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Dans ce nouvel épisode de FACTS, StreetPress raconte le mouvement inédit qui touche plusieurs communautés Emmaüs du Nord. Depuis l’été 2023, des dizaines de sans-papiers sont en grève. Une enquête est ouverte pour traite d’êtres humains et travail dissimulé.

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Transcription
00:00 Voici la police, ils sont en train de frapper des femmes.
00:03 La police parle tout ! On est là ! On est là !
00:07 On va sortir.
00:09 Ils nous ont gazés, ils nous ont gazés, ils nous ont gazés, merde !
00:14 Les images que vous venez de voir, elles ont été tournées le 23 novembre.
00:18 Ça se passe à la Halte Saint-Jean, la communauté Emmaüs de Saint-André-les-Lilles dans le Nord.
00:23 D'un côté, la police qui s'est déplacée en masse,
00:26 et de l'autre, des travailleurs d'Emmaüs sans papiers,
00:28 en grève depuis 196 jours, au moment où j'enregistre cette vidéo.
00:32 C'est un mouvement inédit, il a pris de l'ampleur dans toute la région,
00:37 puisque trois autres communautés Emmaüs se sont mobilisées,
00:40 à Nièpres, Tourcoing et Grande-Synthe.
00:43 Mais comment on en est arrivé là, dans une des assos les plus connues de France ?
00:47 Travail dissimulé, racisme, traite des êtres humains.
00:50 Dans cette vidéo, je vais vous raconter avec Jérémy Rochat,
00:53 le journaliste indépendant qui a révélé l'affaire sur Streetpress,
00:55 cette histoire qui ébranle Emmaüs.
00:57 [Générique]
01:02 Déjà, Emmaüs, c'est plus de 70 ans de lutte contre la pauvreté en France.
01:06 L'association a été créée en 1949 par l'Abbé Pierre,
01:10 un prêtre catholique qui a consacré sa vie à combattre les injustices.
01:14 L'action la plus connue d'Emmaüs, c'est les boutiques solidaires,
01:17 où on peut acheter des produits de seconde main à petit prix.
01:20 Et pour faire tourner cette grande machine,
01:22 Emmaüs fait notamment appel à des compagnons.
01:25 C'est des personnes précaires à qui Emmaüs garantit un hébergement décent,
01:29 un accompagnement social et une allocation d'environ 350 euros.
01:33 Et parmi ces compagnons, certains d'entre eux sont sans papier.
01:37 Mais à la halle Saint-Jean, tout ne se passerait pas comme sur le papier.
01:41 En 2022, Jérémy Rochat fait une rencontre
01:44 qui va soulever des doutes sur l'organisation.
01:46 Le point de départ de mon enquête,
01:48 c'est lorsque je rencontre un homme exilé que j'appellerais Yacine,
01:53 qui se trouve être à la rue, puis qui vient d'être expulsé de son foyer.
01:56 Et il est à la recherche d'une communauté Emmaüs.
01:59 Finalement, il trouve une place dans la communauté de la halle Saint-Jean,
02:03 à Saint-André-les-Lilles,
02:04 qui lui propose de rejoindre la communauté en tant que bénévole,
02:08 avant d'être admis comme compagnon.
02:11 C'est plutôt une bonne nouvelle pour lui.
02:12 Et en fait, ce qui m'interpelle,
02:14 c'est que cette période d'essai s'éternise dans le temps.
02:16 C'est-à-dire qu'au bout de quatre mois,
02:18 il travaille toujours à temps plein,
02:21 sans allocation, sans argent, sans être hébergé sur place.
02:25 Et là, je décide de m'intéresser de plus près à cette communauté.
02:27 Pendant des mois, Jérémy travaille sur le sujet.
02:30 Et ce qu'il découvre est très grave.
02:32 C'est un véritable système d'exploitation de travailleurs sans-papiers,
02:35 jamais déclaré, et tout ça sur la base d'une fausse promesse.
02:39 Au fur et à mesure de mon enquête,
02:40 je rencontre plusieurs compagnons, six compagnons sans-papiers,
02:44 et une ancienne stagiaire de la communauté.
02:47 Tous me racontent qu'ils ont été recrutés sur une même promesse,
02:50 celle d'une régularisation de leur situation administrative
02:53 après trois ans de travail dans la communauté.
02:55 Sauf que pour beaucoup,
02:58 ils ont passé déjà plus de trois ans dans la communauté.
03:01 Certains sont là depuis quatre ans, cinq ans, presque six ans.
03:05 Et donc, ils commencent à se poser des questions,
03:07 à se dire que ce n'est pas normal cette situation.
03:09 Et tous me parlent également de conditions de travail très difficiles.
03:14 Ils n'ont pas le matériel de sécurité,
03:15 ils reçoivent des brimades régulièrement,
03:17 certains ont reçu des propos racistes,
03:20 plusieurs ont été blessés pendant le travail,
03:23 des certificats médicaux ont été déchirés,
03:25 d'autres sont en situation de handicap,
03:26 mais quand même incités à travailler quotidiennement.
03:30 D'après la loi Asile et Immigration de 2018,
03:32 les compagnons peuvent, en théorie,
03:34 obtenir des papiers après trois années de travail
03:37 dans une structure qui dispose d'un agrément OACAS,
03:41 pour Organisme d'accueil communautaire et d'activité solidaire.
03:45 Mais le problème, c'est que la communauté de la Halte-Saint-Jean
03:49 ne bénéficie pas de cet agrément.
03:51 Et la personne qui aurait profité de ce système, c'est Anne St-Gier.
03:55 Responsable de la communauté,
03:57 et présidente Emmaüs dans le Nord-Pas-de-Calais.
04:00 En février 2023, face à l'insistance des employés,
04:03 elle finit par avouer son système.
04:05 Une journaliste de Street Press va vous lire la retranscription
04:09 d'un enregistrement qui a été fait ce jour-là.
04:11 En fait, vous êtes des compagnons bénévoles.
04:14 Enfin, vous êtes des super bénévoles car vous êtes là tout le temps.
04:17 Le problème, c'est que dans le mouvement Emmaüs,
04:19 les compagnons sont ceux qui sont dans les OACAS.
04:22 Moi, je ne peux pas payer leur SAF, donc je ne serai jamais aux OACAS.
04:25 Les trois ans, vous pouvez les retirer de votre tête.
04:27 Cette femme, interviewée ici par France 3 en 2019,
04:32 aurait fait vivre un calvaire aux compagnons.
04:33 Vous êtes là, et puis vous m'avez dit que vous étiez colérique.
04:35 Mais moi, je ne vous ai pas cru.
04:37 Vous m'avez dit "si, si, je suis bouillante même".
04:40 Les compagnons décrivent Anne St-Gier comme une responsable
04:43 qui ne s'intéresse uniquement à l'argent.
04:46 Donc, ils sont poussés à travailler plus vite.
04:51 Parfois, les heures se rallongent.
04:52 Dès qu'ils ont terminé une tâche, ils sont envoyés sur une autre tâche.
04:55 Et on a sentiment, dans ce que décrivent les compagnons,
04:58 qu'elle a un côté presque sadique.
05:01 Certains ont même reçu des propos racistes,
05:04 notamment un compagnon à qui elle a répété plusieurs fois
05:07 qu'il devrait rentrer chez lui dans son pays,
05:09 qu'il n'était pas capable de travailler.
05:11 Pour que tout ça reste secret, Anne St-Gier n'aurait pas hésité
05:14 entre 2019 et 2022 à virer plusieurs compagnons.
05:17 Mais l'ouverture d'une enquête pour traite des êtres humains
05:20 et travail dissimulé, révélée par Street Press,
05:23 a mis un coup d'arrêt à ces agissements.
05:24 Et après l'article et la perquisition menée dans les locaux de la Halte,
05:28 le président du lieu, Pierre Duponchel,
05:30 aurait même convoqué les compagnons
05:33 pour qu'ils se positionnent auprès d'Anne St-Gier.
05:35 Quelques jours plus tard, il a même organisé une manif de soutien.
05:39 Et tout ça, ça a créé un cocktail explosif
05:41 qui a lancé un mouvement de grève.
05:43 La révolution, la révolution, la révolution.
05:48 Solidarité avec les empathés.
05:52 C'est une espérance libre, on ne peut pas traiter des êtres humains comme ça.
05:57 À partir de là, le mouvement fait effet boule de neige.
06:04 Tourcoing, Niép, Grande Sainte,
06:07 des dizaines de compagnons sans papier se mettent en grève.
06:10 Ils demandent notamment à Emmaüs d'être reconnue comme travailleur
06:13 et à la préfecture de régulariser leur situation.
06:16 On n'est pas là pour profiter du système,
06:18 on est là pour travailler,
06:19 pour que nous aussi on a une vie digne comme tout le monde.
06:23 Mais pendant tout ça, on n'a rien.
06:27 Ils nous prennent pour les traîneurs,
06:29 ils nous prennent pour les voleurs,
06:30 ils nous prennent pour les esclaves.
06:33 Mais le mouvement fait très vite face à une répression intense,
06:36 judiciaire, policière et administrative.
06:39 Les directions des communautés de la Halte Saint-Jean, de Niép et de Grande Sainte
06:42 ont porté l'affaire devant le tribunal.
06:44 Pour eux, cette grève, c'est zéro revenu,
06:46 puisque les boutiques ne tournent plus.
06:48 Ils ont obtenu de la justice la levée du blocage,
06:51 sous peine pour les grévistes de payer plusieurs centaines d'euros
06:54 par jour de blocage.
06:55 Les compagnons ont aussi été privés de ce qu'on appelle l'allocation communautaire.
06:59 C'est une somme comprise entre 150 et 380 euros par mois
07:03 qui leur permettait de subvenir à leurs besoins.
07:05 Aujourd'hui, ils ne vivent que du soutien de la CGT
07:08 et de quelques tickets restaurant que distribue Emmaüs France.
07:11 Depuis plusieurs mois, les compagnons grévistes de la Halte Saint-Jean
07:15 sont privés de chauffage et d'eau chaude.
07:17 Eux considèrent que c'est une forme de répression de la direction.
07:19 Et la justice, le 28 décembre dernier, a demandé aux propriétaires
07:23 de rétablir l'eau chaude et le chauffage pour les grévistes.
07:26 Comme je vous le racontais au début de la vidéo,
07:28 la réponse policière a aussi été brutale dans cette affaire.
07:31 Le 23 novembre, une quarantaine de policiers ont débarqué
07:35 à 6h du matin à la Halte Saint-Jean.
07:37 On peut voir sur ces images tournées par des compagnons
07:41 que plusieurs d'entre eux sont gazés à bout portant.
07:44 Sur une autre vidéo, on voit qu'un téléphone est cassé par les policiers.
07:49 La situation est restée figée ensuite pendant 10h,
07:53 pendant lesquelles les grévistes ont été empêchés
07:56 de tout déplacement par les forces de l'ordre.
07:58 Cette journée a laissé des traces.
08:00 Des compagnons ont reçu une convocation dans le cadre d'une enquête
08:04 pour agression sonore et menace de violence.
08:06 Deux de nos compagnons ont été hospitalisés suite à cette violence,
08:10 notamment une dame d'une soixantaine d'années
08:14 qui est atteinte d'une tumeur au cerveau
08:16 et qui était malgré tout contrainte de travailler
08:18 quand un de ses ingéts était encore en activité.
08:20 Depuis, la situation reste tendue.
08:22 Les jours suivants, la police était présente quasi quotidiennement
08:25 et ce que craignent les grévistes aujourd'hui, c'est l'expulsion.
08:28 D'autant plus que début janvier,
08:30 la préfecture a pris un arrêté de fermeture administrative de la Halte.
08:34 La préfecture assure dans son communiqué
08:36 que c'est bien une mesure de protection et non une mesure d'expulsion.
08:40 Et dans tout ça, l'ancienne responsable Anne St-Gier
08:43 a un peu disparu des radars.
08:45 Anne St-Gier est toujours en poste,
08:47 défendue et soutenue par son président Pierre Dupont-Chelle.
08:52 Emmaüs France n'a toujours pas prononcé l'exclusion
08:55 de la communauté de la Fédération.
08:58 Mais elle n'est plus présente à la Halte Saint-Jean depuis fin juillet,
09:02 date à laquelle les compagnons
09:05 lui ont clairement demandé de sortir de la communauté.
09:11 Du côté d'Emmaüs France, on est très mal à l'aise face à ce mouvement.
09:14 En octobre 2023, ils ont annoncé que des mesures disciplinaires
09:18 pourraient être engagées à l'encontre des directions concernées.
09:21 Mais à ce stade, aucune décision n'a été prise.
09:24 Sur l'intervention policière du 23 novembre,
09:26 Emmaüs a précisé ne pas en être à l'initiative
09:29 et a condamné les violences subies par certains compagnons.
09:33 Malgré tout, le piqué de la Halte Saint-Jean est toujours là.
09:37 Et d'après Jérémy, les grévistes ne comptent rien lâcher.
09:40 En tout cas, ce qui est sûr, c'est que ces compagnons
09:42 n'ont pas l'intention d'abandonner leur lutte.
09:45 Parce que, comme ils le disent, ils n'ont plus rien à perdre.
09:48 Ils ont, pour certains, perdu jusqu'à sept ans de vie.
09:51 Donc ils se sont bien décidé à continuer leur lutte
09:53 jusqu'à ce que victoire soit trouvée.
09:56 Sous-titrage Société Radio-Canada
09:58 ...
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