Le carrefour de l'info - La question de l'héritage

  • il y a 8 mois
Martin Georges - Rédacteur en chef de la Revue Politique - et Eric Fabri - Coordinateur et Docteur en sciences politiques - étaient les invités du Carrefour de l'info pour nous parler de "La question de l'héritage"

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Transcript
00:00 Four de l'info sur Arabelle.
00:02 [Musique]
00:05 Bonjour, bonjour à tous. Bienvenue dans votre Carrefour de l'information.
00:08 Tout de suite, les principaux titres que nous allons développer ensemble aujourd'hui.
00:12 Tout d'abord, en Europe, la grogne des agriculteurs.
00:14 Le mouvement de protestation des agriculteurs européens témoigne du ras-le-bol du monde rural contre Bruxelles.
00:20 Demain, d'ailleurs, un sommet européen est prévu.
00:22 Les agriculteurs comptent se rendre en masse dans la capitale pour se faire entendre.
00:27 Chez nous toujours, un nouveau centre d'accueil pour hommes isolés d'une capacité de 150 places
00:32 qui est ouvert dans la commune bruxelloise de Forêt, annonce faite par le Samu Social.
00:37 Et puis, nous recevons aujourd'hui l'un de nos partenaires, la Revue Politique,
00:40 pour nous pencher sur son dernier numéro et en particulier sur son sujet principal, la question de l'héritage.
00:46 Martin Georges, rédacteur en chef, et Eric Fabry, le coordinateur du numéro, seront avec nous dans quelques minutes.
00:53 Et puis le sport du football à la Coupe d'Afrique des Nations en Côte d'Ivoire, le Maroc out,
00:57 sorti hier dès les huitièmes de finale, battu par l'Afrique du Sud.
01:01 Voilà pour l'essentiel du Carrefour de l'information qui démarre dans quelques instants.
01:05 [Générique]
01:12 Voilà, je vous le disais, il y a quelques instants, on reçoit aujourd'hui l'un de nos partenaires,
01:16 la Revue Politique, pour nous pencher sur son dernier numéro et en particulier sur le sujet principal,
01:21 la question de l'héritage. Voilà, et pour nous en parler, nous avons le plaisir de recevoir aujourd'hui
01:27 Martin Georges, qui est rédacteur en chef, et Eric Fabry, le coordinateur du numéro, ils sont avec nous. Bonjour.
01:32 Bonjour. Merci beaucoup pour votre accueil.
01:34 Bonjour à vous deux. Merci d'être avec nous sur Arabel.
01:37 Alors, on va commencer par le commencement, si vous voulez bien. On va s'intéresser sur les stats, les chiffres,
01:42 et plutôt déjà un constat, dit-on, plutôt alarmant.
01:45 Un constat, oui, tout à fait alarmant, mais peut-être d'abord par l'ignorance que l'on a de la situation exactement.
01:52 Alors, on a quand même une idée de la situation en termes d'inégalités patrimoniales,
01:55 donc les inégalités de richesse en tant que telle, on ne parle pas des inégalités de revenus,
01:59 mais vraiment de qui détient quoi. On a un portrait qui a été dressé notamment par la World Inequality Database,
02:06 qui est tenue par l'École de Paris, où ce qui ressort, et qui a été confirmé par une étude récente de la BNB,
02:12 donc la Banque Nationale de Belgique, c'est que, grosso modo, les 10% les plus riches des Belges détiennent
02:17 près de 55% du patrimoine général, avec des disparités assez importantes,
02:21 puisque ils détiennent beaucoup d'actions, 79% des actions cotées sont détenues par les 10% les plus riches,
02:26 et quand même aussi 30% du patrimoine, plutôt, 29% pour être exact, de l'immobilier résidencial est détenu par les 10% les plus riches.
02:32 Mais ça, ce n'est pas le plus important. Le plus important, c'est de voir peut-être ce que détient le 1%,
02:37 et là, on voit en effet, selon la World Inequality Database, que le 1% le plus riche détient près de 15% du patrimoine total,
02:45 ce qui est quand même effarant quand on pense que les 50% les plus pauvres, donc la moitié de la population, on va dire, la plus pauvre,
02:53 ne détient que, selon la BNB, 8,4%, ce qui n'est pas rien, et c'est dû notamment, pour une bonne part, à l'importance de l'immobilier dans le patrimoine des Belges.
03:04 Et c'est beaucoup mieux par exemple que les États-Unis, où là, la moitié la plus pauvre détient quasiment rien, voire est endettée.
03:10 Mais ça pose question. Donc quand même, ce pourcentage le plus riche qui détient 15% du patrimoine vs. les 50% les plus pauvres qui détient la moitié de ça.
03:20 - Et donc, ce qui est important, ce qui nous a mobilisés avec Éric Fabry pour avancer sur ce dossier, et proposer un dossier spécial sur l'héritage,
03:30 c'est évidemment ce que Éric Fabry vient de dire, c'est cette disproportion assez forte et ces inégalités qui sont criantes,
03:39 et qui sont peu documentées, ou en tout cas peu reconnues en tant que telles.
03:44 Et ce qui est très intéressant, selon moi, c'est que justement, le numéro est sorti très récemment,
03:52 et justement, un rapport de la Banque Nationale de Belgique revient pour la première fois sur le sujet des patrimoines,
04:02 et nous donne des chiffres dont on manquait cruellement jusqu'ici.
04:07 - Justement, pourquoi le peu de données et de chiffres sur le sujet, tant sur le patrimoine immobilier que sur le patrimoine financier ?
04:15 - C'est une question qui est abordée notamment par Nabil Cheikh Hassan dans son article, qui pointe justement le manque de données.
04:24 Le problème, c'est qu'une fois qu'on a des données, on peut en faire de l'information politique.
04:27 Alors, je dois ajouter quelque chose par rapport à ça, c'est-à-dire qu'on a des données sur les inégalités de patrimoine,
04:32 donc qui détient quoi, sur les inégalités de revenus aussi, qui gagne quoi et qui gagne combien de fois plus que qui,
04:39 mais on a très peu de données sur qui transmet quoi. Et ces données, elles existent, elles sont recensées par la notaire.
04:45 Je veux dire, chaque fois que vous allez faire une donation, qu'il y a un héritage, il y a un notaire qui prend note de tout ça.
04:50 Il y a aussi une administration qui va voir ce que vous devez payer comme taxe, s'il y a une taxe à payer ou pas.
04:56 Mais ces données-là ne sont pas... En fait, cette information n'est pas constituée en données, c'est-à-dire qu'elles ne sont pas constituées à une grande échelle.
05:02 Par exemple, c'est impossible de savoir... En tout cas, moi, je ne connais pas le chiffre. Si quelqu'un le connaît, je lui serais gré de me contacter.
05:09 Mais de savoir, par exemple, quels sont les montants qui ont été donnés l'année passée en Belgique, à qui, et quel est le montant moyen, par exemple.
05:17 C'est une donnée que je ne connais pas et que je n'avais pas...
05:20 Il n'y a pas de base de données, mais il y a une transhabilité quand même.
05:22 Bien sûr. Il y a des informations qui sont là. Maintenant, c'est toute la différence entre l'information et la donnée.
05:28 On n'a pas cette donnée générale qui consiste à dire qui reçoit quoi, quels sont les montants transmis, comment ça s'organise exactement, et ainsi de suite.
05:36 Et ça, évidemment, c'est un enjeu politique. Parce qu'une fois qu'on voit ça, on voit aussi directement la reproduction des inégalités à l'heure.
05:42 Donc, pourquoi est-ce que ça n'existe pas ? Peut-être parce qu'il n'y a pas les chercheurs qui travaillent dessus.
05:46 Peut-être parce qu'il n'y a pas d'intérêt à collecter ces données, à faire ces informations pour en faire des données.
05:53 Donc, il y a peut-être plusieurs enjeux. Mais en tout cas, le fait est que, pour l'instant, ça n'existe pas.
05:56 Vous voulez ajouter ? Non ?
05:58 Non, oui. Mais selon moi, c'est assez clair que jusqu'ici, il n'y a pas eu de volonté politique.
06:04 Parce que mettre en avant, analyser et étudier ces données en profondeur, ça soulignerait probablement la reproduction des inégalités qui continuent depuis toujours, et depuis le XIXe siècle en tout cas.
06:21 Alors, ce qu'on peut ajouter, c'est qu'il y a quand même aussi une culture du secret autour du patrimoine.
06:24 Il y a quand même cette idée aussi que ce que je gagne, c'est privé, ce que je détiens, c'est privé, et ainsi de suite.
06:29 C'est à moi. J'en fais ce que je veux.
06:31 C'est à moi, j'en fais ce que je veux. Et surtout, l'État n'a pas à le savoir, d'une certaine manière.
06:34 Nous aussi, une culture du secret bancaire, et ainsi de suite. Et puis surtout, une difficulté à agréger de l'information.
06:39 C'est-à-dire qu'on a aussi quelques enquêtes qui, du coup, sont faites par des chercheurs.
06:43 On soumet des questionnaires sur le patrimoine, et ainsi de suite. Mais c'est sur base volontaire.
06:47 Et vous vous doutez bien que Marc Cook, quand il reçoit une enquête comme ça, il ne répond pas.
06:51 Donc, d'une certaine manière, on dépend toujours du bon vouloir des plus riches pour savoir ce qu'il y a dans le patrimoine des plus riches.
06:58 Et puis de leur honnêteté aussi. Ce qu'ils vont vraiment déclarer à un chercheur,
07:03 bon, sous le sceau de la confidentialité, certes, mais qu'ils ont tel et tel patrimoine en Suisse, ou je ne sais où.
07:09 – Selon vous, ce serait donc une idée de rendre publiques, justement,
07:14 toutes ces données sur la répartition des patrimoines et des revenus financiers ?
07:17 – Oui, alors moi je pense que c'est quelque chose d'important, mais je ne suis pas le seul.
07:23 On a toute une tradition, notamment du comptabilisme social, qui en gros dit
07:28 "le capital c'est une chose trop importante que pour être laissé aux mains des capitalistes".
07:31 Et la logique est assez... enfin bon, c'est au 19ème siècle, mais c'est véritablement un moment
07:37 où les philosophes et les progressistes disent "en fait, on a besoin de mettre le capital au meilleur usage possible".
07:44 Et ce meilleur usage possible, le problème c'est qu'on n'a pas toujours les capitalistes qu'on mérite, d'une certaine manière.
07:49 Il y a des fils de capitalistes qui héritent d'un empire, qui en font pas grand-chose,
07:52 et on pourrait en fait faire un bien meilleur usage de ce capital si on savait qui le détient
07:57 et si la puissance publique pouvait mieux s'en servir.
08:00 Bon, c'est très 19ème siècle, il y a aussi un certain optimisme,
08:03 et une certaine foi dans le progrès et le bon usage du capital,
08:06 mais du coup, en fait, ce genre de pensée aboutit sur une forme de transparence sociale,
08:09 où finalement, voilà, on doit savoir à tout moment qui détient quoi,
08:12 notamment pour pouvoir parfois rectifier des mauvais usages du capital.
08:16 Donc c'est un courant qui a son importance, et qu'on retrouve activé dans la philosophie contemporaine,
08:23 notamment quand on voit l'importance politique de la détention du capital.
08:27 - On va faire une parenthèse, vous avez évoqué le 19ème siècle,
08:30 on va faire un petit peu d'histoire si vous le voulez bien, revenir un petit peu en arrière,
08:34 un petit coup d'œil dans le rétroviseur avec ce titre de "Deux siècles d'opposition".
08:38 L'opposition à l'impôt successoral ne date pas d'aujourd'hui,
08:41 avec cet article de "Siecles d'opposition à l'impôt successoral" nous le rappelle.
08:45 Alors, pourquoi tout d'abord la première guerre mondiale ?
08:48 C'est un événement important, un charnier dans l'histoire de l'impôt successoral.
08:52 - Oui, exactement, donc on a la chance d'avoir un excellent article de Simon Watteyn,
08:56 qui est chercheur et historien à l'ULB,
08:59 et qui donc a fait le... a retracé, a agrandé l'histoire de cet enjeu de l'impôt successoral
09:06 et des héritages en Belgique, et le lien avec la politique.
09:09 Et en fait, ce qu'on remarque assez clairement, c'est que,
09:12 durant tout le XIXe siècle, il y a un refus massif de la classe politique au pouvoir
09:18 d'avancer sur le sujet, de taxer les successions, pour le dire clairement en ligne directe.
09:26 La question de la progressivité aussi des taux n'apparaît pas.
09:31 Et en fait, c'est assez frappant, parce que même en 1893-94,
09:37 quand le premier parti qui représente les plus pauvres, qui représente la classe ouvrière,
09:43 donc le Parti Ouvrier Belge, arrive, est élu,
09:47 et donc les premiers députés du Parti Ouvrier Belge arrivent à la Chambre, au Parlement,
09:52 ils proposent... il y a quelques propositions de loi pour aller dans ce sens,
09:56 mais c'est évidemment rejeté, balayé, dans l'envers de la main,
09:59 et donc il ne se passe rien.
10:00 Et c'est vrai qu'il faut attendre 1914-18, la Première Guerre mondiale.
10:05 Alors, comme vous le savez, la Belgique se veut neutre, un peu à l'image de la Suisse,
10:09 la neutralité est violée par l'Allemagne, la Belgique est envahie,
10:13 et en fait c'est les Allemands, c'est l'Allemagne d'abord,
10:15 qui va exiger de la Belgique une contribution financière à son propre effort de guerre,
10:22 à l'effort de guerre allemand, et donc dans cette exigence apparaît,
10:27 pour la première fois, ce retour de la question de l'héritage avec une imposition.
10:33 Et donc c'est en 1917 que ça apparaît, et puis après la guerre,
10:38 c'est un moment de liesse populaire, un moment d'unité nationale,
10:43 et dans cette perspective, dans ce moment, c'est souvent après les guerres
10:47 que se déroulent des changements importants, ou au moment des guerres
10:50 que se déroulent des changements importants ou des réformes,
10:52 et parmi les réformes qui sont mises en œuvre, il va y avoir cette réforme
10:56 des droits de succession, de l'héritage, qui est mise en avant,
11:01 qui est inspirée par un penseur libéral, par un libéral,
11:04 et cette réforme, elle est motivée par quoi ?
11:09 Par la justice fiscale, l'idée qu'il y a une justice fiscale et sociale à mettre en œuvre,
11:13 et pour la première fois, on voit apparaître deux grands principes,
11:16 c'est progressivité des taux et les droits à payer en ligne directe,
11:23 donc parents-enfants, pour le dire simplement.
11:26 C'est assez important de se le rappeler, mais ce qui est déplorable, selon moi,
11:35 et l'article le montre bien, c'est que malgré cela, malgré le fait
11:39 qu'on a avancé sur le sujet, il y a une progressivité des taux,
11:42 il y a un ensemble de choses, au final, le poids de l'impôt successoral,
11:46 aujourd'hui, il ne représente rien du tout, donc au niveau des finances de l'État,
11:52 c'est "peanut" comme on dit, c'est vraiment rien du tout.
11:55 - Alors, on va s'intéresser, vous voulez ajouter quelque chose ?
11:58 - Oui, en fait, très rapidement, pour revenir au présent,
12:01 à l'époque, c'est-à-dire au long du XXe siècle, l'impôt successoral
12:06 représentait quand même des 7-8% de l'ordre du budget du gouvernement.
12:10 Maintenant, on est, je pense, à 1% ou même pas, donc en fait,
12:14 ce taux a dégringolé, notamment parce qu'on prélève quasiment plus l'impôt
12:18 et on met tout en place pour qu'il puisse être évité, avec un peu de planification.
12:22 Donc, en gros, si vous vous organisez bien, vous faites vos dons avant votre mort
12:26 et puis vous vous arrangez pour ne mourir en étant suffisamment pauvre
12:31 que pour ne pas payer l'impôt d'une certaine manière,
12:33 mais ce n'est pas compliqué, parce que vous pouvez déjà donner votre maison
12:36 en une propriété, garder du jus de fruits, enfin, il y a plein de dispositifs
12:40 que n'importe quel bon fiscaliste pourra vous conseiller.
12:43 Donc, il y a cette espèce d'impôt un petit peu dupe.
12:46 Donc, si en fait, on a un système avec un impôt sur la taxation qui existe,
12:50 ça devrait être payé, mais en même temps, on met tout en place pour l'éviter.
12:53 Et à qui ça bénéficie ? Eh bien, probablement et essentiellement aux plus riches,
12:57 c'est-à-dire ceux qui sont capables d'aller se payer des fiscalistes
12:59 qui vont vraiment optimiser tout.
13:01 Juste pour vous donner un exemple, je pense, assez parlant,
13:03 que je dois d'ailleurs à Marco Vanese dans cette discussion,
13:07 qui mentionnait le cas d'Albert Frère en disant, voilà, finalement,
13:10 Albert Frère, c'est une fortune estimée à 5 milliards,
13:13 il devrait être dans les tranches les plus hautes,
13:15 s'il transmettait uniquement ses enfants,
13:17 dans les 30%, quelque chose comme ça,
13:19 s'il devait payer 30% sur ses 5 milliards de patrimoine,
13:23 ça ferait 1,3 milliard qui rentrerait dans les caisses de Région Wallonne,
13:25 enfin, ou de l'État, enfin, bref.
13:27 À l'époque, il n'y avait pas encore de régionalisation, je pense.
13:29 Mais donc, c'est une somme qui est quand même tout à fait conséquente.
13:32 Et qu'est-ce qu'il a payé exactement en droits de succession ?
13:35 On ne le sait pas, mais on sait que ce n'est pas 1,3 milliard.
13:38 C'est absolument certain.
13:39 Il y a une certaine opacité autour de cela.
13:41 Et on sait surtout que tout ça a été optimisé.
13:43 Et que donc, je serais curieux de savoir combien a été payé,
13:46 effectivement, par Albert Frère,
13:47 enfin, dans la succession Albert Frère.
13:49 Mais je crois qu'on serait déçus.
13:51 – Voilà, ne bougez surtout pas.
13:53 On se retrouve dans quelques instants, après une petite page de réclame.
13:56 [Musique]
13:59 Le Carrefour de l'Info sur Arabelle
14:02 [Musique]
14:04 – Voilà, on replonge dans votre Carrefour de l'Information
14:07 avec nos invités Martin Georges, rédacteur en chef de la Revue Politique,
14:10 et Éric Fabry, le coordinateur du dernier numéro de la Revue Politique,
14:14 qui se penche sur la question de l'héritage.
14:16 Rebonjour messieurs.
14:17 – Rebonjour.
14:18 – Alors, je me tourne vers vous, Éric Fabry,
14:21 pour parler de cet article de Paul Agoby, prof à l'ULB,
14:25 sous le titre "Règle d'héritage et structure familiale",
14:27 mais aussi de ce que dit Mélanie Plouvier,
14:30 "Comment rendre l'héritage plus égalitaire".
14:33 – Alors, merci.
14:34 Donc, l'article de Paul Agoby, en fait,
14:36 est un article que moi je trouve absolument passionnant,
14:38 parce qu'il étudie, en fait, il présente les résultats d'une recherche,
14:41 notamment financée par un ERC,
14:44 et dans cette recherche, elle se penche notamment
14:47 sur l'impact des lois successorales sur la fécondité.
14:51 Donc, c'est en fait, finalement, comment est-ce que les gens adaptent
14:54 leur comportement en termes de reproduction, et ainsi de suite,
14:57 par rapport aux lois successorales.
15:00 Donc, elle distingue deux grandes catégories de lois successorales,
15:04 celles qui imposent le partage égalitaire,
15:06 et qui laissent les propriétaires faire ce qu'ils veulent,
15:10 et typiquement, donner tout à l'aîné, ou pas,
15:13 ou donner tout à n'importe qui, enfin bref, il y a plein d'options là.
15:16 Mais les vraies transformations, elles sont causées
15:19 par, notamment, la Révolution française,
15:21 qui va homogénéiser la question du partage égalitaire,
15:24 en disant, maintenant, pour casser justement les grandes fortunes
15:28 et rétablir une forme d'égalité,
15:30 eh bien, on va imposer qu'au décès du propriétaire,
15:33 le patrimoine soit partagé de manière égale entre les enfants.
15:35 Alors, c'est une époque aussi où les enfants,
15:37 où les grandes familles, eh bien, oui, on a encore des familles
15:39 de 6, 10, 12 enfants, ça existe encore,
15:42 ce qui est un peu moins le cas aujourd'hui,
15:43 d'où aussi, un petit peu, une perte d'efficacité,
15:45 on va dire, dans la division qui est imposée par le partage égalitaire,
15:49 et en plus de ça, on est revenu dessus,
15:50 puisque donc, maintenant, le partage égalitaire ne concerne
15:52 que ce qu'on appelle la réserve héréditaire,
15:55 donc, en Belgique, ça correspond à n+1,
15:58 enfin, au nombre d'enfants, plus 1,
16:01 bref, on ne va pas rentrer dans les détails techniques,
16:03 mais c'est une...
16:05 - Après, il y a un enjeu féministe qu'elle met en avant,
16:07 que Paula Gobi met en avant,
16:09 par rapport à cette question de l'égalité des héritages ou non.
16:13 - Oui, alors, on peut y revenir,
16:16 tu peux y revenir juste après,
16:17 parce que, donc, juste pour revenir, je pense,
16:18 ce qui est vraiment intéressant,
16:19 ce qui constitue le cœur de l'article,
16:20 c'est de dire, en gros, il y a une adaptation de la natalité,
16:23 enfin, ou plutôt, il y a une adaptation des comportements
16:26 en termes de reproduction aux lois successorales,
16:28 et donc, en fait, en particulier en France,
16:29 et je dis la France, c'est le cas de l'Afrique subsaharienne,
16:32 en particulier en France, dans la France d'avant et d'après la Révolution,
16:36 en fait, quand on est dans une France où, bon,
16:39 c'est plutôt des petits propriétaires,
16:41 on a une terre qui permet de faire vivre une famille,
16:43 et ainsi de suite,
16:44 quand on impose le partage égalitaire,
16:45 le problème, c'est que, du coup,
16:46 s'il faut donner la "ferme" à 3 ou 4 enfants,
16:50 eh bien, en fait, les 3 ou 4 enfants ne savent pas vivre,
16:52 chacun, avec leur famille, sur cette terre,
16:55 et donc, qu'est-ce qu'on observe ?
16:56 Eh bien, il y a une réduction de la natalité.
16:58 Donc, là où on impose le partage égalitaire,
17:00 il y a une réduction de la natalité
17:02 qui est, en fait, tout à fait corrélée à ces lois successorales.
17:05 Donc, une adaptation des comportements,
17:06 ce qui est intéressant, parce qu'on voit, du coup, aussi,
17:08 l'impact de ces lois à grande échelle.
17:10 Alors, maintenant, évidemment, on a des...
17:12 Enfin, ces impacts seraient probablement très, très différents aujourd'hui,
17:16 parce que, notamment, on a plutôt une moyenne, je pense,
17:19 proche de 2 enfants par femme,
17:21 là où, évidemment, cette moyenne était bien plus élevée au 19e,
17:24 mais elle compare ça, notamment, aussi,
17:26 avec le cas de l'Afrique subsaharienne,
17:28 où, là aussi, en fait, on a différentes coutumes
17:30 qui varient avec des partages égalitaires, oui ou non,
17:32 et ce qu'on retrouve, c'est de nouveau, apparemment,
17:34 la même corrélation.
17:36 Alors, si tu veux revenir sur les enjeux féministes...
17:38 Non, non, mais donc, ce que j'ai compris,
17:40 en tout cas, des articles en question,
17:42 c'est que, donc, les Français...
17:45 Les Français arrivent sur les territoires
17:47 après les territoires qui deviendront la Belgique,
17:49 après 1789, après la Révolution,
17:53 et ils importent, donc, cette perspective égalitaire
17:57 par rapport à l'héritage.
17:59 Donc, tous les enfants reçoivent la même chose,
18:01 et cet héritage égalitaire, on le voit, en fait,
18:06 va permettre... Alors, c'est pas encore parfait,
18:08 et toujours, aujourd'hui, il y a un souci d'inégalité,
18:11 mais, en tout cas, Satan a donné plus à qui ?
18:13 Ben, a donné plus, notamment, aux femmes.
18:15 Et donc, qui dit donner plus aux femmes,
18:19 que les femmes puissent hériter de manière égale
18:22 ou presque équivalente,
18:24 signifie une plus grande liberté,
18:26 une plus grande liberté de choix,
18:28 et donc, une puissance supplémentaire.
18:30 Et donc, d'un point de vue féministe
18:32 ou d'un point de vue égalitariste,
18:34 ça semble assez positif.
18:36 – Alors, on va poursuivre, si vous voulez bien,
18:38 pour repasser à une autre thématique.
18:40 Je rappelle, Éric Fabry, que vous êtes chercheur postdoctoral
18:42 au Centre de théorie politique de l'Université libre de Bruxelles,
18:45 chercheur invité au Centre de recherche en histoire
18:48 des idées de l'Université Côte d'Azur,
18:50 et je rappelle que vous avez coordonné ce numéro,
18:53 et auteur aussi de l'article "Diviser pour moins régner",
18:56 la fameuse solution de mille.
18:58 Alors justement, de quoi parle-t-on
19:00 lorsque l'on évoque cette solution de mille
19:03 pour vulgariser tout cela pour nos auditeurs ?
19:05 – Alors, pour le dire très rapidement,
19:08 la solution de mille consiste à ne pas limiter le droit d'hériter,
19:13 pardon, on n'a pas limiter le droit de donner,
19:16 ou ne pas limiter le droit de faire un legge ou quoi que ce soit,
19:19 mais de limiter le droit de recevoir au nom de l'égalité démocratique.
19:22 Donc, pour illustrer, parce que je pense que ce sera plus simple,
19:26 imaginons que M. Elon Musk, qui vient de ne pas pouvoir se payer
19:33 55 milliards de dollars, mais qui a déjà une petite fortune à transmettre,
19:36 et bien imaginons qu'il décide de tout donner à ses enfants,
19:38 ça va quand même déjà faire un énorme patrimoine à ses enfants,
19:41 et ça va mettre ses enfants au-dessus, en fait, finalement, du commandé mortel,
19:45 parce qu'ils ne devront jamais travailler,
19:47 ils vont être capables de convertir cette fortune économique
19:49 en pouvoir d'influence politique, et ainsi de suite.
19:51 Et l'idée ici, c'est de dire, ce qu'on va faire, c'est qu'on va autoriser,
19:54 enfin, on ne taxe pas directement Elon Musk,
19:57 même si une taxe sur le capital serait peut-être nécessaire,
19:59 mais ce qu'on va faire, c'est qu'on va lui dire,
20:01 tu restes maître de ton capital, tu peux le donner à qui tu veux,
20:03 mais imaginons que tu aies 60 milliards de dollars,
20:06 et bien la seule règle, c'est que tu ne peux pas donner plus de,
20:09 mettons, 2 millions à chaque personne.
20:11 Et donc, en mettant un maximum, finalement, à ce que chacun va pouvoir recevoir,
20:16 sans travailler, parce qu'on ne parle pas des revenus du travail,
20:19 on espère encourager une dispersion de la richesse,
20:21 et surtout, on espère éviter la reproduction de dynasties,
20:26 en fait, de riches, extrêmement riches, de pères en fils,
20:29 ce qui est d'autant plus important que, en fait, la richesse tend à s'auto-reproduire,
20:32 il y a un peu un effet boule de neige du capital.
20:34 Et donc, concrètement, qu'est-ce que ça représente ?
20:37 L'idée, c'est de, en fait, par exemple, dans la proposition
20:40 qu'on pense pour la Belgique ou la France ou l'Europe continentale,
20:43 l'idée, c'est de ne pas, en fait, déjà d'avoir un premier seuil,
20:46 mettons que vous receviez moins que la médiane ou moins que la moyenne des Belges,
20:51 c'est-à-dire moins que les 70% qui ont le moins reçu,
20:55 vous ne payez pas d'impôts.
20:56 Comme ça, l'idée, c'est de dire que vous ne commencez à payer des impôts
20:59 que si vous recevez plus que la moyenne qui a été transmise durant les dernières années.
21:04 Ça, c'est le premier seuil.
21:05 Le second seuil, c'est le seuil du maximum que vous pouvez recevoir,
21:08 et ça, on peut le discuter, on peut le mettre assez haut,
21:10 on peut le mettre à 1, 2, 3 millions, quelque chose comme ça,
21:12 ce qui, en fait, ne concerne absolument pas le commun des mortels,
21:15 vous et moi, enfin, nous sommes, je ne sais pas pour vous, mais...
21:19 - A priori, non.
21:20 - A priori, on n'est pas dans ce genre d'ordre de grandeur.
21:23 Et donc, l'idée, c'est qu'entre le seuil minimum,
21:27 c'est-à-dire finalement, mettons, les 200 000 euros pour donner un chiffre,
21:30 ceux qui reçoivent moins de 200 000 euros ne payent pas d'impôts,
21:32 ceux qui reçoivent, le deuxième seuil, c'est en fait,
21:36 on n'a pas le droit de recevoir plus, mettons, de 3 millions d'euros.
21:38 - Donc, c'est un avantage d'une telle méthode, disons, de flexibilité et de modulation ?
21:43 - Oui, alors, l'idée, qui est très forte, je trouve,
21:46 je termine juste pour dire, entre les deux seuils, on a un impôt graduel,
21:49 et donc, voilà, évidemment, on ne va pas payer la même chose
21:51 si on reçoit, mettons, 250 000 ou bien 1,5 millions.
21:54 Entre les deux, on va avoir un impôt graduel, enfin, progressif, qui va monter.
21:58 Et la grande idée forte, c'est de dire, en fait, finalement,
22:00 on n'est pas en train d'attaquer le droit du propriétaire.
22:03 Le propriétaire, il demeure libre de faire ce qu'il veut.
22:05 Imaginons, maintenant, que moi, j'ai 6 millions à donner,
22:07 et je n'ai qu'un enfant.
22:08 Eh bien, voilà, je peux, on va dire, lui donner les 3 millions,
22:10 payer les impôts, il va y avoir, mettons, pour 1 ou 2 millions d'impôts en plus,
22:13 donc ça va aussi faire de l'argent qui va arriver dans le trésor public,
22:16 qui va pouvoir être réutilisé pour des politiques d'égalité des chances
22:18 ou des choses comme ça, ou qu'on peut décider aussi, par exemple,
22:20 d'investir dans la transition écologique.
22:22 Mais surtout, en fait, le million qui va me rester
22:24 et que je ne peux pas donner à mon enfant,
22:27 eh bien, je vais être encouragé à le distribuer ailleurs,
22:29 soit à l'investir dans quelque chose, dans une fondation,
22:32 à en faire don pour la recherche pour le cancer, je ne sais quoi,
22:35 ou bien je peux le donner aussi à la personne de mon choix,
22:38 parce que, vous me dites, voilà, il y a quelqu'un ici qui fait un super truc
22:40 pour la société, un super projet de transition,
22:43 eh bien, j'ai de l'argent, de toute façon, je ne sais pas quoi faire,
22:45 autant l'utiliser pour quelque chose de bien, quoi.
22:47 Donc, en fait, le propriétaire reste propriétaire de son million,
22:49 enfin, et de son capital, c'est juste que, ce qu'on lui dit,
22:52 c'est que tu n'as pas le droit d'enrichir quelqu'un
22:54 à un tel point que ce quelqu'un est au-dessus du commun des mortels
22:57 et à un tel point que, en fait, la richesse de ton héritier
23:00 soit un problème pour la démocratie et pour l'équilibre démocratique.
23:04 – Alors, on va parler à présent, si vous voulez bien,
23:06 de la réforme de la question de l'héritage,
23:10 certains disent que c'est quand même un paradoxe,
23:12 je me tourne vers vous, Martin-Georges,
23:14 pourquoi la gauche, avec un grand G ou un petit G,
23:17 est toujours aussi frileuse lorsqu'il s'agit de réformer un petit peu le sujet ?
23:21 – Alors, je vais vous donner ma lecture,
23:23 selon moi, il y a deux grands versants, deux grandes dimensions,
23:27 deux grandes raisons qui expliquent cette frilosité de la gauche,
23:30 toujours aujourd'hui.
23:31 Il y a un versant plus théorique, on pourrait dire,
23:34 et puis un versant plus pragmatique ou électoraliste.
23:37 Alors, la raison théorique, c'est que, selon moi,
23:41 et on remonte au 19e siècle aussi dans certains articles
23:46 du dossier qu'on publie dans la revue politique,
23:50 c'est que, au 19e siècle, c'est le siècle de la révolution industrielle,
23:54 il y a l'apparition d'une nouvelle classe sociale, la classe ouvrière,
23:57 et avec cette classe ouvrière, il y a des revendications,
24:00 puisque cette classe ouvrière n'a rien à part ses bras pour manger,
24:04 pour se perpétuer, c'est ce qu'on appelle le prolétariat,
24:07 et donc cette classe ouvrière, elle a des revendications matérielles de base.
24:11 Vous savez, au 19e siècle, en Belgique, pas de droit de vote,
24:14 travail des enfants autorisé, etc. etc.
24:17 On est vraiment sur quelque chose de très dur, de très dur, beaucoup de misère,
24:21 et donc le mouvement ouvrier va avoir des revendications,
24:24 il va se former politiquement, progressivement,
24:26 et dans ce mouvement ouvrier, durant le 19e, il y a deux grands courants
24:31 qui apparaissent, il y en a plus, mais il y a deux grands courants
24:34 qui vont vraiment se faire connaître et arriver jusqu'à nous,
24:37 il y a un courant, il y a la tendance de Marx, Karl Marx,
24:41 et puis il y a la tendance plus anarchiste de Bakounine.
24:44 Et dans ce débat entre Marx et Bakounine qui vivent à la même époque,
24:48 il y a la question de l'héritage qui apparaît déjà.
24:50 Donc c'est un vieux débat à gauche, et alors Bakounine dit
24:53 il faut s'en prendre à l'héritage assez vite,
24:56 parce que l'héritage, c'est ça qui donne le pouvoir,
24:59 et c'est ça qui perpétue les inégalités, la structure de la société
25:03 qui est inégalitaire et injuste, et Marx dit, oui, l'héritage est un souci,
25:08 parce que l'héritage, c'est la propriété privée,
25:11 c'est demain j'hérite d'une usine, j'hérite d'une industrie,
25:13 et donc je deviens le patron, sans avoir rien fait,
25:16 parce que mon papa était patron, donc je deviens patron.
25:19 Et ça pose question si on veut aller vers une autre société.
25:22 Et la question c'est comment on s'attaque,
25:26 ou en tout cas on s'attaque à cette question,
25:28 et Marx nous dit, en fait ça sert à rien de vouloir réformer,
25:34 poser des questions, ou essayer d'avancer sur l'héritage,
25:37 parce que l'héritage, au fond, c'est hériter de quoi ?
25:40 De la propriété privée, donc la vraie question, c'est la propriété privée,
25:44 et cette propriété privée, à moins d'une révolution,
25:47 à moins d'un changement radical, vous n'y arriverez pas.
25:50 Vous n'arrivez pas à prendre la propriété aux mains de ceux qui la possèdent.
25:54 Donc, attendons la révolution, et puis la question de l'héritage se réglera d'elle-même,
25:59 il n'y aura plus à hériter, puisqu'on aura socialisé.
26:02 Et donc, historiquement, 19e, 20e siècle, au fond,
26:07 cette perspective marxiste, même si Elio Dirupo, par exemple,
26:11 n'a pas l'air d'être le plus grand marxiste,
26:13 et en fait cette perspective marxiste a infusé,
26:16 durant tout le 20e siècle, dans les partis socialistes et de gauche,
26:19 contre la perspective de Bakounine, qui était "on s'en occupe tout de suite".
26:23 Et donc, ça a été mis de côté, on continue à se dire, au fond, on n'y arrivera pas,
26:28 ou au fond, on ne peut pas abolir l'héritage ou le réformer radicalement,
26:34 il faut d'autres changements politiques.
26:36 Donc ça, c'est le versant théorique, et puis il y a le versant,
26:39 mais peut-être que tu veux compléter, Eric Fabrice ?
26:41 Justement, on parle de versant pratique, c'est-à-dire qu'il y a aussi une forme de patrimonialisation,
26:45 bon, il y a eu plusieurs choses.
26:46 D'abord, la patrimonialisation des classes moyennes,
26:49 qui fait que taxer l'héritage au 19e, ça ne concernait que les plus riches,
26:53 parce qu'en fait, finalement, la classe moyenne, ou la majorité, n'héritait de rien,
26:56 et donc ça semblait peut-être quelque chose de logique,
26:58 et donc ça a été un vrai sujet.
26:59 Aujourd'hui, quand on dit "taxer l'héritage", tout le monde pense
27:02 "ah, l'État veut me prendre ce que j'ai mis une vie de travail à constituer", et ainsi de suite.
27:05 Ce qui est en fait, et c'est peut-être le second aspect,
27:09 c'est que c'est en fait un mythe, d'une certaine manière,
27:12 qui a été mis en place par un gros lobbying, en particulier aux États-Unis,
27:16 où là, ils ont requalifié la taxe de l'héritage en disant "c'est la death tax",
27:20 c'est une taxe sur la vertu, parce que c'est une taxe qui va frapper les épargnants,
27:24 et les gens qui justement, plutôt que de dépenser leur argent à Las Vegas,
27:27 eh bien vont épargner pour transmettre,
27:29 et c'est eux qui en taxent plutôt que les gens qui dépensent à Las Vegas.
27:32 Bref, il y a eu tout un lobbying assez agressif, qui s'est joué là,
27:36 et qui a réussi à imposer cette idée que c'est une taxe complètement injuste,
27:39 qui concernerait tout le monde, et ainsi de suite.
27:40 La réalité, quand on regarde en particulier les exemptions,
27:43 et on peut de nouveau parler des États-Unis,
27:45 aux États-Unis, vous ne payez pas d'impôt sur votre patrimoine
27:48 si vous avez moins à donner que 13,5 millions.
27:52 Bon, de nouveau, ce n'est pas le commun des mortels qui est concerné, en fait.
27:55 - Et donc, pour rebondir là-dessus, et c'est d'ailleurs la députée écolo Marie Lecoq,
28:00 dans le débat qu'on organise au sein du dossier, explique également ça,
28:03 il y a en fait, elle l'explique en tout cas, elle le sous-entend,
28:07 c'est qu'il y a cette peur électoraliste qu'on va faire fuir,
28:10 les parties de gauche ont peur de faire fuir leur électorat,
28:14 avec cette idée que l'électricien qui aurait travaillé toute sa vie,
28:17 ou le plombier qui aurait travaillé toute sa vie,
28:19 pour transmettre sa maison, on va venir lui prendre sa maison.
28:23 Évidemment, ce n'est pas ça l'enjeu.
28:25 - En fait, je voudrais vraiment insister là-dessus,
28:29 parce que quand on parle de réformer la taxation de l'héritage,
28:32 il faut vraiment bien voir que le but, ce n'est pas d'avoir une généralisation
28:35 et que tout le monde soit taxé.
28:37 Je pense justement que pour qu'une réforme soit acceptable,
28:39 elle doit épargner une large partie de la population,
28:41 en particulier la partie de la population qui dispose d'un patrimoine très faible,
28:44 c'est-à-dire en fait pour moi, la moitié inférieure de la distribution,
28:48 enfin de ceux qui reçoivent le moins,
28:50 et elle doit se concentrer, je pense, sur la transmission des richesses extrêmes.
28:54 C'est-à-dire qu'on est dans une situation où les inégalités patrimoniales sont immenses,
28:58 et la manière la plus intuitive, à mon sens, de s'attaquer à ce problème,
29:04 c'est avant tout de taxer le pourcent, voire le 0,1% supérieur,
29:10 tout en préservant le bas de la distribution
29:14 et en encourageant une forme de redistribution vers le bas.
29:16 Déjà ça, si on revient à des niveaux d'inégalité qui sont peut-être ceux
29:20 plutôt des années d'après-guerre, 50-60,
29:22 où finalement on voit que ce n'est pas non plus l'amorosité économique à ce moment-là,
29:27 pour plein de raisons, mais je veux dire,
29:29 on peut tout à fait penser une économie en pleine croissance
29:31 et une économie qui va bien, avec une économie où on a des inégalités bien moindres.
29:37 Et donc ça, il faut détricoter cette idée là aussi.
29:39 – Alors, il nous reste encore 2-3 petites minutes avant de nous quitter.
29:43 Vous avez évoqué des élections, justement les prochaines élections, c'est pour bientôt.
29:48 Alors, est-ce qu'il faut insister que cette question de la réforme
29:51 ne doit pas être sous-estimée encore une fois,
29:54 et qu'elle devrait être au contraire, elle devrait prendre une grosse place,
29:57 ou en tout cas une bonne place dans les priorités de nos futurs politiques ?
30:00 – Alors, selon moi, c'est essentiel.
30:02 Je pense que dans le débat qu'on a organisé avec les parties de gauche
30:06 et qui se retrouve dans le dossier papier,
30:08 qui est pour l'instant toujours dans toutes les bonnes livrairies en Belgique,
30:12 on voit qu'il y a une prise de conscience.
30:14 Cette prise de conscience, alors Thomas Piketty a aussi écrit sur le sujet,
30:18 il a permis d'alerter aussi, il y a une prise de conscience
30:20 sur cet enjeu des héritages et le fait qu'on ne s'en saisisse pas ou pas assez.
30:25 On en a parlé tout à l'heure, le fait qu'on puisse,
30:28 par les donations, échapper à l'impôt, et donc que l'impôt touche qui ?
30:33 Les plus pauvres, ceux qui ont juste un peu de quoi transmettre,
30:36 mais pas les autres.
30:37 Il y a une prise de conscience des parties de gauche que ce n'est pas normal,
30:40 et qu'il faut s'y attaquer, il faut en prendre conscience,
30:44 d'autant que sur le long terme, on voit que les inégalités
30:47 reviennent à des niveaux historiquement hauts,
30:50 comme le dit, comme l'écrit Éric Fabry notamment,
30:53 et donc c'est un vrai enjeu si l'objectif,
30:57 c'est plus d'égalité, plus de justice et plus de démocratie,
31:01 parce que l'argent, ça représente un pouvoir concret dans la société.
31:04 Pour enrayer là-dessus, je pense vraiment,
31:07 et c'est vraiment le point central sur lequel j'ai presque envie de finir,
31:10 c'est réformer l'héritage, ce n'est pas réformer pour faire plus de taxes,
31:15 c'est plutôt, en fait, il y a plein de réformes,
31:17 et on parle de la réforme de Mill, on parle de la réforme de Rignano,
31:20 qui vise à quoi ? Qui vise justement à préserver votre droit de donner
31:23 ce que vous avez gagné pendant une vie de travail.
31:25 Ce qu'on cherche à limiter, c'est le droit de transmettre
31:29 un patrimoine qui a été constitué 4 générations en amont,
31:32 qui en attendant a été placé pendant 200 ans du 4%,
31:35 et qui du coup, évidemment, a grandi en façon boule de neige.
31:38 Et ça, c'est illégitime, parce que d'une certaine manière,
31:41 vous avez le droit de transmettre ce que vous avez travaillé,
31:44 la fortune que vous avez constituée par votre travail,
31:47 en tout cas selon John Stuart Mill et pas mal de penseurs libéraux
31:50 dans l'idée méritocratique, mais pas ce que vous avez reçu
31:53 juste parce que vous avez eu la chance de bien être.
31:56 Donc voilà, ça c'est vers quoi on va aller.
31:58 Et si je peux avoir une dernière minute, je pense qu'il faut aussi
32:02 penser la taxation de l'héritage en complément de la taxation
32:05 sur le capital. Et là, je reviens sur Elon Musk,
32:07 mais juste qu'on réfléchisse un instant à l'ampleur des chiffres,
32:10 il a voulu se payer 55 milliards de dollars.
32:14 Si chaque dollar était une seconde, ça correspond à 1744 années.
32:19 Si chaque dollar était une minute, c'est-à-dire si vous étiez payé
32:22 un dollar par heure, ça correspond à 104 642 ans.
32:26 Ça veut dire que pour pouvoir gagner ce que Elon Musk va gagner cette année,
32:35 enfin vous laisse payer cette année, vous auriez dû commencer à travailler
32:38 avant l'invention de l'écriture.
32:40 Donc le problème, c'est qu'on va taxer son héritage au moment de son décès,
32:45 mais il faut évidemment taxer son capital avant aussi,
32:48 et donc il y a une forme de complémentarité entre taxation du capital
32:51 et de taxation de l'héritage. Et je pense très honnêtement
32:54 qu'on peut aussi faire revenir Elon Musk sur Terre et se dire que...
32:58 - Lui aussi peut contribuer à l'effort public.
33:02 - Encore quelques mots avant de nous quitter, le message,
33:05 le mot de la fin, peut-être Martin Georges ?
33:07 - C'est essentiel, donc n'hésitez pas à aller vous munir,
33:11 à lire ce dossier qui est passionnant, coordonné par Éric Fabry,
33:15 "Héritage, l'ultime tabou". On peut avancer là-dessus,
33:18 c'est un enjeu fondamental pour la démocratie, pour la justice sociale,
33:21 pour la société, pour les générations futures, pour l'économie,
33:25 et donc la première chose c'est de s'informer, c'est de lire,
33:28 c'est d'en débattre, et c'est pour ça qu'on est là.
33:30 - Voilà, je rappelle qu'Éric Fabry, vous êtes chercheur postdoctoral
33:33 au Centre de théorie politique de l'ULB, et chercheur invité au Centre de recherche
33:37 en histoire des idées de l'Université de Côte d'Azur, tout un programme.
33:40 Vous êtes également coordonnateur du numéro, et Martin Georges,
33:43 bien évidemment, le rédacteur en chef de la Revue politique.
33:46 Merci messieurs pour vos analyses. - Merci beaucoup.
33:48 - Merci pour votre invitation. - On se retrouve dans quelques instants
33:50 pour la dernière ligne droite de votre coeur fou de l'info.

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