- 06/01/2024
La paix ne pourrait passer que par la naissance d’un Etat binational. C’est la thèse du dernier livre de l’un des plus grands historiens israéliens. Shlomo Sand signe « Deux peuples pour un État ? » aux éditions du Seuil. Une réflexion sur les origines du sionisme et l’identité israélienne. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-grand-face-a-face/le-grand-face-a-face-du-samedi-06-janvier-2024-4341205
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00:10 Bonjour, bonjour et bienvenue dans le grand face-à-face, l'émission de débats et d'idées de France Inter.
00:15 Pour cette première émission de l'année 2024, nous ne changeons pas les bonnes habitudes.
00:19 Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne, et Gilles Finkelstein, secrétaire général de la Fondation Jean Jaurès, sont à mes côtés.
00:26 Ils sont prêts pour leur duel. Puis tout à l'heure, pour le débat, nous recevrons l'historien israélien Shlomo Sand,
00:31 qui poursuit son travail sur l'identité israélienne avec ce nouveau livre "Deux peuples pour un État" aux éditions du Seuil.
00:37 Un livre écrit avant la guerre actuelle, ce qui le rend particulièrement précieux un livre qui s'attache à revenir sur les origines du sionisme,
00:43 et selon lui, ses impasses. En quoi la guerre actuelle les illustrerait-elle ?
00:48 La perspective d'un État binational regroupant Israéliens et Palestiniens qui anime l'auteur est-elle aujourd'hui définitivement morte ?
00:55 Ces questions et bien d'autres, nous les poserons à notre invité Shlomo Sand, mais pour l'heure, c'est le duel.
01:00 Le grand face-à-face Thomas Négarof sur France Inter.
01:06 Bonjour Natacha et Gilles. Bonjour. Et bonne année à tous les deux. Je vous souhaite évidemment une très bonne année, ainsi que nos auditeurs.
01:13 Et surtout que vos résolutions à vous et à nos auditeurs soient tenues, je ne vous les demanderai pas, Natacha et Gilles.
01:19 Mais notre première résolution à nous, c'est de commencer évidemment le duel. Et vous avez voulu commencer par les voeux du président de la République, c'était dimanche dernier.
01:27 Et écoutez Emmanuel Macron, l'année qui s'ouvre sera unique pour notre pays.
01:31 2024 sera, vous l'avez compris, un millésime français. Parce que c'est une fois par décennie que l'on commémore avec cette ampleur notre libération.
01:41 C'est une fois par siècle que l'on accueille les Jeux olympiques et paralympiques. Et c'est une fois par millénaire que l'on rebâtit une cathédrale.
01:51 C'est une fois par génération que le destin de la suivante se joue comme sans doute il se joue maintenant.
02:00 2024, année de détermination, de choix, de régénération, de fierté. Au fond, une année d'espérance.
02:11 Natacha, un grand millésime, est-ce que ça veut dire que 2024 sera pour la France une année d'ivresse ?
02:17 Déjà je voudrais qu'on s'interdise dans les discours désormais cette expression "un millésime français", "un destin français", "une vie française"...
02:26 On l'avait jamais entendue ce millésime !
02:27 Je n'en peux plus ! Bref, ce qui était intéressant dans ces vœux, c'est d'abord la façon dont Emmanuel Macron est passé sur les problèmes,
02:36 comme l'eau sur les plumes du canard en particulier, dans son résumé de l'année 2023,
02:40 qui fut quand même une année légèrement agitée du point de vue politique et qui a révélé des failles démocratiques absolument terrifiantes.
02:50 Du début, c'est-à-dire la réforme des retraites, jusqu'à la fin, la loi immigration, on en avait parlé ici.
02:55 Alors c'est tout à fait normal pour des vœux de se tourner vers l'avenir et d'être extrêmement positifs.
03:02 Il ne faut peut-être pas non plus en faire trop.
03:05 Non, ce qui est intéressant également, au-delà de la thématique "un petit peu de pain et beaucoup de jeu",
03:10 c'est la question de cette espèce de petite incise à la fin que vous aurez notée,
03:16 à savoir la génération qui engage le destin de la suivante,
03:21 puisque derrière, Emmanuel Macron nous explique qu'il y a un référendum pour ou contre la paix,
03:26 pour ou contre la démocratie, pour ou contre l'Europe.
03:29 On n'était pas au courant, mais en fait ça s'appelle des élections européennes.
03:32 Le but est de faire des choix politiques pour savoir quelles lois on va voter sur les terres rares, la préservation des sols, etc.
03:41 Mais ça devient donc un référendum pour ou contre la paix ou la guerre.
03:45 Il y a là évidemment un jeu politicien tout à fait compréhensible.
03:49 Il s'agit de dramatiser pour essayer de créer un duel avec le Rassemblement National.
03:54 C'est facile. Je pense que c'est très largement en dessous des enjeux.
03:58 Et que si Emmanuel Macron choisit, alors on aura noté également qu'il choisit de remercier Elisabeth Borne,
04:06 et remercier est visiblement le mot, mais la question est de savoir pourquoi faire.
04:12 Puisque rien dans ses voeux ne laisse entendre une quelconque réflexion politique sur les enjeux essentiels,
04:19 crise du logement, pouvoir d'achat.
04:22 Donc le changement qui s'annonce sera-t-il de pure forme ?
04:28 On sait qu'Emmanuel Macron nous a promis un grand rendez-vous qui fera suite au grand débat, au CNR, aux rencontres de Saint-Denis,
04:38 c'est-à-dire à tous, qui n'a pas permis de réparer la démocratie représentative.
04:42 Donc on voit mal, étant donné ce qui s'esquisse, en quoi ça ferait mieux cette fois-ci ?
04:48 Gilles, après ces mots, je retiens quand même l'expression très bonne, un peu de pain, beaucoup de jeux.
04:55 Évidemment, allusion à Juvenal et aux Jeux Olympiques, bien sûr, qui arriveront en 2024.
04:59 Il faut reconnaître que c'est toujours un exercice difficile que celui des vœux, et a fortiori lorsque ce sont les septièmes.
05:06 Et ce n'est sans doute pas le meilleur millésime Macron pour reprendre sa formule.
05:13 Je trouve qu'il y a eu une formule étrange et un rendez-vous mystérieux.
05:18 La formule étrange, on l'a entendu d'un mot, c'était « qualifier l'année 2024 comme une année de détermination ».
05:25 Comme si on pouvait préférer l'indétermination à la détermination, et comme si, surtout, la détermination indiquait une direction et pas seulement une volonté.
05:38 La détermination, ce n'est pas une qualité en soi.
05:42 Et donc, c'était la première chose.
05:44 Et puis la deuxième chose, le rendez-vous mystérieux, Natacha y a fait allusion, c'est ce rendez-vous avec les Français,
05:50 donc dans les semaines qui viennent, dont on ne sait pas beaucoup plus.
05:54 En fait, on a une petite idée de la manière dont Emmanuel Macron veut jalonner l'année 2024,
06:01 des Jeux Olympiques, Notre-Dame, les 80 ans de la Libération, le sommet de la francophonie.
06:08 On voit à ce stade moins bien comment il veut relancer ou même lancer ce quinquennat.
06:14 Il y a peut-être une chose qu'on sait davantage, c'est ce qui ne va pas se passer.
06:18 Et parmi les différentes armes dont dispose Emmanuel Macron, en gros, il y en a trois, la dissolution, le remaniement, le référendum.
06:26 La dissolution dont Emmanuel Macron avait parlé dans une formule étrange à la fin de l'année en parlant de la dissolution des esprits,
06:34 mais la dissolution de l'Assemblée nationale, on voit que ça, ça n'aura pas lieu.
06:40 Et ça me paraît en réalité assez logique, puisque la dissolution, c'est la rencontre d'un intérêt et d'une circonstance.
06:48 L'intérêt, on ne voyait pas vraiment quel pouvait être l'intérêt d'Emmanuel Macron à dissoudre l'Assemblée nationale.
06:54 Mais c'est ça qui est intéressant, c'est qu'il considère que les circonstances ne le nécessitent pas.
07:00 Parce que, et c'est ce en quoi je crois que cette interview était intéressante, cette cérémonie, c'est qu'on est beaucoup dans la continuité.
07:08 Et Emmanuel Macron lui-même a dit qu'on est loin de l'impuissance et aucun autre pays n'a autant réformé que nous.
07:18 Et donc, pas de dissolution, reste le remaniement, reste peut-être aussi le référendum.
07:23 J'ai quand même une autre question sur l'extrait qu'on a entendu.
07:26 On évoque souvent ici la division des Français, que vous documentez dans vos rapports de la Fondation Jean Jaurès,
07:31 ou que vous ne cessez d'évoquer, Natacha, à ce micro.
07:35 Est-ce que vous pensez que les événements à venir, la réouverture de Notre-Dame, la fin des travaux de Notre-Dame,
07:43 premier en 2024, finir en 2024, les Jeux Olympiques, ça va quand même être un grand rendez-vous national,
07:47 ou encore le 80e anniversaire du 6 juin 1944, est-ce que tout ça, ce n'est pas quand même des choses importantes à venir ?
07:53 On ne peut pas les balayer d'un revers de la main.
07:55 Certainement pas, et en effet ce sont des événements qui sont susceptibles d'apporter une forme de fierté et de rassembler.
08:03 Le problème c'est que c'est un rassemblement extrêmement éphémère, puisqu'il est fondé uniquement sur quelque chose de symbolique,
08:10 qui n'a rien à voir avec la constitution d'une communauté nationale, c'est-à-dire d'une communauté de citoyens décidant de leur destin.
08:16 Il n'y a que ça qui peut nous rassembler à long terme, et c'est cela qu'Emmanuel Macron s'ingénie à ne pas mettre en œuvre.
08:23 On l'a entendu Emmanuel Macron parler d'espérance dans ses vœux.
08:31 Un indicateur qui ne traduit pas vraiment l'espérance dans l'avenir, c'est la natalité.
08:36 Les chiffres en France deviennent plutôt inquiétants.
08:39 On écoute l'analyse de Chloé Tavant, chef de la division enquête et études démographiques.
08:43 Aline, c'est l'été jeudi sur France Inter.
08:45 Ce qu'on voit, c'est qu'il n'y a pas de gros chocs démographiques sur la population.
08:48 On n'est pas dans une période de baby-boom ou d'effet ricochet de baby-boom.
08:52 Le nombre de femmes en âge de procré, lui, il est relativement stable.
08:55 Ce qu'il joue, c'est vraiment la baisse de la fécondité, c'est-à-dire de la propassion à avoir des enfants.
09:00 Pour le résumer, on peut dire que la situation de la natalité en France aujourd'hui,
09:04 c'est le dicton "quand je me regarde, je me désole et quand on part, je me console".
09:09 Gilles, votre regard sur la question démographique, qui est une question toujours ultra-politique,
09:15 qui raconte vraiment une vision d'avenir, une perspective pour une population.
09:19 Ultra-politique et ultra-structurante.
09:21 Parmi les sujets les plus structurants, il y a sans doute le climat et la démographie.
09:26 Et il y a les deux dimensions dans l'extrait qu'on vient d'écouter qui sont intéressantes.
09:30 Il y a à la fois une bonne nouvelle qui est le nombre.
09:32 Nous sommes maintenant 68 millions de Français.
09:36 On écoutait juste avant notre émission la chanson de Zao de Sagazan.
09:41 Quand on se reporte au milieu des années 60, Jacques Dutronc chantait dans "Et moi, et moi, et moi".
09:47 C'était 50 millions de gens imparfaits.
09:51 "Et moi, et moi, et moi".
09:52 Dix ans plus tard, Renaud, dans "Hexagone", chantait "Si le roi des cons perdait son trône, il y aurait 50 millions de prétendants".
10:01 Donc, on était à peu près, en réalité, on était un tout petit peu plus nombreux déjà.
10:04 Mais 50 millions, on est à 68 millions 50 ans plus tard.
10:08 Et l'Italie qui comptait le même nombre d'habitants en 1975, en a aujourd'hui 10 millions de moins que nous.
10:14 Donc ça, c'est "Si je me compare, je me console".
10:18 Mais il y a l'autre dimension qui est, je crois, la mauvaise nouvelle, qui est ce que l'on appelle le "solde naturel", l'évolution du solde naturel.
10:26 C'est-à-dire le rapport entre le nombre de décès et le nombre de naissances.
10:30 On n'a pas encore le chiffre définitif, mais il sera parmi les plus bas depuis l'après-guerre.
10:36 Parce qu'on a à la fois beaucoup plus de décès, la population vieillit, et on a beaucoup moins de naissances.
10:42 Beaucoup moins de naissances sur la longue période, parce qu'il y a moins de femmes en âge de procréer.
10:47 Mais aussi, et c'est tout le débat, parce que le taux de fécondité, c'est-à-dire le nombre d'enfants par femme,
10:55 alors il n'est pas dramatique, il est beaucoup plus haut que dans beaucoup d'autres pays.
11:00 On est aux alentours de 1,8, 1,85, mais il est bas.
11:05 Et je crois que le débat est de savoir pourquoi.
11:08 Oui, le vrai débat est de savoir pourquoi, sachant que j'ai toujours en tête l'étude de la Fondation Jean Jaurès sur la société idéale,
11:16 qui montrait que le nombre d'enfants souhaités est beaucoup plus important que le nombre d'enfants effectifs.
11:22 Ce qui signifie qu'il y a bien une question politique et sociale, qui est de savoir comment on peut faire en sorte que les Français aient autant d'enfants qu'ils en rêveraient.
11:32 Est-ce que ce n'est pas un tabou aujourd'hui de parler de politique nataliste en France ?
11:36 J'entends depuis des années, en effet, dès qu'on parle de politique nataliste,
11:41 toute une part du champ politique serait criée en expliquant que ce serait quelque chose de ringard, de réac, voire de pétainiste.
11:51 C'est évidemment. Travaille, famille, patrie, Pétain a fait beaucoup de mal, mais comme disait De Gaulle,
11:56 il n'a jamais travaillé, il n'a pas eu d'enfants et il a trahi sa patrie.
12:00 Donc, la question n'est pas là. La question est de savoir quel est l'enjeu exactement.
12:05 Ce n'est pas juste un enjeu de puissance ou un enjeu fantasmé sur la grandeur de la nation.
12:11 D'abord, c'est un enjeu de préservation du modèle social. C'est un enjeu de préservation également d'un modèle civilisationnel.
12:18 Si on estime qu'en effet, il est un petit peu plus agréable de vivre en France et en Europe que dans d'autres régimes dans le monde,
12:27 eh bien, il faut perpétuer cela. Et pour ça, il faut transmettre des valeurs.
12:30 Et pour transmettre des valeurs, il faut des gens à qui les transmettre.
12:33 Et puis, c'est une question de bonheur à la fois individuel et collectif.
12:37 Et la question que révèle Gilles Ladi, la question qui est révélée par ces chiffres, c'est la question du rapport à l'avenir.
12:45 Il y a très certainement dans cette baisse une question qui est liée à l'incertitude face à l'avenir,
12:52 à la fois les inquiétudes sur l'état du monde, sur l'état du climat, tout ce genre de choses.
12:58 Et puis, des raisons, j'allais dire, libertaires de rapport à l'existence qui font qu'on a des individus aujourd'hui
13:05 qui sont moins dans le dépassement du cadre de leur propre vie et plus dans la tentative de jouir de cette vie du mieux qu'on peut.
13:15 Et dans ce cadre-là, un enfant peut être une contrainte s'il n'y a pas d'aide suffisante des pouvoirs publics.
13:22 J'ajoute une chose, un chiffre aussi, 80 millions d'animaux de compagnie en France.
13:27 Ça a l'air anecdotique, mais c'est assez intéressant de constater que toutes les études montrent que de plus en plus de Français
13:35 considèrent qu'un animal de compagnie, un chien ou un chat, est un membre à part entière de la famille.
13:39 Le changement de rapport aux animaux fait partie de cette équation, à mon avis, qui est extrêmement intéressante
13:47 sur la façon dont les individus se ressentent, se vivent.
13:50 Vous avez raison, d'ailleurs j'embrasse mon chat.
13:52 Si je reviens sur cette question de l'écart entre le nombre d'enfants désirés et le nombre d'enfants réels,
13:58 qui doit être une préoccupation de notre société, Natacha a évoqué qu'on ne sait pas répondre à cette question.
14:05 Donc il y a des hypothèses.
14:06 Il y a une première hypothèse qui est, Natacha l'a évoquée, la difficulté à projeter ses enfants dans le monde de demain.
14:12 C'est l'éco-anxiété, ça peut être le retour des guerres, y compris sur notre continent.
14:18 Et puis il y a des questions qui peuvent être des questions plus immédiates, des questions de conditions matérielles.
14:24 Il y a ce qu'a évoqué Natacha, il y a aussi d'autres sujets.
14:29 La question du logement, par exemple, qui pèse de manière considérable et pour beaucoup de familles,
14:35 avoir un enfant ou avoir un enfant supplémentaire, ça veut dire déménager et c'est un coût qui est parfois insurmontable.
14:42 Il y a la question qui est de plus en plus intégrée par beaucoup de femmes du frein dans la carrière que cause la maternité.
14:51 Et donc il y a tout un éventail de sujets sur lesquels on ne sait pas exactement quels vont être les leviers,
14:57 mais sur lesquels il faut agir.
15:00 Vous vous souvenez qu'il y a deux ou trois ans avait été lancée la mission de Boris Cyrulnik sur les mille jours.
15:06 Oui, les premiers mille jours.
15:08 Les premiers mille jours, où est-elle ? On ne sait pas. La politique du logement, elle est à l'arrêt.
15:14 Et puis il y a une dernière dimension qu'on n'a pas évoquée dans la démographie, parce que ça, c'est sur les naissances.
15:19 Mais il y a un élément qu'on sait avec certitude, c'est que notre population vieillit.
15:24 Et aujourd'hui, depuis maintenant quelques jours, ma prime adapte est rentrée en vigueur,
15:29 c'est-à-dire la possibilité pour les personnes, je crois, de plus de 70 ans d'adapter leur logement pour pouvoir rester chez eux.
15:36 En revanche, on sait qu'à partir de 2030, c'est le pourcentage de personnes de plus de 85 ans qui va exploser.
15:43 Et cette loi grand âge qu'Emmanuel Macron a promis, puis promis, puis promis,
15:48 pour l'instant, il ne s'est rien passé. Si on veut anticiper, c'est maintenant.
15:53 Du baby-boom au papy-boom.
16:00 Son héritage est immense. Jacques Tellor a créé l'Union européenne comme nous la connaissons,
16:06 avec son identité propre, avec sa propre monnaie, l'euro, et avec Erasmus, par exemple, le programme d'éducation européen pour la jeunesse.
16:17 En somme, Jacques Tellor a donné une âme à l'Union européenne.
16:22 Il était pour moi exceptionnel et un vrai modèle parce que son exemple m'a appris beaucoup.
16:30 La meilleure amie de Natacha Polony, Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne au sujet de son illustre prédécesseur Jacques Tellor,
16:37 à l'occasion de l'hommage national rendu à l'un des pères de l'Europe, disparu le 27 décembre dernier.
16:43 Gilles, quel héritage et quel héritier ?
16:46 Je commence par l'héritage. Ce qui m'a frappé dans les commentaires qui ont suivi le décès de Jacques Tellor,
16:54 c'est que ses contempteurs comme ses tuériféraires ont souligné une forme d'unité entre le style de l'homme,
17:03 entre ses convictions social-démocrates et son action européenne.
17:07 Après, pour s'en réjouir ou pour le déplorer, mais je crois que c'est assez juste et comme ce n'est pas toujours le cas chez les responsables politiques,
17:14 ça mérite d'être souligné. Après, sur l'Europe, qui a été quand même la grande oeuvre de Jacques Tellor,
17:22 même si je le dis quand même en passant, il ne faut pas oublier ce qu'il a fait comme ministre de l'économie entre 1980 et 1985
17:30 et notamment à un moment où les Français mesurent le poids du retour de l'inflation.
17:37 On a eu ces dernières années une inflation qui était à 5-6%. Jacques Tellor est arrivé au pouvoir avec Pierre Mauroy comme Premier ministre
17:45 et François Mitterrand comme Président de la République avec une inflation qui était à deux chiffres, qui était à 12-14%.
17:51 Et c'est lui qui a contribué et ça c'est un élément qui est très important, y compris et d'abord pour les milieux populaires.
17:58 Mais je reviens et je termine juste par ça sur l'Europe. Ce qui me semble intéressant dans le bilan européen de Jacques Tellor,
18:06 au-delà de la volonté d'équilibre entre l'économie et le social, c'est une volonté d'un projet politique.
18:15 En réalité, de créer une identité européenne, de conforter une identité européenne.
18:21 Alors on a évoqué Erasmus, on peut évoquer Schengen, le passeport européen, le droit de vote des Européens aux élections locales, l'euro évidemment.
18:33 Tous ces éléments-là étaient pensés pas seulement pour eux-mêmes mais comme créateurs d'une identité culturelle.
18:39 Et puis un dernier mot, je trouve une des grandes forces de Jacques Tellor et qu'on a perdu depuis, c'était la capacité à projeter l'Europe loin.
18:49 C'est-à-dire à se fixer des objectifs à 5 ans, à 10 ans. Lorsqu'il lance le marché unique, c'est pour 7 ans après.
18:57 Lorsqu'il lance la monnaie unique, c'est pour dans 10 ans après. Et depuis, l'Europe a réussi tant bien que mal à réagir aux événements,
19:05 mais beaucoup moins à se projeter dans l'avenir.
19:08 Natacha, Jacques Tellor c'est l'homme de l'acte unique en 86, l'homme de Maastricht en 92, l'homme du marché unique, marché commun puis unique avec lui,
19:15 de la monnaie commune puis de la monnaie unique. Il y a un mot que Ursula von der Leyen employait, c'est le mot de "âme".
19:22 Et c'est vrai que Jacques Tellor parlait beaucoup de ça. Il disait beaucoup "si on n'arrive pas à donner une âme à l'Europe, le projet est mort".
19:27 Est-ce qu'il a réussi à donner une âme à l'Europe, Jacques Tellor ?
19:30 Je crois justement qu'il incarne une Europe qui a perdu son âme. Ce qui est extrêmement paradoxal.
19:41 Je trouve ça très intéressant, c'est-à-dire que le sujet Jacques Tellor, je pense que c'est le sujet sur lequel Gilles et moi avons les visions les plus radicalement différentes.
19:51 Et ce n'est pas anecdotique, parce qu'en fait, il incarne une certaine vision de la gauche, qui à mon avis, de deuxième gauche, était devenue première droite.
20:01 C'est-à-dire que derrière l'hommage immense qui consiste à dire qu'il fut un grand Européen, je pense qu'il faut saluer chez lui,
20:10 cette dimension profondément humaine, cette humilité, ce refus de la guerre des égaux qui a détruit la politique.
20:19 Et ça fait partie de cette figure qui a été saluée. Mais si on regarde le bilan politique,
20:27 Gilles a eu tout à fait raison de rappeler la période où il fut ministre des Finances et ministre de l'Économie.
20:32 Et son bilan, c'est tout de même la désindexation des salaires qui a fait en sorte que l'inflation ne soit plus une boucle prix-salaires,
20:44 mais une boucle prix-profit, c'est ce que nous avons vu ces dernières années.
20:47 Il a également, certes, lutté contre l'inflation, mais au prix d'une politique qui était une politique de monnaie forte,
20:56 qui allait dans le sens de l'harmonisation monétaire européenne, mais qui a abouti à une désindustrialisation absolument catastrophique.
21:06 C'est-à-dire que le bilan pour les classes populaires, le bilan de Jacques Delors, est terrifiant.
21:11 Et en fait, il est celui qui a adapté l'Union Européenne à la vague néolibérale qui s'était entièrement répandue dans le monde à partir de la fin des années 1970.
21:23 C'est-à-dire qu'il a adopté tous les dogmes du néolibéralisme, la dérégulation, la libre circulation des hommes, des capitaux, des marchandises,
21:31 qui a fait de l'Union Européenne un espace de concurrence généralisée.
21:36 C'est d'ailleurs lui qui a introduit le terme de compétitivité comme un élément quasi obsessionnel dans le discours du Parti Socialiste,
21:44 parce qu'en fait, c'était sous prétexte de pragmatisme, une acceptation des règles du marché dérégulé.
21:52 Et je pense que le bilan doit être d'autant plus important à faire sur Jacques Delors et sur ceux qui ont travaillé avec lui,
22:01 Jean-Père Levade, Pascal Lamy, c'est-à-dire tous ces grands Européens qui ont en fait démantelé toute la structure sociale en Europe.
22:13 Ce bilan doit être fait parce qu'on nous laisse croire qu'il n'y a qu'une seule Europe possible et que c'est celle qu'a voulue Jacques Delors,
22:20 qui était l'Europe économique, on nous prétendait qu'elle serait un jour sociale et tout le monde est forcé de constater que le social n'est jamais venu.
22:27 - Gilles, comment vous répondez à ce portrait au vétriol du bilan de Jacques Delors ?
22:32 Est-ce qu'il est le fils caché de Friedrich von Hayek et de Ronald Reagan ?
22:35 - Et le cousin de Schäuble ?
22:38 - Oui, on peut continuer là, sinon je crois que là ça va un peu loin.
22:42 Jacques Delors utilisait une formule qui était la concurrence qui stimule, la solidarité qui unit, la coopération qui renforce.
22:52 Et de cette triade, Natacha ne retient que le premier mot.
22:56 Lorsqu'il crée les fonds structurels par exemple, qui augmentent la solidarité entre les régions les plus pauvres et les régions les plus riches,
23:07 ce n'est pas seulement de la concurrence. Lorsqu'il lance les premières conventions collectives européennes, là aussi c'est de la solidarité.
23:14 Donc quand je disais "du temps" de Delors, parce que cet équilibre entre l'économique et le social, il a été rompu après,
23:21 au fur et à mesure d'ailleurs que le rapport de force entre la gauche et la droite s'est inversé.
23:26 Pour autant, je ne suis pas du tout aveugle et sur cette question de l'âme que vous avez évoquée et que citait Ursula von der Leyen,
23:36 je pense qu'il y a eu une illusion qu'on a sans doute partagée beaucoup.
23:40 J'ai été frappé dans l'excellent hommage que Pascal Lamy rend à Jacques Delors chez nos amis du grand continent.
23:50 Il utilise la formule suivante, il dit "le plomb économique ne s'est pas transformé en or politique".
23:56 Et il dit de manière même plus précise, je crois que c'est très juste, que le déficit démocratique n'est pas de l'ordre du Kratos,
24:03 c'est-à-dire des institutions, mais du démos, c'est-à-dire du déficit d'appartenance.
24:08 Et ça, le sentiment d'appartenance, d'ailleurs nous allons en parler avec Shlomo Sand dans un instant,
24:14 eh bien il prend beaucoup plus de temps que simplement la constitution d'un marché ou même la constitution d'une monnaie, d'un passeport ou d'un droit de vote.
24:23 C'est intéressant ça Natacha, parce que Jean Monnet avait aussi cet objectif de commencer par l'économique
24:27 et qu'ensuite le politique viendrait naturellement. Est-ce que c'est l'erreur majeure des pères de l'Europe ?
24:31 Alors, je pense que quand on regarde véritablement tous les textes de Jean Monnet, et en effet il y a un lien, c'est cette même vision qu'avait Jacques Delors,
24:39 c'était pas seulement de commencer par l'économie, c'était d'utiliser l'économie pour forcer le politique et pour forcer la dimension démocratique.
24:49 Et c'est cela qui a posé problème. C'est-à-dire qu'il y a eu systématiquement contournement de tous les éléments démocratiques
24:57 pour essayer de construire une Europe dont on n'expliquait pas aux Européens qu'elle allait les protéger.
25:04 Mais dont on a fait ce que je disais, à savoir cette espèce de grand marché totalement dérégulé,
25:10 qui a détruit toute une part du tissu social puisque ça a permis en fait, alors Jacques Delors essayait de contrebalancer cela,
25:19 mais les structures qui l'ont mis en place ont permis ensuite le dumping fiscal, le dumping social, c'est-à-dire la mise en concurrence généralisée.
25:27 On ne peut pas créer un sentiment d'appartenance quand on crée une mise en concurrence des peuples au sein d'une entité.
25:33 Et Erasmus ne suffit pas ensuite à créer un sentiment d'appartenance. J'ajoute qu'on n'a jamais aussi peu appris l'allemand en France
25:40 et aussi peu appris le français en Allemagne, ce qui en termes de construction d'une appartenance commune me semble assez significatif.
25:48 C'est-à-dire que la dimension culturelle de l'Europe, à part Erasmus, elle n'a jamais été pensée.
25:54 Gilles, est-ce qu'il y a une illusion Delors aussi ?
25:57 D'abord, le désaccord avec Natacha n'est pas levé par ce débat, il aurait été surprenant qu'il le fût et donc nous pourrons...
26:07 On y reviendra.
26:08 Est-ce qu'il y a eu une illusion Delors ? Je ne crois pas. Il y a eu en revanche un point sur lequel il a été beaucoup évoqué après sa mort
26:19 qui était cette idée du président de la République que l'on n'a pas eu et qui aurait été élu.
26:25 Et là aussi, je peux porter aussi un regard critique sur des gens que j'aime bien.
26:32 Je crois que c'est allé un peu vite en besogne, qu'en réalité le moment politique de 1994-1995 était plutôt un moment d'alternance
26:41 et je vais même plus loin, je ne suis pas certain que Jacques Delors qui était un grand homme d'Etat
26:46 aurait été un grand chef politique pour mener la bataille pour la gauche, comme quoi je peux aussi prendre de la distance par rapport aux gens que j'aime bien.
26:56 Allez, c'est l'heure du débat, du Grand Face à Face.
26:58 France Inter, le Grand Face à Face. Le débat.
27:03 Bonjour Shlomo Sand. Bonjour.
27:05 Vous êtes arrivé hier en provenance d'Israël. Israël où vous enseignez l'histoire à l'université de Tel Aviv.
27:12 Vous êtes l'un des plus grands historiens israéliens, l'un des représentants de ce qu'on a appelé les nouveaux historiens
27:18 qui revisitent depuis quelques décennies maintenant avec un regard critique le roman national israélien.
27:23 En témoigne votre dernier livre "Deux peuples pour un Etat" publié aux éditions du Seuil que nous avons lus,
27:29 qui nous a passionné, un livre écrit bien avant la guerre, déclenché par l'attaque terroriste du Hamas le 7 octobre dernier.
27:35 Un livre qui revient sur le sionisme et sur ses impasses.
27:38 On va largement revenir sur votre livre qui permet de comprendre ce qui se joue aujourd'hui.
27:42 Mais une première question aux militants de la paix que vous êtes depuis plus de 50 ans. Comment allez-vous ?
27:47 Mal. Ça veut dire que ce n'est pas facile aujourd'hui de vivre à Tel Aviv avec des enfants, des petits-enfants,
27:56 les sirènes, les bombes, mais c'est plus difficile à Gaza qu'à Tel Aviv. Heureusement pour moi, personnellement.
28:06 C'est très difficile. Je crois que je n'ai pas passé une époque pareille dans ma vie.
28:11 J'ai passé des guerres et j'ai participé aux guerres. Mais je crois que la situation actuelle est grave et pour le moment sans issue.
28:22 C'est-à-dire qu'on ne voit pas comment on va sortir.
28:25 Pour vous, la paix ne pourra passer demain que par la naissance d'un Etat binational.
28:30 Vous nous expliquerez pourquoi et comment ce miracle pourrait advenir, surtout quand on entend les propos tenus cette semaine
28:36 par un membre éminent du gouvernement Netanyahou, son ministre de la Sécurité nationale, Itamar Benvir,
28:41 sioniste religieux, chef du parti d'extrême droite pro-colon, force juive.
28:45 Nous devons promouvoir une solution qui encourage l'émigration des habitants de Gaza.
28:51 C'est une solution correcte, juste, morale et humaine. J'en appelle au Premier ministre et au nouveau ministre des Affaires étrangères.
29:02 C'est l'occasion de planifier un projet d'immigration et d'encourager la migration des habitants de Gaza vers les pays du monde.
29:14 En somme, une épuration ethnique de l'enclave palestinienne et sa recolonisation après le retrait israélien qui avait eu lieu sous Sharon en 2005.
29:23 Comment est-ce que vous entendez ces propos qui font débat, y compris au sein du gouvernement,
29:27 et comment vous les entendez, notamment par rapport à votre recherche historique sur le sionisme ?
29:32 À mon avis, c'est grave. Heureusement que le reste du gouvernement israélien ne s'exprime pas comme ça,
29:41 parce que la position d'Israël, dont la diplomatie est déjà grave, et avec des propos comme ça, ça aggrave toutes les choses.
29:50 Beaucoup en Israël rêvent de se débarrasser des Palestiniens de Gaza et peut-être de tous les Palestiniens qui vivent jusqu'à la rivière de Jordanie.
30:00 Mais pour le moment, il n'y a pas une politique déclarée d'épuration.
30:07 Bibi Netanyahou jamais n'a pas dit ça, mais je dois souligner qu'il n'y a pas d'autre solution.
30:13 Personne ne propose pas vraiment quelque chose, même pas Biden, pour sortir de cette guerre bête qui a commencé le 7 octobre.
30:23 Mais le sentiment général en Israël n'est pas plus à droite ou plus à gauche, c'est très intéressant,
30:30 mais plus sceptique de tous les côtés. C'est-à-dire un sentiment profond qu'on n'a pas vécu, qu'on ne sait pas ce que l'avenir nous promet.
30:42 - Gilles Finkielstein, pour prolonger, et ça arrive jusqu'à votre livre,
30:47 vous venez de dire que beaucoup en Israël rêvaient de se débarrasser des Palestiniens,
30:51 beaucoup rêvent aussi de se débarrasser de Benjamin Netanyahou comme Premier ministre.
30:56 Est-ce que ce départ, cette démission, pour vous c'est un enjeu, voire un objectif ?
31:03 Ou est-ce que vous formulez une critique indifférenciée envers les différents gouvernements ?
31:09 Et quelle est l'importance de ce qui s'est passé cette semaine entre la décision de la Cour suprême
31:14 et surtout l'annonce par le chef d'état-major des armées de l'ouverture d'une enquête sur ce qui s'est passé le 7 octobre ?
31:22 - Très bonne question, sauf qu'il n'y a pas de rapport direct entre le développement, si vous voulez,
31:31 politique juridique israélien et les conflits israélo-palestiniens.
31:35 Hélas, c'est-à-dire que je participais au mouvement de contestation. Contre quoi ?
31:42 L'effort de certains droits israéliens, surtout de Bibi Netanyahou, réduire...
31:49 Je vais utiliser un terme qu'on n'aime pas en français, parce qu'en France,
31:54 le libéralisme n'est pas très très populaire dans les dictionnaires de gauche.
32:00 Et Bibi Netanyahou voulait réduire le côté libéral. Vous disiez "démocratique",
32:06 mais je n'utilise pas ce terme dans le contexte du pluralisme profond, culturel, politique.
32:13 Je préfère le mot "libéralisme". Donc le gouvernement israélien, dirigé par les droits et l'extrême droite,
32:19 voulait commencer à réduire le libéralisme et le pluralisme politique et juridique israélien.
32:25 Voilà, il y avait une contestation de masse, que je soutenais évidemment,
32:30 mais je réclamais, je disais qu'on ne peut pas être démocratique et libéral jusqu'à la frontière de 1967,
32:37 et continuer après 56 ans, garder une population entière sans que des droits juridiques,
32:42 sans que des droits civiques. C'est l'article que j'ai publié dans l'Ares à cette époque.
32:47 Mais je soutenais quand même les protestations. Mais il n'y a pas de rapport direct entre les deux.
32:53 Et voilà, le 7 octobre est venu et cassé quelque chose de très important,
32:58 que les gens ont pensé qu'ils pouvaient vivre dans une démocratie libérale,
33:02 avec les territoires occupés, avec les gaz à fermer.
33:07 Et j'ai réclamé tout le temps que ça ne marche pas.
33:12 Et voilà le 7 octobre tragique qui a changé tout.
33:16 - Natacha ? - D'abord je voudrais souligner à quel point votre livre est absolument passionnant,
33:21 et j'invite tout le monde à le lire, parce que pour ma part, il m'a ébranlé.
33:25 Je faisais partie de ces gens qui plaidaient pour deux États avec l'idée qu'il faudrait démanteler,
33:31 voire de façon brutale, les colonies en Cisjordanie.
33:34 Vous avez ébranlé mes convictions par cette réflexion extrêmement profonde
33:39 sur toute l'histoire du sionisme, et sur l'émergence à intervalles réguliers d'intellectuels
33:45 essayant de penser cette solution d'un État binational.
33:49 Encore faut-il, et vous allez le faire je l'espère, définir ce qu'on entend bien par État binational,
33:53 c'est-à-dire avec des droits individuels et des droits collectifs de chacune des deux entités.
33:59 Mais la question qui se pose au fur et à mesure de votre livre,
34:03 c'est la question de l'échec de cette position.
34:07 Est-ce qu'elle est liée à une vision qui, au fond, était intrinsèquement ethniciste ?
34:14 Nationaliste ?
34:16 Et est-ce qu'aujourd'hui, la dimension religieuse,
34:20 notamment, non seulement du côté israélien, mais du côté palestinien,
34:24 ne rend pas les choses encore plus difficiles ?
34:27 Je le mensure, oui.
34:29 C'est une question qui inclut toutes les choses ensemble.
34:32 Vous savez, à partir de 1967, j'étais soldat à Jérusalem.
34:37 Hélas, j'ai conclu avec des autres à Jérusalem.
34:40 Et en retournant de la guerre de 1967, j'étais pour deux États.
34:44 C'est-à-dire, je dis qu'il faut une retraite,
34:47 et travailler pour un certain consensus avec les Palestiniens.
34:52 À cette époque, à mon avis, le peuple palestinien est né.
34:56 Il n'y avait pas de Palestiniens vraiment avant.
34:59 1964 et 1967.
35:01 Et à partir de 1967 jusqu'à il y a deux ans, deux, trois ans,
35:05 j'ai toujours été, même que j'étais à l'extrême gauche,
35:08 et même que j'étais à gauche, j'étais pour deux États.
35:11 Et je ne suis pas contre deux États aujourd'hui.
35:14 Mais moins ou moins, les derniers deux ans,
35:17 j'ai senti à l'aise de répéter ça, deux États pour deux peuples.
35:21 Pour être franc, pas seulement parce que je pensais
35:26 que c'était une rhétorique vide,
35:29 et après qu'il y a 800 000 Israéliens qui vivent
35:34 dans la Cisjordanie aujourd'hui,
35:37 vous devez savoir six ministres israéliens
35:40 vivent dans les territoires occupés.
35:42 Le chef d'état-major israélien, qui n'est pas d'extrême droite,
35:46 il vit dans les territoires occupés, c'est-à-dire après 1967.
35:50 Tous ces effets.
35:52 Plus aussi que j'ai commencé à jouer un peu,
35:55 au début ce n'était pas sérieux.
35:57 Et j'ai été vraiment, ce livre, relativement plus modéré
36:01 d'un point de vue théorique que mes autres livres,
36:04 parce que j'expose une certaine tendance dans le zionisme
36:07 que j'ai mal connue avant.
36:09 Je n'étais pas zioniste, je ne suis pas zioniste,
36:11 je ne me définis pas comme anti-zioniste,
36:13 mais je n'étais pas zioniste.
36:14 Et je ne savais pas que Dér Khadam,
36:17 que le public français ne connaît pas,
36:19 c'est un des fondateurs du zionisme spirituel.
36:23 C'est le fondateur.
36:24 Jusqu'à Ali Beytiashoua, mon ami l'écrivain,
36:28 à la fin de sa vie,
36:30 on a toujours pensé qu'un état juif,
36:35 vraiment juif, pur,
36:37 au Proche-Orient n'a pas une chance de survie.
36:40 Pour vous donner un exemple très fort,
36:42 Hannah Arendt, qui est une partie de mon livre,
36:45 Hannah Arendt, à 48,
36:48 comme en la fin on a bâti un état juif,
36:51 elle a dit « Chaque 10 ans, il y aura une guerre ».
36:54 Elle ne s'est pas trompée tellement.
36:57 Elle était aussi pour un état binational à 48,
37:01 elle a dit « Un état juif pur au Proche-Orient,
37:04 face au monde arabe, n'a pas une chance de survie ».
37:06 - Shlomo Sandé, ce que ça veut dire ?
37:07 On a entendu tout à l'heure Benvir,
37:09 les zionistes religieux qui veulent chasser les Arabes
37:12 pour un état purement juif,
37:14 sont les plus grands dangers pour Israël ?
37:18 - Je n'ai pas réfléchi.
37:19 Oui, ils sont un danger immédiat,
37:23 et au moins d'un point de vue public, mondial,
37:27 ça fait beaucoup de mal aux Israëls.
37:30 Mais vous savez, parfois, ça aussi sur la France,
37:34 ce n'est pas toujours l'extrême droite qui les menace,
37:37 c'est parfois les centres qui ne savent pas décider
37:40 et faire une vraie politique différente,
37:43 qui est un plus de danger pour les nations que l'extrême droite.
37:47 Ça arrivait aussi en France, excusez-moi.
37:49 Donc j'ai dit comme ça, à propos.
37:51 Oui, ils sont un danger.
37:54 S'il y aura encore une tragédie, une crise comme le 7 octobre,
37:58 c'est un danger, parce que, vous savez,
38:00 on utilise le mot « génocide »,
38:02 les choses qu'Israël fait au Gaza.
38:05 Moi, je n'utilise pas ce terme,
38:08 parce que le génocide, c'est aussi une volonté de nuire,
38:12 comment dire, de raser toute la population.
38:15 Ce n'est pas dans la politique israélienne actuellement.
38:18 On veut se débarrasser des Palestiniens,
38:20 mais pas les tuer.
38:22 - Pas jusqu'au dernier bébé, comme disaient les nazis.
38:25 - Oui, c'est-à-dire qu'il n'y a pas un plan de génocide.
38:28 Dans la réalité,
38:30 hier, j'ai vu un nouveau terme, « démocide ».
38:34 Vous avez entendu, c'est nouveau.
38:36 - « Démocide ».
38:37 - Qu'on rase toutes les maisons, qu'on rase tous les bâtiments.
38:40 Vous comprenez ?
38:42 Ça, Israël réalise aujourd'hui de façon incroyable.
38:45 C'est-à-dire qu'il y a déjà millions de Palestiniens au Gaza
38:49 qui n'ont pas où vivre.
38:51 Ce sera clair.
38:53 Moi, politiquement, je suis pour un seul feu.
38:56 C'est-à-dire, je ne vois pas comment on pourra sortir de cette situation,
39:00 parce que ça s'aggrave de jour en jour.
39:03 C'est-à-dire, rien ne va pas blanchir l'acte du 7 octobre,
39:10 mais on ne peut pas répondre avec une destruction massive
39:14 des villes entières.
39:18 C'est incroyable la façon dont vivent aujourd'hui les Palestiniens.
39:21 - Au-delà du cesser le feu, si on se projette dans l'avenir,
39:25 et si je reprends le cœur de ce qu'est votre essai,
39:29 c'est-à-dire la défense de l'idée d'un État binational,
39:33 qui serait d'ailleurs intéressant que vous définissiez pour les auditeurs,
39:38 la question que je voudrais vous poser, c'est que pèse aujourd'hui,
39:41 dans le débat public, en Israël et en Palestine,
39:44 cette idée de l'État binational ?
39:47 Parce que ce qui est très intéressant dans votre essai,
39:50 c'est que vous retracez la généalogie,
39:53 vous pistez des auteurs,
39:56 vous tracez des continuités du début du sionisme
40:00 jusqu'à la création de l'État d'Israël,
40:02 après 1967 et dans la période la plus récente.
40:05 Et on a le sentiment, en même temps, on peut avoir le sentiment,
40:08 bien sûr il y a Hannah Arendt,
40:10 mais que ce débat-là est souvent porté par des personnalités
40:13 qui sont plutôt dans les marges,
40:16 et parfois qui sont minoritaires, y compris dans leurs propres mouvements.
40:20 D'où ma question, qu'est-ce que ça pèse aujourd'hui,
40:23 dans le débat public, en Israël et aussi en Palestine ?
40:27 Parce que ce qui est très frappant, c'est que ce qui se passe en Palestine
40:31 n'apparaît, c'est évoqué à un moment ou à un autre,
40:33 mais c'est le dernier chapitre seulement de ce livre.
40:37 Pour qu'il y ait un État binational, il faut que ce soit porté des deux côtés.
40:40 - Pour vous répondre pas trop long,
40:43 je vais vous dire, j'ai été étonné en commençant à travailler sur ce livre,
40:47 c'était assez un hasard, j'ai sorti mal à l'aise avec les répétitions
40:51 "Deux États pour deux peuples", j'ai commencé à travailler,
40:54 j'ai été surpris avec les découvertes.
40:56 Franchement, j'ai jamais su que...
40:59 Vous avez dit des gens de marche ?
41:01 Non, le plus grand intellectuel dans le zionisme,
41:04 Der Hadam, passé par Martin Buber,
41:07 Magnus, qui a fondé l'université hebraïque,
41:10 la première université israélienne,
41:13 et jusqu'à Hannah Arendt, jusqu'à Aléberti Échoua,
41:16 et des noms que les Français ne connaissent pas, mais beaucoup d'autres,
41:20 ils ont répété et ils étaient inquiets.
41:22 "Venir au Proche-Orient", c'est Der Hadam qui a dit ça,
41:26 dès le début, et j'étais surpris de les lire.
41:29 "Sans l'indigène qui vit, se met en doute notre émigration."
41:36 C'est-à-dire, aujourd'hui, la question est,
41:40 est-ce que c'est posé politiquement ? Non.
41:42 Mais rien n'est pas posé politiquement.
41:45 Que Biden et Macron, votre Macron, parlent sur deux États,
41:49 c'est très gentil.
41:51 Moi, je suis pour, pas de problème, je crois pas.
41:53 Je crois que partager actuellement Palestine
41:56 est plus difficile que partager l'île de France, par exemple.
42:00 Du point de vue...
42:02 Non, je rigole pas, il y a Jérusalem.
42:05 C'est quoi un État binational ?
42:08 Je suis contre le courant palestinien qui parle sur un État démocratique,
42:13 une norme, une vote, une personne, un vote.
42:16 Je parle sur une sorte de fédération,
42:20 avec des expressions politiques de chaque communauté.
42:23 Une des choses que je ne sais pas de Hamas,
42:25 ce n'est pas seulement l'action brutale,
42:27 c'est aussi le programme politique de Hamas.
42:30 Il parle sur un État musulman, avec des droits de juifs croyants.
42:35 C'est ça le plan, la base programmatique de Hamas.
42:39 Il ne connaît pas l'existence des peuples israéliens,
42:43 d'identité palestinienne.
42:45 C'est-à-dire, il y a d'autres Palestiniens qui acceptent l'identité.
42:49 C'est la raison que je dis, que je pense, comme rêve,
42:54 en face de ce cauchemar que nous vivons aujourd'hui,
42:57 je pense qu'il faut trouver, je ne sais pas, confédération, fédération.
43:02 Vous savez, pour donner un exemple, je suis historien,
43:05 donc je sais des petits détails que les autres ne connaissent pas.
43:08 Suisse, un exemple d'un État pacifiste aujourd'hui.
43:12 Et démocratique.
43:13 Et démocratique, et libéral.
43:15 Libéral, beaucoup plus que la France.
43:18 Et jusqu'en 1848, c'est un État le plus violent en Europe.
43:25 Et les francophones ont tué les germanophones.
43:31 Vous pouvez regarder la Wikipédia, maintenant il ne faut pas être historien.
43:36 C'était atroce, les violences.
43:38 C'était un pays.
43:40 Mais à partir de 1848, ils ont trouvé des modalités fédératives.
43:47 Fédérative, il n'y a pas de guerre.
43:51 C'est-à-dire qu'ils ne s'aiment pas beaucoup.
43:53 J'ai une blague.
43:55 Vous savez qu'une fois, j'étais en route vers Genève.
43:59 Je suis venu de France.
44:01 Et j'ai dû descendre à une arrête à côté d'un hôtel.
44:06 En face de moi, était assise une fille suisse.
44:09 Donc je lui ai demandé à quelle arrête pour arriver à l'hôtel,
44:11 quelle arrête je devais descendre.
44:13 Donc elle a dit, voilà, l'arrête prochaine, vous devez descendre.
44:16 Je lui ai dit, merci beaucoup.
44:17 Après quelques minutes, elle me demande de où je viens,
44:19 parce que votre français est très… avec des accents.
44:23 Je lui ai dit, je suis d'Israël.
44:25 Elle dit, ah, regardez, elle dit,
44:28 fais attention de ne pas rater l'arrête,
44:30 parce que sinon, vous allez tomber dans les mains des Allemands.
44:34 - Blague, blague.
44:36 - C'est une blague.
44:37 Pour vous dire comme ça,
44:38 des Suisse, 1848, jusqu'à…
44:41 - Donc c'est possible.
44:42 - Irlande, Irlande du Nord.
44:44 En 1998, ils ont tué des catholiques, ils ont tué des protestants.
44:49 Je vous dis, je vous dis qu'on arrive à un compromis historique sans aimer.
44:54 - Est-ce que pour vous, les politiques qui parlent d'une solution à deux États,
44:59 c'est un moyen pour ne pas trouver de solution ?
45:01 - Exactement.
45:02 C'est-à-dire, sinon, j'aurais continué à réclamer deux États.
45:07 C'est simple, je suis républicain.
45:09 Vous voyez, donc je voulais une république israélienne,
45:13 avec tous ses citoyens, pas seulement des Juifs,
45:15 parce qu'il y a beaucoup des émigrés de Russie qui ne sont pas considérés comme Juifs.
45:19 - Vaste débat.
45:20 - Mes assistants sont tous…
45:23 - Et il y a 20 ou 25 % d'Arabes israéliens aussi.
45:25 - Exactement.
45:26 Donc je suis républicain, j'étais toujours, ce n'est pas nouveau.
45:28 Et je suis pour une république palestinienne.
45:30 Mais, mais, je ne crois pas.
45:32 Surtout dans la situation actuelle.
45:35 Je voulais vous donner un exemple, c'est très important.
45:39 Le conflit actuel, c'est clair, n'est pas en 67 à Gaza,
45:44 c'est plutôt en 48.
45:47 Pourquoi je dis ça ?
45:49 Parce que vous avez entendu le nom de ce méchant Sinua,
45:53 Yair Sinua, il était né à Chania.
45:56 - Le patron de la branche armée du Hamas.
45:57 - Oui, c'est le vrai chef qui a planifié le 7 octobre.
46:02 Ses parents sont venus de Ashkelon.
46:04 Ashkelon, c'est une ville qui s'appelait El Majdal, à 48.
46:08 Le fondateur du Hamas, Sheikh Yassin, est venu de ce même endroit.
46:14 Mohamed Def, le troisième dans la hiérarchie, est venu d'Ajdod.
46:19 Ce n'est pas loin.
46:21 Vous comprenez, c'est-à-dire, il y a 60% des populations à Gaza
46:26 qui sont des réfugiés de 48.
46:28 Donc ça met en exergue que le problème n'est pas seulement
46:31 le partage des frontières.
46:34 Il y a quelque chose de profond qu'il faut admettre avec Ahrar Da'ham,
46:37 avec Ali Beyteshoua, avec Martin Buber, avec Rana Arendt,
46:42 qu'il y avait une population d'indigènes.
46:45 Rien n'a pas réglé.
46:47 Si on rechassait tout le monde, ça va, mais on ne peut pas.
46:50 On ne peut pas.
46:51 - Le réel.
46:52 Natacha Polony.
46:53 - Le réel, c'est aussi, je le disais tout à l'heure, la dimension religieuse.
46:56 Parce que toutes les réflexions que vous citez
46:59 sont des réflexions de gens qui sont dans une dimension laïque.
47:03 Est-ce qu'aujourd'hui l'islamisme ne modifie pas les choses
47:07 et ne rend pas cela beaucoup plus compliqué ?
47:09 J'ajoute que ça permet aussi de modifier la vision
47:14 de la communauté internationale, ou en tout cas des Occidentaux,
47:18 des Américains, qui du coup peuvent se situer dans une perspective
47:22 de lutte générale contre l'islamisme,
47:25 et non plus dans la question palestinienne.
47:28 - Je voudrais aussi mettre en exergue le fait
47:31 que des erreurs de mon livre, une partie d'eux,
47:34 comme Martin Buber, Magnus, étaient des hommes croyants,
47:38 profondément croyants religieux.
47:40 Et pas seulement Buber, et beaucoup d'autres à cette époque.
47:44 Le changement profond est le fait que dans le monde postcolonial,
47:52 et pas seulement postcolonial, il y a de nouveaux symbioses
47:56 entre nationalisme et religion.
47:59 A Gaza, au Mumbai, le hindouisme, si vous connaissez,
48:04 c'est tragique là-bas.
48:06 Et au Hezbollah, et si vous voulez, l'Iran, etc.
48:10 Les symbioses, ce n'est pas la religion qui m'inquiète.
48:12 D'ailleurs, je ne suis pas religieux, je suis athée et laïque.
48:15 - Vous avez cessé d'être juif, titre d'un de vos livres.
48:18 - Oui, c'est-à-dire que je suis d'origine juive, je n'ai pas honte,
48:21 mais je suis très peu juif, d'accord ?
48:24 Mais je suis très israélien, dans le sens que je parle une langue
48:28 que j'aime beaucoup, etc.
48:30 Donc je reviens sur quelque chose.
48:32 La réculte des gauches mondiales,
48:35 premier monde, deuxième monde, troisième monde,
48:38 fait qu'en place d'admirer et souhaiter les mythes du futur,
48:45 on commence à glorifier les mythes du passé.
48:48 C'est ça la symbiose de base, à cause du désespoir aussi,
48:53 entre religion et nationalisme.
48:57 Vous devez savoir que le fascisme et le nazisme n'étaient pas religieux,
49:00 vous savez ça.
49:02 - C'était une religion en soi.
49:04 - Exactement.
49:06 Par contre, aujourd'hui, toutes les choses que j'appelle
49:09 vraiment les réactions dangereuses pour le monde,
49:12 et c'est terminé, pas encore, mais à 7 octobre,
49:17 c'est la symbiose entre nationalisme et religion.
49:20 Ce n'est pas seulement à Gaza, à Khan Younes, c'est à Jérusalem,
49:24 on a commencé avec ça, avec Ben Gvir et les autres,
49:27 qui devient fort, c'est cette symbiose qui m'inquiète.
49:31 Pas que la symbiose entre socialisme et nationalisme
49:33 était toujours très belle, etc.
49:36 Je ne veux pas rentrer dans ça.
49:38 Mais les nouvelles symbioses en Inde,
49:40 et même les religions comme le bouddhisme
49:44 deviennent à certains endroits très nationalistes.
49:47 Et ça c'est un phénomène, à mon avis,
49:50 pas seulement dangereux pour demain, pour Gaza et Israël,
49:53 mais dangereux pour le monde entier.
49:55 Vous citez Marmoud Darwish, grand poète palestinien dans votre livre,
49:57 qui explique que l'héritage ce n'est pas ce qu'on a reçu,
50:01 mais ce qu'on va léguer aux autres.
50:03 Donc regarder vers demain plutôt que vers derrière.
50:05 Identité c'est quelque chose qu'on construit,
50:07 ce n'est pas vraiment dépassé.
50:09 Si on regarde vers demain, pour essayer de travailler
50:12 cette question de l'objectif entre état binational
50:15 ou solution à deux états,
50:17 est-ce que vous prônez l'état binational
50:20 parce que vous considérez que c'est une solution
50:23 intellectuellement plus préférable
50:26 ou parce qu'elle est pratiquement plus réalisable ?
50:29 Ce n'est pas exactement la même chose.
50:32 Et on peut considérer qu'aujourd'hui,
50:34 l'état binational est une utopie.
50:36 Vous dites d'ailleurs que personne, ni en Israël,
50:38 ni en Palestine, ne le porte.
50:40 Donc utopie pour utopie.
50:42 En partant de ce sentiment national,
50:44 après on peut considérer que c'est un mythe ou pas,
50:47 qui existe aussi bien en Israël qu'en Palestine.
50:50 Est-ce que ça ne serait pas une utopie
50:53 tout aussi jouable de partir de deux états,
50:57 des frontières de 1967,
50:59 et de la même manière qu'en Israël,
51:01 on l'évoquait tout à l'heure,
51:03 il y a une minorité arabe qui est citoyenne,
51:06 qui a des élus, qui a des juges,
51:08 qui exerce toutes les professions,
51:10 et que, symétriquement, en Cisjordanie,
51:13 il y ait une minorité juive qui ait les mêmes droits.
51:16 En quoi ça serait plus utopique
51:18 que la solution à deux états ?
51:20 - Je vous le mentionne.
51:21 - Que la solution d'un État binational, pardon.
51:24 - Vous connaissez ce que Jean Jaurès a dit sur l'utopie ?
51:27 - Allez-y.
51:28 - C'est très intéressant, d'ailleurs.
51:30 Contrairement à Sorel, il n'a pas utilisé le mythe,
51:33 mais il savait que l'utopie a un rôle très important.
51:36 Et on le voit à travers...
51:38 Je fais même triste sur Jean Jaurès, d'ailleurs.
51:41 Donc je répète une chose.
51:43 Pour donner une petite anecdote.
51:45 Avant l'éclatement du 7 octobre,
51:48 les maisons d'édition anglaises à Cambridge
51:51 ont demandé les livres,
51:54 ils ont envoyé les textes.
51:56 Et avant le 7 octobre, j'ai reçu une lettre
51:59 "Est-ce que vous pouvez faire ça un peu moins pessimiste ?"
52:03 Ils m'ont demandé.
52:05 J'ai regardé, et ils m'ont dit
52:08 "Vous terminez les livres avec une thèse."
52:10 J'ai dit que l'État binational,
52:13 que je ne crois pas beaucoup, mais je souhaite,
52:17 peut arriver seulement après une catastrophe.
52:20 C'est la fin de mon livre.
52:22 Ça veut dire quoi ?
52:24 Je dis que l'État d'Israël n'était pas né
52:27 à cause des écrits de Herzl,
52:29 mais des catastrophes terribles,
52:31 de la Deuxième Guerre mondiale.
52:33 Sans la Deuxième Guerre mondiale, sans le nazisme,
52:36 je ne crois pas que l'État d'Israël aurait battu.
52:38 Vaste débat.
52:40 C'est-à-dire, je peux faire ça vite,
52:43 en point de vue des immigrants qui sont arrivés jusqu'à 33,
52:47 et ceux qui sont arrivés, comme ma famille, après 45.
52:50 Ce n'est pas un vrai débat.
52:52 Je ne crois pas que l'État d'Israël
52:54 pourrait se construire sans la Deuxième Guerre mondiale,
52:57 sans la tragédie de Shoah.
52:59 Il n'y a pas de doute.
53:01 Après que les Anglais et les Britanniques m'ont demandé
53:04 d'ajouter quelque chose,
53:06 parce que je dis, probablement pour arriver
53:09 à un État binational ou fédératif, etc.,
53:12 ce sera après la catastrophe,
53:14 avant le 7 octobre.
53:16 Donc, j'ai dit, d'accord,
53:18 j'ai commencé à écrire une préface
53:22 pour dire que c'est probable un État binational, fédératif, etc.
53:28 La guerre a éclaté. Le 7 octobre,
53:30 après une semaine, je reçois des éditeurs anglais.
53:33 "On préfère que vous n'écriviez pas les préfaces."
53:37 La fin du livre dit comme ça.
53:39 Oui, je ne crois pas beaucoup, je suis réaliste,
53:41 plus que Jean-Jaurès d'ailleurs.
53:43 Mais, et ça c'est important,
53:45 il y aura une catastrophe.
53:47 Je ne savais pas quelle catastrophe.
53:49 Et je ne suis pas sûr que c'est la dernière catastrophe.
53:53 Une dernière petite question.
53:55 Une petite question rapide. Vous évoquez l'article de Peter Beinart
53:58 en 2020 qui plaidait pour un État binational.
54:02 Et vous dites qu'il y a eu une levée de boucliers
54:05 du lobby sioniste aux États-Unis.
54:09 Pourquoi y a-t-il une telle puissance du sionisme ?
54:13 Oui, très court.
54:15 Soudan, Beinart, tout le monde était étonné
54:18 de ces positions. Ils étaient choqués d'ailleurs.
54:21 Surtout que c'est un homme modéré, pas gauchiste, etc.
54:25 Donc, il y a aussi des traditions, c'est-à-dire les pères.
54:29 Ces Juifs américains ne veulent pas
54:31 venir vivre en Israël, vous pouvez être sûr.
54:34 Le lobby pro-israélien juif ne voit pas ses enfants.
54:40 Mais ils étaient étonnés que Beinart
54:43 et aussi des autres historiens qui étaient toujours sionistes,
54:46 Soudan dise non, on ne peut pas continuer
54:49 avec ce bavardage des deux États.
54:51 Surtout, vous devez comprendre, Jérusalem,
54:54 avec el-Aqsa, vous savez le nom de la guerre de Hamas ?
54:57 C'est el-Aqsa.
54:59 Il faut chercher un moyen,
55:01 parce que dans l'imaginaire palestinien,
55:04 ils vont croire que la Palestine,
55:07 qu'Israël, peut être une patrie du peuple.
55:12 Est-ce que je crois que ça peut arriver ?
55:14 Pas pour le moment, mais comme j'aurais,
55:16 j'ai toujours un petit espoir.
55:18 Merci, Shlomo Sand, votre livre "Deux Peuples pour un État"
55:22 est aux éditions du Seuil.
55:24 Et je rappelle notre podcast "Anatomie d'un Conflit",
55:26 trois saisons, 18 épisodes, pour comprendre aussi l'histoire
55:28 du conflit israélo-palestinien,
55:30 dispo sur l'appli Radio France et le site France Inter.
55:32 Merci, Gilles.
55:33 Merci, Natacha.
55:34 Merci à l'équipe du Grand, face à face.
55:36 Mathyp de Clattes à la préparation,
55:38 Marie-Méria à la réalisation,
55:39 Constance Henry aujourd'hui à la technique.
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