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  • il y a 2 ans
Ils se sont, tours à tours, admirés, détestés et réconciliés. Après le second conflit mondial, Winston Churchill et Charles de Gaulle ont chacun écrit et publié leurs mémoires de guerre tout en sachant que l'autre faisait de même de son côté. C'est ce duel d'écrivains, de mémorialistes auquel se sont intéressés Jean-Pierre Gratien et ses invités. Ils n'ont pas toujours eu la même vision du monde Pour en débattre, Pierre Assouline, réalisateur du documentaire, journaliste, chroniqueur radio, biographe et romancier, François Kersaudy, historien spécialiste de l'oeuvre de De Gaulle et de Churchill et Jean-Luc Barré, écrivain, historien, éditeur et directeur des éditions Bouquin.LCP fait la part belle à l'écriture documentaire en prime time. Ce rendez-vous offre une approche différenciée des réalités politiques, économiques, sociales ou mondiales....autant de thématiques qui invitent à prolonger le documentaire à l'occasion d'un débat animé par Jean-Pierre Gratien, en présence de parlementaires, acteurs de notre société et expert.

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Transcription
00:00:00 Générique
00:00:01 ...
00:00:15 -Bienvenue à tous dans "Débat doc".
00:00:17 Ils se sont tour à tour admirés, détestés, réconciliés.
00:00:21 Après le second conflit mondial,
00:00:23 Winston Churchill et Charles de Gaulle
00:00:26 ont chacun écrit et publié leur mémoire de guerre,
00:00:29 tout en sachant que l'autre faisait de même de son côté.
00:00:32 C'est ce duel d'écrivains, de mémorialistes,
00:00:35 auquel s'est intéressé le réalisateur Pierre Hassouline,
00:00:38 avec le documentaire exclusif qui va suivre,
00:00:41 "De Gaulle vs Churchill, mémoire de guerre,
00:00:44 "guerre des mémoires".
00:00:45 Je vous laisse le découvrir,
00:00:47 puis Pierre Hassouline sera avec nous sur ce plateau,
00:00:50 en compagnie des historiens François Kersaudy
00:00:52 et Jean-Luc Barré.
00:00:53 Avec eux, nous nous interrogerons sur ce regard croisé
00:00:57 sur les mémoires de guerre de Winston Churchill
00:01:00 et de Charles de Gaulle.
00:01:02 Bon doc.
00:01:03 (Générique)
00:01:08 ---
00:01:25 -A quoi pense-t-il Charles de Gaulle
00:01:27 en regardant passer le cercueil de Winston Churchill
00:01:30 à quelques mètres de lui,
00:01:32 le jour de ses funérailles nationales
00:01:34 à la cathédrale Saint-Paul de Londres,
00:01:37 le 30 janvier 1965 ?
00:01:40 (Hymne national)
00:01:41 -Let us pray.
00:01:42 -Il est vrai qu'ils se sont tant aimés,
00:01:46 ou plutôt admirés, détestés, réconciliés,
00:01:49 violemment fâchés à nouveau,
00:01:52 avant de se retrouver à jamais.
00:01:54 Ils se sont affrontés en chefs de guerre,
00:01:57 en alliés, en politiciens, en négociateurs,
00:02:00 en chefs d'Etat, en camarades de tant de combats,
00:02:03 et finalement, le dernier mais pas le moindre,
00:02:06 ils se sont affrontés en écrivains,
00:02:10 de véritables écrivains, mais rivaux,
00:02:13 à l'heure de publier leurs mémoires de guerre
00:02:16 et de graver dans le marbre de la postérité,
00:02:19 chacun à sa façon,
00:02:21 sa propre version de leur histoire commune.
00:02:24 (Hymne national)
00:02:26 (Musique douce)
00:02:27 (Musique douce)
00:02:28 (Musique douce)
00:02:29 (Musique douce)
00:02:30 (Musique douce)
00:02:31 (Musique douce)
00:02:33 (Musique douce)
00:02:34 (Musique douce)
00:02:35 (Musique douce)
00:02:36 (Musique douce)
00:02:37 C'est l'un de ces endroits devenus historiques
00:02:40 où je ressens comme nulle part ailleurs
00:02:43 la présence des morts.
00:02:45 Difficile de pénétrer dans la boisserie de Charles de Gaulle,
00:02:49 sa gentillomière de colomber les deux églises
00:02:52 dans la Haute-Marne,
00:02:53 sans ressentir qu'elle est habitée.
00:02:56 Toute sa personnalité, son caractère,
00:02:59 transparaissent ici, dans chacun des meubles,
00:03:02 dans chaque bibelot, dans chaque gravure,
00:03:05 dans sa bibliothèque,
00:03:06 et dans le choix de conserver des livres de jeunesse,
00:03:10 ce qui ne peut laisser insensible l'écrivain en moi.
00:03:14 Un peu plus loin, là, dans cette table de bridge
00:03:17 sur laquelle il faisait régulièrement,
00:03:20 en fin de journée, des réussites.
00:03:22 "Ma discipline doit s'y fêter", comme il disait.
00:03:25 Tout est resté en l'état, dans sa simplicité même.
00:03:29 Il est mort à quelques mètres de son bureau,
00:03:32 là, ou ivre de son essolement.
00:03:34 Il ne conçoit pas d'écrire autrement.
00:03:37 Sa haute silhouette arc-boutée sur son bureau,
00:03:40 son stylo à encre glissant sur la rame de papier,
00:03:44 isolé de la rumeur du monde,
00:03:46 sa fenêtre donnant sur l'âpreté de la campagne champenoise.
00:03:51 Un écrivain est un solitaire.
00:03:56 Charles de Gaulle n'a pas à forcer sa nature.
00:03:59 La présence de son ami Winston Churchill
00:04:02 est assurée par son portrait trônant parmi les grands de ce monde
00:04:06 et surtout par ses mémoires à portée de sa main.
00:04:13 La publication simultanée de leurs mémoires de guerre,
00:04:17 à la charnière des années 40 et 50,
00:04:19 a été un événement mondial.
00:04:22 Ils y ont fait oeuvre d'écrivains.
00:04:24 Cela paraît inimaginable avec le recul,
00:04:27 mais Churchill a même été couronné
00:04:30 de la récompense suprême, le prix Nobel de littérature.
00:04:34 Mais des deux était-ce le bon lauréat ?
00:04:38 Pour en juger, il ne faut pas seulement s'arrêter
00:04:43 sur les écrivains de chef de guerre, ce qu'ils ont été,
00:04:46 mais revenir aux oeuvres elles-mêmes
00:04:49 et surtout à la dimension humaine de ces deux écrivains-soldats.
00:04:53 Il faut aussi reconsidérer ces mémoires de guerre
00:04:56 d'un point de vue littéraire en bénéficiant du recul du temps.
00:05:00 70 années se sont écoulées depuis la parution de ces livres
00:05:04 qui ont connu un succès considérable à l'époque.
00:05:07 Et on le sait bien, on gagne toujours
00:05:10 à séparer les livres du bruit qu'ils font.
00:05:13 Pour comprendre pourquoi leur mémoire
00:05:24 demeure un témoignage essentiel,
00:05:26 il faut d'abord traverser la campagne anglaise
00:05:29 si chère à Sir Winston.
00:05:30 Car la volonté des deux auteurs de s'inscrire aussi comme écrivain
00:05:35 dans notre mémoire
00:05:37 nous invite à les juger aussi comme tels.
00:05:40 Transportons-nous donc dans ces manuscrits,
00:05:44 là où ceux-ci sont protégés des regards indiscrets,
00:05:47 à l'égal de documents explosifs,
00:05:49 aux archives entreposées dans un bâtiment
00:05:52 à l'université de Cambridge.
00:05:55 Un chercheur gagne toujours
00:05:57 à se reporter aux documents originaux.
00:05:59 Même s'il n'a pas affaire à des manuscrits,
00:06:03 mais à des tapuscrits,
00:06:05 la graphie de l'auteur en marge
00:06:07 sont tremblées parfois.
00:06:09 L'importance de ses corrections,
00:06:11 la nature de ses remords,
00:06:12 ses rajouts et ses suppressions,
00:06:15 tout cela compte.
00:06:16 À les lire, je croirais l'entendre parler.
00:06:21 C'est le cas lorsqu'il évoque le départ de De Gaulle pour Londres
00:06:26 le 17 juin 1940.
00:06:29 Difficile de ne pas en faire son miel.
00:06:31 ...
00:06:38 Dès que l'appareil commence à rouler,
00:06:41 De Gaulle sauta dedans et claqua la porte.
00:06:44 L'avion prit son envol,
00:06:46 tandis que policiers et fonctionnaires français
00:06:49 restaient bouche bée.
00:06:50 Dans ce petit avion,
00:06:52 De Gaulle emportait avec lui l'honneur de la France.
00:06:55 -Lorsqu'il raconte à son tour le même événement,
00:06:59 il est plus sec et plus lapidaire.
00:07:01 -Le départ eut lieu sans romantisme et sans difficulté.
00:07:06 ...
00:07:14 -Pour comprendre un écrivain, ses manuscrits ne suffisent pas.
00:07:18 Son style littéraire est en harmonie avec son style de vie.
00:07:21 Il faut se rendre sur ses lieux, le visiter dans le motif,
00:07:25 comme on le dirait d'un peintre en pleine nature.
00:07:28 A Chartwell, dans le Kent.
00:07:30 ...
00:07:36 Winston Churchill offre une autre image de l'écrivain au travail
00:07:40 quand on va chez lui.
00:07:41 ...
00:07:47 Il privilégiait lui aussi ses séjours au verre,
00:07:50 dans son domaine plein d'animaux,
00:07:52 un endroit extrêmement chaleureux et attachant
00:07:55 aux yeux de tout anglophile.
00:07:57 Des corps que l'on jurerait "churchillissime".
00:08:00 ...
00:08:02 Après tout, la vie est trop courte pour être petite.
00:08:06 ...
00:08:10 Cette folie, car c'en est une, eut égard au coût de son entretien,
00:08:14 a été en partie financée par certains de ses amis,
00:08:17 quelques hommes riches et puissants de son premier cercle.
00:08:21 Pour l'autre partie, par les revenus de ses nombreux écrits
00:08:25 dans la presse ou en librairie.
00:08:28 Non qu'il eût la plume facile,
00:08:30 c'est simplement qu'il était, disons, organisé.
00:08:33 ...
00:08:35 Son oeuvre a donc été nourrie par une passion
00:08:37 pour la chose politique, comme chez peu d'écrivains.
00:08:40 Ce qui témoigne qu'être un homme d'action
00:08:43 n'empêche pas de produire.
00:08:45 Oui, mais... à quel prix ?
00:08:47 ...
00:08:55 ...
00:09:01 ...
00:09:30 ...
00:09:38 ...
00:09:44 -Pour dominer cette bête, il a sa méthode.
00:09:47 Les six volumes consacrés à la Seconde Guerre mondiale,
00:09:50 écrits entre 1948 et 1954,
00:09:54 n'y échappent pas.
00:09:56 Il n'écrit pas vraiment,
00:09:58 mais dicte depuis un lieu, pour le moins intime, son lit,
00:10:02 dans lequel on le trouve assis ou couché,
00:10:05 un cigare dans une main, un verre de whisky dans l'autre,
00:10:08 papiers et documents étalés sur sa couverture.
00:10:11 Il y a en permanence une ou deux secrétaires à ses côtés,
00:10:16 lesquels sont légèrement embarrassés
00:10:19 lorsqu'ils dictent non plus depuis son lit,
00:10:21 mais depuis son étrange baignoire, la porte grande ouverte.
00:10:25 La surface de l'eau est couverte de mousse,
00:10:28 mais tout de même, "shocking",
00:10:31 ce dont il se fiche royalement et même impérialement.
00:10:35 ...
00:10:37 Pour écrire, Churchill fait appel à des dactylos
00:10:40 et surtout à ses assistants littéraires.
00:10:43 Ainsi qu'il nomme ceux qui sont en fait Sénèbres.
00:10:46 Les biographes ont pu en dresser une liste de six.
00:10:50 ...
00:10:52 Pour prendre la mesure de son petit consorcium,
00:10:55 il faut se rendre au rez-de-chaussée du manoir
00:10:58 où les machines à écrire se font face.
00:11:00 Les collaborateurs fournissent la base,
00:11:03 la recherche documentaire, puis ils rédigent les grandes lignes.
00:11:07 Churchill réécrit l'ensemble, car le style est l'homme-même,
00:11:11 soit.
00:11:12 Si l'anglais est innombrable lorsqu'il écrit,
00:11:16 le français, de Gaulle,
00:11:18 dont le portrait figure dans cette pièce devenue si symbolique,
00:11:22 lui, est seul.
00:11:24 Cela correspond tellement à son tempérament.
00:11:27 ...
00:11:38 Si l'on est sensible au génie des lieux,
00:11:40 alors on peut dire que la boisserie à Colombais-les-Deux-Eglises
00:11:44 était faite pour Charles de Gaulle.
00:11:46 De proportion raisonnable, décorée sans ostentation,
00:11:50 il l'avait acquise à un prix très sage en 1934.
00:11:54 Surtout, elle était nimbée d'un passé littéraire,
00:11:57 ce qui n'était pas fait pour lui déplaire.
00:12:00 Car le détail est peu connu,
00:12:03 mais pendant les sept années qui ont précédé sa présence,
00:12:06 les Jolasses, un couple d'intellectuels américains,
00:12:10 y ont fait souffler le vent de l'avant-garde littéraire et artistique
00:12:14 sous la double influence du romantisme allemand
00:12:17 et du surréalisme.
00:12:19 Ils y habitaient, à Colombais.
00:12:21 Ils y fabriquaient à la boisserie une revue
00:12:24 et y publièrent tant de textes d'Artaud ou de Michaud,
00:12:28 sans oublier le principal, leur grande fierté,
00:12:31 James Joyce.
00:12:32 Reste à savoir si quelque chose de Joyce a déteint sur de Gaulle
00:12:37 à supposer que deux génies puissent cohabiter dans les mêmes lieux.
00:12:41 La solitude de l'écrivain de Gaulle,
00:12:46 c'est celle d'un individualiste à l'esprit d'équipe.
00:12:50 À Colombais, ses assistants se comptent sur les doigts d'une main,
00:12:53 plutôt des relecteurs, dont l'écrivain André Malraux.
00:12:57 Ils ont la vertu de savoir décrypter ses pattes de mouche,
00:13:02 talent qui n'est accordé qu'à ceux qui ont l'habitude de son écriture.
00:13:06 La mieux à même de l'aider, c'est encore sa fille,
00:13:10 Élisabeth de Boissieux.
00:13:12 Elle doit taper à la machine des textes qui sont si surchargés
00:13:16 qu'ils finissent par ressembler à des tableaux d'Alechinsky.
00:13:20 Musique intrigante
00:13:22 ...
00:13:27 C'est avec un modus operandi aussi sobre et économe,
00:13:31 entouré d'une équipe aussi légère,
00:13:33 que de Gaulle a écrit ses mémoires de guerre en solitaire.
00:13:36 ...
00:13:40 "La Marseillaise", de Degas
00:13:46 Il en est des histoires d'amitié comme des histoires d'amour.
00:13:50 On n'oublie jamais les premières fois.
00:13:52 Généralement, cela se passe mal.
00:13:55 Si la première rencontre entre ces deux hommes de caractère
00:13:59 n'échappe pas à la règle, à la deuxième, cela s'arrange.
00:14:03 Le courant passe, mais ce n'est pas nécessairement
00:14:06 un courant alternatif.
00:14:07 ...
00:14:13 Car si l'anglais est chaleureux,
00:14:16 le français a tout d'un poisson froid, sinon congelé.
00:14:20 -M. Churchill me reçut à Downing Street.
00:14:22 C'était la première fois que je prenais contact avec lui.
00:14:26 Il me parut être de plein pied avec la tâche la plus rude,
00:14:29 pourvu qu'elle fût aussi grandiose.
00:14:31 Par-dessus tout, il était, de par son caractère,
00:14:34 fait pour agir, risquer, jouer le rôle,
00:14:37 très carrément et sans scrupules.
00:14:40 ...
00:14:44 -Je vis le général de Gaulle,
00:14:46 qui se tenait près de l'entrée, immobile et phlegmatique.
00:14:49 En le saluant, je lui dis à mi-voix en français
00:14:52 "l'homme du destin".
00:14:54 Il resta impassible.
00:14:56 Sous son attitude imperturbable,
00:14:58 il me parut avoir une surprenante sensibilité à la douleur.
00:15:03 C'est une impression que j'ai conservée depuis,
00:15:06 au contact de cet homme très grand et phlegmatique.
00:15:09 Voici le connétable de France.
00:15:12 ...
00:15:17 Leur style littéraire diffère, mais au-delà de cette seule dimension,
00:15:20 tout, dans leur personnalité, leur caractère,
00:15:23 leur mode de vie, leur style, quoi, tout les oppose.
00:15:26 ...
00:15:29 Là, le Français est un homme qui marche,
00:15:31 une silhouette sculptée par Giacometti,
00:15:34 au perché, toujours en mouvement vers l'avant,
00:15:37 et souvent en tenue d'officier de charge,
00:15:39 juché sur des grandes bottes. Un héros.
00:15:42 ...
00:15:44 L'autre, c'est une masse, mais une masse paisible,
00:15:47 qui s'applique à respecter ces deux devises,
00:15:50 celles d'un homme assis dans un fauteuil.
00:15:53 ...
00:15:54 Il dit souvent,
00:15:56 "Ne jamais rester debout quand vous pouvez être assis,
00:15:59 "et ne jamais être assis si vous pouvez être couché."
00:16:03 ...
00:16:08 L'Anglais déborde d'émotions, de vivacité, de sentimentalisme.
00:16:13 Francophile depuis l'invention du champagne,
00:16:16 il maîtrise bien notre langue.
00:16:18 ...
00:16:20 -C'est moi, Churchill, qui vous parle.
00:16:23 Pendant plus de 30 ans,
00:16:26 j'ai marché avec vous,
00:16:28 et je marche encore avec vous.
00:16:30 ...
00:16:33 -Il est adulé par les Anglais, qui voient en lui un sauveur.
00:16:36 C'est incontestablement son moment, il lui faut le saisir.
00:16:41 Il a d'autant moins de mal à endosser l'habit de héros national
00:16:45 qu'il se rêve tel depuis l'enfance,
00:16:47 jusqu'à sa jeunesse sous les drapeaux.
00:16:49 Il y vrait qu'elles se sont déroulées dans un décor majestueux.
00:16:53 ...
00:17:11 C'est à Blenheim Palace, cet univers royal et impérial,
00:17:15 l'immense château familial,
00:17:17 dont il est sorti avec la promesse faite à lui-même
00:17:21 d'être un jour à la hauteur des siens.
00:17:23 ...
00:17:29 Ces jeunes années se déroulèrent à l'ombre des tableaux
00:17:32 et des tapisseries des grandes batailles accrochées au mur,
00:17:36 qu'il reconstituait en disposant ses soldats de plomb sur le tapis.
00:17:40 ...
00:17:45 Ce fut le théâtre de son imaginaire,
00:17:48 là où il se projeta en digne héritier de John Churchill,
00:17:52 premier duc de Marlboro et chef de guerre.
00:17:55 ...
00:17:57 À force de vivre parmi les souvenirs glorieux de ses ancêtres,
00:18:01 Churchill s'est naturellement identifié à leur figure légendaire
00:18:06 jusqu'à se projeter dans l'avenir comme le rempart de sa nation.
00:18:11 ...
00:18:14 Musique intrigante
00:18:17 ...
00:18:20 À la boisserie, chez de Gaulle,
00:18:22 la bibliothèque reflète non seulement l'esprit et la culture,
00:18:26 mais surtout l'âme de ce grand lecteur.
00:18:29 Les héros de son enfance ont été ceux de la nation
00:18:32 et non ceux de la famille.
00:18:34 ...
00:18:38 Pour de Gaulle, tout doit passer par l'écrit et la littérature
00:18:42 dans un lexique, un ton inspiré du Grand Siècle,
00:18:45 d'où sont issus les Beaux-Suèds et les Fenelons,
00:18:48 dont les livres ont bercé son adolescence
00:18:51 aux côtés des grands auteurs des humanités classiques,
00:18:54 les Romains et les Grecs.
00:18:55 ...
00:18:58 Elle s'est déroulée dans une famille de fonctionnaires
00:19:02 et de juristes parisiens,
00:19:04 de sérieux érudits et des catholiques légitimistes
00:19:08 qui lui ont transmis le goût des études et du service de l'Etat.
00:19:12 ...
00:19:13 À 15 ans, il se décrivait déjà en général de Gaulle
00:19:16 sauvant la France.
00:19:18 Dès lors, l'une ne s'étonne à l'école militaire de Saint-Cyr
00:19:22 qu'il n'envisage pas d'autre carrière que le service des armes.
00:19:25 ...
00:19:30 Churchill non plus, qui n'imaginait pas un seul instant
00:19:33 faire ses classes ailleurs qu'à St. Hurst, le Saint-Cyr anglais.
00:19:37 Mais c'est bien leur seul véritable point commun.
00:19:41 ...
00:19:47 On a vu des couples mieux partis dans la vie,
00:19:49 en tout cas, mieux assortis.
00:19:51 Churchill, qui a 16 ans de plus que lui,
00:19:55 confie à un proche
00:19:56 ce de Gaulle ressemble à un lama femelle
00:19:59 surpris dans son bain.
00:20:01 Un jugement profond qui ne manque pas d'imagination.
00:20:06 L'intéressé n'est pas en reste.
00:20:08 À la sortie d'une réunion du cabinet de guerre,
00:20:10 il sourit à la vue d'une papillon à poids
00:20:13 qui se détache sur la chemise à carreaux de l'Anglais
00:20:16 en lui faisant remarquer, "Tiens, c'est carnaval aujourd'hui."
00:20:20 À quoi le Premier ministre répond du tac au tac,
00:20:23 "Que voulez-vous ?
00:20:25 "Tout le monde ne peut pas se déguiser en soldat inconnu."
00:20:28 Il semble que les deux avaient le sens de l'humour,
00:20:31 mais celui de de Gaulle était si discret qu'on le cherche encore.
00:20:35 Pas d'intimité, pas de tape-dents-dos,
00:20:39 pas de familiarité avec lui.
00:20:41 Qu'importe, puisqu'ils sont d'accord sur l'essentiel.
00:20:44 Il est Premier ministre
00:20:46 et de Gaulle n'est qu'un sous-secrétaire d'Etat
00:20:48 à la Défense nationale.
00:20:50 Pourtant, dès son arrivée à Londres,
00:20:52 il le traite déjà en égal en qualité de chef des Français libres.
00:20:57 Musique douce
00:20:59 ...
00:21:01 "Naufragé de la désolation sur les rivages de l'Angleterre,
00:21:05 "qu'aurais-je pu faire sans son concours ?"
00:21:08 Il me le donna tout de suite
00:21:10 et mit pour commencer la BBC à ma disposition.
00:21:14 ...
00:21:16 -Moi, général de Gaulle,
00:21:19 j'entreprends ici, en Angleterre,
00:21:22 cette tâche nationale.
00:21:23 J'invite tous les militaires français des armées de terre
00:21:29 de mer et de l'air
00:21:30 à se réunir à moi.
00:21:32 -A mesure que s'envolaient les mots irrévocables,
00:21:36 je sentais en moi-même se terminer une vie,
00:21:39 celle que j'avais menée dans le cadre d'une France solide
00:21:43 et d'une indivisible armée.
00:21:45 A 49 ans, j'entrais dans l'aventure
00:21:49 comme un homme que le destin jetait hors de toutes les séries.
00:21:53 ...
00:22:00 ...
00:22:04 -C'est grâce à Churchill qu'il peut s'installer
00:22:07 au 4 Carleton Gardens,
00:22:08 une prestigieuse résidence encadrée de colonnes d'orique
00:22:12 et de colonnades corintiennes, le quartier général
00:22:15 des Forces françaises libres.
00:22:17 Difficile d'imaginer qu'à son arrivée,
00:22:21 au début de l'été 1940,
00:22:23 il n'était rien, un pariat, un hors-la-loi,
00:22:26 un officier félon sans troupes ni soutien international.
00:22:31 Un homme seul.
00:22:33 -Vive la France !
00:22:35 Libre, dans l'honneur
00:22:38 et dans l'indépendance !
00:22:40 -Un homme seul,
00:22:42 un rebelle dressé de toute sa violence,
00:22:44 sa colère et son indignation
00:22:46 contre le maréchal Pétain et le régime de Vigie.
00:22:50 La vieillesse est un naufrage.
00:22:52 Pour que rien ne nous fût épargné,
00:22:55 la vieillesse du maréchal Pétain allait s'identifier
00:22:59 avec le naufrage de la France.
00:23:01 ...
00:23:06 -Deux semaines après, à Londres,
00:23:08 les Forces françaises libres sont créées sur le papier.
00:23:12 De Gaulle est rejoint par de rares civils
00:23:15 et quelques milliers de soldats,
00:23:17 centaines d'officiers et d'aviateurs, des marins.
00:23:20 En France, on raille ses forces
00:23:24 en le décrivant entouré de journalistes juifs,
00:23:26 d'aristocrates et de pêcheurs de l'île-de-Sein,
00:23:29 ce qui n'est pas faux non plus.
00:23:31 Et pourtant, il est persuadé d'incarner la France
00:23:35 par lui restauré dans son honneur et dans sa dignité.
00:23:39 On dirait que sa plaie de Gaulle prédispose,
00:23:43 même dans un anglais, disons, assez personnel.
00:23:46 ...
00:24:07 -De fait, un jour, il sera le seul Français
00:24:10 à pouvoir dire en public "moi, la France"
00:24:14 sans être aussitôt transféré à Sainte-Anne.
00:24:17 Churchill supporte difficilement
00:24:20 l'attitude implacable, irréaliste d'un de Gaulle
00:24:24 habité, sinon hanté, toute sa vie durant
00:24:27 par une certaine idée de la France.
00:24:29 Il lui arrive même de perdre patience
00:24:31 et de s'emporter auprès de ses collaborateurs.
00:24:35 Ce type est un dingue !
00:24:37 -Nous fîmes néanmoins de notre mieux
00:24:40 pour accroître son influence, son autorité et son pouvoir.
00:24:44 De son côté, il prenait naturellement formale
00:24:47 toute relation de notre part avec les gens de Vichy
00:24:50 et considérait que nous lui devions
00:24:52 une loyauté exclusive.
00:24:54 Il jugeait également essentiel
00:24:56 à sa position aux yeux du peuple français
00:24:59 de conserver une attitude fière et hautaine
00:25:02 envers la perfidia albion.
00:25:04 -Du latin "perfidia",
00:25:07 qui signifie "mauvaise foi".
00:25:08 Si perfide albion que de Gaulle a toujours éprouvé
00:25:13 non pas une certaine détestation de l'Angleterre,
00:25:16 mais une profonde méfiance vis-à-vis d'elle.
00:25:19 Ce sentiment est revivifié début juillet 1940.
00:25:25 Musique de suspense
00:25:27 ...
00:25:30 Les Anglais veulent à tout prix empêcher le Reich
00:25:33 de s'emparer des bâtiments de guerre français
00:25:35 stationnés à Mersel-Kébir, un port d'Algérie.
00:25:38 Après des ultimatums,
00:25:41 la Royal Navy coule la plus grande partie
00:25:43 de l'escadre française.
00:25:45 Explosion
00:25:47 -Les bons navires sont incendies
00:25:49 par les obus britanniques.
00:25:51 Explosion
00:25:53 -Impuissant, de Gaulle subit son anéantissement,
00:25:56 qu'il finit par justifier dans ses mémoires.
00:25:59 -M'adressant aux Français,
00:26:02 je leur demande de considérer le fond des choses
00:26:05 du seul point de vue qui doit finalement compter,
00:26:08 c'est-à-dire du point de vue de la victoire et de la délivrance.
00:26:12 Je dis sans embages qu'il vaut mieux
00:26:14 que les navires aient été détruits.
00:26:16 Nos deux vieux peuples, nos deux grands peuples,
00:26:19 demeurent liés l'un à l'autre.
00:26:21 Ils succomberont tous les deux, ou bien ils gagneront ensemble.
00:26:25 -Ce fut une décision odieuse,
00:26:28 la plus inhumaine, la plus pénible
00:26:31 de toutes celles auxquelles j'ai été associé.
00:26:34 C'était une tragédie grecque.
00:26:36 Pourtant, jamais aucun acte ne fut plus nécessaire
00:26:40 à la survie de l'Angleterre et de tous ceux qui comptaient sur elle.
00:26:44 Musique sombre
00:26:46 -Près de 1 500 marins y laissent la vie.
00:26:50 Le nationalisme de de Gaulle, mis devant le fait accompli,
00:26:53 est très ébranlé, car le sang français a coulé.
00:26:57 Aussi, peu après, c'est lui qui est à la manoeuvre
00:27:01 pour inciter Churchill à s'emparer de la marine française à Dakar.
00:27:06 Mal préparé, l'opération aboutit à un douloureux fiasco
00:27:10 qu'il vive solidairement dans la même galère.
00:27:14 Musique sombre
00:27:16 ...
00:27:20 Lorsqu'il fend l'armure et se confie à des proches,
00:27:24 le général reconnaît le coup de blouse.
00:27:26 Abattu, il broie du noir ses peaux de le dire.
00:27:30 Pour la seule fois de sa vie,
00:27:32 il est hanté par des pulsions suicidaires.
00:27:35 ...
00:27:37 "Les jours qui suivirent me furent cruels.
00:27:39 "J'éprouvais les impressions d'un homme
00:27:42 "dont un séisme secoue brutalement la maison
00:27:45 "et qui reçoit sur la tête la pluie des tuiles tombant du toit."
00:27:48 ...
00:27:52 Churchill, lui, est coutumier de cet état d'âme.
00:27:55 Sa mélancolie, issue d'un état dépressif latent,
00:27:59 il l'a domestiquée, même si elle le fait souffrir par un coup.
00:28:03 ...
00:28:04 Il l'a surnommée "mon black dog",
00:28:06 et l'arrivée de ce chien noir s'annonce à chaque fois
00:28:10 par un grand coup qui s'abat sur sa nuque
00:28:13 et qu'il surmonte en se noyant dans l'alcool,
00:28:16 plus encore qu'à l'accoutumé.
00:28:17 ...
00:28:20 Mais ce qui s'abat sur la nuque de son peuple,
00:28:23 c'est un déluge de feu et d'acier
00:28:25 lancé à partir du 7 septembre 1940
00:28:28 par la Luftwaffe.
00:28:30 Huit mois durant, ce blitz, "l'éclair" en allemand,
00:28:34 pousse les habitants à se terrer dans les caves,
00:28:36 les abris, le métro londonien, à plus de 50 m de profondeur.
00:28:40 ...
00:28:46 Pour prendre la mesure de cet enfermement,
00:28:49 il faut se rendre là où s'enterrait le cabinet de guerre
00:28:52 dirigé par Churchill.
00:28:54 Son bunker secret est situé en plein centre de la capitale.
00:28:58 ...
00:29:00 Il abrite de nombreuses pièces
00:29:02 dans un labyrinthe de galeries conservées à l'identique.
00:29:05 ...
00:29:14 -Voici le bruit qui fait partie intégrante
00:29:17 de la vie de chaque homme, de chaque femme
00:29:19 et de chaque enfant d'Angleterre.
00:29:21 ...
00:29:27 -Churchill y a rarement vécu,
00:29:29 avec sa femme, ses ministres et les officiers de son staff.
00:29:32 Il y a parfois participé à des réunions stratégiques
00:29:36 sur la conduite de la guerre et l'organisation des batailles.
00:29:40 ...
00:29:43 ...
00:30:04 -La présence de grandes cartes géographiques
00:30:06 qui tapissent toutes les pièces, les salles de réunion
00:30:09 comme les chambres, en témoigne.
00:30:11 ...
00:30:13 C'est dans cette atmosphère repressante, car enterrée,
00:30:16 que Churchill a passé une partie de son temps,
00:30:19 jour et nuit, à réfléchir à huis clos,
00:30:22 à dormir, à décider,
00:30:24 et surtout à encourager son peuple
00:30:26 au micro de la BBC installée à cet effet.
00:30:29 ...
00:30:39 -La manière dont il évoque ces moments-là dans ses mémoires
00:30:43 rappelle son talent de journaliste,
00:30:45 activité dans laquelle il a longtemps exercé sa plume
00:30:48 avant de se jeter dans la carrière littéraire.
00:30:51 -Les raids de nuit s'accompagnaient d'attaques de jour
00:30:54 plus ou moins continuelles,
00:30:56 menées par de petites formations ennemies
00:30:58 ou même par des appareils isolés.
00:31:00 Et souvent, les sirènes retentissaient
00:31:03 à de brefs intervalles tout au long des 24 heures d'une journée.
00:31:07 Les 7 millions d'habitants de Londres
00:31:09 finirent par s'accoutumer à cette étrange existence.
00:31:13 ...
00:31:20 -Au fond, si haut que soit le Premier ministre britannique
00:31:23 et le chef de la France libre,
00:31:25 ne relève-t-il pas eux aussi de cette foule
00:31:27 qui redresse la tête dès le lendemain
00:31:30 des bombardements de Londres et de Coventry ?
00:31:32 Une foule que Churchill évoque comme des gens ordinaires
00:31:36 confrontés à une époque extraordinaire.
00:31:39 ...
00:31:41 -Never in the field of human conflict
00:31:44 was so much owed by so many to so few.
00:31:49 ...
00:31:53 -Une formule winstonissime que de Gaulle reprendra à son compte.
00:31:58 -Jamais tant d'hommes sur la Terre
00:32:02 n'ont tant attendu de nous.
00:32:05 ...
00:32:10 -Je les imagine bien l'un et l'autre,
00:32:12 Churchill et de Gaulle, touchés par cette photographie
00:32:15 accrochée à un mur de mon bureau.
00:32:17 Cette image est l'une des plus iconiques du blitz.
00:32:21 La bibliothèque de Holland House, à Londres,
00:32:24 dévastée par des bombes larguées par l'aviation allemande
00:32:27 sur ce quartier de l'Ouest.
00:32:29 Des personnages y cherchent un livre
00:32:33 dans les rayonnages en ruines, comme si de rien n'était.
00:32:36 ...
00:32:40 Il y a là quelque chose de surréel
00:32:42 qui reflète bien la folie de l'époque
00:32:44 et l'absurdité d'une guerre si dévastatrice.
00:32:47 ...
00:32:52 Les bibliothèques ont pour vocation de conserver, protéger
00:32:55 et communiquer les livres,
00:32:57 non d'être le spectacle morbide de leur destruction.
00:33:00 ...
00:33:03 Les livres, nos deux hommes de guerre,
00:33:06 ont toujours vécu dans et par eux.
00:33:08 ...
00:33:12 Les manuscrits des mémoires de guerre du général
00:33:15 ont été naturellement accueillis
00:33:17 par la Bibliothèque nationale à Paris.
00:33:19 Les consultés relèvent d'un cérémonial
00:33:23 qui a partie lié avec le sacré.
00:33:25 ...
00:33:31 Ces pages originales ne s'y laissent découvrir
00:33:34 que sur dérogation et avec mille précautions,
00:33:37 à commencer par l'usage exclusif du crayon à mine
00:33:40 pour prendre des notes,
00:33:42 surtout pas d'encre, de crainte d'un accident.
00:33:44 ...
00:33:47 Sous la plume de De Gaulle, une écriture, la sienne,
00:33:50 nerveuse, tendue, surchargée,
00:33:53 pleine de ratures et donc de remords,
00:33:55 ce qui reflète au fond
00:33:56 sa recherche obsessionnelle du mot "juste".
00:33:59 Il correspond à la définition qu'Oscar Wilde
00:34:03 donnait d'un écrivain,
00:34:05 quelqu'un qui passe sa matinée à rajouter une virgule
00:34:09 et son après-midi à la retirer.
00:34:11 ...
00:34:15 Il est intéressant de comparer l'état de leurs manuscrits.
00:34:19 Avec Churchill, il s'agit d'un tapuscrit,
00:34:22 puisqu'il dicte.
00:34:23 Mais jusqu'à la fin,
00:34:25 pour ne pas déplaire aux uns et aux autres
00:34:28 et se conformer à leurs désirs,
00:34:30 c'est plein de mots barrés et remplacés par d'autres
00:34:33 afin de ne vexer personne, à commencer par De Gaulle.
00:34:36 Ainsi a-t-il éliminé les passages
00:34:39 où il le traite de, je cite, "fureur en germe".
00:34:42 Donc des mots barrés à l'aide d'un crayon à mine bleu,
00:34:46 donnant un autre type de tableau,
00:34:49 ce que le pasteliste en lui,
00:34:51 passionné par toutes les nuances du bleu,
00:34:54 n'aurait pas renié.
00:34:55 ...
00:34:58 La grande qualité de Churchill, qui fait pour l'instant défaut à De Gaulle,
00:35:01 c'est que, dès qu'il parle en public,
00:35:03 il le met dans sa poche.
00:35:06 Paradoxalement, c'est là que le styliste se révèle en lui,
00:35:09 car sa grande oeuvre, ce sont ses discours.
00:35:12 Ce qui ne va pas de soi pour un homme affecté
00:35:14 d'un défaut de prononciation un zézément.
00:35:18 ...
00:35:39 Des qualités oratoires que De Gaulle reconnaît lui envier.
00:35:43 -Quel que fut son auditoire,
00:35:45 qu'il se trouvât devant un micro, à la tribune, à table
00:35:49 ou derrière un bureau,
00:35:50 le flot original, poétique, émouvant de ses idées,
00:35:54 arguments, sentiments,
00:35:56 lui procurait un ascendant presque infaillible
00:35:59 dans l'ambiance dramatique ou à l'hôtel pauvre monde.
00:36:02 -Ce monde tourne vraiment sur ses gonds
00:36:05 lorsque les Etats-Unis entrent en guerre en décembre 1941.
00:36:10 Malgré l'admiration que De Gaulle voue à Churchill,
00:36:13 leurs relations connaîtent à nouveau une période de glaciation
00:36:16 avec l'arrivée d'un troisième homme
00:36:18 qui s'impose alors entre eux, de toute sa puissance,
00:36:22 le président Franklin Roosevelt.
00:36:24 Churchill, proche de lui pour des raisons historiques et personnelles,
00:36:28 sa propre mère était américaine, se rapproche davantage encore.
00:36:32 Un pas de deux qui exclut le français.
00:36:34 L'important est que Roosevelt ait désormais
00:36:37 le leadership du monde libre.
00:36:39 ...
00:36:41 -The president of the United States
00:36:43 welcomed the prime minister of Great Britain.
00:36:46 The gravity of the moment had brought them together.
00:36:49 -La détestation de Roosevelt pour De Gaulle est notoire.
00:36:54 Il voit en lui un apprenti dictateur.
00:36:57 Non seulement il le méprise,
00:36:59 mais il tente d'y entraîner Churchill,
00:37:01 qui se retrouve écartelé entre deux fidélités.
00:37:04 ...
00:37:07 Roosevelt et Churchill ont un plan
00:37:09 pour mener l'offensive depuis l'Afrique du Nord,
00:37:12 mais ils ne souhaitent pas y associer De Gaulle.
00:37:14 -Si nous avions mêlé De Gaulle à l'affaire,
00:37:17 cela aurait produit le plus fâcheux effet
00:37:19 sur les réactions des Français d'Afrique du Nord.
00:37:22 Pourtant, il fallait manifestement trouver
00:37:24 quelques hautes personnalités françaises,
00:37:26 et aux yeux des Britanniques comme des Américains,
00:37:29 nul ne semblait plus qualifié que le général Giraud.
00:37:32 ...
00:37:33 -Giraud est un français qui refuse de se battre contre les nazis.
00:37:37 ...
00:37:39 -Le général Giraud est plus souple, plus accommodant
00:37:42 et tellement plus chaleureux que l'insupportable De Gaulle.
00:37:46 Il est le pion idéal pour les Américains
00:37:49 et un rival de taille pour De Gaulle désormais sur la touche.
00:37:53 -Nous parlâmes de Roosevelt et de son attitude à mon égard.
00:37:57 "Ne brusquez rien, dit M. Churchill.
00:38:00 "Voyez comment, tour à tour, je plie et me relève.
00:38:03 "Vous le pouvez, observe-je,
00:38:06 "parce que vous êtes assis sur un État solide,
00:38:08 "une nation rassemblée, un empire uni, de grandes armées.
00:38:12 "Mais moi, où sont mes moyens ?
00:38:15 "Pourtant, j'ai, vous le savez,
00:38:17 "la charge des intérêts et du destin de la France.
00:38:20 "C'est trop lourd et je suis trop pauvre
00:38:23 "pour que je puisse me courber."
00:38:25 M. Churchill conclut notre entretien
00:38:27 par une démonstration d'amitié et d'émotion.
00:38:30 "Nous avons encore de rudes obstacles à surmonter,
00:38:33 "mais un jour, nous serons en France,
00:38:36 "peut-être l'année prochaine.
00:38:37 "En tout cas, nous y serons ensemble.
00:38:40 "Je ne vous lâcherai pas."
00:38:41 Musique de tension
00:38:44 ...
00:38:45 -Et pourtant, Churchill organise une opération d'envergure
00:38:49 avec le président américain.
00:38:51 Une ligne transatlantique spéciale
00:38:54 permet même au Premier ministre britannique
00:38:56 de s'entretenir à tout instant avec lui.
00:38:59 Leurs Etats-majors
00:39:01 ourdissent en secret l'opération Torch,
00:39:03 un débarquement de troupes alliées en Afrique du Nord
00:39:07 en novembre 1942,
00:39:08 et de Gaulle est exclu de tous ses préparatifs.
00:39:12 ...
00:39:14 -J'avais conscience des liens qui nous unissaient à de Gaulle
00:39:17 et de la gravité de l'affront que nous allions lui infliger
00:39:21 en le tenant délibérément à l'écart
00:39:23 de toute participation à l'entreprise.
00:39:26 J'avais l'intention de l'informer juste avant que le coup ne fût porté.
00:39:30 ...
00:39:34 -Soldiers and sailors,
00:39:36 remember, the French are not Nazis or Japs.
00:39:40 ...
00:39:41 ...
00:39:54 -Ce débarquement, mené sur les plages d'Algérie et du Maroc,
00:39:58 permet aux Alliés de prendre pied sur le sol africain.
00:40:01 ...
00:40:04 C'est leur première grande victoire militaire
00:40:07 et de Gaulle n'en est pas.
00:40:09 C'est aussi que Roosevelt a son homme
00:40:11 et il n'en démord pas, le général Giraud,
00:40:14 qu'il tient à installer à la tête de l'armée d'Afrique.
00:40:18 ...
00:40:25 De toute évidence, l'orgueil de de Gaulle
00:40:27 est agressé au plus haut par ses alliés.
00:40:30 -M. Churchill s'en prit alors à moi
00:40:32 sur un ton acerbe et passionné.
00:40:34 Il s'écria avec fureur.
00:40:36 "Vous dites que vous êtes la France.
00:40:39 "Vous n'êtes pas la France.
00:40:40 "Je ne vous reconnais pas comme la France."
00:40:43 Puis, toujours véhément, "La France, où est-elle ?"
00:40:47 ...
00:40:48 -Comment n'en concevrait-il pas une humiliation d'autant plus cruelle
00:40:53 que la conférence d'enfants se déroule en janvier 1943
00:40:56 devant les caméras internationales ?
00:40:59 ...
00:41:01 -For ten epoch-making days,
00:41:03 Casablanca became the sole plexus of Anglo-American leadership.
00:41:06 -Roosevelt et Churchill y préparent déjà leur stratégie
00:41:10 pour l'après-guerre.
00:41:11 Manifestant sa colère froide face à son exclusion,
00:41:15 donc celle de la France,
00:41:16 de Gaulle arrive en retard,
00:41:18 allant même jusqu'à les faire attendre deux jours.
00:41:21 -De Gaulle arriva enfin le 22 janvier
00:41:24 et fut conduit à sa villa, qui était voisine de celle de Giroud.
00:41:28 Il refusa d'aller rendre visite à ce dernier
00:41:31 et il fallut plusieurs heures d'efforts
00:41:33 pour le décider à changer d'avis.
00:41:35 J'eus un entretien glacial avec De Gaulle
00:41:37 et lui fis très clairement comprendre
00:41:39 que nous n'hésiterions pas à rompre définitivement avec lui
00:41:43 s'il persistait dans son opposition.
00:41:45 ...
00:41:48 -Le Premier ministre m'adressa des reproches amers,
00:41:52 où je ne pus voir autre chose que l'alibi de l'embarras.
00:41:55 Il m'annonça qu'en rentrant à Londres,
00:41:57 il m'accuserait publiquement d'avoir empêché l'entente,
00:42:01 dresserait contre ma personne l'opinion de son pays
00:42:04 et en appellerait à celle de la France.
00:42:06 De toute la guerre, ce fut la plus rude de nos rencontres.
00:42:10 -De Gaulle se résout finalement à s'asseoir
00:42:12 à la table des négociations pour être agréable à Churchill,
00:42:16 qui aura beaucoup insisté.
00:42:19 Un moment historique totalement fabriqué.
00:42:22 Il dira même à Roosevelt, "I shall do that for you",
00:42:25 autrement dit, "Si je le fais, c'est bien pour vous."
00:42:29 ...
00:42:42 Roosevelt le pousse à faire une seconde prise
00:42:45 pour la bonne cause, soi-disant.
00:42:47 ...
00:42:50 De Gaulle, qui sort du cadre,
00:42:51 dirige désormais, avec le général Giraud,
00:42:54 les forces françaises en guerre.
00:42:56 ...
00:43:02 -M. Churchill, chaque fois que nous nous heurtions
00:43:05 en raison des intérêts dont nous avions la charge,
00:43:08 faisait de notre désaccord comme une affaire personnelle.
00:43:11 Il en était blessé et chagriné
00:43:14 à proportion de l'amitié qui nous liait l'un à l'autre.
00:43:17 Ses dispositions de l'esprit et du sentiment
00:43:20 jointent aux recettes de sa tactique politique,
00:43:23 le jetait dans des crises de colère qui secouaient rudement nos rapports.
00:43:27 ...
00:43:30 -Ce que veulent les Anglo-Saxons, c'est rien moins
00:43:32 que la mise sous tutelle américaine de la France,
00:43:35 ce qui est, aux yeux de De Gaulle, inacceptable,
00:43:38 inenvisageable et non négociable.
00:43:40 ...
00:43:43 -On comprend dès lors que De Gaulle subisse un troisième affront.
00:43:47 Il est exclu des préparatifs du jour J,
00:43:49 le débarquement en Normandie, le 6 juin 1944.
00:43:54 ...
00:43:57 ...
00:44:00 -From General Eisenhower to all soldiers, sailors and airmen
00:44:04 of the Allied Expeditionary Force, good luck !
00:44:07 -A 6h30, les premières troupes d'assaut
00:44:11 et les chars des Alliés débarquent sur les plages normandes.
00:44:15 ...
00:44:18 Explosion
00:44:20 ...
00:44:22 Au même moment, celui que l'on surnomme le général Micro
00:44:26 en est réduit à user de la BBC, cette fois pour sauver l'honneur
00:44:30 et assurer la présence de la France libre
00:44:32 et de son chef en ce jour historique.
00:44:34 -Après tant de combats, de fureurs, de douleurs,
00:44:39 voici venu le choc décisif.
00:44:42 C'est la bataille de France
00:44:44 et c'est la bataille de la France.
00:44:47 -La circonstance le pousse à être plus lyrique qu'à l'accoutumée
00:44:50 en adoptant, une fois de plus, des accents tchertchiliens.
00:44:54 -Derrière le nuage si lourd de notre sang et de nos larmes,
00:44:59 voici que reparaît le soleil de notre grandeur.
00:45:05 ...
00:45:07 -De Gaulle, lui, a débarqué en Normandie
00:45:10 six jours après les autres.
00:45:11 Il n'a qu'une idée en tête, libérer Paris.
00:45:14 Pour les Alliés, c'est un objectif secondaire.
00:45:18 Ils veulent même contourner la capitale.
00:45:20 Mais De Gaulle n'en démore pas
00:45:22 et il faut que ce soit des Français,
00:45:25 ceux de la 2e division blindée du général Leclerc,
00:45:28 qui entrent les premiers dans Paris.
00:45:30 Et que ce soit lui, le général De Gaulle,
00:45:33 qui incarne la libération la plus symbolique
00:45:36 au regard de la postérité.
00:45:38 Une exigence de plus qui agace son allié Churchill.
00:45:42 -Ce type !
00:45:44 De Gaulle est insupportable et c'est lui qui a raison.
00:45:48 La France, la seule France.
00:45:50 La France libre, c'est lui et nul autre.
00:45:53 Et dans l'avenir, ce sera lui, aussi vrai que moi, Churchill,
00:45:56 je serai celui de l'Angleterre.
00:45:59 ...
00:46:10 -Le 25 août 1944, le général De Gaulle
00:46:13 entre dans Paris en vainqueur.
00:46:15 Mais jusqu'à la fin de sa vie,
00:46:18 il boycottera les commémorations du jour le plus long.
00:46:22 ...
00:46:26 -Je ranime la flamme.
00:46:28 Depuis le 14 juin 1940,
00:46:31 nul n'avait pu le faire qu'en présence de l'envahisseur.
00:46:34 ...
00:46:36 Puis je quitte la voûte et le terre-plein.
00:46:39 Les assistants s'écartent.
00:46:40 Devant moi, les Champs-Elysées.
00:46:43 ...
00:46:45 Ah, c'est la mer !
00:46:47 Une foule immense
00:46:48 émassée de part et d'autre de la chaussée.
00:46:51 Peut-être 2 millions d'âmes.
00:46:54 ...
00:47:05 Nous aurons ainsi, tous ensemble,
00:47:07 bouleversés, fraternels,
00:47:10 sentant la joie, la fierté,
00:47:12 l'espérance nationale remonter du fond des abîmes.
00:47:17 ...
00:47:24 Il s'agit aujourd'hui de rendre à lui-même,
00:47:27 par le spectacle de sa joie et l'évidence de sa liberté,
00:47:31 un peuple qui fut hier écrasé par la défaite
00:47:35 et dispersé par l'inservitude.
00:47:38 ...
00:47:39 -De toutes les images du général pris ou filmé pendant la guerre,
00:47:43 c'est la première fois qu'on le voit enfin le sourire au lèvre.
00:47:47 ...
00:47:52 ...
00:47:55 Lorsqu'il accueillera le Premier ministre anglais
00:47:58 2 mois plus tard, c'est bien de son ami Churchill
00:48:01 qu'il s'agira à nouveau, l'un comme l'autre,
00:48:03 au fait de leur gloire.
00:48:05 -De Gaulle me reçut à un grand déjeuner
00:48:08 au ministère de la Guerre
00:48:09 et prononça des paroles extrêmement flatteuses
00:48:12 au sujet de mon rôle durant le conflit.
00:48:15 Je fus frappé par le respect,
00:48:17 voire la crainte,
00:48:19 qu'une demi-douzaine de généraux de haut grade
00:48:21 témoignaient à de Gaulle,
00:48:23 bien qu'il n'eût qu'une étoile sur son uniforme.
00:48:26 ...
00:48:30 ...
00:48:33 -Les deux chefs de guerre se retrouvent face à face
00:48:37 pour l'éternité, en bas des Champs-Elysées.
00:48:39 Le sculpteur les a incarnés en hommes qui marchent.
00:48:42 Ils sont l'histoire, mais se dirigent toujours vers l'avant.
00:48:46 ...
00:48:48 Dès la fin de la guerre,
00:48:49 ils continuent à dominer le paysage politique.
00:48:52 ...
00:48:55 Le 13 novembre 1945,
00:48:57 de Gaulle est élu président du gouvernement provisoire.
00:49:00 ...
00:49:11 Mais Churchill, lui, tombe de son socle.
00:49:14 Il est balayé aux élections par un raz-de-marée travailliste.
00:49:17 ...
00:49:25 Désenchanté, il se met au vert,
00:49:27 dans son domaine de Chartwell,
00:49:29 en retrait pour y écrire ses mémoires de guerre.
00:49:31 ...
00:49:33 Fidèle à sa promesse d'être l'historien d'une épopée
00:49:36 dont il avait été également le héros,
00:49:39 il produit avec son équipe six tomes,
00:49:41 dont le premier parait en 1948.
00:49:44 ...
00:49:50 Churchill devient un auteur à succès,
00:49:53 car les ventes de son oeuvre sont considérables et durables,
00:49:56 tant aux Etats-Unis qu'en Angleterre.
00:49:58 ...
00:50:00 A la librairie Hatchards à Londres,
00:50:03 il est même le seul à bénéficier de tout un pan de bibliothèques
00:50:06 dédiées à ses propres livres,
00:50:08 ainsi qu'à tous ceux, nombreux,
00:50:11 qui l'ont été consacrée à ce jour.
00:50:13 ...
00:50:18 Pendant ce temps, le général de Gaulle,
00:50:21 qui a quitté le pouvoir et qui entame lui aussi
00:50:23 une traversée du désert,
00:50:25 commence à peine à écrire ses propres mémoires de guerre,
00:50:28 loin de la rumeur du monde.
00:50:30 ...
00:50:32 "Dans le tumulte des hommes et des événements,
00:50:35 "la solitude était ma tentation.
00:50:38 "Maintenant, elle est mon amie.
00:50:40 ...
00:50:42 "De quel autre se contenter quand on a rencontré l'histoire ?"
00:50:46 ...
00:50:48 Avec ses souvenirs de la France libre,
00:50:50 qui ont la force du témoignage,
00:50:52 de Gaulle quitte le statut d'écrivain militaire
00:50:55 qu'il avait acquis dans les années 30
00:50:57 pour celui d'écrivain d'histoire.
00:50:59 Un écrivain ne comprend ce qui lui arrive que lorsqu'il l'écrit.
00:51:04 De Gaulle a l'ambition d'édifier une oeuvre
00:51:07 et de se démarquer ainsi de Churchill,
00:51:09 qui, selon lui, s'est contenté de, je cite,
00:51:12 "mettre beaucoup de choses bout à bout".
00:51:14 ...
00:51:18 ...
00:51:23 Pourtant, Churchill est celui des deux
00:51:26 que l'Académie suédoise a choisi de consacrer en 1953
00:51:30 par le prix Nobel de littérature.
00:51:33 ...
00:51:38 Le comble, c'est que l'élu ne dissimule pas sa déception.
00:51:41 Churchill ne prend même pas la peine de se déplacer
00:51:45 jusqu'à Stockholm et y envoie sa femme.
00:51:47 ...
00:51:50 ...
00:51:58 ...
00:52:04 Il ne fait guère de doute à l'époque que cette année-là,
00:52:07 la récompense est moins motivée par des préoccupations littéraires
00:52:11 que par un souci politique et diplomatique.
00:52:13 En fait, Sir Winston espérait le prix Nobel de la paix,
00:52:16 qui ira finalement à Albert Schweitzer,
00:52:19 qu'il moque en privé.
00:52:20 Mais il se résigne à accepter son Nobel
00:52:22 lorsqu'il apprend que le chèque est d'un montant
00:52:25 de 12 000 livres sterling non imposables.
00:52:28 ...
00:52:39 Quant à De Gaulle, la parution de ses "Mémoires de guerre"
00:52:42 un an plus tard chez Plon, éditeur choisi
00:52:45 parce qu'il avait été celui des grands, Poincaré, Fauch ou Churchill,
00:52:49 a un grand authentissement,
00:52:51 tant dans le monde politique que littéraire,
00:52:53 dans de nombreux pays.
00:52:55 ...
00:53:02 Désormais inscrit au plus prestigieux
00:53:04 des palmarès littéraires,
00:53:05 Churchill a tout de même été sacré écrivain,
00:53:08 entre François Mauriac et Ernest Hemingway,
00:53:11 excusé du peu.
00:53:12 ...
00:53:14 Or, l'Académie suédoise est censée distinguer un écrivain
00:53:17 et non un polygraphe doué,
00:53:19 ferru d'histoire et assisté par un atelier de naigre.
00:53:24 Lorsqu'on les relit avec le recul du temps,
00:53:26 Charles de Gaulle est bien des deux l'écrivain.
00:53:29 Un classique dont l'esprit est gouverné
00:53:32 par un absolu de la langue française et donc de l'écriture.
00:53:35 Toute sa vie, il s'était fait une certaine idée de la France
00:53:39 à travers la littérature qu'il avait formée à jamais.
00:53:42 Qu'importe, au fond, puisque ce qui en reste,
00:53:45 c'est d'abord l'histoire d'une amitié contrariée car passionnée
00:53:49 entre deux hommes que liait une admiration réciproque.
00:53:53 Deux monstres sacrés,
00:53:54 au destin façonné par la houle de l'histoire.
00:53:57 ...
00:53:59 -Je savais qu'il n'était pas ami de l'Angleterre,
00:54:03 mais j'ai toujours retrouvé en lui l'esprit et les conceptions
00:54:07 que le mot "France" évoquera éternellement
00:54:10 tout au long des pages de l'histoire.
00:54:12 ...
00:54:17 -Les incidents rudes et pénibles
00:54:19 qui se produisirent à maintes reprises entre nous,
00:54:22 en raison des frictions de nos deux caractères,
00:54:24 ont influé sur mon attitude à l'égard du Premier ministre,
00:54:28 mais non point sur mon jugement.
00:54:30 Winston Churchill m'a paru d'un bout à l'autre du drame,
00:54:34 comme le grand champion d'une grande entreprise
00:54:37 et le grand artiste d'une grande histoire.
00:54:40 ...
00:54:49 -Ils se sont tour à tour admirés, détestés, réconciliés,
00:54:53 et après le second conflit mondial,
00:54:56 Winston Churchill et Charles de Gaulle
00:54:58 ont donc chacun écrit et publié leur mémoire de guerre.
00:55:02 C'est ce duel d'écrivains, de mémorialistes,
00:55:05 à fleur et mouchetée, auquel s'est donc intéressé
00:55:08 de près ce documentaire exclusif que nous venons de voir.
00:55:11 Son réalisateur, Pierre Hassouline, est maintenant avec nous,
00:55:15 en compagnie de nos autres invités.
00:55:17 Pierre Hassouline, bienvenue.
00:55:19 -Merci.
00:55:20 -C'est donc à vous que nous devons ce film.
00:55:22 Vous êtes réalisateur de documentaires,
00:55:25 journaliste, chroniqueur radio, biographe, romancier,
00:55:28 membre, entre autres, du comité de rédaction du magazine
00:55:31 "L'Histoire", que nous saluons, d'ailleurs, au passage,
00:55:34 cette rédaction de "L'Histoire", et aussi membre de l'Académie Concours.
00:55:39 Et votre dernier livre s'intitule "Le nageur",
00:55:41 publié chez Ganimard.
00:55:43 Il retrace le destin du nageur Alfred Nakach,
00:55:46 sélectionné au JO de Berlin en 1936,
00:55:49 mais aussi à ceux de Londres en 1948,
00:55:52 mais entre les deux, son histoire s'avère hors du commun.
00:55:55 C'est cette histoire qu'il faut découvrir
00:55:58 sous votre plume aux éditions Ganimard.
00:56:00 Bienvenue, François Kersaudi.
00:56:02 Vous êtes historien, spécialiste de De Gaulle et de Churchill,
00:56:05 dont vous avez traduit et retraduit, plus exactement, en français,
00:56:09 les mémoires de guerre de la Seconde Guerre mondiale,
00:56:12 celle dont il est question dans ce film que nous venons de voir.
00:56:16 Vous avez consacré une biographie à Churchill,
00:56:19 mais aussi à De Gaulle.
00:56:20 Vous avez par ailleurs consacré un livre aux relations
00:56:23 entre les deux hommes, d'abord écrit en anglais,
00:56:26 puis en français.
00:56:27 Votre dernier ouvrage s'intitule "Dix faces cachées du communisme".
00:56:32 C'est un ouvrage à découvrir aux éditions Perrin.
00:56:34 Enfin, Jean-Luc Barré est avec nous.
00:56:37 Très heureux de vous recevoir.
00:56:38 Vous êtes écrivain, historien et éditeur,
00:56:41 directeur des éditions Bouquin.
00:56:43 Vous êtes l'auteur, entre autres, de "Devenir De Gaulle",
00:56:46 publié aux éditions Perrin,
00:56:47 et plus récemment, de "L'homme de personne",
00:56:50 1890-1944,
00:56:54 premier volume d'un triptyque biographique
00:56:56 intitulé "De Gaulle, une vie",
00:56:58 publié chez Grasset,
00:57:00 qui vous a d'ailleurs valu le prix Renaud d'Oessay.
00:57:03 Les sorties des deux autres volumes
00:57:05 sont prévues en 2025
00:57:07 et en 2027.
00:57:09 Pierre Hassouline, on a peut-être besoin de comprendre
00:57:12 votre intention. Le pari était risqué.
00:57:15 Avec ce regard croisé entre les mémoires de guerre
00:57:17 de ces deux hommes à propos du second conflit mondial,
00:57:20 quelle était votre intention ?
00:57:22 -J'ai parti d'abord de l'admiration que je porte
00:57:25 pour les deux, sur les deux hommes,
00:57:27 autant Churchill que De Gaulle, chacun pour des raisons différentes.
00:57:31 C'est une admiration historique.
00:57:33 Ensuite, je suis parti également, ça se superpose,
00:57:36 d'une admiration littéraire et d'un point de vue d'écrivain.
00:57:39 Le point de vue des historiens a été développé très souvent,
00:57:42 y compris à la télévision,
00:57:44 mais on les a moins aperçus sur ce plan-là,
00:57:48 ou en tout cas envisagés ou analysés,
00:57:50 et même comparés sur ce plan-là.
00:57:52 Je trouvais intéressant de comparer, d'abord,
00:57:56 première chose, comment est-ce qu'ils pouvaient raconter
00:57:59 les mêmes événements, mais chacun à sa manière ?
00:58:02 Voir les deux faces d'un même événement,
00:58:04 étant évident que c'est entre 40 et 45,
00:58:07 à partir des mémoires de guerre exclusivement.
00:58:10 Et ensuite, comparer les mérites littéraires.
00:58:14 Je dois vous avouer, mais ça se perçoit dans le commentaire,
00:58:18 que mon admiration littéraire, admiration d'écrivain,
00:58:21 va évidemment à de Gaulle, qui, pour moi, est un grand styliste.
00:58:25 -Le plus shakespearien des deux n'est pas celui qu'on pense.
00:58:29 -Il n'est pas celui qu'on croit.
00:58:30 -Vous êtes davantage convaincu par le de Gaulle écrivain
00:58:34 que le Churchill écrivain. -Absolument.
00:58:36 Ce qui m'avait toujours surpris, je dirais pas choqué,
00:58:39 c'est qu'il ait pu avoir le prix Nobel de littérature,
00:58:43 Marquès lui-même a été surpris de l'avoir,
00:58:45 il voulait le prix Nobel de la paix.
00:58:47 Mais ce qui m'a surpris, c'est que, finalement,
00:58:50 quand on voit les attendus du comité Nobel,
00:58:52 on comprend qu'ils l'ont décerné,
00:58:54 alors peut-être pour des raisons diplomatiques,
00:58:57 on ne nous semble pas très loin de l'après-guerre.
00:59:00 -1953. -1953.
00:59:03 Mais décerné avant tout à l'historien
00:59:07 et à l'homme des discours.
00:59:09 On se demande si les chefs-d'oeuvre de Churchill
00:59:12 se sont pas à ses discours.
00:59:13 Et quand même, dès qu'on creuse, on s'aperçoit, bien entendu,
00:59:17 qu'il y avait, derrière Churchill, un certain nombre de gens...
00:59:20 -Ce qu'on découvre dans votre film,
00:59:22 c'est que les consortiums ne le savaient pas.
00:59:25 C'est ce que vous dites dans ce film.
00:59:27 Il y a des dactylos...
00:59:28 -C'est-à-dire que c'est un homme qui parle.
00:59:31 -Vous appelez le consortium Churchill.
00:59:33 -Syndicat It, comme il disait.
00:59:35 C'est un homme du verbe,
00:59:38 et c'est un formidable orateur,
00:59:40 donc c'est un homme qui parle et qui raconte.
00:59:42 Et à ça, il est impeccable.
00:59:44 Mais pour moi, le styliste, sur le plan littéraire,
00:59:47 c'est bien sûr de Gaulle.
00:59:49 C'est intéressant de comparer les deux.
00:59:51 -On va voir ce qu'en pense François Kierseley.
00:59:54 C'est vrai que souvent, on dit qu'avec Kipling,
00:59:57 Shaw, Wells, Winston Churchill
00:59:59 est l'un des quatre plus grands écrivains britanniques
01:00:02 du XXe siècle. C'est pas tout à fait rien.
01:00:04 Est-ce que vous êtes d'accord avec ce regard croisé
01:00:07 porté par Pierre Hassouline ?
01:00:09 Et puis cette conclusion de préférer l'écrivain de Gaulle
01:00:12 à l'écrivain de Churchill ?
01:00:14 -Il faut voir plusieurs choses.
01:00:16 -Au travers de leur mémoire de guerre.
01:00:18 -Ils ont pas voulu écrire la même chose.
01:00:21 Ils ont voulu faire chacun une oeuvre,
01:00:23 mais rien qu'avec le titre,
01:00:24 l'ambition n'était pas la même.
01:00:26 De Gaulle, c'était "mémoire de guerre",
01:00:29 c'est-à-dire "la France et moi, moi au service de la France".
01:00:32 Churchill, c'est pas ça.
01:00:34 "The Second World War", la Seconde Guerre mondiale,
01:00:37 il a pour ambition d'écrire toute l'histoire
01:00:40 de la Seconde Guerre mondiale.
01:00:41 Il va pas faire la même chose.
01:00:43 Bien entendu, de temps en temps, il intervient,
01:00:46 mais vous avez des quantités d'épisodes
01:00:48 de la Seconde Guerre mondiale
01:00:50 dans lesquels il intervient pas du tout.
01:00:52 La guerre du Pacifique, la guerre en Russie,
01:00:55 en Union soviétique, il a rien à voir là-dedans,
01:00:58 mais il raconte. Il peut pas tout raconter,
01:01:00 il a recruté des gens pour raconter à sa place,
01:01:03 et puis après, il "churchillise".
01:01:05 C'est pas la même ambition au départ.
01:01:08 En ce qui concerne...
01:01:11 Beaucoup de gens m'ont dit "c'est curieux qu'il ait reçu
01:01:14 "le prix Nobel", etc., et à chaque fois,
01:01:16 je leur demande si ils l'ont lu en anglais ou en français.
01:01:19 "En français, naturellement."
01:01:21 "La traduction de l'époque, il faut voir."
01:01:23 -Grâce à vous, aujourd'hui, on peut le lire en français,
01:01:27 et moi, je l'ai lu en partie en anglais,
01:01:29 et dans votre version, à vous, ce n'est pas si différent que ça.
01:01:33 -Ah si, parce que la traduction originale...
01:01:36 -Non, pas par rapport à l'original.
01:01:38 -Entre l'anglais. -De l'anglais au français.
01:01:40 -Il y a de très belles phrases, c'est beau, c'est rythmé.
01:01:44 "The reader of these lines must realize
01:01:46 "how dark and baffling is the veil of the unknown."
01:01:49 Le lecteur de ces lignes doit comprendre...
01:01:52 -Vous imitez parfaitement bien Winston Churchill,
01:01:54 pour ceux qui n'auraient pas compris.
01:01:57 -Le lecteur de ces lignes doit comprendre
01:01:59 "combien est opaque et déroutant le voile de l'inconnu."
01:02:02 -Autrement dit, convaincu par ce qu'était le style littéraire
01:02:07 de Churchill plus que celui de De Gaulle ?
01:02:10 -Non, non, non.
01:02:11 Chacun est un maître dans son domaine.
01:02:14 Si c'est pour dire que De Gaulle aurait mérité le prix Nobel,
01:02:18 c'est tout à fait évident,
01:02:20 mais ils n'étaient pas en compétition,
01:02:22 ils ne pouvaient pas le lettre.
01:02:24 En ce qui concerne le prix Nobel, ça lui a été attribué.
01:02:27 On a fait très attention de ne pas parler
01:02:29 de la Seconde Guerre mondiale,
01:02:31 parce qu'on savait comment ça avait été rédigé,
01:02:34 mais ça lui a été attribué,
01:02:35 comme toujours le prix Nobel, pour l'ensemble de l'oeuvre.
01:02:39 Et l'ensemble de l'oeuvre, c'est quoi ?
01:02:41 27 autres livres, 400 articles,
01:02:45 2 583 discours,
01:02:49 et la différence est d'autant moins marquée
01:02:53 qu'il avait l'habitude de dicter ses livres
01:02:57 et d'écrire ses discours.
01:03:00 Pour lui, il n'y avait pas vraiment de différence.
01:03:03 -Vous l'avez dit, Pierre Assouly n'a pas pris soin
01:03:06 d'aller recevoir ce prix Nobel de la littérature en 53 à Stockholm,
01:03:10 parce que lui, il espérait... -Parce qu'il a été déçu.
01:03:13 -Jean-Luc Barré ?
01:03:14 -Je dirais que pour De Gaulle,
01:03:16 il y a l'idée d'un témoignage, de laisser un témoignage historique,
01:03:20 mais c'est quand même une oeuvre d'écrivain qu'il veut faire.
01:03:23 Il y a chez De Gaulle peut-être un écrivain
01:03:26 beaucoup plus encore que chez Churchill.
01:03:28 Il a publié une série de livres avec un soin particulier au style.
01:03:32 C'est un écrivain solitaire, un homme qui travaille énormément.
01:03:35 J'ai travaillé sur les manuscrits de ses mémoires
01:03:38 et j'ai vu à quel point il travaillait comme un écrivain,
01:03:41 avec beaucoup de peine, d'ailleurs.
01:03:43 -Avec ses textes.
01:03:44 Vous avez retrouvé les originaux du côté de la BNF.
01:03:47 -C'est très impressionnant.
01:03:49 -Ca a l'air très impressionnant.
01:03:51 -On peut dire que c'est pas seulement...
01:03:53 On peut pas non plus se fier totalement,
01:03:56 à la biographie que je viens de rédiger,
01:03:58 aux mémoires de guerre de De Gaulle,
01:04:00 pour savoir la vérité exacte.
01:04:02 Peut-être c'est plus fiable chez Churchill,
01:04:04 ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas un point de vue.
01:04:07 Il y a chez De Gaulle le souci, d'abord,
01:04:10 de laisser une oeuvre littéraire et de construire son mythe.
01:04:13 Les mémoires de guerre sont là aussi
01:04:15 pour construire le mythe de De Gaulle.
01:04:17 Ceci étant, c'est aussi un témoignage superbe,
01:04:20 magnifique, sur tout cela, des portraits extraordinaires,
01:04:23 le portrait de Staline, donc on a affaire à une grande oeuvre,
01:04:26 un grand témoignage du niveau des grands témoignages historiques
01:04:30 de César ou de Cardinal de Reyes, ou parfois de Saint-Simon.
01:04:34 -Si j'ai bien compris la chronologie,
01:04:36 Churchill a publié les six tomes de ses mémoires de guerre
01:04:39 sur la Seconde Guerre mondiale entre 48 et 53,
01:04:42 et De Gaulle, lui, entre 54 et 59.
01:04:44 Autrement dit, De Gaulle aurait pu jeter un oeil,
01:04:47 et plus qu'un oeil, sur les mémoires écrites par Churchill
01:04:50 à l'époque, puisqu'il sort les siennes après celles de Churchill.
01:04:53 -Certainement, d'autant plus qu'il les avait à Colombais,
01:04:56 dans son bureau, juste derrière lui.
01:04:59 On les voit, d'ailleurs, là.
01:05:00 Bien sûr, sa curiosité a été aiguisée aussitôt.
01:05:03 Il faut imaginer que l'apparition des mémoires de Churchill,
01:05:06 c'est un succès considérable, c'est un événement mondial,
01:05:10 pas seulement en langue anglaise, mais dans le reste du monde.
01:05:13 -Les gens, comme le général, d'ailleurs,
01:05:15 ont lu cette traduction,
01:05:18 donc ils n'ont pas...
01:05:20 Ils ne sont pas intéressés à l'original.
01:05:22 -Une autre chose qui a scandalisé De Gaulle,
01:05:25 c'est que les livres de Churchill
01:05:30 ont été publiés d'abord aux Etats-Unis.
01:05:32 Donc, lui, il disait, "Vous imaginez,
01:05:35 "De Gaulle être publié d'abord en Belgique ou au Canada,
01:05:38 "ce serait scandaleux", etc.
01:05:40 Et puis, en plus,
01:05:43 les bonnes feuilles ont été publiées dans "Time" et dans "Life"
01:05:49 avant publication, et là aussi, il était scandalisé.
01:05:52 "Est-ce que vous imaginez
01:05:56 "Vaubnard-Youssain-Simon
01:05:58 "se faire publier dans les gazettes de Paris ?"
01:06:02 -Il ne faut jamais oublier, s'agissant de Churchill,
01:06:05 la dimension financière.
01:06:07 C'est-à-dire que ses écrits, en général,
01:06:09 mais depuis tout jeune... -C'est un complètement de revenu.
01:06:13 -C'est le revenu. -C'est son revenu.
01:06:15 -Toute sa vie de sa plume. C'est ça qui est extraordinaire.
01:06:18 Dès son plus jeune âge, quand il était encore à l'armée,
01:06:22 il a fait un article publié dans la presse,
01:06:24 et là, la pré-publication dans "Life" et dans "Time",
01:06:27 bien sûr, obéit à des considérations financières évidentes.
01:06:30 Donc, ça, ça compte beaucoup.
01:06:32 -Oui, il n'avait que ça comme revenu,
01:06:34 parce que les parlementaires étaient horriblement mal payés.
01:06:38 Au début, il n'était même pas du tout.
01:06:40 En plus, il avait un train de vie assez somptueux.
01:06:43 Donc, rien que les mémoires de guerre,
01:06:45 les mémoires de "Second World War",
01:06:47 ça lui a rapporté 550 000 livres de l'époque,
01:06:51 ce qui fait 43 millions de dollars.
01:06:54 -C'est important, d'ailleurs, de dire aussi
01:06:57 que pour De Gaulle, dans cette période-là,
01:06:59 les seuls revenus réels de De Gaulle vont être ses mémoires
01:07:02 pendant toute une période de sa vie,
01:07:04 en tout cas, cette période-là des années 50,
01:07:07 puisqu'il a refusé sa retraite, il ne voulait rien devoir à l'Etat.
01:07:11 C'est un mystère de savoir exactement de quoi il a vécu
01:07:14 dans cette période, au-delà des mémoires.
01:07:16 Son frère, qui était banquier, ça fait partie des éléments
01:07:20 qu'il a cherché dans le... -Il a fait une donation
01:07:22 à la fondation Anne de Gaulle. -Oui, bien sûr.
01:07:25 Il fallait bien tout de même qu'il vive,
01:07:27 et une grande partie des mémoires lui ont permis de vivre
01:07:30 dans cette période-là, puisqu'il avait des rapports
01:07:33 à l'argent très différents de ceux de Churchill.
01:07:36 Je ne pense pas que le train de vie soit comparable.
01:07:39 Mais il fallait, effectivement, dans la mesure...
01:07:41 Son indépendance passait aussi par le fait de gagner de l'argent
01:07:45 avec ses mémoires. -Juste un mot, quand même.
01:07:48 Il y a un jugement sur les mémoires de Churchill.
01:07:50 Il dit quand même... -Quel était-il,
01:07:52 si il fallait le résumer ? -Il a dit "c'est juste un bout à bout".
01:07:56 -C'est juste ? -Un bout à bout.
01:07:57 -Oui, c'est ça. Il a mis bout à bout beaucoup de choses.
01:08:01 Oui, ce qui est vrai et faux, à la fois,
01:08:04 ça dépend des chapitres.
01:08:05 -Ca nous amène sur les relations, ce qu'ont été les relations
01:08:09 entre les deux hommes. On les parcourt,
01:08:11 pour un certain nombre d'entre elles, dans votre film.
01:08:14 La première rencontre entre les deux hommes,
01:08:17 c'était le 9 juin 1940.
01:08:19 Ils ne se connaissent pas.
01:08:21 Churchill connaît Paul Reynaud, il connaît Mandel,
01:08:24 mais il connaît pas Churchill de Gaulle.
01:08:27 -Il a tout de même entendu parler de ce...
01:08:29 Il y a Moncornet, il a entendu parler de ça,
01:08:31 mais ça reste très lointain.
01:08:33 On sait que c'est pas lui qui l'attendait,
01:08:36 spécialement à Londres.
01:08:37 Mais il y a cette rencontre-là. -C'était plutôt Mandel.
01:08:40 -Il attendait tout le monde. Il attendait Mandel,
01:08:43 il attendait Darland, il attendait peut-être Blum.
01:08:46 -Qu'est-ce qui se passe sur cette première rencontre ?
01:08:49 Comment en rendent-ils compte ? C'est souvent la bonne impression.
01:08:53 -On la connaît de Churchill,
01:08:55 puisqu'il a parlé de l'homme du destin.
01:08:57 Il aurait entrevu l'homme du destin.
01:08:59 Il y a une part de mythe.
01:09:01 Quant à de Gaulle, je pense qu'il a tout de suite été impressionné,
01:09:05 mais il l'a retrouvé ensuite à Londres,
01:09:07 avant même le 18 juin.
01:09:08 Impressionné par ce qui manquait le plus à la France
01:09:11 aux dirigeants français, la volonté de se battre.
01:09:14 Chez de Gaulle, il y a le sens du personnage historique,
01:09:17 du héros, d'une certaine manière, et incondéciblement,
01:09:21 du connétable. Il le reconnaît,
01:09:23 ce personnage-là, aussi, chez Churchill.
01:09:25 -Le connétable, c'était le surnom que donnait de Gaulle.
01:09:28 -Absolument.
01:09:30 Donc il y a quand même la rencontre, là,
01:09:32 de deux personnages qui sont deux hommes du destin,
01:09:35 d'une certaine manière.
01:09:36 C'est raconté de la même manière.
01:09:39 -L'homme du destin, ça serait l'expression utilisée
01:09:42 par Churchill pour qualifier de Gaulle après leur première rencontre.
01:09:45 C'est la légende ou pas, pour répondre à ce que dit Jean-Luc Barré ?
01:09:49 -Churchill avait des intuitions fulgurantes,
01:09:52 c'est pas la première. Il avait une très curieuse capacité
01:09:55 à voir dans l'avenir et à voir les possibilités.
01:09:58 Par ailleurs, c'était aussi
01:10:01 un propagandiste de génie,
01:10:04 et donc l'homme du destin, c'est parce qu'il en avait besoin.
01:10:08 Pourquoi ? Il voyait bien que la France allait s'effondrer.
01:10:11 La France s'est effondrée, et il avait très peur
01:10:14 que les Anglais cèdent.
01:10:15 Pendant la Première Guerre mondiale,
01:10:18 les Français n'avaient pas cédé,
01:10:19 et donc les Anglais n'avaient pas été menacés d'invasion.
01:10:23 Là, la France cède, et d'un seul coup,
01:10:26 il a peur que les politiciens, parce qu'il y en a,
01:10:28 disent que notre rempart sur le continent a cédé,
01:10:32 bah, écoutez, on va négocier avec Hitler.
01:10:35 Et donc Churchill, qui a une imagination fertile,
01:10:39 qui est un propagandiste de génie,
01:10:41 il présente de Gaulle à son opinion publique,
01:10:44 à ses députés, en leur disant
01:10:46 "Vous croyez comme ça que la France a capitulé ?
01:10:50 "Mais non, elle a pas capitulé, puisqu'elle continue la lutte
01:10:54 "grâce à ce...
01:10:57 "cet homme remarquable de Gaulle,
01:11:00 "un fine soldier with a good reputation
01:11:04 "and a strong personality."
01:11:06 En ce qui concerne la strong personality,
01:11:08 il aura l'occasion de le regretter plus tard,
01:11:11 mais pour le moment, c'est l'homme du destin,
01:11:14 c'est l'homme de mon destin qui va me permettre
01:11:16 d'encourager la population,
01:11:21 les députés, les ministres,
01:11:24 tous ces gens qui sont assez réticents, quand même,
01:11:27 à continuer le combat,
01:11:28 parce que la France continue le combat à vos côtés.
01:11:31 C'est l'imagination de l'homme, et ça fonctionne très bien.
01:11:35 -En vous écoutant, tous les deux,
01:11:37 Churchill avait de très bonnes intuitions sur de Gaulle,
01:11:40 puisque les deux biographes de de Gaulle
01:11:43 ont repris des expressions churchiliennes,
01:11:46 l'homme du destin, pour vous,
01:11:49 et le connétable, pour Jean Lacouture,
01:11:53 ce sont deux expressions de Churchill
01:11:55 pour qualifier de Gaulle. Il avait bien senti le personnage,
01:11:58 alors que, comme vous le dites, le personnage, à l'époque,
01:12:02 c'était un inconnu.
01:12:03 -C'est curieux, parce que, durant toutes ces années 30,
01:12:07 ils sont pratiquement les seuls à incarner
01:12:09 une forme de résistance et de lucidité
01:12:11 par rapport à leur opinion, à leur gouvernement,
01:12:14 vis-à-vis du danger qui est en face de nous,
01:12:17 c'est-à-dire le danger nazi, etc.
01:12:19 Ils sont assez solitaires.
01:12:21 Ils se rencontrent aussi,
01:12:22 parce qu'ils ont partagé les mêmes alarmes,
01:12:25 les mêmes inquiétudes.
01:12:26 -A l'époque, de Gaulle n'est pas un homme public.
01:12:29 -Il écrit des livres, il dit des choses.
01:12:31 -Il est dans une situation pas très connue.
01:12:34 -Oui, bien sûr.
01:12:35 -Il reste quand même que Churchill a l'essentiel
01:12:38 de sa carrière politique derrière lui.
01:12:40 Il a 60 ans en 40,
01:12:41 donc 16 ans de plus que de Gaulle,
01:12:44 et de Gaulle, lorsqu'il rencontre pour la première fois Churchill,
01:12:48 n'est que sous-secrétaire d'Etat à la guerre
01:12:51 et à la défense nationale.
01:12:52 Autrement dit, quand de Gaulle arrive à Londres,
01:12:55 c'est un obligé.
01:12:56 C'est un obligé.
01:12:57 Or, être un obligé pour de Gaulle,
01:13:00 c'était pas quelque chose de très naturel.
01:13:02 -C'est pas du tout le sentiment qu'il veut avoir.
01:13:05 Mon livre s'appelle "L'homme de personne".
01:13:07 C'est une formule qu'il a employée en août 40
01:13:09 quand on lui a demandé de se présenter,
01:13:12 parce que les Anglais voulaient le faire connaître,
01:13:15 au lieu de dire, "Charles de Gaulle, né à tel moment,
01:13:18 "à telle date..."
01:13:19 Il dit "Je suis l'homme de personne".
01:13:21 C'est une façon de se présenter.
01:13:23 C'est déjà une forme de défi vis-à-vis des Anglais,
01:13:26 pas seulement vis-à-vis des Anglais,
01:13:28 mais aussi des Anglais, qui sont des politiciens.
01:13:31 C'est déjà une manière de se singulariser
01:13:33 par rapport à Churchill.
01:13:34 On n'attend pas ça de de Gaulle, on attend tout de même
01:13:37 un homme qui est financé, hébergé par les Anglais,
01:13:40 peut-être un peu plus d'humilité,
01:13:42 mais d'emblée, il est dans une posture
01:13:44 qui est celle de l'intransigeance.
01:13:46 C'est très bien.
01:13:48 On pourrait rajouter à cela qu'il n'est pas spécialement anglophile.
01:13:51 -Il est même anglophobe.
01:13:53 -Non, je dirais pas anglophobe, mais il n'est pas anglophile.
01:13:57 Il est plus germanophile qu'il n'est anglophile, dans sa culture.
01:14:00 Il connaît mal l'Angleterre, ce pays,
01:14:02 et il a tous les souvenirs.
01:14:04 Il disait tout le temps, je vous dis les choses,
01:14:06 il avait des souvenirs de mille ans de relations
01:14:09 entre la France et l'Angleterre.
01:14:11 Ca compte pour un homme comme de Gaulle,
01:14:13 cette mémoire compte.
01:14:15 Là où Churchill est un homme, effectivement,
01:14:17 plutôt francophile, qui aime la France, etc.,
01:14:20 ça fait une différence majeure.
01:14:22 -De Gaulle est très méfiant, c'est ça ?
01:14:24 -Il est très méfiant.
01:14:26 Il n'est pas anglophobe, comme son père l'était.
01:14:28 -Oui. -Lui...
01:14:30 -Un gars à la perfidage.
01:14:31 -Il les soupçonne d'un tas de crimes
01:14:33 dont beaucoup sont imaginaires, d'ailleurs.
01:14:36 -Mais Churchill soupçonnera d'être anglophobe.
01:14:39 -Ah oui, mais ça, c'était une façon de...
01:14:42 Voilà, s'il faisait pas les concessions,
01:14:44 il était donc anglophobe.
01:14:46 Mais c'est pas vraiment...
01:14:49 Ce qu'il y a...
01:14:51 Ce que Churchill n'a jamais compris,
01:14:53 c'est ce que disait tout le temps de Gaulle,
01:14:56 c'est que "je suis trop faible pour faire des concessions".
01:14:59 Evidemment, pour Churchill, c'est pas compréhensible.
01:15:03 C'est quand on est faible qu'on fait les concessions.
01:15:06 C'est le contraire.
01:15:07 Et...
01:15:08 Churchill est aussi quelqu'un, évidemment,
01:15:11 de très autoritaire.
01:15:14 "All I ask for is compliance with my wishes
01:15:17 "after a reasonable discussion."
01:15:19 "Je demande qu'on se plie à ma volonté
01:15:21 "après un temps de discussion raisonnable."
01:15:24 Il demande que ça.
01:15:25 Avec Gaulle, ça marche pas du tout.
01:15:27 Les intérêts de la France doivent être sauvegardés.
01:15:30 -On va revoir un extrait du film.
01:15:32 Il y a un troisième homme qui va se mettre
01:15:35 entre de Gaulle et Churchill,
01:15:36 et c'est celui qui préside la plus grande puissance mondiale
01:15:40 de l'époque, c'est Roosevelt.
01:15:42 -Nous parlâmes de Roosevelt et de son attitude à mon égard.
01:15:46 "Ne brusquez rien, dit M. Churchill.
01:15:48 "Voyez comment, tour à tour, je plie et me relève.
01:15:52 "Vous le pouvez, observe-je,
01:15:54 "parce que vous êtes assis sur un État solide,
01:15:57 "une nation rassemblée, un empire uni,
01:15:59 "de grandes armées.
01:16:01 "Mais moi, où sont mes moyens ?
01:16:03 "Pourtant, j'ai, vous le savez,
01:16:05 "la charge des intérêts et du destin de la France.
01:16:09 "C'est trop lourd, et je suis trop pauvre
01:16:11 "pour que je puisse me courber."
01:16:13 M. Churchill conclut notre entretien
01:16:16 par une démonstration d'amitié et d'émotion.
01:16:19 "Nous avons encore de rudes obstacles à surmonter.
01:16:22 "Mais un jour, nous serons en France,
01:16:24 "peut-être l'année prochaine.
01:16:26 "En tout cas, nous y serons ensemble.
01:16:28 "Je ne vous lâcherai pas."
01:16:30 -On est sans doute au moment de crispation
01:16:33 le plus fort entre les deux hommes.
01:16:35 L'opération Torch, fin 42,
01:16:38 et puis cette conférence à Casablanca,
01:16:40 dont nous avons ramené les images,
01:16:42 ce jeu avec Giraud, soutenu par Roosevelt et Churchill.
01:16:47 Là, on est au plus fort
01:16:49 de ce qu'ont été les tensions entre les deux.
01:16:52 -Il y aura d'autres moments de tension,
01:16:54 notamment juste avant la libération,
01:16:56 au moment du débarquement, dont de Gaulle ne sera pas.
01:17:00 Ca va être très crispé.
01:17:02 Même l'arrivée de Churchill à Paris,
01:17:05 ça ne va pas se faire aussi facilement qu'on le croit.
01:17:08 L'image d'Epinal, par la suite, avec le recul,
01:17:11 a bien arrangé tout ça,
01:17:12 mais quand on lit les mémoires et les lettres,
01:17:15 les correspondances, à chaque fois,
01:17:17 on a l'impression que ça va rompre entre eux.
01:17:20 En fait, ils n'étaient pas faits pour s'aimer.
01:17:23 Tellement les tempéraments, les caractères
01:17:26 sont aux antipodes l'un de l'autre.
01:17:28 Mais après, ça s'arrange.
01:17:30 En tout cas, là, c'est vrai qu'avec l'opération Torch,
01:17:34 l'arrivée de Roosevelt,
01:17:35 qui va en permanence essayer de convaincre Churchill
01:17:38 de prendre ses distances avec ce français insupportable,
01:17:42 ça va créer quelque chose de très dur.
01:17:44 Moi, j'admire, finalement, la résistance de Churchill
01:17:48 vis-à-vis de Roosevelt.
01:17:50 -Churchill aurait eu ce mot, je vais vous le citer,
01:17:53 à la conférence de Casablanca, justement.
01:17:56 "Son pays a abandonné la lutte.
01:17:58 "Lui-même n'est qu'un réfugié.
01:18:00 "Si nous lui retirons notre appui, c'est un homme fini.
01:18:03 "Regardez-le, dit-il, en parlant de De Gaulle.
01:18:06 "Non, mais regardez-le, on croirait Staline
01:18:09 "avec 200 divisions derrière lui."
01:18:11 -C'était du Churchill s'exprimant sur De Gaulle,
01:18:14 à cette fameuse conférence de Casablanca, en 43.
01:18:17 Il y a d'autres moments très forts de tension,
01:18:20 le débarquement, De Gaulle n'est mis au courant
01:18:23 que le 4 juin, le débarquement a eu lieu deux jours plus tard.
01:18:26 Si il fallait en garder un ou deux de ces moments
01:18:29 de très forte tension entre les hommes,
01:18:31 ça serait lesquels ? -Pour moi, ce serait le...
01:18:34 Le Liban, en 43, et la Syrie, en 45.
01:18:38 Pour lesquels, d'ailleurs, il faut bien le dire,
01:18:42 les mémoires de De Gaulle ne sont pas fiables du tout.
01:18:46 Il est contredit, sur sa version des événements,
01:18:51 par cinq...
01:18:54 Les archives de cinq pays différents
01:18:56 et par ses propres archives.
01:18:58 C'est-à-dire que...
01:19:00 Ce qui est sympathique chez De Gaulle, si vous voulez,
01:19:03 c'est qu'il ne ment pas...
01:19:06 pour se mettre en valeur.
01:19:09 Il ment pour mettre en valeur la France.
01:19:12 Et il se trouve qu'en 43, à Beyrouth,
01:19:16 et en 45, à Damas,
01:19:18 le rôle de la France,
01:19:20 du fait des personnes qui étaient en charge à l'époque,
01:19:24 a été parfaitement lamentable.
01:19:25 Donc, il ne pouvait pas raconter la vérité.
01:19:28 Et donc, qu'est-ce qu'il fait ?
01:19:30 Il invente un complot britannique, dans les deux cas.
01:19:33 C'est la faute des Anglais, pas de mon représentant sur place,
01:19:37 dans les deux cas, parce qu'il s'était mal comporté.
01:19:39 Il ne fallait pas que ça se sache.
01:19:41 Les mémoires sont à la gouère de la France.
01:19:44 La France ne peut pas s'être trompée.
01:19:46 Mais dans ses archives, sur Le Levant,
01:19:48 on voit très bien qu'il savait la vérité,
01:19:50 il la savait parfaitement, mais il ne pouvait pas la dire.
01:19:54 Il a inventé. Il y a des passages comme ça.
01:19:56 Il faut dire, c'est du Romain Feuilleton.
01:19:59 -Les moments de tension, il y en a eu tout de suite,
01:20:01 parce qu'il y a eu autant de personnages.
01:20:04 -On a toujours cherché quelqu'un qui pourrait écarter De Gaulle
01:20:07 et le remplacer. Il y a même un moment
01:20:10 où Churchill a sondé Quatreroux.
01:20:12 Quatreroux a fait acte d'allégeance à De Gaulle.
01:20:14 Georges Quatreroux, qui est un général plus gradé que De Gaulle,
01:20:18 mais qui avait accepté, d'une certaine manière,
01:20:21 de reconnaître que De Gaulle, c'était la France,
01:20:24 peu importe le nombre d'étoiles sur leur képi.
01:20:26 Et puis, il y a eu la tentative prolongée
01:20:29 de mettre Mussoly en scène.
01:20:31 On a oublié, mais ce n'est pas rien.
01:20:33 On se relate assez longuement ce psychodrame.
01:20:35 De Gaulle avait pris la mesure des autres.
01:20:38 Il savait qu'il n'avait pas grand-chose à risquer
01:20:41 de Giraud et de Mussoly, mais ils avaient des soutiens.
01:20:44 Vous parlez de complots britanniques.
01:20:46 De Gaulle pouvait imaginer que, de temps en temps,
01:20:49 il y avait des complots contre lui.
01:20:51 Le cas du Levant est un peu particulier.
01:20:53 Et puis, il y a eu Giraud, et l'épisode d'Arland.
01:20:56 C'est autant de raisons d'affrontement
01:20:58 quasi permanents et accentuées par l'arrivée de Roosevelt,
01:21:02 d'une certaine manière, dans la guerre.
01:21:04 Dès l'instant que les Etats-Unis entrent en guerre,
01:21:07 c'est le grand large qui l'emporte sur tout le reste.
01:21:10 Il y a quand même une collusion,
01:21:12 une connivence de Churchill avec Roosevelt très prolongée.
01:21:15 Il a fallu que de Gaulle ait cette capacité de résistance,
01:21:19 surtout qu'il ait les moyens de rassembler autour de lui
01:21:22 la résistance, d'avoir des atouts forts à opposer à tout cela,
01:21:25 mais sans arrêt, il a été sur le fil
01:21:27 parce que Roosevelt voulait d'une manière permanente
01:21:31 la tête de de Gaulle, en finir avec de Gaulle,
01:21:33 et Churchill le soutenait, tout en étant dans l'équivoque
01:21:37 lié à cette relation privilégiée qu'il avait avec les Etats-Unis.
01:21:40 -De Gaulle ne digérera jamais de ne pas avoir été informé
01:21:43 en temps et en heure de ce débarquement.
01:21:46 -Ca commence avec le débarquement de 1942.
01:21:48 -Il n'ira à aucune célébration du débarquement par la suite.
01:21:52 -Il est tout de même là, à Londres,
01:21:54 mais il n'est pas au courant de cela, il est tenu à l'écart.
01:21:57 Le premier débarquement dont ils ignorent tout,
01:22:00 qui est d'ailleurs assez baroque,
01:22:02 puisque les vichystes vont tirer sur les Alliés, etc.
01:22:05 -Ca nous ramène à novembre 1942. -C'est ça.
01:22:07 -Vous avez admiré la résistance de Churchill
01:22:11 par rapport à Roosevelt.
01:22:13 En fait, elle était extrêmement faible.
01:22:15 Il a été obligé de résister, pourquoi ?
01:22:17 Parce que son cabinet, et notamment Eden et Atlee,
01:22:21 ont refusé la rupture avec de Gaulle.
01:22:24 Donc, il a été obligé de dire...
01:22:27 Et le roi aussi, et sa femme aussi.
01:22:30 Et donc, il a été obligé de dire à Roosevelt,
01:22:35 "Je suis obligé, le Parlement est maintenant pour de Gaulle,
01:22:39 "l'opinion publique est pour de Gaulle,
01:22:42 "je peux pas rompre avec lui."
01:22:44 C'est ça.
01:22:45 Et donc, il a été...
01:22:49 Et de Gaulle, il le comprenait très bien, il l'a dit.
01:22:53 "Churchill me considère comme un meuble bien encombrant
01:22:58 "auquel il se heurte de temps en temps,
01:23:02 "mais qui fait maintenant partie du décor
01:23:06 "et qu'on ne peut plus déplacer."
01:23:08 Il en jouait. Il le savait.
01:23:10 A partir de fin 1943, il savait très bien
01:23:12 que les Anglais ne pouvaient pas céder à Roosevelt,
01:23:17 qui, lui, était atteint d'une grave maladie,
01:23:19 c'est une gaulophobie aiguë,
01:23:21 et que, ma foi, il fallait supporter.
01:23:24 -Il nous reste 3 minutes.
01:23:25 Vous avez commencé votre film avec cette journée
01:23:29 du 30 janvier 1965.
01:23:30 Ce sont les funérailles nationales de Churchill,
01:23:33 bien entendu de Gaulle.
01:23:35 -Un spectacle extraordinaire,
01:23:38 avec les grues qui se lèvent sur la tamise.
01:23:40 C'est inouï.
01:23:41 -Il aurait eu des mots très forts
01:23:43 vis-à-vis de... concernant Churchill de Gaulle,
01:23:47 à ce moment-là.
01:23:48 -Oui, mais c'est normal, c'est la fin, la réconciliation,
01:23:51 il n'y a plus de guerre, de crise,
01:23:53 mais les traînées, quand même, qui sont au centre du documentaire,
01:23:57 c'est quand même une tension permanente.
01:23:59 Vous allez me dire que c'est la guerre,
01:24:02 mais tout de même, ça n'arrête pas une seconde.
01:24:04 Du côté de de Gaulle,
01:24:06 il est tout le temps dans la guerre interne, intérieure.
01:24:10 Je voudrais évoquer une chose,
01:24:12 c'est qu'il y a dans le documentaire
01:24:14 une archive extraordinaire,
01:24:15 c'est celle de la conférence d'enfants, Casablanca,
01:24:18 où on les voit répéter... -Oui, bien sûr.
01:24:21 -Il sert les mains.
01:24:22 Vous allez serrer une deuxième fois la main de Giraud,
01:24:25 et de Gaulle qui disait "C'est ça, c'est ça".
01:24:28 -Une petite chose... -Et d'ailleurs, Roosevelt
01:24:30 a l'air de prendre un malin plaisir à refaire la brise.
01:24:33 Après-guerre, la relation entre les deux hommes,
01:24:36 jusqu'à la mort de... -Je voulais juste raconter
01:24:39 une anecdote que j'ai découverte
01:24:41 dans les mémoires de de Gaulle.
01:24:43 De Gaulle raconte, ça dit beaucoup de choses,
01:24:46 de la relation entre les deux hommes,
01:24:48 et aussi du goût du mythe, pas du mensonge,
01:24:50 une façon de mythifier l'histoire.
01:24:52 De Gaulle raconte sa dernière rencontre avec Churchill,
01:24:56 et Churchill, en première version,
01:24:59 De Gaulle écrit, "Churchill me dit 'amitié'".
01:25:02 Puis, De Gaulle reprend,
01:25:04 et il remplace le mot "amitié",
01:25:06 il fait dire à Churchill "Vive la France".
01:25:08 C'est extraordinaire, parce que c'est tout à fait...
01:25:11 C'est le dernier affrontement, il est littéraire, en quelque sorte.
01:25:15 -Oui, alors, petite chose dans le film,
01:25:19 vous dites...
01:25:21 Churchill maîtrisait bien le français.
01:25:25 C'est très indulgent,
01:25:28 parce que Churchill massacrait couramment le français,
01:25:32 mais son français, c'était de l'anglais décalqué.
01:25:37 -Pitoresque, d'ailleurs. -Mot à mot.
01:25:40 Et Churchill s'en rendait bien compte,
01:25:42 puisqu'il a dit ceci à De Gaulle,
01:25:45 en janvier 44, à Casablanca,
01:25:48 "Maintenant que le général
01:25:54 "parle si bien l'anglais,
01:25:57 "il comprend parfaitement mon français."
01:26:00 Effectivement, il fallait parler l'anglais
01:26:03 pour comprendre le français de Churchill.
01:26:06 -Et ce fameux jour du 30 janvier 65,
01:26:09 funérail de Churchill, De Gaulle enverra une lettre
01:26:12 à la reine Elisabeth II avec ses mots,
01:26:15 dans ce grand drame, il fut le plus grand.
01:26:17 Un grand merci à tous les trois d'avoir participé
01:26:20 à ce "Débat d'octobre" sur la base de votre film.
01:26:24 Il est exclusif pour notre chaîne,
01:26:26 "Pierre Assouline".
01:26:28 Les réactions seront nombreuses,
01:26:30 elles seront à trouver sur #DébatDoc.
01:26:32 Vous pourrez réagir, d'ailleurs,
01:26:34 à ce que seront les réactions de nos téléspectateurs.
01:26:37 Merci à Selma Salih et Sarah Udlin,
01:26:39 qui m'ont aidé à préparer cette émission.
01:26:41 Je vous retrouve pour un prochain "Débat d'octobre",
01:26:44 avec son documentaire et son débat.
01:26:47 A très bientôt.
01:26:48 SOUS-TITRAGE : RED BEE MEDIA
01:26:50 Générique
01:26:52 ...

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