché la jambe.
07:56 Du coup le père à Pierre a lui donné un coup de poing.
07:58 Et finalement, "allez on revient avec une barre de fer".
08:02 Et puis dans la confusion, j'ai ramassé une barre de fer et il m'a fendu tout l'arcade sourcier.
08:06 C'était le coup de colère.
08:08 Le coup de colère parce que c'était agréé, c'est spontané je veux dire.
08:12 Voilà, c'est spontané.
08:14 Francis Lesquiera porte plainte.
08:18 Alain Vérando est condamné à 15 jours de prison avec sursis.
08:22 Le maire est au courant de ces tensions, mais n'intervient pas.
08:26 Les chasseurs sont aussi des électeurs.
08:29 Les autres à force de se sentir soutenus, ils ont senti des ailes.
08:33 Je sentais poindre le drame.
08:36 Parce que les événements qui se passaient gravissaient chaque fois un échelon supplémentaire.
08:44 Pierre Lesquiera en est conscient, sa vie est en danger.
08:51 Il m'a dit "je suis condamné à mort" donc je lui ai dit "arrête tes conneries".
08:55 Je lui ai dit "pourquoi tu dis ça ?"
08:58 Et il me dit "on m'a condamné à mort, le clan des Vérandos m'a condamné à mort.
09:03 Si je peux me défendre, je le défendrai, mais s'ils veulent m'abattre, ils m'abattront".
09:07 Trois jours avant le drame, nouvelle escalade.
09:15 Pierre Lesquiera a une violente altercation avec Jérôme Vérando, le neveu d'Alain.
09:21 Un adolescent de 16 ans avec qui il était pourtant ami.
09:24 Jérôme le menace ouvertement.
09:27 "Un jour, je te mettrai une balle dans la tête".
09:32 J'ai dit ça comme ça, c'était des paroles.
09:34 J'ai dit "bon".
09:35 Et voilà quoi, je veux dire, ça n'a pas été plus long.
09:38 Mais pour le berger, ce ne sont pas des paroles en l'air.
09:43 Il porte plainte à la gendarmerie pour menace de mort.
09:46 Sur les lieux du crime, Francis Lesquiera, dans ce climat extrêmement tendu,
09:58 désigne sans hésiter six suspects.
10:01 Quatre sont de la famille Vérando, deux des amis du clan.
10:06 Dès l'instant où j'ai vu Pierre abattu comme ça, je n'ai pas pensé à autre personne.
10:11 C'est eux.
10:12 Deux heures après la découverte du corps du berger, Jérôme Vérando,
10:19 l'adolescent de 16 ans et son père Paul sont tirés du lit et placés en garde à vue.
10:25 Les suspects ont un alibi.
10:27 La veille du crime, ils ont organisé une fête qui s'est achevée à 5 heures du matin.
10:32 Leur compagne jure qu'ensuite le père et le fils sont allés se coucher et qu'aucun d'eux n'a bougé.
10:39 Le matin des faits, je veux dire, j'étais au lit avec ma concubine.
10:45 Je veux dire, je me suis dit "c'est pas possible".
10:48 Le matin des faits, je veux dire, j'étais au lit avec ma concubine.
10:52 Je veux dire, je me suis pas inquiété du tout.
10:55 J'ai passé la nuit chez moi dans le lit et j'ai été réveillé le matin par les gendarmes.
11:01 Après avoir pris soin de faire des relevés de poudre sur les suspects,
11:07 les enquêteurs relâchent Jérôme et Paul Vérando.
11:14 Parmi les autres noms donnés par Francis Leschiera, il y a Alain Vérando, l'oncle de Jérôme, le leader du clan des chasseurs.
11:22 Il est à son tour placé en garde à vue.
11:26 Ça c'est un tort qu'ils ont eu les gendarmes, que je leur reproche d'ailleurs.
11:33 C'est d'avoir écouté Monsieur Leschiera, c'est lui qui a délégenté l'enquête.
11:38 Monsieur Leschiera a dit "j'ai 6 noms à vous donner".
11:41 J'ai dit "hop, on va attraper les 6 noms, l'anacène est fini et vous avez l'assassinat".
11:45 Alain Vérando explique que la veille du crime, il a quitté la fête organisée chez son frère Paul vers 3h du matin.
11:53 Il est allé se coucher et se serait levé à 7h moins 10.
11:59 Sa compagne qui dormait ne l'a pas entendu.
12:04 Il aurait ensuite apporté du café à ses parents à l'étage, mais ils ne s'en souviennent pas.
12:11 L'alibi est fragile.
12:13 Malgré tout, Alain Vérando est remis en liberté.
12:17 Les gendarmes placent alors les suspects sur écoute.
12:24 L'un d'eux va peut-être se trahir.
12:27 Les résultats des relevés de poudre effectués sur les suspects parviennent aux enquêteurs.
12:35 4 d'entre eux ont sur les mains des traces de la même nature que les résidus retrouvés sur le corps de Pierre Leschiera.
12:41 D'abord, il y a Jérôme et Paul Vérando, mais le père et le fils ont une explication.
12:47 Lors de la soirée organisée chez eux la veille du crime, ils ont tiré des coups de feu en l'air depuis la terrasse.
12:54 Il y a ensuite Émile Murator, un ami proche des Vérando, un vieux chasseur en conflit permanent avec le berger.
13:04 Sa femme est formelle. Le matin du crime, son mari ne l'a pas quitté.
13:08 Étrangement, ces déclarations semblent suffire aux enquêteurs.
13:14 Et puis, il y a Alain Vérando, l'oncle de Jérôme.
13:21 Lui aussi a des résidus de poudre concordant. Il est incapable d'expliquer pourquoi.
13:27 Je n'ai pas tiré de coup de fusil, ni la veille, ni près, ni pendant. Je n'ai pas tiré de coup de fusil.
13:34 Moi, c'est comme ça. Dès que j'ai de la poudre, j'ai de la poudre, puis c'est tout. Je l'ai choppé à quelque part. Je n'y pars. Mais je ne l'ai pas tiré.
13:42 Des traces de poudre inexplicables.
13:48 Un alibi fragile. Alain Vérando devient le principal suspect.
13:55 Le 11 décembre 1991, 5 mois après le crime, il est mis en examen pour assassinat et écroué à la prison de Nice.
14:06 Pour la famille Leschiara, c'est loin d'être suffisant.
14:10 Je sais qu'il n'est pas seul. On en a trouvé un. Alors quand après on me dit, mais vous savez, nous, on en a un, c'est bon, ça suffit.
14:18 Mais non, ça ne suffit pas. Ce n'est pas un qui les faut, c'est tous.
14:21 Les gendarmes en sont certains. L'assassin connaissait les habitudes du berger. Lors à laquelle il partait travailler, le trajet qu'il empruntait est l'endroit idéal.
14:32 Pour lui tendre une embuscade.
14:37 Il suffisait d'attendre que la moto rétrograde, les tueurs étaient cachés derrière.
14:43 Et puis on tire dans le dos, la moto tombe un petit peu plus loin et puis il suffit d'achever Pierre d'une balle dans la tête.
14:49 Et puis le meurtre était accompli. C'était très, très simple.
14:53 Un mois après son incarcération, Alain Verandeau trouve soudain une explication à la présence de poudre sur ses mains.
15:02 Il se souvient que le matin du crime, il a utilisé un pistolet à poudre destiné à planter des clous dans le béton.
15:10 De nouvelles expertises sont ordonnées. Les traces de poudre semblent compatibles avec l'outil.
15:17 La juge d'instruction remet donc Alain Verandeau en liberté.
15:24 L'homme rentre chez lui et s'installe dans sa nouvelle maison.
15:29 A deux pas de celle de son frère Paul et de son père.
15:36 A deux pas de celle de son frère Paul et de la bergerie dont s'occupe désormais Francis Leschira.
15:43 Les deux hommes se croisent presque tous les jours. Au village, désormais, il faut choisir.
15:50 On ne pouvait pas être au milieu. C'est ou pour ou contre. Ça, c'est intolérable.
15:59 Suivant le clan que vous allez choisir, vous serez de toute façon fâché avec la moitié du village.
16:04 Dans un petit village comme ça, ça fait déjà beaucoup de monde.
16:07 Donc on préfère ne pas parler de ce qui peut nous fâcher.
16:10 Ça vous regarde pas. Nous, on le sait. C'est tout.
16:14 Alors si vous... Mais si vous savez, vous êtes...
16:18 Dans le village, les portes se ferment. Peu à peu, l'affaire est enterrée.
16:27 Le berger semble oublié. Pourtant, Alain Verandeau reste mis en examen pour assassinat.
16:34 Non, c'était pas fini. C'est vrai qu'on était tranquilles. On sort.
16:38 Mais il y avait quand même toujours... On voyait les gendarmes, par exemple, arriver.
16:43 Il y a quelque chose. Il y avait un article qui sortait par enchantement.
16:48 De temps en temps, il y a un article qui sort. On s'est rappelés de lui.
16:51 C'est sûr, vous avez mal au ventre, vous avez mal aux tripes.
16:53 Après sept ans d'instruction, l'enquête est au point mort.
16:59 Alain Verandeau espère obtenir un nom lieu.
17:02 Le procureur de la République, récemment nommé à Nice, décide de reprendre le dossier du meurtre du berger de Castellar.
17:09 Un dossier qui atteint 2500 pages et dont personne n'a jamais fait la synthèse.
17:14 J'ai quand même trouvé bizarre d'avoir à reprendre des expertises dans le réquisitoire définitif que j'avais rédigé, qui n'avait été lu par personne.
17:22 Pour le procureur, les traces de poudre prélevées sur Alain Verandeau ne peuvent pas provenir du pistolet à clous.
17:30 Et il ne s'arrête pas là.
17:32 Je pense que c'était dommage qu'un certain nombre de personnes dans ce dossier n'ait pas été mise en examen.
17:39 Mais le dossier a suffisamment traîné et Alain Verandeau est finalement renvoyé, seul, devant la cour d'assises.
17:48 Le 6 novembre 2000, le procès s'ouvre à Nice.
17:53 Tout le monde veut savoir qui a tué le berger de Castellar.
17:58 Mais l'audience est reportée.
18:00 La raison ? Les deux experts en traces de poudre sont introuvables.
18:04 Du jamais vu dans un procès, trois nouveaux experts sont nommés.
18:08 Le procès d'Alain Verandeau s'ouvre finalement un an et demi plus tard.
18:14 L'accusé offre l'image d'un homme calme, placide, loin de sa réputation de sanguin et d'impulsif.
18:22 Lui ne s'exprimera pas, il restera dans son costume anthracite, dans son boxe.
18:28 Il ne dira rien sauf une fois interrogé, sollicité par le président.
18:32 Il dira "je n'ai pas tué le berger".
18:35 L'accusation repose essentiellement sur les traces de poudre retrouvées sur Alain Verandeau.
18:42 À la barre, les nouveaux experts ne peuvent rien affirmer.
18:47 Le doute s'installe.
18:51 Un, deux, trois, cinq experts pour entendre finalement la conclusion,
18:56 vous l'avez entendue comme moi à la fin des exposés,
18:59 que la certitude n'est pas qu'il n'a pas tiré mais n'est pas non plus qu'il a tiré.
19:03 Si bien qu'on nous renvoie finalement dos à dos.
19:06 Le doute se renforce lorsque les gendarmes révèlent à l'audience
19:10 qu'ils ont demandé à l'accusé de les aider à porter des fusils lors de la perquisition.
19:16 Ce qui pourrait expliquer les traces de poudre retrouvées sur lui.
19:21 Je ne suis pas tréfutée, je ne suis pas un enquêteur.
19:24 Mais on vous envoie dans une maison qui est suspecte.
19:28 Vous faites porter des armes pour les ramener chez vous, c'est-à-dire à la gendarmerie.
19:35 Mais il y a de quoi se demander si tout le monde a bien sa raison.
19:40 Le procès tourne au fiasco.
19:47 Les villageois de Castellar qui défilent à la barre n'arrangent rien.
19:51 Dès qu'une question précise leur est posée, les uns chevrotent, les autres vont oublier.
19:58 C'est l'amnésie générale.
19:59 Le malaise grandit lorsque la cour diffuse un extrait des écoutes téléphoniques d'Emile Murator juste après le meurtre.
20:08 On entend très distinctement la voix d'Emile qui dit
20:12 « Ah ouais, tu te rends compte de tout ce qui se passe au village ? Oh là là, c'est terrible, c'est terrible ! »
20:17 Son interlocuteur, sous choc aussi, on imagine, qui dit « Ah bon, ah bon ? »
20:21 Et là, Emile effectivement qui dit « Tu sais, moi je sais qui c'est ».
20:25 Et allons là, silence dans la salle.
20:28 Sommé de s'expliquer, le vieux chasseur se tait, obstinément.
20:40 Il est certain que le témoin connaît le nom du coupable et ne veut pas le révéler.
20:44 C'est-à-dire qu'il ouvre toute grande la porte à l'erreur judiciaire.
20:47 Étrangement, Emile Murator n'est pas inquiété.
20:52 Le procès se poursuit.
20:55 Jérôme Verrando, l'adolescent qui a menacé Pierre Leschiera trois jours avant le meurtre, vient alors témoigner.
21:05 Ce jeune homme fait mauvaise impression, se contredit.
21:08 Et surtout, sa petite amie de l'époque, son seule alibi, n'est plus aussi affirmative.
21:14 « Elle, elle dit « Écoutez, ça fait longtemps, je peux pas vous le dire comme ça, de manière formelle, évidente.
21:20 Mais bon, je pense qu'il était là. Du coup, c'est plus une certitude, c'est je pense. »
21:25 « Tout a basculé sur moi et j'arrive pas à comprendre pourquoi.
21:31 Je veux dire, je supporte la chose, mais je veux dire, c'est dur. C'est dur.
21:40 C'est dur de vivre avec ça. Je veux dire. Je vais pas le tuer. Je suis pas un assassin. »
21:47 « J'étais horrifiée de penser que Jérôme soit désigné comme étant l'exécutant de la mort de Pierre.
22:00 Parce que Pierre se voulait vraiment proche de Jérôme. J'insiste. Il l'a recevait à la bergerie. »
22:12 « J'ai toujours fréquenté son troupeau, lui-même, sa compagne, je veux dire. J'étais assez souvent avec lui le mercredi. »
22:19 Jérôme Vérando, l'assassin du berger ? L'avocat général ne sait plus quoi penser.
22:27 « L'avocat général va se lever, va dire finalement « j'en ai assez. Depuis trois jours, il y a des gens qui se succèdent à la barre,
22:36 qui n'ont pas envie que la vérité se sache. Il emploiera même les mots de « sans foi ni loin ».
22:41 Un village sans foi ni loin, à 15 kilomètres de la côte d'Azur, c'est inimaginable, mais c'est pourtant ce qui se passe.
22:46 Et finalement, je demande à ce qu'on arrête tout, à ce qu'on réfléchisse et peut-être qu'on refasse une enquête. »
22:53 « C'est la première fois que j'assiste à un procès pareil. Au bout de 11 ans d'instruction, est-ce que vous croyez qu'il est normal qu'on en arrive là
23:02 et qu'un magistrat de conscience dise « arrêtons les frais parce que c'est pas possible de continuer sur de pareils errements ». »
23:10 La cour refuse le report du procès. L'avocat général, lui, reste convaincu qu'il y a plusieurs assassins et qu'Alain Vérando est l'un d'eux.
23:21 Il requiert 20 ans de réclusion criminelle à son encontre.
23:25 21h, Laure, la fille de Pierre Leschira, assassinée il y a 11 ans à la carabine dans son village, sort en larmes des assises des Alpes-Maritimes.
23:37 Les jurés viennent d'acquitter l'accusé.
23:39 « Je n'ai pas compris. Laure s'est mise à pleurer, a dit « mais c'est pas vrai, c'est une mascarade, c'est une mascarade ».
23:45 Et je répétais à mon mari « mais quoi ? Qu'est-ce qu'ils ont dit ? » Je n'entendais plus. »
23:51 « Comment vous allez vivre au village maintenant ? »
23:53 « Je le demande. Mais en tout cas, je partirai pas du village. Ils ne me feront pas partir. »
23:57 « C'est le bonheur. C'est-à-dire que j'étais libre. »
24:04 Alain Vérando a quitté.
24:09 Les montagnes de Castellar gardent le mystère du meurtre du jeune berger.
24:15 Aujourd'hui, plus de 25 ans après le drame, plus personne ne veut évoquer cette affaire.
24:30 Pourtant, la justice a tenté à plusieurs reprises de mettre à jour la vérité.
24:36 [Générique]
24:45 Maître Baudou, comment réagit votre client Alain Vérando quand le parquet fait appel de la décision d'acquittement ?
24:52 L'attitude d'Alain Vérando à ce moment-là, c'est une attitude de soumission. Que peut-il y faire ?
25:00 En attendant ce nouveau procès, sa vie continue dans le village. Comment vit-il avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête ?
25:07 Il essaie de mener une vie normale. Mais il faut une force de caractère extraordinaire.
25:15 Et c'est vrai que je me souviens de moments d'abattement qui se concrétisaient par cette formule.
25:23 Mais quand est-ce que tout cela va finir ?
25:27 [Générique]
25:34 Une question qui entossine les Lasquières.
25:37 [Générique]
25:45 Maître Collard, le parquet fait appel de l'acquittement d'Alain Vérando. C'est une satisfaction pour eux ? Le combat continue ?
25:52 Là, on entre dans un mécanisme psychologique délicat. Dans la tête des parents de la victime, cela crédite l'idée que le premier verdict a été un verdict injuste.
26:04 La famille Lasquière rentre chez elle, à Castelard. Alain Vérando aussi. Quelle est l'ambiance dans le village qui est tout petit ?
26:12 L'ambiance est cauchemardesque. On se spionne, on se surveille, on s'écoute. Les ragots circulent comme des corbeaux.
26:22 Il y a une ambiance qui est tout à fait effroyable, mais qui est le fait de la justice.
26:27 Vous leur avez conseillé de quitter le village ?
26:29 Oui, à un moment donné, je leur ai conseillé de quitter le village. Et je crois qu'ils n'ont pas voulu. Parce que c'est d'abord leur calvaire.
26:37 Le 28 mai 2002, un mois après l'acquittement d'Alain Vérando, le parquet ouvre une information judiciaire pour assassinat et complicité d'assassinat contre Jérôme Vérando.
26:55 Ses explications embrouillées et contradictoires lors du procès de son oncle font de lui un coupable potentiel.
27:02 Maître Ginès, votre client Jérôme Vérando est de nouveau interrogé. Comment ça se passe ?
27:11 D'abord, il est dans l'incompréhension totale parce qu'il estime que sa garde à vue a été levée. Il était acquis pour lui qu'il avait été complètement innocenté dans le cadre de ce dossier.
27:21 Donc il va revenir presque 12 à 13 ans plus tard devant un magistrat qui va l'interroger sur des faits remontant à 13 ans en arrière.
27:30 Quels sont ses arguments ? Qu'est-ce qu'il dit ?
27:32 Ses arguments, c'est toujours les mêmes depuis le début, c'est qu'il est mathématiquement impossible qu'il soit l'auteur des faits
27:39 puisqu'il a trois témoins qui l'ont vu à l'heure où Pierre Leschira a été assassiné chez lui en train de dormir dans son lit.
27:49 Dont sa petite amie de l'époque, Linda, qu'il n'a plus revue et qui était formelle, en tout cas, quand elle a été interrogée en 1991.
27:58 Mais il a tout de même des résidus de poudre sur les mains.
28:00 La difficulté est là. Jérôme, il dit simplement "j'étais sur la terrasse quand mon père et son ami ont tiré des coups de fusil et j'ai voulu tirer, j'ai pris l'arme dans les mains, il n'y avait plus de cartouche".
28:13 C'est son explication. Par contre, ce qui est sûr selon le magistrat instructeur, c'est que la veille des faits, la veille de la mort de Pierre Leschira, Jérôme Vérando a menacé Pierre Leschira.
28:22 Il considère qu'il y a des charges suffisantes.
28:25 Le 20 janvier 2004, votre client Jérôme est mis en examen pour assassinat, complicité d'assassinat. Comment est-ce qu'il a réagi ?
28:32 Je pense que pour la première fois, Jérôme s'inquiète parce que la machine judiciaire est en marche et que le magistrat instructeur n'attache finalement aucune importance à ce qui se passe le jour des faits.
28:43 C'est pour le moins paradoxal.
28:45 Malgré les charges qui pèsent contre lui, Jérôme Vérando reste libre, sous contrôle judiciaire.
28:52 Le clan des Vérando, jusqu'ici soudé, vole en éclats.
28:56 La famille s'est déchirée. Je ne peux plus les voir. Je ne peux plus les voir.
29:02 C'est quoi votre conviction ?
29:03 Conviction que mon frère est dedans, que d'autres, d'autres, oui, oui.
29:08 Paul, le père de Jérôme, accuse maintenant ouvertement son frère Alain d'être l'auteur du meurtre.
29:14 Un témoin de premier plan disparaît, Émile Murator. L'ami des Vérando, qui avait déclaré connaître le vrai coupable, emporte son secret avec lui en juillet 2002.
29:25 Jérôme Vérando, qui n'avait que 16 ans au moment du crime, est renvoyé devant la cour d'assises des mineurs des Alpes-Maritimes.
29:43 Maître Dupont-Moretti, comment réagit Jérôme Vérando lorsqu'il apprend qu'il est renvoyé devant les assises ?
29:48 Jérôme, on est 16 ans plus tard, il a fondé une famille, il a des enfants.
29:54 Il est terrorisé à l'idée de comparaître devant la cour d'assises, parce qu'il ne comprend pas pour quelle raison il a été mis en examen.
30:02 *Musique*
30:20 Maître Martial, les charges contre Jérôme Vérando sont relativement faibles. Comment appréhendez-vous ce procès ?
30:27 Connaissant les profonds abîmes de ce dossier, je me dis, attention, le procès, il va être très dur contre quelqu'un qui est mineur au moment des faits.
30:40 Qui a peut-être grandi, mais qui est mineur.
30:43 Vous faites part de vos doutes à la famille de Pierre avant le procès ?
30:47 On en discute avec la famille Nesquira, bien évidemment, qu'ils savent que tout ceci est devenu, est extrêmement fragile.
30:55 Mais ils se disent que le procès, le procès va être quelque chose à ce point vivant, qu'on va peut-être parvenir à faire sortir cette vérité.
31:03 Et que l'Omerta va être cassée en mille morceaux.
31:06 Le 2 avril 2007, 16 ans après l'assassinat du berger de Castellar, c'est dans un climat tendu que débute le procès de Jérôme Vérando.
31:16 Maître Collard, comment se présente Jérôme Vérando à ce procès ?
31:22 Parfaitement dans le rôle de l'innocent.
31:25 Répondant avec facilité à pratiquement toutes les questions sauf certaines.
31:30 Parce que l'enquête ne permet pas de le coincer.
31:33 Le dossier ne permet pas de le mettre en difficulté.
31:36 Il a l'air sincère ?
31:38 Il va prendre sa défense en main.
31:44 Il a compris qu'il fallait qu'il se débrouille seul.
31:47 Qu'il ne fallait plus qu'il compte sur le clan.
31:50 Que le clan n'est plus qu'une fiction.
31:53 Il va donc affronter ce procès seul.
31:56 Il va l'affronter avec beaucoup de force, avec beaucoup de détermination.
31:59 Et avec la certitude que ce qu'il va dire va être cru et entendu.
32:04 Quels sont les éléments tangibles à l'encontre de Jérôme Vérando auxquels vous pouvez vous raccrocher ?
32:09 Jérôme nous raconte une histoire.
32:14 Même si au fur et à mesure il la morcelle.
32:17 Parce qu'il sent bien qu'il faut qu'il trouve des explications.
32:20 Et puis il va dire de toute façon "vous ne pouvez pas venir me chercher là-dessus".
32:25 Puisque pour cette nuit-là, la nuit où Pierre a été assassiné, j'ai un alibi.
32:32 J'étais dans une maison et dans cette maison j'étais avec ma petite amie.
32:37 Sa petite amie est entendue justement. Que dit-elle ?
32:40 Elle confirme bien sûr cet alibi.
32:42 Elle confirme que son fiancé de l'époque ne l'a pas quitté.
32:46 Et elle est sûre d'elle.
32:48 Pourtant au cours de l'audience, à un moment donné, on sent que les choses peuvent basculer.
32:52 Parce que sous le feu des questions, elle est ébranlée.
32:55 Et il est possible qu'elle lâche quelque chose.
32:58 Elle se reprend très vite.
33:00 Et à partir de cet instant-là, je sens que tout ce qui était fragile devient presque inexistant.
33:06 Éric Dupond-Moretti, à la barre, même l'expert souligne la fragilité des expertises.
33:12 Oui, la fragilité, c'est euphémique.
33:14 Je le dis avec un expert qui a perdu pied dans le cours de cette procédure.
33:21 On a retrouvé des morceaux de scellés un peu partout.
33:24 Ça a été fait n'importe comment, dans n'importe quelles conditions.
33:27 Et même la façon dont les mains ont été tamponnées,
33:29 cela n'a pas été fait comme le requiert la communauté scientifique.
33:33 Et on ne sait même pas si la contamination sur les mains de Jérôme
33:37 est une vraie contamination ou si c'est une erreur de l'expert.
33:40 Voilà ce qu'il y a contre lui.
33:42 Pendant le procès, Jérôme Verrando va s'adresser directement à la famille Leschiara.
33:46 Qu'est-ce qu'il leur dit ?
33:47 Il leur a dit qu'il était innocent.
33:49 Il leur a dit qu'il les croisait tous les jours,
33:51 que c'était infiniment douloureux pour lui de voir leur chagrin,
33:53 qu'il le partageait, mais qu'il n'avait rien à voir là-dedans.
33:56 Quelle est la réaction de la famille Leschiara ?
33:59 Je pense qu'ils ne veulent pas l'entendre.
34:02 C'est normal parce que pendant des années,
34:04 on leur a dit qu'il était l'artisan de leur malheur.
34:07 Malgré l'absence de preuves tangibles,
34:12 l'avocate générale requiert 15 ans de réclusion.
34:15 Maître Dupond-Moretti, dans son réquisitoire,
34:20 l'avocate générale élabore un scénario.
34:23 Jérôme et Alain Verrando sont complices.
34:25 Qu'est-ce que vous en pensez ?
34:26 Rien.
34:27 Rien.
34:28 Ça n'a pas honoré la justice, ce réquisitoire.
34:30 C'était une espèce de construction
34:33 qui n'a d'intellectuel que le nom.
34:35 Je n'ai rien à en dire.
34:37 C'était un réquisitoire pathétique.
34:39 Vous vous souvenez des arguments que vous avez développés
34:41 dans votre plaidoirie ?
34:42 La vacuité du dossier.
34:44 Totale.
34:45 Totale vacuité du dossier.
34:46 Je ne sais pas comment et pourquoi
34:48 il a été renvoyé dans la Cour d'Assise.
34:50 La question pour moi, ce n'était pas de savoir
34:52 si on devait la quitter,
34:53 c'était pourquoi on l'a renvoyée dans la Cour d'Assise.
34:55 Pourquoi on a pris ce risque absolument inouï ?
34:59 C'est le gamin qui a été sacrifié
35:02 à l'autel de la nécessaire obligation
35:07 de trouver un coupable.
35:08 Le 7 avril 2007,
35:12 après cinq jours d'audience...
35:14 Quatre ans après son oncle Alain Vérando,
35:17 c'est donc le neveu Jérôme
35:18 qui sort du Palais de Justice
35:20 comme il y est entré, libre.
35:22 La justice acquitte Jérôme Vérando.
35:26 [Musique]
35:45 Christian Lobosec,
35:46 quand Jérôme est acquitté,
35:48 comment vous réagissez ?
35:49 Ça m'a énervé, bien sûr.
35:51 Pas de la haine,
35:54 mais je dis "merde, j'ai plus de haine
35:56 à l'encontre du système judiciaire
35:58 qui a fait qu'on a pu aboutir
36:02 à de telles énormités,
36:03 sur le plan enquête, et ainsi de suite.
36:05 Profond sentiment d'injustice,
36:10 parce que toujours autant persuadé
36:13 de la culpabilité de Jérôme.
36:15 Terriblement déçu par la justice.
36:23 Je crois qu'ils n'en finissent plus
36:25 de dégringoler la montagne.
36:26 Il n'y a plus rien
36:28 qui leur permette de s'accrocher.
36:30 Et ils vont rester avec leurs interrogations,
36:32 et bien évidemment avec leur colère,
36:34 avec leur rage,
36:35 et avec leur désespoir.
36:37 Jérôme a quitté.
36:38 C'est une victoire ou un soulagement pour lui ?
36:40 Il s'effondre en larmes,
36:43 et sa première réaction,
36:45 c'est de remercier,
36:48 d'embrasser ses avocats.
36:50 On a tous les larmes aux yeux,
36:52 parce qu'on pense que c'est enfin fini.
36:55 Le parquet général d'Aix-en-Provence
37:03 fait immédiatement appel de cette décision,
37:05 et adresse une demande inédite
37:07 à la Cour de cassation.
37:09 Pour que la vérité soit établie,
37:11 la justice considère qu'il faut
37:13 que les deux suspects,
37:14 Alain et Jérôme Vérando,
37:16 puissent être rejugés en même temps.
37:19 Une requête acceptée.
37:21 Maître Martial,
37:22 que pensez-vous de cette décision ?
37:24 Elle est ubuesque,
37:25 parce qu'on ne peut pas réunir
37:26 dans une même salle,
37:27 dans une même enceinte,
37:28 sous un même régime,
37:30 et un mineur et un majeur.
37:32 C'est complètement loufoque.
37:34 C'est la construction d'une espèce de combat
37:38 que l'on attendait titanesque
37:40 entre l'oncle et le neveu.
37:41 Et pour faire ce duel judiciaire,
37:43 on s'est affranchi de toutes les règles.
37:44 On a joint une affaire majeure
37:46 avec une affaire mineure,
37:47 ce qui ne peut pas se faire,
37:49 parce que les règles sont différentes.
37:51 Pour les Leschiara et leurs amis,
37:55 c'est un nouvel espoir de confondre
37:57 le ou les assassins de leurs fils.
38:00 Ce procès en appel,
38:02 avec les deux accusés,
38:03 cette fois-ci dans le boxe,
38:04 en même temps,
38:05 vous en espérez quoi ?
38:06 On espère que la vérité éclate,
38:08 depuis le temps,
38:09 mais en sachant très bien que,
38:11 malgré tout, on n'y croit pas.
38:13 Vous n'y croyez pas ?
38:14 Non, non, non.
38:15 Je ne vois pas pourquoi ça réaboutit,
38:16 finalement, cette fois-là,
38:18 alors que les fois précédentes...
38:19 Mais là, ils sont tous les deux dans le boxe.
38:21 Oui, tous les deux. On s'est dit quand même...
38:22 Peut-être que l'un peut craquer...
38:24 Oui, mais connaissant leur fonctionnement aussi,
38:26 si chacun veut sauver sa peau
38:28 d'un côté comme de l'autre,
38:29 ils vont forcément se rébibocher,
38:32 et puis il y aura forcément
38:34 acquis de mon au bénéfice du doute.
38:36 Le procès en appel d'Alain et Jérôme Vérando
38:41 débute en novembre 2008 à Aix-en-Provence.
38:44 Je vous ai dit que j'étais innocent.
38:46 Ils ne comprenaient pas ce que je faisais dans cette affaire.
38:48 Que ce soit Jérôme ou moi,
38:50 on se battra toujours pour l'innocence.
38:51 Qu'est-ce que vous avez à dire à la famille du berger ?
38:53 Rien.
38:54 Les deux hommes qu'on paraisse libres,
38:57 ils sont confrontés pour la première fois
38:59 dans une cour d'assises.
39:01 Maître Baudou, dans quel état d'esprit
39:06 se trouve Alain Vérando au début de ce nouveau procès ?
39:09 Il entre fatalement comme quelqu'un
39:12 qui va devoir faire triompher,
39:15 faire apparaître, éclater son innocence.
39:19 Avec toujours le risque
39:22 que l'on ne parvienne pas à convaincre.
39:25 Son neveu Jérôme est à côté de lui,
39:27 sur le banc des accusés.
39:29 Comment ça se passe entre eux ?
39:31 Ils savent que c'est une espèce de traquenard judiciaire
39:34 qui leur est tendu aussi.
39:36 Ils sont concentrés.
39:39 17 ans après le crime,
39:44 faute de preuves avérées,
39:46 il ne reste que l'impression produite par les Vérando
39:50 pour convaincre les jurés.
39:52 Les Vérando sont surpris à plusieurs reprises
39:56 en flagrant délit de mensonge.
39:58 Ils vont mentir,
40:00 toujours sur des points qui sont des points de détail.
40:03 On peut penser au hasard de ces mensonges
40:06 qu'on a le droit de s'adresser à eux en leur disant
40:08 "écoutez, vous êtes tous les deux deux gros menteurs,
40:11 deux gros menteurs".
40:13 Quand vous les mettez face à leur contradiction,
40:15 comment ils réagissent l'un et l'autre ?
40:17 Ils s'accrochent.
40:19 Ils disent "vous allez voir, les témoins vont venir l'expliquer".
40:22 Et c'est vrai que les témoins viennent,
40:24 tout aussi menteurs qu'eux.
40:26 Il y a un témoignage qui va s'avérer capital,
40:28 du moins pour Jérôme Vérando,
40:30 c'est celui de son ancienne petite amie.
40:32 Qu'est-ce qu'elle dit ?
40:34 On espère la pousser dans ses derniers retranchements.
40:38 Les hésitations qu'elle a marquées
40:40 lors du premier procès,
40:42 on les a toutes notées.
40:44 Donc on veut les reprendre
40:46 et on lui pose toutes les questions.
40:49 Elle est plus forte que la première fois.
40:51 Elle s'accroche, elle est de plus en plus monolithique,
40:53 c'est un bloc, on ne peut plus rien en faire.
40:56 Et donc elle va rester, on va rester avec ce témoignage.
40:59 Jérôme était avec moi à l'heure de l'assassinat,
41:02 il est impossible que Jérôme ait été sur ces lieux-là.
41:05 Ce témoignage fait basculer le procès.
41:09 L'avocat de la famille Leschira fait alors
41:11 une déclaration totalement inattendue.
41:14 Nous disons que les partis civils
41:17 ne plaideront pas contre Jérôme Vérando.
41:21 C'est malheureusement le constat dramatique, déplorable,
41:25 qu'il y a des moments où on ne peut plus rien faire.
41:28 Donc on abandonne,
41:31 la voix de la partie civile devient muette
41:35 et s'enferme dans le silence contre Jérôme Vérando.
41:39 Une partie civile qui se désiste en plein procès,
41:42 vous aviez déjà vu ça ?
41:43 Jamais.
41:44 Tous les avocats présents qui ont une expérience incomparable
41:47 de la Cour d'Assise, comme Lombard, comme Éric Dupond-Moretti,
41:50 personne n'avait jamais vu ça.
41:52 Et pour autant, votre client n'est pas sorti d'affaire.
41:55 Absolument.
41:56 La Cour d'Assise doit statuer sur le cas de Jérôme Vérando
42:00 puisque l'avocat général ne se désiste pas de son appel.
42:03 Et que donc les jurés doivent voter
42:05 pour savoir si Jérôme Vérando est coupable ou pas.
42:08 La partie civile se désiste dans le cas de Jérôme Vérando,
42:12 mais pas dans le cas de votre client.
42:14 C'est un coup dur ?
42:15 C'est un coup dur pour lui.
42:18 C'est un coup prévu et assumé par la Défense
42:24 qui ne s'est pas privé effectivement de dire ce qu'elle pensait
42:27 de tout cela le moment des plaidoiries venues.
42:31 L'avocat général requiert 20 ans de réclusion pour Alain Vérando
42:36 et l'acquittement pour son neveu Jérôme.
42:39 Après deux heures de délibérés, les jurés rendent leur verdict.
42:45 Jérôme et Alain Vérando sont tous les deux acquittés.
42:50 Il était en pleurs et il a embrassé son oncle.
42:54 Et pour la première fois depuis tout ce temps, il se parle.
42:58 À l'énoncé du verdict, Alain Vérando pleure un peu.
43:04 Il nous regarde et me dit "Est-ce que cette fois-ci, c'est vraiment terminé ?"
43:11 Quelle est la réaction de la famille de Pierre à l'énoncé du verdict ?
43:15 À l'annonce de ce verdict, un déchirement.
43:18 J'entends encore l'or, je la vois mais surtout je l'entends.
43:21 C'est une plainte, mais c'est inimaginable.
43:25 Et les épaules de ce grand corps de Francis qui s'abaisse, qui s'abaisse, qui s'abaisse.
43:32 On se demande jusqu'où le chagrin que porte ce type va l'amener, va le tirer vers le bas.
43:39 C'est même plus la déception qu'on a, mais c'est la rage vente.
43:43 Ça symbolise vraiment le gros patatras, ce qu'on a pris sur la gueule.
43:47 En se disant "Voilà, c'est terminé".
43:51 Parce que jusqu'au bout, vous espériez que l'un ou l'autre, ou les deux, soient condamnés ?
43:56 Au début, on croit à la justice.
43:59 Et puis après, on y croit moins et puis après, on n'y croit plus du tout.
44:03 Mais toujours quand même, c'est ce qui a été vraiment admirable chez les parents de Pierre.
44:08 Je n'ai jamais entendu parler de vengeance.
44:12 En 2012, afin de rattraper ce fiasco judiciaire, l'État procède à différentes indemnisations.
44:22 Alain Vérando reçoit 192 000 euros pour dysfonctionnement de l'enquête et 10 mois passés en prison.
44:29 En revanche, son neveu Jérôme, lui, n'obtient rien.
44:33 Cette indemnisation financière, c'était important pour votre client ?
44:38 C'était important pour deux raisons.
44:42 D'abord, pour une raison strictement matérielle.
44:45 Parce que c'est vrai que Alain Vérando a été détenu, même si au regard des circonstances, on peut considérer qu'il a été détenu peu de temps, puisqu'il s'agissait d'un assassinat, mais quand même 10 mois.
44:57 Et puis, si nous avons choisi aussi d'introduire une procédure en indemnisation du dysfonctionnement de la justice,
45:05 c'est parce qu'il y a eu quand même dans ce dossier une accumulation d'énormité.
45:11 Alors il a reçu les sommes qu'il a reçues, qui, à mon sens, ne correspondent absolument pas aux souffrances énormes qui ont été engendrées par ce parcours judiciaire carrément atypique.
45:25 Est-ce que vous revoyez votre client Alain Vérando ?
45:28 Il se reconstruit en pratiquant la formule selon laquelle pour vivre heureux, il faut vivre caché.
45:38 Il reste à Castellar, il sort le moins possible, il évite toujours la famille Lechiera, il ne veut plus entendre parler de ses années de souffrance et de ce parcours, de ce chemin de croix.
45:55 Il en veut à quelqu'un ?
45:58 Je crois qu'il en veut peut-être un peu à un système, qui est le système judiciaire, qui quelquefois fait peu de cas de l'humain.
46:09 Jérôme Vérando n'a absolument rien touché de la part de l'État français.
46:15 Il l'a demandé ?
46:16 Non, il ne l'a pas demandé. Il n'a pas effectué un seul jour de détention provisoire.
46:21 Et la loi ne prévoit qu'on est indemnisé que pour la détention qu'on a effectuée.
46:26 Il aurait pu attaquer l'État français pour dysfonctionnement, en indiquant que son procès avait duré trop longtemps, mais il n'a pas souhaité le faire.
46:33 Il a simplement voulu récupérer ses fusils de chasse, on lui a refusé.
46:37 Maître Dupond-Moretti, que fait Jérôme Vérando à l'issue de ce procès ?
46:42 Jérôme, il avait une vie parfaitement organisée. Il avait une famille, une femme, des enfants, un travail.
46:48 Donc il s'est à nouveau occupé de sa femme, de ses enfants et de son travail.
46:52 C'est une parenthèse terrible, maléfique, insupportable, mais qu'il a traversée.
47:02 Et puis il a toujours été entouré aussi par sa famille, sa famille proche, qu'il n'a jamais abandonné.
47:09 Et puis il a repris le cours ordinaire de sa vie.
47:13 Mais évidemment, tout ça, ça laisse des traces, bien sûr.
47:17 La famille Leschiara a également été indemnisée au titre du préjudice moral à hauteur de 75 000 euros.
47:29 Mais les proches du berger veulent aller plus loin.
47:31 Ils invoquent une faute lourde de l'État et un déni de justice. Ils réclament 225 000 euros.
47:37 Maître Collard, la famille Leschiara intente une action en justice contre l'État. Sur quels éléments ?
47:42 Sur tous les éléments du dossier qui démontraient que le travail n'avait pas été fait par la justice.
47:48 Mais on pomme les scellés, on se trompe dans la numérotation, on a un expert qui finit avec un entonnoir et des menottes.
47:56 On a un procureur qui vient avec du retard et puis qui est remplacé.
48:02 Moi j'ai envie un jour de faire un livre sur ce dossier.
48:05 Parce qu'on nous serine avec l'indépendance de la justice, mais son efficacité ?
48:12 Quand même, c'est une question qu'on peut se poser aussi.
48:15 Comment la famille réagit lorsque le tribunal de Paris rejette sa demande ?
48:20 Ils savaient que ça serait difficile pour la justice de reconnaître ses erreurs.
48:24 Parce que là quand même, là c'est pas la petite erreur, c'était vraiment le cumul.
48:29 Et ça fait partie, vous savez, ça fait partie du total écœurement.
48:35 Aujourd'hui, Christian Lebozeg poursuit seul le combat judiciaire, au nom d'une promesse faite à son ami Pierre.
48:49 Il estime que certains éléments du dossier n'ont jamais été exploités pour connaître la vérité.
48:55 La moto de Pierre n'a pas été expertisée, l'aparcat qu'il portait n'a pas été expertisé, ça valait le coup.
49:02 Ça valait le coup parce que j'imagine avec tout l'arrache qu'ils avaient à l'attendre à battre,
49:08 ils ont très bien pu lui cracher dessus lorsqu'il était à terre.
49:11 Et puis il y a un fusil calibre 16 qui a été trouvé dans le village ou dans les parages, mais suffisamment.
49:17 Depuis, ça fait 3-4 ans. Donc il y a des choses qu'on peut retrouver.
49:21 Et tout ça c'est au labo, à Marseille.
49:24 L'affaire pourrait être définitivement close en 2018 à cause du délai de prescription.
49:31 Le meurtre de Pierre Leschira resterait alors à jamais impuni.
49:36 Aujourd'hui, les Leschiras ne veulent plus s'exprimer publiquement sur cette affaire. Pour quelles raisons ?
49:43 Ils préfèrent échanger entre eux, partager le souvenir d'un garçon brillant,
49:49 jucher sur sa moto, partant conquérir les flancs de la montagne avec son beau troupeau,
49:56 trônant au milieu de ce troupeau. Et puis, qu'on leur foute la paix.
50:02 Ils ne croient plus en la justice, aujourd'hui ?
50:04 La justice ? Ils ne veulent plus y participer de quelque manière que ce soit.
50:09 Ils ont toujours l'impression d'avoir été considérés comme des figurants.
50:12 Ils sont des figurants, ils sortent du champ de la caméra, ils sortent du théâtre.
50:17 Ils sont derrière les coulisses. Top. Terminé. Silence.
50:22 [Musique]

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