Guerre en Ukraine
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00:00 On voulait évoquer ce reportage réalisé au plus près de la ligne de front du côté de Robotinier.
00:03 Alors Robotinier, pour vous rappeler, c'est cette ville située à 80 km au sud-est de Zaporizhia,
00:07 reprise aux Russes fin août lors de la contre-offensive ukrainienne.
00:11 Reportage exceptionnel de Patrick Saint-Paul,
00:13 qui a donné la voix notamment à des chefs de la 65e brigade d'infanterie mécanisée,
00:17 qui racontent qu'ils tiennent malgré la pénurie de combattants et de moyens,
00:20 mais on apprend aussi qu'ils ont comme un sentiment d'amordon par le reste de l'Ukraine.
00:24 Regardez ce que dit l'un d'entre eux, un capitaine.
00:26 "Le plus important pour nous, c'est l'unité du pays.
00:28 Évidemment, ce n'est pas interdit d'aller dîner au restaurant ou d'être serveur dans un bar.
00:31 Et il est évident que tout le monde ne peut pas venir dans une tranchine.
00:34 Ça ne sert à rien de forcer les gens à se battre.
00:36 Il nous faut des combattants convaincus et déterminés."
00:38 Il y en a un autre qui est à ses côtés, un commandant, qui dit lui la chose suivante.
00:42 "Les enfants de riches de plus de 25 ans picolent et dansent dans les grandes villes
00:46 pendant que les pauvres tiennent sur la ligne sur le front."
00:49 Tetiana Ogarkova, est-ce que vous sentez que là,
00:52 il y a un fossé qui se crée de plus en plus entre cette société qui est à Kiev,
00:57 qui fait la fête, par exemple, ces jeunes dont nous parle ce commandant,
01:00 et les soldats qui aimeraient bien voir non seulement cette mobilisation,
01:04 mais aussi qu'on les aide un peu plus ?
01:05 Bonjour, oui, c'est une question souvent posée depuis un certain temps.
01:11 Je dirais qu'il ne s'agit pas d'une fossé, il ne s'agit pas d'un écart.
01:15 C'est vrai que la vie s'est normalisée, si on peut dire comme ça, entre guillemets,
01:19 dans plusieurs villes en Ukraine, à commencer par la capitale,
01:23 Kiev qui est aujourd'hui très bien défendue avec les systèmes de la défense anti-aérienne
01:29 du type Patriot, par exemple.
01:32 Dans d'autres villes, les dangers sont plus réels,
01:34 et donc même malgré les systèmes Patriot, il y a des morts à Kiev.
01:38 Donc tout récemment, lors de frappes massives,
01:41 la présence de la guerre est absolument réelle.
01:44 Donc les gens qu'on voit dans les cafés,
01:47 ce sont aussi les gens dont les membres de famille peuvent être au front,
01:52 ou les amis sont au front.
01:54 Dans les événements culturels qui ont lieu aujourd'hui à Kiev,
01:57 souvent ce sont les événements culturels pour ramasser,
02:00 pour collecter des fonds, pour aider l'armée.
02:03 Donc bien sûr, si on se contente de cette vision simpliste,
02:06 que oui il y a les uns qui sont dans les tranchées,
02:08 et les autres ils sont sur les terrasses,
02:10 à Kiev oui on peut avoir cette image très superficielle,
02:16 voire fausse, de cette division de la société.
02:19 Mais si on parle des gens, on voit que tout et chacun,
02:24 on est déjà touché par la guerre,
02:26 que ce soit la mort d'un ami, d'un proche, de membre de la famille,
02:30 quelqu'un sur le front, tout et chacun,
02:33 on participe dans cette collecte de fonds pour aider l'armée ukrainienne.
02:38 C'est d'ailleurs gigantesque.
02:39 Donc selon la recherche publiée récemment,
02:43 les Ukrainiens ont collecté en 2023 plus d'argent pour aider l'armée
02:47 qu'en 2022 même, donc ce n'est pas un signe d'une certaine démotivation
02:51 de cet écart qui se creuserait entre le front et l'arrière.
02:56 Et puis voilà, avec des missiles que la Russie dispose,
02:59 c'est vrai que les villes peuvent être frappées à n'importe quelle distance.
03:03 Cette nuit par exemple, dans la région de Khmelnytskyi,
03:06 c'est à l'ouest, au sud-ouest de l'Ukraine, il y avait des frappes,
03:09 donc il n'y a pas de différence visiblement.
03:14 Je dis souvent qu'il faut aller voir dans les cimetières,
03:16 dans les cimetières au centre, au sud, à l'est, à l'ouest,
03:19 vous allez voir dans tous les cimetières, nous avons visité plusieurs,
03:23 que les allées de Hiro, ça s'appelle comme ça,
03:27 les allées où on enterre des soldats qui ont tombé durant cette guerre,
03:31 ils sont partout très grands, ça veut dire que le nombre de familles
03:34 qui sont touchées par cette guerre, c'est très grand.
03:39 D'un mot quand même, il n'y a vraiment pas de passe-droit là-bas.
03:43 Moi je me souviens d'une Ukrainienne sur ce même plateau
03:47 qui me disait qu'elle était révoltée parce que les fils du ministre
03:49 de la Défense ukrainien étaient aux États-Unis.
03:52 Bon, c'est une réalité ça ou pas ?
03:56 Bien sûr qu'il y a certains hommes de l'âge de 18 ans jusqu'à 70 ans
04:01 qui ont réussi à échapper illégalement, depuis, ça c'est vrai,
04:07 mais ça dépend comment on les regarde, on les regarde comme exceptions,
04:11 ce qui était plutôt proche de la réalité, comme la règle.
04:14 La règle était très claire à partir de, si je ne me trompe pas,
04:17 3ème ou 4ème jour après la grande invasion,
04:19 où il y avait la loi martiale qui était en végeur,
04:21 et donc les hommes ne pouvaient pas sortir depuis, voilà, comme ça.
04:27 Après bien sûr qu'il y a des exceptions, il y a des gens qui ont fait des fraudes,
04:32 il y a des fils de ministre qui ont fait des faux papiers, on n'en sait rien,
04:36 mais voilà, il y a un cas comme ça, pour un cas comme ça,
04:39 il y a des dizaines de centaines ou de milliers aujourd'hui
04:44 qui se sont présentés au bureau militaire aujourd'hui par exemple,
04:48 quand ils étaient convoqués, qu'ils ont bien signé les contrats
04:51 et qu'ils sont partis combattre aujourd'hui.
04:53 Donc voilà, pour voir à quoi ressemble la réalité,
04:56 il ne faut pas prendre…
04:57 Voilà, bien sûr que dans les actualités,
04:59 ce qui est plus présent dans les actualités, ce sont des cas scandaleux,
05:03 parce que c'est vrai que ça révolte quand on apprend
05:05 que quelqu'un, un fils de ministre ou d'un d'emprunteur ou n'importe qui,
05:10 pourrait échapper à ça, oui, ça indigne,
05:13 et donc ça fait beaucoup plus de bruit qu'une nouvelle,
05:17 que les autres citoyens, hommes et parfois femmes aussi,
05:22 qui peuvent se présenter de leur propre volonté,
05:24 se font mobiliser sans faire trop de bruit.
05:27 – Merci beaucoup Tetiana Ogarkova,
05:29 je vous donne la parole dans un instant,
05:30 Mariana, juge générale Chauvency, je vais me poser une question,
05:32 est-ce que c'est un phénomène normal ?
05:33 Comment un militaire perçoit l'arrière en temps de guerre justement ?
05:36 – Dans une guerre longue, je crois que tout militaire au combat
05:40 a le même sentiment, à un moment il voit la différence
05:42 entre ce qu'il subit et ce qui se passe à l'arrière,
05:45 je dirais que, et ça ne veut pas dire d'ailleurs
05:46 que l'arrière soit forcément pas en soutien de l'avant,
05:49 mais au bout de deux ans de guerre, quel que soit le pays,
05:52 on se pose des questions, et puis on voit bien qu'il y en a qui échappent
05:55 et finalement à cet impôt sur le sang, c'est un impôt sur le sang,
05:58 parfois il y a de très bonnes raisons,
05:59 on a peut-être besoin que plutôt d'aller dans une tranchée,
06:02 quelqu'un ait fabriqué des drones dans une usine,
06:04 c'est des aspects qui font…
06:05 mais c'est difficilement compréhensible par le combattant en première ligne
06:08 qui risque de s'impôt, et surtout quand il voit que ça ne suit pas,
06:11 parce qu'en fait le vrai problème aujourd'hui,
06:13 où sont les ressources humaines capables de compenser les pertes ?
06:16 La vraie question elle est là, alors effectivement,
06:17 on peut citer en exemple les fils de ministres,
06:19 enfin je reprends cet article du Washington Post du 18 décembre
06:22 qui annonce 650 000 Ukrainiens mobilisables partis à l'étranger,
06:26 ce ne sont pas que des fils de riches,
06:27 c'est-à-dire que ça touche toutes les couches de la population
06:30 parce que tout le monde n'est pas apte à être combattant,
06:31 tout le monde ne veut pas faire la guerre,
06:33 tout le monde a d'autres intérêts personnels, ça arrive,
06:35 et puis à un moment le volontariat finit par atteindre ses limites,
06:37 et je crois que le volontariat là, il a vraiment atteint ses limites,
06:40 parce qu'au bout de deux ans, des dizaines de milliers de morts,
06:43 peut-être une centaine de milliers de blessés au moins,
06:46 et surtout une victoire qu'on ne voit pas,
06:49 ça fait que le militaire au combat dit "bon, on fait quoi ?
06:52 Moi je suis toujours motivé, moi je me bats,
06:55 ça ne vient pas derrière, je n'ai pas les ressources humaines,
06:57 je n'ai pas mes équipements et je n'avance pas, alors on fait quoi ?"
07:00 Et à un moment, il finit par râler,
07:02 et je dirais que là, vous avez des témoignages de capitaines, de commandants,
07:04 c'est ceux qui sont au contact,
07:06 c'est ceux qui font la guerre tous les jours,
07:07 ce n'est pas les états-majors, c'est ceux qui sont au contact,
07:09 et je crois que c'est un sentiment tout à fait normal, compréhensible,
07:12 alors maintenant comment faire pour donner, finalement redonner,
07:15 éviter que ce moral s'effrite ?
07:17 Rappelez-vous 14, 14-18 plutôt,
07:20 les poilus qui disaient "pourvu que l'arrière tienne",
07:21 bon là je me demanderais si ce n'est pas l'inverse,
07:24 "pourvu que la première ligne tienne",
07:25 pour l'instant ce qu'on voit c'est qu'ils sont prêts à se battre,
07:28 mais il va bien falloir trouver une réponse politique,
07:30 et on est toujours dans ce débat sur la mobilisation
07:32 de ces 450 000 Ukrainiens qui devront venir renforcer les forces,
07:35 qu'il faudra former, motivés,
07:37 parce que je pense que ce ne sont pas les plus motivés qui vont arriver,
07:39 les motivés sont partis,
07:40 ils étaient sur le front,
07:42 les autres, il faudra les motiver,
07:44 donc à un moment, quelle est la réponse politique
07:46 pour justifier une plus grande mobilisation,
07:49 et puis finalement avoir une armée qui a toujours envie de se battre,
07:51 parce que plus vous allez intégrer des mobilisés presque de force,
07:55 en quelque sorte,
07:56 moins la valeur combattante,
07:57 la volonté de vaincre sera peut-être présente.
08:00 Mariana ?
08:01 Oui, alors je voudrais tout simplement
08:03 faire une petite précision sur les propos de Tétiana,
08:07 je souscris totalement à ce qu'elle a dit,
08:09 je pense qu'il est pu y avoir une sorte de malentendu
08:13 sur le cas hypothétique de fils de ministre,
08:18 qui serait déserteur,
08:21 je vous assure que si un cas comme ça existait,
08:25 on aurait pu mettre le chronomètre pour compter
08:27 jusqu'à quand ce ministre resterait ministre,
08:29 ou jusqu'à quand le gouvernement resterait gouvernement tel quel,
08:33 parce que peut-être remplacer un seul ministre
08:35 dans ces cas ne suffirait pas.
08:36 Nous avons, en ce qui concerne les faits,
08:38 il y a bien entendu été quelques enquêtes journalistiques
08:42 qui ont vraiment fait un grand scandale,
08:44 qui ont dégoûté la société,
08:46 y compris le bataillon Manaco,
08:47 dont nous avons tous entendu parler,
08:49 assez rapidement, dans les jours qui ont suivi,
08:53 il y a eu un projet de loi pour destituer ces personnes
08:57 de tous les mandats, de tous les postes,
08:58 et de tout ce qu'ils possèdent en Ukraine.
09:00 La tolérance est très basse,
09:02 et ça reste quand même très marginal.
09:04 Et je souscris totalement à ce qu'a dit Tétiana
09:07 par rapport à l'état d'esprit de la société toute entière.
09:11 Je ne sais pas si on a encore une minute pour le dire ou pas.
09:15 On a plus beaucoup de temps,
09:17 mais on comprend votre révolte contre ça.
09:20 Bon, nous, on nous dit, une Ukrainienne nous dit,
09:22 les enfants du ministre de la Défense sont aux États-Unis.
09:24 Vrai ou faux ?
09:25 L'ancien, peut-être, ministre de la Défense.
09:27 Ce n'est pas évident.
09:29 Par contre, ce qu'on sait, c'est qu'il y a eu des députés,
09:31 par exemple, qui sont partis au front,
09:33 convolontaires ou mobilisés, qui sont morts.
09:36 Donc, il y a des membres de l'élite,
09:37 dont les enfants, ou eux-mêmes,
09:39 qui sont au front, et même qui sont morts.
09:41 Donc, ils n'ont pas été quelque part dans l'arrière.
09:44 Par ailleurs, le fils du président, de l'ex-président Poroshenko,
09:48 il a été militaire.
09:50 Il a été au front.
09:51 Après, il y a des rumeurs sur les conditions de son service,
09:55 comme c'est souvent le cas,
09:56 comme c'était le cas pour les princes britanniques, par exemple.
10:00 Mais c'est un fait, quand même.
10:02 Globalement, la société ukrainienne, elle reste quand même très...
10:05 Il y a encore la cohésion qui est quand même assez importante.