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J'ai eu le plaisir de recevoir récemment Stéphane Genêt, un historien spécialiste du renseignement et de l’espionnage au 18e siècle. Il est également professeur d’histoire géographie et auteur : on a notamment coécrit ensemble "Mais c’est un complot !". Oubliez ici tout ce qui est James Bond et Mission Impossible : on va s'intéresser avec Stéphane à la réalité de l’espionnage au siècle des Lumières. Qui étaient les espions, comment procédaient-ils, et quelles ont été les grandes affaires de l’époque ? Vous trouverez ici la réponse à toutes ces questions, et à bien d’autres encore !

➤ Découvrez le podcast "T'as qui en Histoire ?" de Stéphane : https://linktr.ee/tasquienhistoire
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Éducation
Transcription
00:00:00 Mes chers camarades, bien le bonjour, bien le bonsoir que vous nous regardiez ici en
00:00:04 direct sur Twitch ou en rediffusion que ce soit sur Youtube ou en podcast parce que oui,
00:00:09 on est absolument partout.
00:00:10 Ce soir, j'ai l'honneur de recevoir Stéphane Jeunet, historien spécialiste de l'espionnage
00:00:15 et du renseignement au 18ème siècle.
00:00:16 Il est l'auteur de la thèse intitulée "Le renseignement militaire de la guerre de
00:00:20 succession d'Autriche au traité de Paris 1740-1763".
00:00:23 Il est également professeur d'histoire-géographie dans le secondaire, animateur du podcast "Taquet
00:00:29 en histoire" et auteur.
00:00:30 Il a notamment écrit plusieurs vidéos pour la chaîne comme celle sur Jacques Léventreur,
00:00:35 celle sur la guerre de Sept Ans ou encore la Révolution Américaine.
00:00:38 Et puis récemment, on a été encore plus loin tous les deux puisqu'on a co-écrit
00:00:40 un bouquin ensemble mais c'est un complot qui est paru le 25 août dernier aux éditions
00:00:45 Talendier et qui est disponible partout, autant en librairie que sur Internet.
00:00:50 Mon cher Stéphane, bonsoir.
00:00:51 - Bonsoir.
00:00:52 - Comment ça va ?
00:00:53 - Très bien, très très bien.
00:00:54 - Je suis ravi de te recevoir dans cette émission.
00:00:56 C'est cool qu'on puisse passer deux heures ensemble à discuter histoire.
00:01:02 - Je suis très content d'être là.
00:01:03 - Bon alors du coup, ta spécialité comme ça, c'est l'espionnage ?
00:01:05 - C'est ça, oui.
00:01:07 L'espionnage et en plus au siècle des Lumières.
00:01:11 Donc je travaille en fait sur le secret, l'histoire du secret, l'histoire de l'information, l'histoire
00:01:17 des relations internationales et tout ça au 18e siècle.
00:01:20 - Tu as mis un petit peu tout ce qui est en dessous quoi.
00:01:23 D'où les thématiques sociétés secrètes, tout ça qu'on a fait sur YouTube.
00:01:27 - C'est ça, moi tout ce qui est un petit peu lié au secret, tous les sujets un peu
00:01:33 douteux en histoire, généralement j'aime bien.
00:01:35 - Alors justement, comment est-ce que tu en...
00:01:37 Avant d'embarguer sur le gros du sujet, comment est-ce que tu en arrives à travailler sur
00:01:41 une thématique comme l'espionnage ? Parce que tu étais déjà fan de ce genre de truc
00:01:45 ou ?
00:01:46 - En fait, quand j'étais étudiant en histoire, j'avais fait une maîtrise d'histoire sur
00:01:52 la collaboration.
00:01:53 Donc tu vois, la série est sujet un peu douteux, la collaboration à tour en l'occurrence.
00:01:58 Et finalement, après j'ai passé les concours et dans les concours d'enseignement, il y
00:02:04 avait une question qui portait sur l'espace maritime au 18e siècle.
00:02:08 Et c'était passionnant, je m'étais dit "mais c'est fantastique ce siècle".
00:02:11 Finalement, j'ai plutôt envie de travailler sur cette époque-là.
00:02:15 Mais je cherchais un angle et j'ai lu une BD qui s'appelle "Les pionniers du Nouveau
00:02:20 Monde", qui est une grande saga historique.
00:02:23 Et dans cette BD, il y avait une espionne anglaise.
00:02:26 Et je me suis dit "tiens, une espionne anglaise, l'espionnage, ça peut être rigolo.
00:02:29 Et est-ce que quelqu'un a déjà travaillé là-dessus ?".
00:02:32 Et j'ai trouvé que mon futur directeur de thèse avait déjà travaillé sur l'espionnage
00:02:38 au 18e, c'était Lucien Belli.
00:02:40 Et c'était à l'époque de Louis XIV.
00:02:42 Et je me suis dit "tiens, j'ai qu'à faire la suite, Louis XV".
00:02:45 Et je lui ai écrit une lettre très polie, respectueuse, pour dire "est-ce que vous
00:02:50 accepteriez bien humblement, je m'excuse de vous demander pardon, de me donner des
00:02:56 conseils pour éventuellement cette thèse".
00:02:59 Et il m'a répondu très gentiment "écoutez, je suis prêt à encadrer vos travaux si vous
00:03:05 le souhaitez".
00:03:06 Et c'est comme ça qu'il est devenu mon directeur de thèse et que je me suis embarqué
00:03:08 sur ce sujet.
00:03:09 Alors, l'espionnage quesaco.
00:03:11 Avant de parler du fond, on va peut-être parler de la forme.
00:03:15 C'est quoi les principales sources quand on étudie l'espionnage au 18e siècle ?
00:03:19 Est-ce qu'il y en a beaucoup ?
00:03:20 Eh bien, en fait, ce qui est assez amusant, c'est que quand j'ai commencé ce sujet
00:03:24 et que j'en parlais un petit peu autour de moi, soit des étudiants d'histoire ou
00:03:30 même des historiens assez chevronnés, la plupart me disaient "non mais il n'y a
00:03:33 rien là-dessus, vous ne trouverez rien, changez de sujet".
00:03:37 Et je suis allé voir dans les archives un peu par curiosité et en fait, c'est tout
00:03:42 l'inverse.
00:03:43 Il y a énormément d'archives, mais vraiment énormément d'archives.
00:03:46 La seule chose, c'est qu'il n'y a pas un fond centralisé d'archives sur l'espionnage,
00:03:51 c'est-à-dire qu'elles sont dispersées dans différents fonds et elles sont dispersées
00:03:55 au fur et à mesure des lettres essentiellement que recevaient les ministres, ministres de
00:04:00 la guerre, ministres des affaires étrangères, des chefs d'armée, ce qui fait qu'en fait,
00:04:06 ils sont partout et nulle part ces espions.
00:04:07 Et ça demande d'un gros travail d'archives pour aller dans les différents fonds, pour
00:04:13 essayer de trouver ces documents, mais en fait, c'est presque l'abondance que la
00:04:18 rareté en fait.
00:04:19 D'ailleurs vraiment, il y a énormément de choses et ce qui est très difficile, c'est
00:04:23 d'arriver à retrouver dans cette masse de documents, les documents les plus intéressants
00:04:28 quoi.
00:04:29 Mais il y en a et il y a même, c'est les documents les plus rigolos, c'est des documents
00:04:35 écrits par des espions eux-mêmes, de retour de mission.
00:04:38 Et en fait, à l'époque, ce qui se passait, c'est que quand on partait en mission, généralement,
00:04:44 quand on servait le roi, on avançait toutes les sommes, toutes les sommes d'argent,
00:04:47 on avançait le transport, on avançait l'hébergement, on avançait tout ça.
00:04:50 Et après, on écrivait au roi un rapport ou au ministre un rapport ou au chef d'armée
00:04:54 disant tout ce qu'on avait fait pour se faire rembourser avec généralement un état des
00:04:58 dépenses.
00:04:59 Et souvent, on se faisait rembourser en partie, pas tout.
00:05:03 Et donc, on avait tendance un peu à gonfler les choses, à dire qu'on avait dépensé
00:05:07 plus que ce qu'on avait réellement dépensé.
00:05:09 Et ce qui est intéressant de cet état des dépenses, c'est que ça donnait un descriptif
00:05:13 de la mission et de ce que l'espion avait réalisé.
00:05:16 Et ça, j'ai eu pas mal de documents de cet ordre-là, des documents qui étaient des
00:05:20 sortes de retour de mission et des demandes, comme ils disent, de gratification ou de récompense
00:05:25 pour ce qui avait été fait.
00:05:26 Une grosse note de frais.
00:05:27 Oui, c'est ça, des notes de frais, un peu gonflées.
00:05:31 Justement, si elles sont gonflées, est-ce qu'elles ne peuvent pas être trompeuses ?
00:05:35 Elles le sont, la plupart du temps, elles le sont.
00:05:38 Alors, ce qui est assez amusant, c'est de voir les annotations et les commentaires,
00:05:41 parce qu'en fait, la personne qui reçoit ça, commente et anote toujours dans la marge
00:05:45 en disant bon pour accord, bon ou pas.
00:05:49 Et très souvent, ils mettaient des commentaires en disant non, c'est pas crédible ou non.
00:05:55 C'est à dire qu'on voyait bien qu'ils ne croyaient pas du tout ça.
00:05:59 Ce que j'ai fait, c'est que j'ai aussi croisé ces sources-là avec d'autres sources.
00:06:04 Ce qui était intéressant, c'était d'avoir les sources militaires que je croisais avec
00:06:08 des sources, par exemple, diplomatiques, parce que les agents diplomatiques sur place voyaient
00:06:12 passer aussi les espions et donnaient leur avis dessus.
00:06:16 Et donc, j'allais voir auprès des sources diplomatiques ce qui ressortait de tel ou tel
00:06:21 agent.
00:06:22 Et donc, une fois qu'on avait croisé les deux, on avait la source de l'agent lui-même,
00:06:27 le point de vue que donnait son ministre ou son commanditaire, son chef de guerre, par
00:06:31 exemple, et le point de vue diplomatique.
00:06:35 Tout ça, ça permettait d'avoir une sorte de triangulation.
00:06:38 On avait une vision assez claire, finalement.
00:06:39 C'est vrai que quand on parle espionnage, et je pense que tous les gens qui sont ici
00:06:43 dans le chat ont la même image, mais quand on parle espionnage, c'est James Bond.
00:06:48 C'est l'agent 007.
00:06:49 Oui, oui, le problème de l'agent 007.
00:06:52 Alors, il y a des similitudes.
00:06:54 Il y a des similitudes, c'est-à-dire que le côté aventurier, ça, c'est très 18e
00:07:00 siècle.
00:07:01 C'est-à-dire que le 18e siècle, c'est l'époque des aventuriers, c'est-à-dire des types un
00:07:03 peu bizarres qui ont des vies de fous, qui passent d'une cour à une autre, qui sont
00:07:10 teintés de mystères.
00:07:11 On ne sait pas trop qui ils sont, on ne sait pas trop où ils vont, qui vivent on ne sait
00:07:16 pas de quoi et qui ont des talents.
00:07:20 Généralement, ça va être un talent de séduction comme Casanova, ça va être un
00:07:24 talent au jeu, ça va être un talent en musique.
00:07:27 Enfin bref, c'est vraiment l'époque des aventuriers.
00:07:30 Donc vraiment, de ce point de vue là, le côté James Bond, j'en ai trouvé un certain
00:07:34 nombre d'espions qui correspondent assez bien à ce profil.
00:07:38 Le deuxième point commun, c'est que James Bond, c'est un militaire.
00:07:42 On l'oublie souvent, mais c'est Commander Bond.
00:07:45 Et donc, les espions, pour l'essentiel, à 90-19%, c'est dans la sphère militaire.
00:07:52 C'est à l'armée qu'ils agissent.
00:07:54 Et évidemment, au 18ème en particulier, on a besoin d'espions pour les armées.
00:08:00 Donc là, de ce point de vue là, on a aussi une similitude.
00:08:02 Le fait de servir son roi, James Bond est très fidèle à la reine.
00:08:08 Sera-t-il fidèle à Charles III ? On le verra, mais en tout cas, il était fidèle à la
00:08:13 reine.
00:08:14 Donc, mes espions sont effectivement aussi fidèles.
00:08:18 Pour l'essentiel, ils sont fidèles.
00:08:20 Disons, ils sont fidèles à leur commanditaire, qu'il soit ministre, chef de guerre ou le
00:08:25 roi lui-même.
00:08:26 Donc oui, ces points de vue là, je les ai.
00:08:30 Après, le côté "on est envoyé pour aller tuer telle ou telle personne", non, ça, c'est
00:08:36 clairement du cinéma.
00:08:37 Ça ne fonctionnait pas comme ça.
00:08:39 On nous demande justement s'ils avaient un peu des gadgets.
00:08:41 Alors, des gadgets, oui.
00:08:43 Mais alors, avec la technologie de l'époque, les gadgets portaient essentiellement sur
00:08:50 les techniques qui étaient utilisées pour cacher les messages.
00:08:53 C'est-à-dire que la grosse difficulté quand on est un espion, c'est d'abord d'avoir l'information,
00:08:58 mais ensuite, le gros problème, c'est qu'une fois qu'on l'a, il faut la transmettre.
00:09:02 Et le seul moyen de la transmettre à l'époque, c'est soit de retourner voir et de faire une
00:09:07 présentation orale à la personne qui nous a envoyé en mission, soit, et c'est le plus
00:09:11 fréquent, envoyer une lettre.
00:09:13 Et ces lettres, le problème, c'est que c'est très facile à intercepter.
00:09:18 Il suffit d'intercepter le cavalier qui transporte le courrier, on récupère toutes les lettres.
00:09:22 C'est facile d'intercepter la malposte qui transporte les lettres aussi.
00:09:27 Les Anglais sont des spécialistes, mais vraiment les champions du monde de l'époque.
00:09:30 Ils avaient même établi tout un système à Londres qui était ultra efficace.
00:09:36 Ils étaient capables.
00:09:37 Alors, c'était à Londres et il y avait une annexe, si je puis dire, en Allemagne,
00:09:41 sur des grandes routes commerçantes et ils étaient capables de prendre la lettre, la
00:09:44 déceler parce qu'il y avait un sceau à cirer, donc ils décelaient sans casser le
00:09:48 sceau, lire le contenu, le traduire, le déchiffrer et remettre ensuite la lettre, remettre le
00:09:54 sceau et le destinataire ne savait pas que la lettre avait été interceptée.
00:09:57 Vraiment des champions du monde.
00:09:59 Et donc, les gadgets, c'est ça.
00:10:00 Les gadgets, c'est comment on va cacher l'information dans la lettre.
00:10:03 Alors, évidemment, il y a le jus de citron.
00:10:05 Bon, le jus de citron, c'est pas un cliché.
00:10:08 Moi, j'ai trouvé des documents avec des espions qui ont écrit avec du jus de citron.
00:10:12 Il y a toutes sortes de plantes qui sont utilisées pour cacher, dissimuler l'écriture.
00:10:18 Mais la technique peut être qui rapproche le plus du gadget, c'est ce qu'on appelle
00:10:22 les châssis.
00:10:23 Alors, les châssis, en fait, c'est des planches prédécoupées, du carton prédécoupé
00:10:28 que l'on met d'une certaine façon.
00:10:30 On en met un comme ça, un autre comme ça et un troisième comme ça.
00:10:33 Et selon ce que ça recouvre, ça cache des mots.
00:10:36 Et à la fin, une fois qu'on les a bien emboîtés les uns sur les autres, apparaissent que
00:10:40 les mots qu'on doit lire dans le message.
00:10:42 Donc, il y a des techniques comme ça.
00:10:44 Il y a des sortes de petits gadgets.
00:10:46 Il y a plein de choses.
00:10:47 Il y a des bagues creuses pour mettre du poison.
00:10:49 Bon, ça, je ne sais pas vraiment si ça a été utilisé, mais il y a ce genre de choses.
00:10:53 Il y a des caches pour les cartes, des cartes secrètes que l'on va cacher par différents
00:11:01 moyens et donc il y a des objets qui servent à cacher les cartes.
00:11:04 Voilà, donc on est sur ce genre de technologie.
00:11:07 Évidemment, on n'est pas à la pointe absolue du gadget James Bondien, mais il y a des techniques.
00:11:14 Mais vu qu'on est sur le profil de l'espion, là, on parle d'agent.
00:11:17 Alors 007, c'est un gars, il est à temps plein, quoi, agent.
00:11:22 Et est-ce qu'à l'époque, on a des gens dont c'est vraiment le métier ? C'est quoi
00:11:28 un espion, en fait ? C'est une carrière ?
00:11:30 Alors, espion, si on regarde la définition qui est, je crois, dans l'encyclopédie,
00:11:37 je le dis de tête, personne que l'on paye pour épier les actions d'autrui.
00:11:43 Et c'est d'ailleurs art militaire.
00:11:45 C'est intéressant, c'est classé dans l'art militaire.
00:11:47 Globalement, on est espion à partir du moment où on est payé pour justement aller regarder
00:11:53 quelque chose qui doit être secret.
00:11:55 À partir de ce moment-là, on devient espion.
00:11:56 Ce n'est pas une carrière, c'est-à-dire qu'on raisonne en termes de saison militaire.
00:12:05 La saison militaire, au 18e siècle, on commence à se combattre au beau jour et on arrête
00:12:09 quand l'hiver tombe.
00:12:11 Donc, généralement, on va agir le temps d'une saison, parfois moins.
00:12:18 Parfois, on va avoir des espions qui vont servir pour une campagne.
00:12:22 Donc là, c'est encore plus court.
00:12:23 C'est le temps que l'armée se trouve en Flandre, par exemple, ou en Pologne.
00:12:28 Et j'ai trouvé quelques cas d'espions professionnels.
00:12:32 Mais c'est vraiment très, très rare.
00:12:34 J'en ai un qui va servir 28 ans.
00:12:36 Alors, il faut bien comprendre pourquoi c'est rare.
00:12:39 En fait, d'abord, parce que c'est un métier dangereux.
00:12:41 Là aussi, quand on trouve un espion, généralement, on le pend.
00:12:46 On le pend souvent à l'entrée du camp, histoire que ça serve d'exemple aux autres.
00:12:49 Donc, c'est un métier dangereux et ce n'est pas très bien rétribué à hauteur du danger.
00:12:56 Donc, en plus, les volontaires ne se bousculent pas trop.
00:12:59 Et dernière chose, les espions servent toujours un maître.
00:13:05 Il ne peut pas y avoir d'espion freelance.
00:13:07 C'est-à-dire qu'un espion, s'il veut être payé, il faut qu'il y ait quelqu'un qui soit derrière,
00:13:12 qui lui demande de faire une opération.
00:13:14 Alors, ses maîtres, ça va être le secrétaire d'État à la guerre, le secrétaire d'État à la marine,
00:13:19 secrétaire d'État aux affaires étrangères, le roi lui-même, un chef de guerre local.
00:13:25 Et donc, ils vont avoir leur réseau d'espions et donc, un espion obéit à un maître.
00:13:29 Et le principe, c'est que les maîtres changent.
00:13:32 Et donc, c'est très difficile pour un espion de garder, en quelque sorte, un commanditaire sur le long terme.
00:13:38 Parce qu'un général qui va être affecté à une zone donnée l'année suivante
00:13:43 peut très bien être affecté tout à fait ailleurs.
00:13:45 Et donc, l'espion soit, il suit son général, soit il a perdu son commanditaire.
00:13:51 Et donc, là, par exemple, un espion auquel je pense, qui s'appelle Simon Louvrier,
00:13:56 lui, il va servir, en plus, avec son fils.
00:13:58 C'est une affaire d'espionnage de père en fils.
00:14:01 Et ça va durer 28 ans, son affaire, ce qui est extraordinaire.
00:14:04 Il va servir, mais c'est tous les grands noms de l'époque.
00:14:06 On le voit servir Maurice de Saxe, on le voit servir Choisel,
00:14:10 on le voit servir vraiment tous les grands ministres.
00:14:12 Et c'est finalement, à la fin, il est débarqué parce qu'arrive un nouveau ministre
00:14:16 qui a son propre réseau d'espions et on n'a plus besoin du vieil espion Louvrier.
00:14:21 On se débarrasse de lui.
00:14:22 Et d'ailleurs, il finit assez mal, puisque les lettres se multiplient
00:14:26 dans lesquelles il dit qu'il est dans la misère, qu'il n'a plus rien pour vivre.
00:14:29 Et il rappelle dans ses lettres son passé d'espion.
00:14:32 Et c'est comme ça que je l'ai connu, en fait, ce passé-là.
00:14:34 Alors, quel type de mission on peut leur confier ?
00:14:37 Alors, c'est très large.
00:14:39 Ça va de la mission ultra basique, c'est-à-dire le paysan auquel on donne trois pièces
00:14:45 pour aller regarder de l'autre côté de la colline,
00:14:49 à des missions un peu plus compliquées.
00:14:52 Il y a, par exemple, la cinquième colonne, pourrait-on dire,
00:14:55 l'espion qui est sur place, qui est dans une ville ou une place
00:14:59 qu'on souhaite assiéger ou qu'on souhaite contrôler.
00:15:02 Cet espion-là, évidemment, lui, il est ultra précieux
00:15:05 parce qu'on attend de lui qu'il nous donne des informations facilitant l'attaque.
00:15:10 Mais on voit bien que là aussi, la mission sera courte.
00:15:12 C'est-à-dire qu'une fois que la place est prise et assiégée,
00:15:15 globalement, on n'a plus besoin de lui, en fait.
00:15:18 Il y a l'espion que l'on va garder sous le coude un peu.
00:15:22 C'est un agent dormant qui peut être présent, par exemple,
00:15:25 auprès de cour étrangères dont on sent qu'elles peuvent pencher vers le camp ennemi.
00:15:31 Et donc, on va garder cet espion parce que lui, il peut nous renseigner
00:15:34 sur les évolutions du pouvoir et des discussions diplomatiques.
00:15:38 On a aussi l'agent secret que l'on envoie en mission.
00:15:41 Alors ça, j'en ai beaucoup.
00:15:43 Alors ça, c'est la crème, c'est l'élite.
00:15:45 C'est-à-dire que ce sont ceux qui ont généralement une bonne compétence,
00:15:49 qui sont assez doués, généralement des officiers, qui parlent plusieurs langues.
00:15:53 Là, eux, ils cochent toutes les cases du bon espion.
00:15:56 Eux, on va les envoyer en mission.
00:15:57 Alors c'est très précis.
00:15:58 On va leur dire "vous irez voir ça, puis ça, puis ça".
00:16:00 Et on a besoin de savoir ce qui se passe là-bas.
00:16:02 Et le type, il suit le déroulé du planning de l'émission qui lui a été confié.
00:16:07 Donc ça, on a aussi des cas comme ça d'agent secret.
00:16:11 Et dans certains cas de figure, voilà.
00:16:16 Non, je pense que j'ai fait le tour à peu près de toutes les opérations possibles.
00:16:19 Donc ça va vraiment de l'espion le plus basique,
00:16:24 de l'information ultra utilisable dans un délai très court,
00:16:28 ce qu'on appellerait de l'information tactique,
00:16:31 à de l'information quasiment stratégique.
00:16:34 Le type qui est capable de nous parler des changements diplomatiques,
00:16:37 voire géopolitiques dans une zone.
00:16:39 Mais bon, ça, c'est des espions rarissimes et qui sont très, très difficiles à obtenir
00:16:42 parce que ça veut dire que la personne est très bien insérée dans des milieux de pouvoir
00:16:48 et il n'a pas grand intérêt à servir comme espion.
00:16:51 Justement, on parle des missions, mais est-ce qu'il y a plusieurs types d'espionnage ?
00:16:55 J'entends par là, est-ce qu'il y a de l'espionnage militaire,
00:17:00 diplomatique, économique, industrielle ?
00:17:04 Oui, absolument.
00:17:05 Alors moi, j'ai surtout travaillé sur l'espionnage militaire.
00:17:08 Ma spécialité, c'est vraiment l'espionnage militaire,
00:17:10 c'est-à-dire concrètement les espions d'armée qui servent à faciliter la vie des généraux
00:17:16 et de leur apporter des informations dont ils font d'ailleurs ce qu'ils veulent, des informations.
00:17:21 C'est-à-dire que parfois, ils peuvent leur apporter des informations
00:17:24 dont ils ne tiennent absolument pas compte.
00:17:25 Ils peuvent même faire le contraire des informations qu'on leur rapporte.
00:17:29 Ça, ça a toujours été le problème de l'espionnage.
00:17:32 Et donc ça, c'est les espions d'armée.
00:17:35 C'est les plus nombreux.
00:17:35 Clairement, sans faire de statistiques, c'est les trois quarts, 90 % des espions.
00:17:41 Après, on a toutes sortes d'espions.
00:17:42 On a des espions de cour, des espions qui vont être utilisés.
00:17:45 J'en ai trouvé quelques-uns qui sont utilisés par des ministres
00:17:48 pour se renseigner sur ce qui se dit sur eux au sein de la cour
00:17:52 ou pour éventuellement surveiller les intrigues existant dans la cour.
00:17:57 Donc ça, je dirais, c'est les espions de cour.
00:18:00 On a les espions de police, les mouches, qui sont très nombreux.
00:18:05 Très, très nombreux.
00:18:06 C'est un peu les indics.
00:18:07 Alors eux, ils vont servir ponctuellement pour apporter telle information,
00:18:11 surveiller telle personne.
00:18:12 Il y a tel étranger qui est arrivé à Paris.
00:18:15 On ne connaît pas bien ses moyens de subsistance et pourtant,
00:18:17 ils mènent grand train.
00:18:18 C'est bizarre, c'est suspect.
00:18:20 Donc là, on va avoir des espions, plutôt des sortes de mouches de police
00:18:23 qui vont le suivre et qui vont rapporter des informations.
00:18:27 On a l'honorable correspondant.
00:18:29 Alors lui, je l'aime bien parce que ce n'est pas l'espion.
00:18:32 C'est l'espion bontain, poli, qui envoie des lettres régulièrement
00:18:37 pour informer de ce qui se passe.
00:18:39 Alors, c'est souvent un peu des lettres d'information générale.
00:18:42 Ce qui est assez rigolo, c'est qu'il y en a certains
00:18:44 où c'est vraiment de l'information, presque de l'actualité pourrait-on dire.
00:18:47 Et d'autres, c'est du potin, du ragot.
00:18:50 On raconte qu'il s'est passé ça.
00:18:53 Le duc a une histoire avec un tel.
00:18:55 Enfin, c'est assez rigolo à lire ça.
00:18:57 Donc, les honorables correspondants, c'est des espions qui ne prennent pas de gros risques,
00:19:02 mais qui sont souvent là pour apporter de l'information
00:19:06 un peu au quotidien sur un territoire.
00:19:09 Et voilà à peu près sur les types d'espions qu'on peut avoir.
00:19:14 Après, il y a tous ceux qui gravitent autour des ambassadeurs
00:19:16 parce qu'il faut bien comprendre que dans les réseaux d'espionnage,
00:19:19 on va avoir les réseaux autour des chefs de guerre,
00:19:22 les réseaux autour des ministres, les réseaux autour du roi,
00:19:25 les réseaux aussi diplomatiques,
00:19:26 parce qu'évidemment, les agents diplomatiques ont leur propre réseau
00:19:29 et ces réseaux agissent et se montrent très efficaces aussi
00:19:33 parce qu'ils doivent amener les agents diplomatiques sur place
00:19:36 à avoir les informations les plus précieuses.
00:19:38 Justement, peut-être qu'on peut en parler.
00:19:39 Alors, on va prendre un peu d'avance sur le fil qu'on avait préparé.
00:19:42 Mais comment est-ce que ça s'organise finalement un réseau d'espions ?
00:19:46 Est-ce qu'il y a un service global ou est-ce que,
00:19:50 comme tu viens de le souligner, il y a plusieurs réseaux
00:19:53 qui potentiellement se font concurrence ?
00:19:55 C'est ça, c'est exactement ça.
00:19:56 Tout est décentralisé, tout est entièrement décentralisé,
00:20:00 c'est-à-dire qu'il n'existe pas de service secret
00:20:03 comme on pourrait le penser de nos jours.
00:20:06 Alors là, on peut juste dire un mot sur ce qu'on appelle le secret du roi
00:20:10 parce qu'on en a entendu parler et que c'est devenu un peu célèbre,
00:20:13 ce secret du roi qui était dirigé par Louis XV.
00:20:17 Le secret du roi n'est pas un service secret,
00:20:19 ce n'est pas un service d'espionnage.
00:20:21 Le secret du roi, c'est une diplomatie parallèle.
00:20:23 C'est ce qui permet à Louis XV de pouvoir agir de façon diplomatique
00:20:28 dans un sens complètement différent de la diplomatie officielle.
00:20:32 C'est un peu schizophrène comme truc.
00:20:34 Mais Louis XV est un roi qui est très secret,
00:20:37 qui aime bien le secret, c'est pour ça que je l'aime bien.
00:20:39 Et c'est un roi qui n'ose pas forcément aller publiquement
00:20:45 contre les décisions de ses ministres ou contre certaines actions de ministres
00:20:49 qui peuvent correspondre d'ailleurs à des grandes tendances de la diplomatie française.
00:20:52 Et donc, son moyen à lui, c'est de contourner la chose
00:20:55 en organisant sa propre diplomatie,
00:20:57 en s'appuyant sur des agents diplomatiques qu'il recrute,
00:21:00 qui lui sont totalement fidèles
00:21:02 et qui sont totalement cachés des services diplomatiques officiels.
00:21:06 Et donc, c'est ce qu'on appelle le secret du roi.
00:21:08 Et alors, on parle du chevalier d'Eon.
00:21:10 Le chevalier d'Eon était un membre du secret du roi.
00:21:12 Donc, c'est pour ça que le chevalier d'Eon n'est pas un espion à proprement parler.
00:21:15 C'est un diplomate officieux.
00:21:17 Donc, ça, c'est, je dirais, la seule chose qui ressemble de près ou de loin
00:21:24 à un service secret moderne.
00:21:26 Sinon, dans quasiment aucun pays d'Europe n'existe l'équivalent d'un service secret.
00:21:31 Ceux qui sont les plus au point, ce sont les Britanniques, enfin les Anglais,
00:21:36 parce qu'eux disposent d'une vieille tradition d'espionnage
00:21:40 et ils ont une vieille tradition de centralisation de l'espionnage.
00:21:43 Ça remonte à Elisabeth Ier, cette histoire.
00:21:46 Et donc, ils ont une certaine centralisation.
00:21:50 Je dis « une certaine » parce que ce n'est pas non plus organisé comme le MISX.
00:21:55 En France, alors pas du tout.
00:21:57 En France, comme dans beaucoup de pays,
00:21:59 ce qui se passe, c'est que chaque personne a son réseau.
00:22:03 Le ministre de la guerre a son réseau d'espions.
00:22:07 Le ministre des Affaires étrangères a son réseau d'espions.
00:22:10 Le roi a son propre réseau d'espions.
00:22:13 Et les chefs de guerre ont le leur.
00:22:15 Et évidemment, plus vous êtes puissant, plus vos espions sont généralement de qualité
00:22:19 et sont généralement des espions importants.
00:22:22 Le petit chef de guerre local, lui, il s'appuie sur ce qu'il peut, sur ce qu'il trouve.
00:22:27 Donc, ça va être le guide du coin, le paysan, la cavalerie légère.
00:22:33 Il s'appuie sur les unités qu'il a à proximité.
00:22:36 Et évidemment, chacun est jaloux de son réseau.
00:22:39 Et il est hors de question de transmettre son réseau à quelqu'un d'autre.
00:22:44 C'est arrivé une fois.
00:22:45 Il y a un secrétaire d'État à la guerre, Ben Lille, qui a transmis son réseau.
00:22:48 Et c'est extraordinaire, c'est exceptionnel.
00:22:50 Ça n'arrive pas parce que, évidemment, ce qu'il faut bien comprendre,
00:22:54 c'est que l'espion amène une information,
00:22:57 que cette information est un enjeu de pouvoir.
00:22:59 Évidemment, l'information que vous transmettez ensuite à l'étage de dessus,
00:23:04 et tout ça converge vers le roi qui est au sommet,
00:23:06 c'est un moyen de se faire bien voir,
00:23:08 un moyen de montrer que vous faites bien votre travail,
00:23:11 un moyen de montrer que vous êtes bien informé.
00:23:13 Or, l'information est le pouvoir.
00:23:15 Et donc, mieux vous êtes informé, plus vous êtes puissant.
00:23:18 Et donc, forcément, les espions, ce sont des enjeux de pouvoir.
00:23:21 Et des réseaux d'espions sont des enjeux de pouvoir.
00:23:24 Donc, il est évident qu'il faut avoir un bon réseau d'espionnage
00:23:27 et que chacun le conserve.
00:23:28 Ce qui fait que, parfois, on peut avoir des réseaux
00:23:32 qui agissent pour la même cause, mais qui sont concurrents dans les mêmes espaces.
00:23:36 Moi, j'ai étudié une mission comme ça en Pologne,
00:23:39 où on va avoir le réseau,
00:23:43 quelques espions qui sont envoyés par le ministre de la guerre,
00:23:46 quelques espions qui sont envoyés par le ministre des Affaires étrangères,
00:23:49 quelques espions qui sont envoyés par un officier qui s'implique dans l'affaire
00:23:53 parce qu'il connaît bien la Pologne et les officiers polonais,
00:23:56 il se dit "Tiens, moi, je peux peut-être être utile".
00:23:58 Et ce qui est assez amusant, c'est que tous ces espions se croisent
00:24:01 sur le territoire polonais,
00:24:02 se regardent un peu de travers en se disant
00:24:04 "Tiens, j'ai quand même l'impression que c'est un espion ou l'autre,
00:24:05 mais je n'en suis pas bien sûr".
00:24:07 Et ils ne savent pas du tout qu'ils travaillent pour la même cause,
00:24:09 c'est-à-dire qu'ils travaillent pour le compte du roi de France
00:24:11 et de savoir dans quelle mesure l'armée russe qu'ils viennent espionner
00:24:15 est dangereuse ou pas.
00:24:16 Et c'est quand même assez amusant.
00:24:20 Maintenant, si on regarde ça de nos yeux, c'est quand même assez surprenant.
00:24:24 Mais bon, c'est un peu la guerre des réseaux ou la guerre des services.
00:24:28 Ça, c'est un phénomène qu'on trouve encore un petit peu à l'époque contemporaine.
00:24:31 Et alors, ces réseaux d'espions qui sont mis en place,
00:24:38 c'est des réseaux qui perdurent ou qui sont éphémères,
00:24:42 justement, le temps d'une campagne ou le temps d'une mission.
00:24:46 Tu m'avais parlé, par exemple,
00:24:48 quand on a préparé cette émission du fameux soulagement jacobite en Écosse
00:24:54 et du réseau français en Suède.
00:24:56 Ah oui, non, mais ça, c'était les opérations.
00:24:58 Parce qu'au 18e, on n'a pas peur d'organiser des opérations complètement hallucinantes
00:25:04 qui sont de nos yeux compliquées déjà à mettre en place en 2022.
00:25:10 Alors, on se dit, s'il fallait le mettre en place au 18e siècle,
00:25:13 enfin, c'est de la folie pure.
00:25:15 Et effectivement, parfois, on a des réseaux qui se créent dans le cadre d'une campagne
00:25:20 ou qui se créent dans le cadre d'une mission.
00:25:23 Par exemple, en 1746, il y a un soulèvement jacobite en Écosse.
00:25:28 Alors, pour reparler un petit peu de tout ça,
00:25:31 parce que peut-être que tout le monde n'est pas familier avec ça,
00:25:34 globalement, sur le trône d'Angleterre,
00:25:37 il y a des rois qui sont issus d'une dynastie allemande.
00:25:41 Et en Écosse, il y a dans la population des gens
00:25:46 qui n'apprécient pas du tout cette dynastie allemande,
00:25:48 qui sont nostalgiques de l'ancienne dynastie qui était la dynastie des Stuarts,
00:25:52 qui était une dynastie écossaise d'origine et catholique de surcroît.
00:25:58 Et donc, il y a des partisans des Stuarts en Écosse qu'on appelle jacobites.
00:26:02 Alors, ça vient de "jacobus" en latin parce que c'est Jacques Stuart,
00:26:05 le roi Jacques Stuart, qui avait dû fuir.
00:26:07 Donc, c'est des partisans de cette famille des Stuarts.
00:26:09 Et les jacobites sont assez remuants en Écosse.
00:26:12 Ils se soulèvent assez souvent.
00:26:14 Et en 1746, il y a un nouveau soulèvement qui est orchestré
00:26:17 parce que justement, le fils de Jacques Stuart,
00:26:20 qui s'appelle Charles Edward Stuart, Bonnie Prince Charlie,
00:26:22 débarque en Écosse et rameute ses partisans jacobites.
00:26:26 Et donc, il y a un grand soulèvement jacobite en Écosse
00:26:29 avec pour but d'être couronné roi d'Écosse et peut-être même roi d'Angleterre.
00:26:33 Donc, ça, c'est le soulèvement jacobite.
00:26:35 Et les Français, dans toute cette histoire,
00:26:37 ils trouvent ça très bien parce que ça occupe les Anglais.
00:26:40 Et que les Anglais, à l'époque, ils sont en guerre contre eux sur le continent
00:26:43 et que les Anglais, d'un coup, se retrouvent attaqués sur leurs arrières par les Écossais.
00:26:48 Donc, c'est le branle-bas de combat, c'est la panique en Angleterre.
00:26:51 On commence à rapatrier des troupes et les Français se disent
00:26:53 "c'est très bien, ça ouvre un nouveau front".
00:26:55 Sauf que pour Louis XV, ça pose un problème qui est un problème,
00:26:59 je dirais, presque moral.
00:27:00 On ne peut pas soutenir une insurrection contre la légitimité d'une dynastie.
00:27:06 Alors, même si on aime beaucoup les Stuarts,
00:27:07 même si on a accueilli les Stuarts et que les Stuarts sont en exil en France,
00:27:11 ça pose question.
00:27:12 En plus, on n'y croit pas trop.
00:27:14 Le ministre de la Guerre, il n'y croit pas du tout à cette histoire.
00:27:17 Il dit "ça ne marchera pas, ils n'y arriveront pas à ce soulèvement".
00:27:21 Et donc, on se dit "on va les aider, mais on ne veut pas trop s'impliquer non plus".
00:27:27 Donc, on a trouvé une solution qui est d'impliquer un pays neutre.
00:27:31 C'est-à-dire, on ne va pas s'impliquer nous, mais on va impliquer un autre pays.
00:27:35 Et ce pays neutre, c'est la Suède.
00:27:36 Alors, la Suède est complètement neutre dans le conflit à l'époque.
00:27:39 Et on se dit "ça tombe bien, elle est neutre".
00:27:41 Donc, on va prétendre qu'on recrute des officiers pour les troupes françaises.
00:27:46 Alors, à l'époque, dans l'armée française, il y a des régiments étrangers.
00:27:49 Des régiments avec des gens qui viennent d'autres pays.
00:27:52 On a notamment un régiment suédois qui s'appelle le Royal Suédois.
00:27:55 Donc, on dit "on va recruter des Suédois pour nos troupes à nous",
00:27:57 parce qu'on est en guerre, on a besoin de Suédois.
00:27:59 Et sauf qu'on ne va pas du tout les ramener en France, ces Suédois.
00:28:03 On va les envoyer en Écosse, sans qu'ils le sachent.
00:28:06 Et ils la prendront sur le bateau.
00:28:08 C'est exactement comme ça, c'est l'Ibelle, la mission.
00:28:12 Et donc, pour faire cette opération, on a besoin d'agents.
00:28:15 On a besoin d'espions qu'on va envoyer sur place pour aller mener cette opération.
00:28:19 Et c'est comme ça qu'on va envoyer tout un groupe,
00:28:21 un trio d'espions qui sont envoyés sur place pour aller mener toute cette opération.
00:28:26 Et en fait, c'est une succession, c'est un fiasco total.
00:28:30 C'est presque tragique comique, cette opération.
00:28:33 Ils n'arrivent à rien, les Suédois se battent, les jeunes Suédois se battent entre eux.
00:28:40 Les Anglais font tout pour torpiller la mission.
00:28:42 Les Anglais sont au courant de tout, quasiment depuis le début.
00:28:45 Depuis le début de l'opération, ils ne sont pas encore partis de France,
00:28:48 les espions français, que les Anglais connaissent toute la mission.
00:28:50 Et on en parle même dans les gazettes anglaises.
00:28:53 Dans les gazettes anglaises, on dit "Tiens, il y a les Français qui sont partis recruter des Suédois pour les envoyer en Écosse".
00:28:59 Le gel arrive, les bateaux qui devaient embarquer les Suédois sont bloqués par les glaces.
00:29:07 Il y a un incendie dans la ville de Kjødborg où ils devaient partir, donc la ville est crame aux deux tiers.
00:29:12 Enfin, la glace a cessé.
00:29:15 Ça fait des mois et des mois qu'on patiente dans ce port.
00:29:18 Les officiers suédois recrutés n'en peuvent plus, ils n'ont qu'une seule envie, c'est de partir.
00:29:22 On les embarque dans le bateau, mais là, il y a une tempête, le bateau se renverse.
00:29:26 Enfin, c'est que ça.
00:29:27 Et à la fin, la mission échoue lamentablement.
00:29:31 Mais pas totalement, parce que finalement, alors qu'il n'y a pas un seul Suédois qui est arrivé en Écosse,
00:29:38 le roi de France, pour apaiser un peu les choses, dit "bon, les Suédois, on va les recruter quand même,
00:29:42 mais pour nos troupes, à nous".
00:29:44 Et c'est comme ça qu'ils vont arriver en France.
00:29:46 Mais alors, ils arrivent en France par la route terrestre, parce qu'ils ne veulent plus entendre parler de bateau, je pense.
00:29:50 Donc, ils arrivent en France par la route terrestre.
00:29:52 Mais on voit arriver dans ce fameux port de Kjødborg des Jacobites après l'échec de leur soulèvement, la répression.
00:30:00 C'est la fameuse bataille de Culloden, le massacre des Jacobites par les Anglais et le duc de Cumberland.
00:30:06 C'est une répression absolument terrible.
00:30:07 Et donc, il y a beaucoup de Jacobites qui fuient et certains arrivent en Écosse.
00:30:11 Et alors, ils n'ont rien.
00:30:12 Ils arrivent dans une pauvreté totale, un dénuement absolu.
00:30:15 Et on ne sait pas du tout quoi faire d'eux.
00:30:17 Et les agents français qui étaient sur place encore se disent "bah tiens, ce qu'on va faire, c'est qu'au moins, on va les exfiltrer".
00:30:23 Et donc, finalement, ce qui était au départ destiné à aller aider les Suédois, à aider les Écossais,
00:30:28 ça devient une filière d'exfiltration des Écossais qu'on va ramener en France par des routes sûres.
00:30:35 Et c'est comme ça qu'on va pouvoir sauver un certain nombre de Jacobites.
00:30:38 Donc, en fait, ça montre qu'on n'a pas peur de faire des opérations extrêmement complexes,
00:30:44 mais que c'est le 18ème siècle.
00:30:47 Donc, on est tenu à tous les problèmes qui peuvent survenir à cette époque.
00:30:52 On nous pose la question de savoir si les espions,
00:30:56 donc on a bien compris que ça peut venir de milieux socioculturels très différents.
00:31:00 Est-ce qu'il n'y a que des hommes ?
00:31:04 Ah, la femme, la femme espionne.
00:31:06 Donc, en fait, moi, c'est une femme qui m'a emmené sur ce sujet.
00:31:10 C'était justement une espionne anglaise dans cette bande dessinée dont je parlais.
00:31:15 Eh bien, non, parce qu'en fait, il faut bien comprendre une chose.
00:31:19 Au 18ème siècle, on a une certaine image des femmes qui correspond en tout point
00:31:25 à l'exact opposé des qualités attendues pour un espion.
00:31:29 C'est-à-dire que l'image que l'on a de la femme, c'est que la femme est frivole,
00:31:34 qu'elle est bavarde, qu'elle n'est pas portée du tout sur les choses militaires.
00:31:40 On a besoin de gens qui ont un certain intérêt sur ces choses-là,
00:31:44 qu'elle n'est pas capable de garder le secret.
00:31:46 Il y a La Fontaine qui a écrit une fable qui s'appelle "Les femmes et le secret".
00:31:51 D'ailleurs, c'est amusant parce qu'il finit sa fable en disant
00:31:54 "de ce point de vue-là, je connais beaucoup d'hommes qui sont femmes",
00:31:57 en disant qu'ils ne sont pas capables de garder le secret.
00:31:59 Mais voilà, les femmes, on pense qu'elles ne savent pas garder le secret.
00:32:02 Et donc, toutes les images que l'on peut avoir de la femme au 18ème siècle
00:32:06 les rendent absolument impropres au métier d'espion.
00:32:09 Ce qui fait que globalement, les femmes, on ne pense pas à elles.
00:32:14 Ce n'est même pas dans la mentalité d'envisager d'avoir recours à des femmes.
00:32:19 Et pourtant, il y en a.
00:32:20 Il y a des femmes militaires, il y a des femmes soldats,
00:32:23 des femmes qui se cachent pour combattre.
00:32:26 Ça, ce n'est pas très connu, ce n'est pas très étudié.
00:32:28 C'est bien dommage.
00:32:29 Ces femmes soldats, qui d'ailleurs posent des vrais problèmes,
00:32:32 parce que souvent, ce sont des très bons soldats.
00:32:34 Et les ministres sont bien embêtés parce qu'ils ne savent pas trop
00:32:38 ce qu'il faut faire avec elles.
00:32:39 Et d'ailleurs, on voit qu'ils sont pleins de compassion.
00:32:43 On ne peut pas les garder, mais malgré tout, ce sont des bons soldats.
00:32:47 Donc, on a des femmes soldats et j'ai quelques espionnes.
00:32:50 Mais très souvent, les espionnes, ce qu'on dit d'elles,
00:32:54 c'est qu'elles ne sont pas fiables.
00:32:56 Maurice de Saxe, qui est le très grand officier français
00:32:59 de la Garde Succession d'Autriche, dit dans un de ses rapports,
00:33:03 il dit "J'ai reçu le compte-rendu de mon espionne,
00:33:07 mais je n'ai pas confiance dans ce qu'elle dit.
00:33:12 Je n'ai pas autant confiance en elle que dans ce que me disent mes autres espions."
00:33:16 Je trouve que tout est résumé par cette phrase-là.
00:33:17 C'est-à-dire que parce que c'est une femme,
00:33:19 de toute façon, son témoignage ne sera pas fiable.
00:33:22 Déjà, les chefs de guerre ont du mal à accorder une fiabilité à l'espion,
00:33:26 parce que l'espion est immoral.
00:33:28 L'espion, par principe, est immoral, sinon il ne serait pas espion.
00:33:31 C'est un métier infâme, c'est ce qu'on dit à l'époque.
00:33:33 Donc déjà, l'espion nous rapporte des informations,
00:33:37 mais ça reste un espion, donc on ne va pas forcément croire tout ce qu'il nous dit.
00:33:41 En plus, si on ajoute à ça le fait que c'est une femme,
00:33:43 on va encore moins croire ce qu'il nous dit.
00:33:45 Ce qui fait qu'il y a peu de cas d'espionnes.
00:33:48 Il y en a, mais souvent, ça ne finit pas bien.
00:33:50 C'est-à-dire que ce sont des espionnes maladroites.
00:33:52 Alors, je dirais malheureusement,
00:33:54 elles tendent à confirmer un peu les préjugés qu'on a sur elles à l'époque.
00:34:00 Il y en a une, par exemple, elle s'appelle Léo Tardy.
00:34:04 Elle vit dans le comté près de Nice, en Provence.
00:34:09 Elle vit dans ce qu'on appelait la Provence à l'époque.
00:34:11 Et elle était l'amante d'un commandant pied monté
00:34:17 qui dirigeait une place forte que les Français voulaient conquérir.
00:34:22 Et donc, ils se sont dit, tiens, vu qu'elle est l'amante de ce commandant pied monté,
00:34:26 plutôt que de se donner du mal d'assiéger la place forte,
00:34:29 c'est sa orge, cette place forte, c'est un village fortifié,
00:34:32 ça va être compliqué, on va y laisser des plumes.
00:34:35 On pourrait peut-être essayer de négocier ça tranquillement.
00:34:37 Donc, ils se sont dit, on va discuter avec cette femme
00:34:39 et on va lui proposer tout simplement de négocier la réédition de la place.
00:34:44 Et donc, elle voit ça avec son amant, on propose une belle somme
00:34:47 et peut-être qu'il pourrait accepter la réédition de la place.
00:34:50 Et donc, ils disent absolument à cette femme, n'écrivez rien, ne laissez aucun écrit.
00:34:56 Et donc, qu'est-ce qu'elle fait ?
00:34:57 Elle écrit une lettre et cette lettre, elle la cache dans un panier au milieu de pelotes de laine
00:35:02 qu'elle fait livrer au commandant de cette place.
00:35:05 Bon, je pense que les gardes pieds montés ont dû se demander
00:35:08 pourquoi il y avait un panier avec des pelotes de laine.
00:35:10 Bon, ils ont fouillé, ils ont trouvé la lettre.
00:35:11 Le commandant pieds montés a été jeté en prison et la femme en question,
00:35:15 elle a été pourchassée par toutes les polices pieds montaises,
00:35:17 obligée de se réfugier dans le royaume de France.
00:35:20 Elle a perdu tous ses biens, confisquées et elle finit sa vie dans un couvent.
00:35:23 Voilà, donc globalement, ça ne finit pas toujours très bien.
00:35:27 Néanmoins, il y en a une à laquelle je pense, là, qui est une espionne des Prussiens.
00:35:33 Frédérique II de Prusse, qui est pourtant très, très misogyne, Frédérique II.
00:35:37 Frédéric II dit d'elle que c'est probablement un de ses meilleurs espions
00:35:42 et c'est une espionne prussienne.
00:35:43 Et alors, je n'ai jamais compris son surnom parce que son surnom,
00:35:47 c'est en allemand "Nachtflascherin", ça veut dire "la bouchère de la nuit".
00:35:52 Alors, je pense que ça ferait un super nom de groupe de heavy metal.
00:35:58 Mais sincèrement, je n'ai pas bien compris son surnom.
00:36:03 Je continue de ne pas bien le comprendre.
00:36:04 Ce qui est certain, c'est qu'elle, en revanche, les Français la redoutent.
00:36:07 Ils disent "elle nous fait beaucoup de tort".
00:36:10 Donc, oui, il y a une femme espionne qui, visiblement, est efficace.
00:36:13 Mais c'est vraiment une exception.
00:36:15 Sincèrement, les trois quarts du temps, les femmes sont complètement écartées de l'espionnage
00:36:20 parce que ça ne rentre pas dans les schémas mentaux qu'on pouvait avoir des femmes à l'époque.
00:36:26 - Et est-ce qu'il y a d'autres catégories de personnes,
00:36:31 on va dire maladroitement comme ça, qui ne sont pas fiables pour les employeurs ?
00:36:37 - En fait, vraiment, je voudrais insister là-dessus.
00:36:41 L'espionnage, on a un préjugé extrêmement négatif vis-à-vis de l'espionnage.
00:36:46 L'espionnage, c'est vu comme quelque chose de très mal, de très immoral.
00:36:50 Alors, c'est d'ailleurs tout un paradoxe parce que c'est à la fois immoral, mais on en a besoin.
00:36:54 Et un bon général doit avoir de bons espions.
00:36:56 Et pourtant, les espions, c'est vraiment des êtres...
00:36:59 Il y a un auteur militaire qui disait que c'est des census insatiables.
00:37:03 Et donc, on a vraiment des gens qui, la seule chose qu'on peut tirer d'eux, c'est en les payant.
00:37:08 Enfin, c'est vraiment à l'encontre totale des valeurs qu'on pouvait avoir de l'époque.
00:37:13 Donc, clairement, la vision que l'on a des espions est une vision très, très négative.
00:37:19 Ce qui fait que toute une série de populations n'a pas envie de se coller cette vision négative,
00:37:26 et surtout si pour ces populations, c'est déjà un peu compliqué.
00:37:29 Je pense aux Juifs, par exemple.
00:37:31 Les Juifs sont, au 18e siècle, dans une situation un peu plus confortable qu'avant,
00:37:38 c'est-à-dire que globalement, il y a moins de persécutions.
00:37:41 Il y a une certaine tolérance qui s'installe à leur égard.
00:37:45 Ça se passe généralement un peu mieux que dans les siècles antérieurs.
00:37:51 Et donc, très clairement pour eux, il est hors de question
00:37:54 d'aller se rajouter cette espèce d'opprobre moral, de servir en tant qu'espion.
00:37:59 Ça ne veut pas dire qu'il n'y en avait pas.
00:38:00 Il y en a eu quelques-uns et j'ai eu l'occasion d'en parler dans mon livre des espions juifs.
00:38:06 Mais honnêtement, il y en a vraiment très peu,
00:38:09 parce que la plupart d'entre eux n'ont absolument pas envie de se retrouver à nouveau
00:38:12 avec cette espèce d'étiquette d'immoralité collée dans le dos.
00:38:17 Alors, on parle depuis tout à l'heure d'espions, mais d'espions isolés.
00:38:22 Est-ce qu'il y avait des teams, des équipes d'espions
00:38:25 qui, potentiellement, étaient habitués à travailler ensemble ?
00:38:28 On voit dans les séries actuelles, quasiment toutes les séries,
00:38:32 des équipes de vieux briscards qui se retrouvent...
00:38:35 - Expandables, quoi ! - Ouais, c'est ça !
00:38:37 - Ouais, ouais... Non, en fait, c'est pas une bonne idée.
00:38:41 C'est pas une bonne idée parce qu'il suffit d'en arrêter un
00:38:43 et on fait tomber tout le reste du réseau, en fait.
00:38:46 Donc, les espions ne se connaissent pas.
00:38:48 Et ça fait partie des règles de base que l'on apprend.
00:38:51 Au XVIIIe siècle, il y a énormément de livres d'art militaire qui sont écrits.
00:38:56 C'est aussi parce que c'est une époque de blocage stratégique.
00:39:00 C'est-à-dire qu'au XVIIIe siècle, le type de combat que l'on mène,
00:39:02 c'est essentiellement des combats d'armée en ligne.
00:39:04 Il y a deux lignes qui arrivent face à face,
00:39:06 qui se tirent dessus quand elles ont le feu.
00:39:08 Ensuite, le temps de recharger, soit on attaque l'autre à la baïonnette,
00:39:12 soit on prend le temps de recharger pendant que la deuxième ligne fait feu.
00:39:16 Bref, c'est un blocage technologique.
00:39:17 C'est ce qu'on appelle le combat en ligne.
00:39:19 Et il n'évolue pas vraiment pendant tout le XVIIIe siècle.
00:39:22 Donc, globalement, il y a beaucoup de penseurs qui écrivent en s'intéressant
00:39:26 à l'art de la guerre, en comment améliorer l'art de la guerre,
00:39:28 comment bien former les officiers.
00:39:30 Et donc, on est aussi une époque de pédagogie et de cette volonté un peu
00:39:33 des lumières, de formation et de réflexion autour de la chose militaire.
00:39:39 Et donc, il y a beaucoup de traités et notamment des traités dans lesquels
00:39:42 il y a des chapitres avec comment il faut faire avec vos espions.
00:39:45 Il y a des livres pour officiers, des guides pour officiers
00:39:49 dans lesquels on va donner des conseils.
00:39:50 Frédéric II en a écrit un, par exemple, Frédéric II de Prusse.
00:39:53 Et il dit voilà comment il faut agir avec vos espions.
00:39:56 Et dans tous ces guides, il y a quasiment toujours le même conseil qui revient.
00:39:59 Ils ne doivent pas se connaître.
00:40:01 Ils ne doivent pas se connaître et donc, il ne faut surtout pas qu'ils se connaissent.
00:40:05 Donc, généralement, on dit à l'officier, vous recevez vos espions un par un la nuit.
00:40:10 Il ne faut pas qu'ils se croisent.
00:40:11 Il ne faut pas qu'ils puissent se connaître, s'identifier.
00:40:13 Et de fait, l'espion est seul.
00:40:15 L'espion est toujours très seul, sauf quand il est envoyé en mission.
00:40:19 Dans ces cas-là, il va y avoir un acolyte et on va,
00:40:22 comme la mission que j'évoquais tout à l'heure en Suède, où il y en avait,
00:40:26 ils étaient trois. Là, ils étaient trois.
00:40:28 Mais dès le départ, c'était fixé comme ça, en fait.
00:40:30 Et souvent, quand ils sont recrutés pour servir dans la mission,
00:40:35 ils ne se connaissent pas à la base.
00:40:36 Ce n'est pas des gens qui ont l'habitude de travailler ensemble.
00:40:39 C'est trois espions qu'on a regroupés pour faire cette mission-là, en fait.
00:40:43 Et alors, d'ailleurs, comment on fait pour recruter ?
00:40:46 Parce que le recruter, c'est toujours une étape délicate.
00:40:49 Si on se dirige vers la mauvaise personne, c'est une personne qui peut nous balancer.
00:40:53 C'est ça. Alors, le recrutement, c'est compliqué.
00:40:58 En fait, la plupart des espions se proposent d'eux-mêmes,
00:41:02 c'est-à-dire qu'ils écrivent des lettres au ministre.
00:41:04 C'est des gros collabos.
00:41:06 Oui, c'est ça. Ils font acte de candidature.
00:41:08 C'est la candidature spontanée.
00:41:10 Voilà, je parle plusieurs langues, je connais monsieur machin.
00:41:16 C'est assez drôle parce que les lettres commencent toujours de la même façon.
00:41:19 Elles commencent toujours par "rappeler une fois où il s'était croisé avec le destinataire".
00:41:24 "Souvenez-vous, nous nous étions vus à Paris en 1742.
00:41:28 Et je profite de ce courrier pour vous dire que je parle plusieurs langues,
00:41:32 que je peux être utile, etc."
00:41:33 Et donc, après, ils déclinent dans la lettre tout ce qu'ils savent faire
00:41:37 tout ce qui pourrait être des qualités potentielles pour servir d'espion
00:41:40 et là où ils pensent pouvoir être utiles.
00:41:43 Et ensuite, on donne suite ou pas.
00:41:46 Et dans certains cas, on va juger la candidature intéressante
00:41:50 et on va effectivement rencontrer la personne
00:41:52 et voir dans quelle mesure cette personne peut servir d'espion.
00:41:55 Et/ou dans d'autres cas, c'est complètement fantaisiste
00:41:57 et le courrier finit au fond du tiroir.
00:42:01 Donc ça, c'est la base.
00:42:03 La base, c'est la candidature spontanée.
00:42:05 Au-delà de la candidature spontanée, il y a les expatriés.
00:42:09 Quand on combat en terre étrangère,
00:42:11 on va cibler tous les expatriés que l'on peut trouver le long de la route
00:42:15 parce que là, les expatriés, c'est une valeur sûre.
00:42:17 C'est des gens qui seront prêts à servir leur roi
00:42:20 et donc qui connaissent le pays, qui parlent la langue du pays,
00:42:24 qui ont parfois les habitudes qu'il faut pour pouvoir réussir une mission.
00:42:28 Donc eux, on va les cibler, on va aller les voir
00:42:30 et clairement, on leur fait une proposition de service.
00:42:32 On va leur dire "voilà, on a besoin de quelqu'un pour nous renseigner sur telle chose,
00:42:36 dans quelle mesure vous pouvez nous aider ou pas".
00:42:38 Donc eux, c'est un deuxième mode de recrutement auprès des expatriés.
00:42:43 Troisième mode de recrutement, il y a ceux qu'on force à l'espionnage.
00:42:48 Alors, Frédéric II, il raconte par exemple quelque chose qu'il a fait.
00:42:51 Il dit "vous prenez un bourgeois avec sa famille et ses enfants,
00:42:55 vous mettez des soldats dans la maison avec sa femme et ses enfants,
00:43:00 vous collez au bourgeois un de vos soldats que vous faites passer pour son domestique
00:43:04 et vous l'envoyez dans le camp des ennemis
00:43:06 pour qu'il aille se plaindre du traitement que les Prussiens lui ont fait subir.
00:43:10 Et il en profite pour voir tout ce qu'il faut voir dans le camp,
00:43:14 le soldat aussi en profite pour voir tout ce qu'il faut voir dans le camp
00:43:17 et ensuite, il reviendra vous donner l'information.
00:43:19 Et si jamais il trahit sa parole, évidemment, il arrivera des problèmes à sa famille.
00:43:24 Donc ça, c'est des espions contraints.
00:43:26 Ça, c'est des espions contraints, donc il y en a.
00:43:28 Dans les espions contraints, il y a ceux qui sont habituels, les prisonniers.
00:43:32 Les prisonniers, ils savent très bien qu'ils vont être interrogés,
00:43:35 qu'ils vont devoir donner des informations.
00:43:37 Certains prisonniers peuvent être utilisés ensuite pour servir d'agent.
00:43:41 Les déserteurs, alors là, c'est la plaie des armées d'Ancien Régime.
00:43:45 La désertion, toutes les armées d'Ancien Régime connaissent des phénomènes de désertion,
00:43:48 donc on va utiliser des déserteurs dans ce but-là.
00:43:51 Alors, ça ne vaut pas grand-chose.
00:43:55 Ils sont unanimes, tous les chefs de guerre, pour dire que globalement,
00:43:59 ce que disent les prisonniers et déserteurs, ça ne vaut vraiment pas grand-chose.
00:44:03 Mais bon, ça peut servir.
00:44:06 Souvent, le déserteur, il ne sait pas au-delà de son régiment,
00:44:09 il ne sait pas au-delà de la campagne qu'il a pu mener.
00:44:13 Il a des informations souvent assez vagues.
00:44:15 Il n'est pas dans le secret des dieux, donc ce n'est pas quelqu'un qui peut être très utile.
00:44:19 Mais bon, on a l'habitude de le faire, toutes les armées le font, donc on va faire ça.
00:44:22 Quand il n'y en a pas, on va faire des prisonniers.
00:44:25 Quand on en manque, on va faire des prisonniers.
00:44:26 Donc, on envoie...
00:44:27 Alors, c'est souvent des unités de cavalerie légère, des USAR par exemple,
00:44:31 qu'on va envoyer pour aller récupérer des prisonniers.
00:44:33 Donc, leur solut, c'est d'aller attraper des soldats qu'on ramène ensuite pour les interroger.
00:44:39 Donc, ça, c'est un autre mode de fonctionnement.
00:44:42 Et après, on va essayer de chercher des guides, on va essayer de chercher des locaux.
00:44:47 Il y a aussi toute une part de l'espionnage qui se fait de façon passive aussi.
00:44:52 Les armées d'Ancien Régime, il y a énormément de chevaux dans ces armées.
00:44:59 Donc, ce sont des armées qui ont besoin de prévoir à l'avance des centres pour mettre le fourrage,
00:45:05 prévoir des fours pour cuire la nourriture pour les soldats.
00:45:09 Et généralement, on fait tout ça en amont.
00:45:11 Et donc, par exemple, l'espionnage, ça peut consister à regarder où l'ennemi positionne ses...
00:45:17 où fait-il des fourrages, où positionne-t-il ses entrepôts, ses fours.
00:45:22 Et donc, ça donne une idée de la marche et de la ligne, de la route qui va suivre.
00:45:26 Donc, ça, c'est une observation qui peut être passive.
00:45:29 Après, il y a tous les paysans auxquels on va donner un peu d'argent
00:45:31 et on essaye de convaincre, de vous donner de l'information, mais ça ne marche pas très bien.
00:45:36 Les locaux ont du mal à servir d'espions
00:45:39 et généralement, ils vont le faire s'ils ont une motivation supérieure de le faire.
00:45:45 En Allemagne, par exemple, c'est beaucoup plus facile pour Friedrich II.
00:45:51 Friedrich II, c'est le Prussien.
00:45:53 C'est le roi de Prusse et aux yeux des populations locales allemandes,
00:45:58 c'est celui qui incarne en quelque sorte, et là, on voit bien, on est au début du nationalisme,
00:46:03 au début de l'idée nationale allemande, c'est lui qui incarne la cause allemande.
00:46:06 Et donc, en clair, Friedrich II, il n'a aucun problème à avoir des locaux qui lui servent d'informateur.
00:46:11 Les Français, c'est tout le contraire.
00:46:12 Les Français, on n'arrive pas, et on le dit d'ailleurs, pour quelques sommes que ce soit,
00:46:17 on n'arrive pas à trouver un espion qui puisse nous donner une information.
00:46:20 Et quand on en a un, en plus, on n'est pas sûr que ça soit exact.
00:46:23 Donc, ça joue aussi.
00:46:25 Ça joue aussi.
00:46:25 Il y a des facteurs comme ça, un peu extérieurs, qui peuvent jouer sur la facilité ou pas de recruter.
00:46:30 Par exemple, les Anglais, en Nouvelle-France, ont le plus grand mal à avoir des espions
00:46:35 parce que, évidemment, les Canadiens, en prenant des normes guillemées,
00:46:39 les Canadiens français n'ont pas du tout envie de servir d'espion aux Anglais.
00:46:44 Et donc, ils ont beaucoup, beaucoup, beaucoup de mal à avoir des espions sur place.
00:46:46 Mais alors, tout ça, quand on parle de recrutement, là, se pose la question,
00:46:49 et c'est très récurrent dans ton discours, de la fiabilité.
00:46:53 Qu'est-ce qui prouve que la personne qui t'envoie une lettre, par exemple,
00:46:57 en disant "Regarde comme je suis fort, peut-être que je pourrais t'aider",
00:47:00 eh bien, ce n'est pas un espion du camp d'en face.
00:47:03 Est-ce qu'il y a du contre-espionnage déjà, à cette époque ?
00:47:06 Pas institutionnel.
00:47:07 C'est-à-dire qu'il n'y a pas de contre-espionnage institutionnel qui existe.
00:47:10 Néanmoins, on enquête.
00:47:12 On enquête.
00:47:12 Quand on reçoit la lettre, par exemple, d'un type qui paraît intéressant,
00:47:16 généralement, on le voit bien dans les annotations, notamment des ministres,
00:47:20 ils disent "Se renseigner, voir qui il est".
00:47:24 Et souvent, il y a des enquêtes qui sont menées
00:47:27 où ils interrogent des gens qui le connaissent ou qu'on peut le côtoyer
00:47:29 pour savoir dans quelle mesure la personne est fiable ou pas.
00:47:32 Moi, j'en ai un, par exemple, qui fait un acte de candidature
00:47:36 comme ça auprès du ministre, qui semble tout à fait intéressant.
00:47:40 Il est bien implanté, il est dans les Pays-Bas autrichiens,
00:47:42 c'est-à-dire la Belgique actuelle, lors de la guerre de succession d'Autriche.
00:47:46 Donc, on se dit "C'est formidable, c'est bien, c'est quelqu'un qui va nous être utile".
00:47:50 Mais le ministre a des doutes quand même.
00:47:52 Il se dit "Quand même, il nous donne des informations,
00:47:56 mais est-ce qu'on peut vraiment lui faire confiance ?"
00:47:58 Et il mène une enquête sur lui.
00:48:00 Et finalement, l'enquête montre que le type a fait des offres de service aux Autrichiens
00:48:04 et qu'il a proposé en même temps ses services à l'ennemi.
00:48:07 C'est fréquent, il y a des types qui proposent aux deux camps
00:48:11 et qui regardent quel est le camp qui va répondre le premier.
00:48:14 Et aux yeux des Français, ce n'est pas bon signe.
00:48:17 Il y a d'autres indices qui tendent à montrer qu'en plus,
00:48:19 ils transmettent des informations à l'ennemi.
00:48:21 Finalement, ils l'arrêtent et le pendent pour trahison.
00:48:25 - Est-ce qu'il y a peut-être des régions qui étaient réputées
00:48:31 pour accueillir plus d'espions que d'autres ?
00:48:34 - Les régions les plus propices sont les régions frontalières.
00:48:39 Parce que forcément, les gens parlent plusieurs langues.
00:48:41 C'est très important la question de la langue.
00:48:43 Parce qu'évidemment, quand vous allez envoyer votre espion en terre flamande,
00:48:48 c'est bien qu'il puisse comprendre un peu le discours des gens
00:48:51 et se repérer un petit peu dans les conversations,
00:48:53 parce que l'espion doit tendre l'oreille.
00:48:55 Il doit écouter ce que les gens disent, il doit comprendre ce que les gens disent.
00:48:58 Il doit comprendre ce qu'il va lire.
00:49:00 Donc, la question linguistique est fondamentale.
00:49:02 Donc, les espions sont très souvent originaires de régions frontalières,
00:49:10 voire des étrangers en fait.
00:49:12 Alors, la France a un avantage énorme qui est que tout le monde parle français à l'époque.
00:49:17 Enfin, tout le monde.
00:49:18 Disons, c'est une langue, au niveau des officiers,
00:49:22 disons, c'est une langue qui est souvent très parlée
00:49:25 parce que c'est un peu la langue universelle.
00:49:27 Et c'est la langue du savoir, la langue de la culture
00:49:29 et la langue d'un certain niveau d'éducation.
00:49:31 Donc, forcément, c'est une langue qui est assez parlée
00:49:34 et on arrive toujours à trouver des gens qui parlent le français.
00:49:38 La difficulté, c'est de trouver des gens qui parlent le français
00:49:41 et la langue qui nous intéresse.
00:49:43 Donc, évidemment, ça va être l'allemand, ça va être le flamand,
00:49:46 ça va être l'italien quand on va combattre dans le Piedmont.
00:49:50 Pour rentrer un peu dans le concret,
00:49:53 comme tout à l'heure, tu nous citais quelques exemples.
00:49:54 T'aurais un ou deux coups de cœur
00:49:56 sur des profils d'espions que tu as pu rencontrer justement durant tes recherches ?
00:50:01 Ah, ben, il y en a, il y en a plusieurs.
00:50:04 Moi, j'ai quelques espions qui me sont très sensibles.
00:50:12 Ce n'est pas forcément les plus sympas.
00:50:15 Il y en a un que j'aime bien, c'est Robert Stobo.
00:50:18 Robert Stobo, c'est un Virginien,
00:50:22 donc il vient de la colonie anglaise de Virginie.
00:50:24 Et Robert Stobo, il rentre dans une milice de Virginiens
00:50:30 et commandée par un certain George Washington.
00:50:33 Il était tout jeune à l'époque, George Washington,
00:50:35 il commandait cette milice.
00:50:37 Et cette milice, on est là au tout début de la guerre de Sept Ans.
00:50:40 Elle se dirige vers les fourches de l'Ohio,
00:50:44 c'est au niveau du fleuve Ohio,
00:50:45 pour contrôler cette région qui est très, très disputée entre Français et Anglais.
00:50:50 Chacun construit des forts dans la région
00:50:53 afin d'affirmer son autorité sur place.
00:50:56 Et donc, Robert Stobo fait partie de l'expédition.
00:50:59 Il y a une attaque qui est menée contre un fort français,
00:51:01 attaque qui échoue assez lamentablement.
00:51:03 Washington est fait prisonnier, Stobo aussi.
00:51:07 Et Washington est libéré sur parole.
00:51:10 Stobo est gardé en otage.
00:51:12 Et donc, il se retrouve otage des Français dans un fort,
00:51:17 fort du quenne, je le dis de tête.
00:51:20 Et voilà, c'est un otage, c'est quand même quelqu'un qu'on va bien traiter.
00:51:26 Donc, il n'est pas dans un cachot sordide, il a le droit de se promener.
00:51:30 Il se promène sur les remparts, il discute avec les gens.
00:51:33 Enfin voilà, il est maintenu en otage,
00:51:35 mais c'est dans des conditions tout à fait polies et honorables,
00:51:39 comme on savait le faire à l'époque.
00:51:41 Et finalement, tout ça l'intrigue beaucoup
00:51:45 et il commence à dessiner un peu le plan du fort.
00:51:48 Donc, il dessine tout le plan du fort,
00:51:49 où se trouvent les différentes fortifications,
00:51:52 quels sont les éléments de faiblesse de ce fort,
00:51:54 comment on pourrait l'attaquer.
00:51:56 Et il fait tout un plan de ce fort qu'il signe,
00:52:00 parce qu'il est fier de lui,
00:52:02 où il se dit peut-être que ça me permettra d'obtenir une récompense plus tard.
00:52:07 Donc, il signe ce plan et il le transmet à un Indien,
00:52:09 un chef indien qui s'appelait Chingas,
00:52:11 qui était de la tribu de Delaware,
00:52:12 qui avait été lui aussi pris en otage en même temps que lui.
00:52:15 Et cet Indien, donc Delaware,
00:52:17 avait trouvé un moyen de s'évader du fort
00:52:20 et donc il réussit à s'évader.
00:52:22 Et il rejoint les troupes anglaises du général Braddock,
00:52:25 qui venait d'arriver,
00:52:27 et il transmet le plan du fort du Québec.
00:52:29 Pour Braddock, c'est formidable.
00:52:30 Là, il a un plan transmis de quelqu'un de l'intérieur,
00:52:33 donc il a l'élément décisif.
00:52:35 Sauf que Braddock tombe dans une embuscade
00:52:40 dressée par les Français avec leurs alliés indiens,
00:52:43 à la Monongahela,
00:52:44 et son armée se fait complètement anéantir.
00:52:47 C'est une défaite écrasante.
00:52:49 Et après la défaite,
00:52:51 comme souvent, on fouille dans les affaires des personnes qui ont été battues,
00:52:55 notamment de Braddock.
00:52:56 Et on trouve le plan.
00:52:58 On trouve le plan du fort,
00:52:59 avec en plus la signature du type qui l'a fait,
00:53:01 c'est-à-dire Stobo.
00:53:03 Et donc forcément, on ramène tout ça au fort.
00:53:05 Stobo devient pas un simple otage,
00:53:08 il devient un espion.
00:53:10 Et il y a un procès solennel qui est ouvert,
00:53:14 à Québec je crois,
00:53:15 pour juger cet espion pour haute trahison
00:53:18 et pour avoir trahi sincèrement d'otage.
00:53:21 Ce qui est très intéressant,
00:53:22 c'est que ça devient une sorte de querelle un peu juridique,
00:53:25 où on commence à voir,
00:53:26 même en Europe, on s'empare un peu du sujet,
00:53:29 et on commence à faire avancer la cause juridique.
00:53:31 En quelle mesure un otage peut-il être espion ?
00:53:34 Est-ce qu'un otage, c'est différent d'un soldat ?
00:53:36 On part sur des considérations purement juridiques.
00:53:40 Alors finalement, à la suite du procès,
00:53:42 il va être condamné à mort,
00:53:43 mais la condamnation ne vient pas
00:53:45 parce qu'on attend l'ordre.
00:53:46 Pour le condamner à mort, on attend l'ordre de France.
00:53:49 Donc il faut le temps qu'on envoie l'information en France
00:53:53 et que le bateau revienne.
00:53:54 En attendant, Stobo reste prisonnier,
00:53:57 il s'échappe,
00:53:58 donc à nouveau il s'échappe,
00:54:00 et on le retrouve quelques temps plus tard
00:54:03 parmi les troupes anglaises
00:54:04 qui vont attaquer Québec.
00:54:06 Donc on a des histoires comme ça extraordinaires d'espions.
00:54:11 Stobo, je trouve que c'est un bon exemple.
00:54:14 Ce qui est amusant, c'est que son plan,
00:54:15 on l'a dans les archives.
00:54:17 Ce qui est rigolo en plus, c'est que s'il s'est fait choper,
00:54:19 c'est qu'il a signé son plan.
00:54:20 Oui, mais c'est un truc,
00:54:24 mais c'est une erreur de débutant.
00:54:25 C'est-à-dire qu'on ne laisse pas de traces.
00:54:27 Mais je pense qu'il s'est dit,
00:54:29 vu que le plan va être transmis aux Anglais,
00:54:31 ils doivent savoir qui est derrière.
00:54:33 Et peut-être que pour lui,
00:54:35 je ne sais pas, c'est des suppositions,
00:54:36 mais peut-être qu'il s'est dit,
00:54:38 en signant ce plan,
00:54:40 ils y accorderont de la confiance aux informations
00:54:42 parce qu'ils savent qui je suis
00:54:45 et que ce n'est pas des Français
00:54:47 qui cherchent à les induire en erreur.
00:54:49 Donc c'est assez fascinant.
00:54:50 Et dans la même zone, il y en a un autre,
00:54:52 mais c'est encore un traître,
00:54:54 que j'aime bien, qui s'appelle Thomas Pichon.
00:54:56 Alors, ce n'est pas un nom,
00:54:57 vous voyez, ce n'est pas James Bond.
00:54:59 My name is Pichon.
00:55:01 Incarné par Jacques Villerey.
00:55:03 Oui, c'est un peu ça.
00:55:04 C'est la version française de James Bond.
00:55:06 Donc Thomas Pichon,
00:55:09 c'est quand même quelqu'un d'assez intéressant
00:55:10 parce que lui devient espion par ennui
00:55:13 et par une sorte d'aigreur sociale.
00:55:15 Thomas Pichon, c'est quelqu'un d'assez brillant
00:55:17 qui est secrétaire d'un officier en Acadie.
00:55:21 Et lui, il est en Acadie.
00:55:22 Et il s'ennuie au fort Beau Séjour
00:55:24 et il s'ennuie mortellement dans ce fort
00:55:27 et dans les tâches qu'il a à faire.
00:55:29 Et en plus, il trouve que son supérieur
00:55:30 est vraiment un incompétent
00:55:32 et pas quelqu'un de très intelligent.
00:55:33 Donc, on a quelqu'un qui est relativement aigri
00:55:36 et qui s'ennuie.
00:55:37 Et là, comme souvent,
00:55:39 ce qui se passait à l'époque,
00:55:40 c'est qu'il y a un fort anglais pas loin.
00:55:43 Et quand on n'est pas en guerre ouverte
00:55:45 ou guerre vraiment très dure,
00:55:47 eh bien, pour tuer le temps, on s'invite.
00:55:49 Donc, les Français sont invités régulièrement
00:55:51 à dîner avec les Anglais et inversement.
00:55:54 Et au bout d'un moment,
00:55:56 Thomas Pichon se dit que les Anglais
00:55:58 sont quand même très sympathiques
00:55:59 et que finalement, eux,
00:56:00 ont l'air de reconnaître son talent.
00:56:02 Et donc, il va leur donner des informations.
00:56:05 Il va leur donner des informations
00:56:07 sur tous les forts français de l'Acadie
00:56:09 et les Anglais vont s'en servir
00:56:11 pour capturer les uns après les autres,
00:56:12 tous les forts d'Acadie.
00:56:14 C'est-à-dire que c'est lui qui,
00:56:15 quasiment à lui seul,
00:56:16 va donner les informations
00:56:17 permettant la conquête
00:56:18 quasiment de toute l'Acadie.
00:56:20 Enfin, ce qui restait de l'Acadie à l'époque.
00:56:22 Et par la suite, il continue.
00:56:25 Il essaye de recruter des prisonniers français.
00:56:30 Il essaye de les faire passer du côté anglais.
00:56:32 Donc, c'est vraiment un traître.
00:56:34 C'est vraiment le traître.
00:56:35 Pour cela, il reçoit une belle pension de Londres.
00:56:38 Donc, il part ensuite en Angleterre s'installer.
00:56:40 Il a une très belle pension.
00:56:42 Mais c'est pour ça qu'il met sympathique.
00:56:44 À la fin de sa vie, la France lui manque.
00:56:48 Donc, en fait, il cherche à s'en rapprocher
00:56:50 et il va s'installer dans les îles anglo-normandes
00:56:52 pour être le plus proche possible
00:56:54 du territoire français.
00:56:56 Et il va y mourir.
00:56:58 Et ensuite, il va léguer,
00:57:00 c'est intéressant dans son testament,
00:57:01 il va léguer toute sa bibliothèque
00:57:04 à la ville dont il était originaire.
00:57:06 C'était un normand.
00:57:07 Il venait de la ville de Wyr en Normandie.
00:57:09 Et donc, il va tout livrer,
00:57:10 tout léguer à la ville de Wyr.
00:57:12 Et d'ailleurs, tout le fonds ancien
00:57:14 de la bibliothèque de cette ville,
00:57:16 c'est l'héritage de ce traître,
00:57:18 de cet espion.
00:57:20 Donc, lui, il met un peu sympathique pour la fin.
00:57:24 Moins pour le début.
00:57:25 Bon, après, je n'ai pas de jugement de valeur.
00:57:27 C'est juste que,
00:57:28 à force de les découvrir dans les archives
00:57:30 et de reconstituer leurs histoires,
00:57:31 après, on peut se prendre l'affection
00:57:33 pour tel ou tel.
00:57:34 Oui, oui.
00:57:35 Alors, tout à l'heure, quand même,
00:57:35 tu évoquais le fait que cet espion,
00:57:40 en attendant son jugement
00:57:43 d'être condamné à mort,
00:57:44 il fallait qu'il y ait le tank, le bateau,
00:57:46 enfin, cela les retourne.
00:57:49 Ça aussi, ça fait partie de la fiabilité
00:57:52 ou non de l'information.
00:57:53 C'est-à-dire qu'il y a le temps de transmettre aussi.
00:57:55 C'est ça.
00:57:56 En plus de la crédibilité de la personne concrète.
00:57:58 Ce qu'il faut bien comprendre,
00:57:59 c'est qu'on n'est pas à l'époque des SMS.
00:58:04 C'est une information.
00:58:06 Quand on voit l'information,
00:58:08 quand on intercepte l'information,
00:58:10 il faut la transmettre.
00:58:11 Et là se pose toute une série de problèmes,
00:58:14 c'est-à-dire que transmettre l'information,
00:58:16 déjà, il ne faut pas qu'il y ait d'interception
00:58:18 ou d'interruption de la transmission.
00:58:20 Donc, il ne faut pas que quelqu'un intercepte l'information.
00:58:23 Donc, il va falloir parler de chiffrement,
00:58:25 chiffrement des messages, cryptographie,
00:58:28 moyens, soit des moyens techniques dont on a parlé,
00:58:30 soit des moyens alphanumériques.
00:58:32 On va remplacer les mots par des chiffres
00:58:36 ou par une succession de chiffres.
00:58:37 Et seul le destinataire qui a une grille avec tous les chiffres
00:58:41 est capable de comprendre le message.
00:58:44 Parce que sinon, c'est 344, 26, 17.
00:58:48 Donc, c'est incompréhensible.
00:58:51 Donc, ça, c'est un moyen d'éviter justement les interceptions.
00:58:54 Mais ensuite, ce qu'il faut voir,
00:58:55 c'est qu'on a aussi le temps, effectivement.
00:59:01 Et il faut bien comprendre qu'une information,
00:59:03 le temps qu'elle arrive au centre de décision,
00:59:05 que le centre de décision la prenne,
00:59:07 la compare avec d'autres informations,
00:59:09 décide si elle est fiable ou pas,
00:59:10 et ensuite réagisse en envoyant la réponse,
00:59:13 ça prend des plombes, c'est super long.
00:59:16 Et donc, ça peut prendre deux mois, trois mois,
00:59:20 quand c'est par exemple des combats coloniaux.
00:59:23 Il faut bien comprendre que même si on charge un coursier
00:59:27 depuis les Pays-Bas autrichiens, c'est-à-dire la Belgique actuelle,
00:59:30 pour aller quasiment non-stop des Pays-Bas autrichiens jusqu'à Versailles,
00:59:35 le type, il va lui falloir au moins, je veux dire,
00:59:38 un abri d'abattu plusieurs jours.
00:59:40 Donc, ce n'est pas des réponses immédiates.
00:59:42 Et ça joue.
00:59:44 Concrètement, c'est beaucoup plus efficace
00:59:46 d'avoir une information de l'autre côté de la colline
00:59:49 que d'avoir une information qui vient d'un pays plus éloigné.
00:59:53 Ce qui fait que parfois, on ne sait pas du tout ce qui se passe.
00:59:56 Et il faut bien comprendre qu'à nos yeux maintenant,
00:59:59 de nos jours, c'est assez étonnant,
01:00:01 mais quand on envoie des missions d'espionnage,
01:00:03 on n'a aucune idée de ce qui se passe.
01:00:05 On ne sait pas si les types se sont fait tuer,
01:00:06 s'ils se sont fait arrêter, s'ils se sont perdus en route.
01:00:09 Si au contraire, la mission est réussie, on n'en sait rien.
01:00:12 Il va falloir un certain temps avant d'avoir le retour des premières lettres.
01:00:16 Et d'ailleurs, on le sent parce que dans les courriers,
01:00:17 ils n'arrêtent pas de dire "j'attends votre courrier".
01:00:20 Et d'ailleurs, ils citent les courriers et disent
01:00:21 "dans votre lettre du 10, vous me dites que".
01:00:24 Et donc, c'est la dernière lettre reçue.
01:00:26 Et donc, par la suite, on ne sait pas.
01:00:29 Et d'ailleurs, on le voit bien quand on les archive,
01:00:31 entre deux lettres, les informations ont changé quasiment radicalement,
01:00:35 parce que la situation a évolué.
01:00:37 Oui, et puis certains en profitent.
01:00:38 Enfin, on voit, je rappelle qu'on a écrit un livre
01:00:42 sur les complots historiques tous les deux.
01:00:46 Ce complot-là n'est pas dans le bouquin,
01:00:49 mais il y a le complot du général Mallet, par exemple,
01:00:51 qui joue sur ces délais, finalement,
01:00:55 des informations qui doivent transiter d'un pays à l'autre
01:00:59 et qui profite d'une défaite de Napoléon pour dire "ouh là là,
01:01:02 Napoléon est mort, il faut vite qu'on le remplace".
01:01:04 Et le temps que l'information soit démentie,
01:01:07 ils tentent de prendre le pouvoir et de devenir calife à la place du calife.
01:01:11 Non, mais c'est ça.
01:01:12 Il faut bien comprendre que les délais, c'est colossal.
01:01:16 J'ai en tête, par exemple, l'assassinat de Lincoln aux États-Unis.
01:01:22 On l'a su en Europe, je crois, 13 jours plus tard.
01:01:26 Et là, on est au 19ème.
01:01:27 Donc, il faut bien comprendre ce que ça veut dire.
01:01:29 Au 18ème siècle, les délais, le seul moyen d'avoir l'information,
01:01:34 c'est que quelqu'un la porte.
01:01:35 Et la porte à pied, la porte à cheval, mais c'est le seul moyen.
01:01:39 Donc, forcément, il y a les délais de transport.
01:01:42 Et on rajoute à ça tous les problèmes climatiques.
01:01:44 C'est-à-dire que pour peu que la route soit mauvaise,
01:01:46 qu'il pleuve, qu'il vente, qu'il neige,
01:01:48 les informations seront encore plus lentes.
01:01:51 Et donc, ça explique que forcément,
01:01:53 c'est un aspect absolument fondamental de l'espionnage
01:01:56 qui est la question de la transmission de l'information
01:01:58 avec les délais et les moyens justement de transmettre
01:02:01 pour éviter que cette information,
01:02:03 enfin, pour permettre à cette information de parvenir à bon port.
01:02:06 Tout ça pose quand même,
01:02:09 avant de revenir sur les risques d'être espion,
01:02:12 mais pose quand même un truc.
01:02:14 Depuis tout à l'heure, on parle de la fiabilité
01:02:17 au niveau du recrutement, des profils,
01:02:19 de tous les aléas qui peuvent modifier ces informations,
01:02:22 du temps que ça prend, etc.
01:02:26 Du coup, on peut légitimement se poser une question.
01:02:28 Est-ce que l'espionnage, c'est vraiment utile ?
01:02:31 Ça, c'est l'excellente question.
01:02:34 C'est l'excellente question et c'est celle avec laquelle
01:02:36 j'ai terminé justement ma thèse,
01:02:38 parce que je trouvais qu'il y avait un petit côté
01:02:42 tout ça pour ça, finalement.
01:02:44 Parce que l'espionnage, le gros problème,
01:02:46 c'est que tout le monde, tous les auteurs militaires,
01:02:49 tous les généraux, même les ministres,
01:02:52 enfin, tous les gens importants disent
01:02:55 il faut avoir des espions,
01:02:57 mais il ne faut leur accorder aucune confiance.
01:03:01 Donc, on se pose légitimement la question
01:03:03 pourquoi avoir des espions,
01:03:04 si c'est pour ne leur accorder aucune confiance ?
01:03:06 Parce que ce sont des gens abjects, immoraux,
01:03:10 des gens qui ne sont portés que par l'argent, etc.
01:03:13 Donc, forcément, on se pose la question
01:03:17 qu'est-ce qu'ils font des renseignements obtenus ?
01:03:20 Est-ce qu'ils en tiennent compte ou pas ?
01:03:22 Et en fait, c'est extrêmement variable.
01:03:23 C'est-à-dire que généralement,
01:03:27 ils vont essayer de croiser,
01:03:29 enfin, les décideurs vont essayer de croiser les informations
01:03:31 à partir des retours qu'ils ont, des rapports qu'ils ont.
01:03:35 S'il y a deux rapports qui concordent,
01:03:37 dans ces cas-là, ils peuvent supposer
01:03:39 que l'information est exacte.
01:03:41 Quand il n'y a qu'un seul espion qui donne une information,
01:03:43 généralement, il se méfie,
01:03:44 ce n'est pas fiable, ce n'est pas solide.
01:03:47 Donc, là, il y a déjà cette recherche de fiabilité
01:03:50 à ce niveau-là.
01:03:51 Il y a un autre aspect qui est que tout le monde le fait.
01:03:55 Tout le monde le fait, donc il faut le faire.
01:03:57 Et ça, c'est une sorte de presque,
01:04:00 c'est ce que j'appelais un peu la superstition d'espionnage.
01:04:03 On le fait parce que les autres le font.
01:04:05 Et si on ne le fait pas, il va nous arriver des bricoles.
01:04:08 Donc, il vaut mieux le faire.
01:04:09 Et d'ailleurs, en 1735,
01:04:12 il y a une histoire qui est rigolote.
01:04:14 En 1735, il y a le maréchal de Breuil
01:04:16 qui campe avec ses soldats,
01:04:18 il est en Lombardie,
01:04:19 et il campe avec ses soldats au pied d'une rivière
01:04:21 parce que, c'est amusant, dans les archives,
01:04:23 il dit, voilà, l'endroit est joli.
01:04:25 Alors, on imagine, c'est bucolique,
01:04:26 une jolie petite rivière, c'est la séquillat,
01:04:28 il est là avec ses troupes.
01:04:30 Et bon, l'endroit lui paraît sûr, charmant, etc.
01:04:33 Donc, il campe avec ses soldats
01:04:34 et il est réveillé en pleine nuit
01:04:35 par une attaque de l'armée autrichienne.
01:04:37 Donc, ils ne l'ont pas vu venir,
01:04:38 ils n'étaient au courant de rien,
01:04:40 les espions ne les ont pas informés.
01:04:41 Et il est tellement surpris qu'il s'échappe
01:04:44 de la maison où il était en pleine nuit,
01:04:45 en chemise de nuit,
01:04:46 et il part en s'échappant en chemise de nuit.
01:04:48 Alors, évidemment, l'information remonte,
01:04:50 cette histoire remonte à Paris.
01:04:52 Il y a plein de chansons qui tournent
01:04:54 sur le maréchal de Breuil pour se moquer de lui,
01:04:56 lui qui était en chemise de nuit, etc.
01:04:58 Et surtout, il est blâmé
01:05:00 de ne pas avoir eu de bons espions.
01:05:02 On dit "comment peut-on se faire surprendre
01:05:05 sans avoir de bons espions ?"
01:05:06 Donc, en fait, il faut en avoir.
01:05:08 Même si on n'est pas convaincu de l'utilité,
01:05:13 même si on n'est pas persuadé
01:05:15 que c'est vraiment fondamental,
01:05:17 il faut en avoir parce que
01:05:18 ça fait partie des choses qu'on attend d'un général.
01:05:21 Et un général, un chef d'armée,
01:05:23 doit avoir de bons espions.
01:05:24 Donc, ça fait partie, je dirais,
01:05:25 des choses un peu attendues.
01:05:28 Après, certains sont efficaces, oui.
01:05:31 Et on s'en rend compte aussi.
01:05:33 C'est-à-dire que quand, après une opération,
01:05:35 il y a un espion qui a donné une information
01:05:36 qui paraissait vraiment utile
01:05:38 et que l'information s'est avérée par la suite,
01:05:41 dans ces cas-là, l'espion, il monte en grâce.
01:05:44 C'est-à-dire qu'on se dit "lui, c'est un bon".
01:05:46 Lui, c'est un bon et on peut lui faire confiance.
01:05:48 Il y a aussi cette dimension-là.
01:05:49 Mais quand même, c'est la méfiance.
01:05:52 La méfiance qui est généralisée.
01:05:54 Et cette question du "tout ça pour ça",
01:05:57 ça se pose aussi pour l'espion lui-même.
01:05:59 Parce que finalement, quand on regarde
01:06:00 les risques qu'ils prennent
01:06:02 pour la récompense qui n'est pas énorme
01:06:05 qu'ils peuvent avoir,
01:06:07 franchement, ça ne vaut pas tellement le détour.
01:06:10 Justement, les risques qu'ils prennent,
01:06:13 qu'est-ce que c'est ?
01:06:14 Alors déjà, est-ce qu'ils étaient souvent démasqués ?
01:06:17 Et est-ce qu'ils étaient systématiquement pendus ?
01:06:20 Ou est-ce qu'il y avait d'autres issues ?
01:06:21 Alors, dans tous les récits,
01:06:23 dans tous les ouvrages militaires,
01:06:25 on trouve quasiment la phrase à l'identique.
01:06:28 "Quand on trouve un espion, on le pend aussitôt."
01:06:31 Les choses sont claires,
01:06:32 mais ça, c'est pour l'espion de base.
01:06:34 C'est pour l'espion de base,
01:06:35 c'est pour le paysan,
01:06:36 pour le petit soldat,
01:06:38 pour vraiment l'espion de base.
01:06:41 On va le pendre à l'entrée du camp.
01:06:43 Après, est-ce qu'il était systématiquement pendu ?
01:06:45 J'ai trouvé des exemples d'espions pendus.
01:06:48 Mais pas tant que ça,
01:06:51 parce que c'est la justice militaire
01:06:52 et la justice militaire,
01:06:53 elle se fait en temps de guerre
01:06:54 et les officiers ne prennent pas toujours le temps
01:06:56 de dire qu'ils le font.
01:06:57 Donc, ils ne vont pas dire
01:06:58 "Aujourd'hui, on a pendu un espion."
01:07:00 Ils le disent de temps en temps,
01:07:01 on le trouve "Aujourd'hui, on a pendu un espion."
01:07:03 J'ai trouvé ça en Nouvelle-France, par exemple.
01:07:05 Mais c'est rare qu'ils le disent.
01:07:08 Ça fait partie du quotidien.
01:07:11 Après, quand il y a des procès pour espionnage,
01:07:17 souvent les espions sont condamnés à mort,
01:07:19 mais peu sont exécutés.
01:07:21 Les procès pour espionnage,
01:07:23 c'est plutôt bon signe.
01:07:24 C'est-à-dire que le procès pour espionnage,
01:07:25 c'est généralement un acte de propagande
01:07:27 pour l'opinion publique,
01:07:28 pour dire "On sait qu'il y a des espions,
01:07:30 mais regardez, nous agissons contre ces espions."
01:07:33 Et c'est bien pour ça qu'on les juge.
01:07:35 Et donc, généralement, c'est des grands procès,
01:07:36 un peu solennels, un peu publics.
01:07:38 Et ils s'en sortent toujours.
01:07:39 C'est assez amusant, ils s'en sortent toujours.
01:07:41 Il y avait un médecin anglais d'origine irlandaise.
01:07:44 Et ça, c'est amusant, justement.
01:07:47 Tu es allé en Irlande récemment.
01:07:48 Ce médecin, il s'appelait Dr. Hansey.
01:07:51 Il travaillait à Londres et il est catholique.
01:07:54 Et il voulait servir la France
01:07:56 parce qu'il n'aime pas trop l'Angleterre protestante.
01:07:59 Et donc, il va transmettre des informations
01:08:02 comme ça, le soir.
01:08:04 Il les écrit au jus de citron,
01:08:06 dans des lettres qu'il envoie
01:08:09 à l'ambassadeur français de l'AE.
01:08:11 Alors l'AE, c'est un nid d'espions.
01:08:12 L'AE, c'est vraiment...
01:08:14 Les Français n'étaient pas présents en Angleterre
01:08:16 parce qu'on était en guerre.
01:08:17 Donc, généralement, c'est à partir de l'AE
01:08:19 qu'on recevait toutes les informations anglaises.
01:08:21 Donc, il envoie les informations à l'AE,
01:08:23 aux représentants français sur place.
01:08:25 Et quand même, on trouve qu'il envoie beaucoup de courriers,
01:08:28 ce docteur.
01:08:30 C'est pour ça d'ailleurs qu'on recrutait
01:08:32 beaucoup d'espions chez les marchands.
01:08:33 Parce que les marchands peuvent envoyer du courrier
01:08:34 sans susciter la méfiance.
01:08:36 Ça, il n'y a pas de problème.
01:08:37 Mais alors, un docteur qui envoie beaucoup de lettres,
01:08:39 c'est un peu suspect.
01:08:40 Et un jour, l'agent des postes
01:08:42 approche sa lettre de la flamme
01:08:43 et apparaît le mot "Monsieur".
01:08:45 C'est-à-dire, il écrit en français,
01:08:47 c'est donc un espion.
01:08:48 Il le dénonce.
01:08:49 Et on l'arrête.
01:08:50 On fouille ses papiers
01:08:51 et on trouve dans ses papiers,
01:08:53 effectivement, qu'il a envoyé
01:08:56 des messages aux Français
01:08:58 donnant des informations
01:08:59 sur la situation politique anglaise.
01:09:00 C'est donc un espion.
01:09:00 Un procès s'ouvre.
01:09:02 Procès pour espionnage.
01:09:03 Alors là, c'est vraiment le procès solennel
01:09:05 avec un jury.
01:09:08 Il va être jugé vraiment...
01:09:09 Alors, c'est très public.
01:09:11 Il fait partie des grands procès du 18e.
01:09:13 Procès pour espionnage.
01:09:14 Alors là, à nouveau,
01:09:15 on parle sur des circuits juridiques.
01:09:17 Ah oui, mais dans quelle mesure peut-on l'accuser ?
01:09:20 Voilà.
01:09:21 Et ce qui est amusant, d'ailleurs,
01:09:23 on va utiliser un argument contre lui
01:09:24 en disant qu'il était suspect
01:09:25 parce que déjà, il était Irlandais.
01:09:27 C'était amusant comme argument.
01:09:29 Et finalement, il est condamné à mort.
01:09:32 Sauf qu'on le retrouve
01:09:34 quelques mois plus tard en France
01:09:35 avec une pension.
01:09:37 Et ça se réglait souvent comme ça.
01:09:39 Et alors après,
01:09:40 ce qui manque souvent dans les archives,
01:09:42 c'est l'entre-deux.
01:09:43 Qu'est-ce qui explique qu'on le retrouve
01:09:44 après tranquille en France ?
01:09:46 Mais il y a des négociations,
01:09:47 des échanges
01:09:48 et ça finit généralement comme ça.
01:09:50 Ça finit généralement comme ça.
01:09:51 C'est-à-dire qu'on le juge solennellement
01:09:53 pour que ça serve d'exemple.
01:09:54 Mais ensuite,
01:09:56 on va les exfiltrer tranquillement.
01:09:58 Enfin, il y a le dernier cas de figure,
01:10:00 c'est les espions officiers.
01:10:01 Alors les espions officiers,
01:10:02 là, il y a un autre niveau qui se joue,
01:10:04 qui est les codes aristocratiques.
01:10:08 Les officiers sont des aristocrates
01:10:10 et il est hors de question
01:10:10 de pendre un aristocrate.
01:10:12 Donc, on ne va pas faire ça comme ça.
01:10:14 Et donc, généralement,
01:10:15 quand c'est des espions aristocratiques
01:10:17 qui sont démasqués,
01:10:18 parfois, on les prévient en disant
01:10:19 "nous savons que vous êtes un espion,
01:10:21 donc arrêtez,
01:10:22 rentrez auprès de votre régiment".
01:10:28 Donc, on va les prévenir poliment.
01:10:31 Soit on va les arrêter
01:10:33 et ça se règle par des échanges,
01:10:35 là aussi, polis.
01:10:37 Alors, je ne sais pas si c'est sur un pont brumeux
01:10:39 un petit matin,
01:10:40 mais voilà, ça se règle
01:10:40 par des échanges polis
01:10:42 de prisonniers ou d'officiers.
01:10:45 Mais en tout cas, c'est rarement suivi
01:10:49 de choses extrêmement violentes.
01:10:54 Ça, en revanche,
01:10:56 pour l'espion de base, oui.
01:10:58 L'espion de base, oui,
01:10:59 parce que c'est là où on veut décourager.
01:11:01 Les officiers, on se dit
01:11:03 "ça peut aussi être
01:11:05 dans le cadre de leur fonction d'officier".
01:11:07 Ça fait un peu aussi partie
01:11:09 de ce qu'on attend d'eux.
01:11:10 Alors, on disait que l'espionnage
01:11:13 n'est pas vraiment utile,
01:11:14 tout ça pour ça.
01:11:16 Il y a quand même des exemples.
01:11:17 Est-ce qu'il y a quand même des actes d'espionnage
01:11:20 qu'on peut changer le cours d'une bataille
01:11:21 ou même d'une guerre ?
01:11:22 En fait, la difficulté,
01:11:24 c'est que l'espionnage apporte
01:11:26 une information.
01:11:28 Cette information,
01:11:29 il faut d'abord la croire.
01:11:31 Et ensuite, il faut,
01:11:33 une fois qu'on a cru cette information,
01:11:35 qu'on l'a jugée fiable,
01:11:36 il faut y donner suite.
01:11:37 Et donc donner suite à cette information,
01:11:39 c'est-à-dire d'avoir les moyens d'agir
01:11:41 par rapport à l'information
01:11:42 qui a été donnée.
01:11:42 Donc, ça va être soit d'attaquer,
01:11:44 si on nous parle d'une faiblesse,
01:11:46 par exemple, d'une place.
01:11:47 Ça va être de se replier,
01:11:49 si on nous dit que l'ennemi arrive
01:11:50 pour nous attaquer.
01:11:51 Ça va être d'aller poser des troupes
01:11:55 à tel ou tel endroit,
01:11:56 parce que finalement,
01:11:57 ça serait propice pour la bataille.
01:11:59 Donc, il faut être en mesure de réagir,
01:12:00 ce qu'on n'est pas toujours capable de faire.
01:12:02 Et dernière chose,
01:12:05 il faut que la bataille
01:12:07 suive le plan prévu initialement.
01:12:10 Or, il y a plein d'éléments qui font...
01:12:12 Tu le sais bien, on l'a dit
01:12:13 dans notre livre sur les complots,
01:12:14 c'est quand même les complots.
01:12:15 Il y a plein de grains de sable,
01:12:16 à un moment donné, qui font
01:12:17 que les choses vont changer
01:12:19 et vont tourner différemment
01:12:20 de ce qui était prévu initialement.
01:12:22 Ce qui fait que l'espionnage,
01:12:24 en fait, c'est un facteur parmi d'autres
01:12:26 qui peut effectivement guider une bataille,
01:12:29 mais pas forcément l'orienter complètement.
01:12:31 Là, j'ai en tête l'attaque de Québec.
01:12:35 L'attaque de Québec,
01:12:35 on est en septembre 1759
01:12:38 et on a le général anglais
01:12:40 qui est bloqué.
01:12:42 Il y a un blocage stratégique.
01:12:43 Il est au pied de la falaise.
01:12:45 Québec, c'est au sommet d'une falaise.
01:12:48 Et globalement, il ne voit pas
01:12:50 comment faire pour amener ses troupes
01:12:52 au sommet de la falaise,
01:12:53 au pied des fortifications de la ville.
01:12:56 Et ils ont du mal à recruter des espions.
01:12:59 C'est ce qu'on a dit.
01:13:00 C'est très difficile pour les Anglais
01:13:01 d'avoir des espions.
01:13:02 Donc, en fait, ils sont obligés
01:13:04 de faire eux-mêmes des reconnaissances.
01:13:06 Donc, ils font des reconnaissances
01:13:08 et le général Wolfe,
01:13:09 puisque c'est de lui dont il s'agit,
01:13:11 va faire lui-même la reconnaissance.
01:13:13 Donc, il a fait...
01:13:13 Il descend le long du Saint-Laurent,
01:13:16 en canot.
01:13:17 Et au cours d'une de ses reconnaissances,
01:13:18 il observe qu'il y a un petit chemin
01:13:20 qui semble mené au sommet de la falaise.
01:13:22 Alors, ce chemin,
01:13:24 les Français le connaissent bien.
01:13:26 Ils l'appellent "l'Anse au foulon".
01:13:27 Et ce chemin, il n'est pas vraiment gardé.
01:13:30 En fait, il n'est pas vraiment défendu.
01:13:31 Et ça, Wolfe le voit bien.
01:13:34 Donc, en fait, il va revenir avec ses troupes.
01:13:37 Et il a vu une information.
01:13:38 C'est une information secrète.
01:13:40 Là, c'est lui-même qui a fait l'espion,
01:13:41 en quelque sorte.
01:13:42 Et il va envoyer ses troupes
01:13:44 monter à l'assaut de ce chemin,
01:13:46 de l'Anse au foulon,
01:13:47 pour pouvoir arriver au pied de Québec.
01:13:49 Mais il faut bien comprendre ce que c'est.
01:13:50 C'est de l'escalade.
01:13:51 Les types, ils font de l'escalade.
01:13:53 C'est vraiment...
01:13:54 Ils montent sur des rochers.
01:13:55 C'est un chemin qui est très escarpé.
01:13:57 C'est une sorte de chemin pour les chèvres.
01:13:59 Et ils arrivent tout en haut,
01:14:00 au pied de la muraille de Québec.
01:14:03 Et là, on se dit, bon, ben voilà,
01:14:05 l'information secrète a permis
01:14:07 à l'armée anglaise de se déployer
01:14:08 au pied de Québec.
01:14:10 Ben oui, mais ce n'est pas ça
01:14:11 qui donne le résultat de la bataille.
01:14:13 Ce qui donne le résultat de la bataille,
01:14:14 c'est quand Montcalm,
01:14:16 qui est le général français,
01:14:17 le marquis de Montcalm,
01:14:17 décide de faire une sortie
01:14:20 avec ses troupes avant que les Anglais,
01:14:21 l'Otan, ne soient renforcés.
01:14:23 Et c'est au cours de cette sortie
01:14:24 qu'il y a des problèmes de commandement
01:14:27 et que la bataille est mal engagée
01:14:29 et que ça solde en deux heures
01:14:31 le sort de Québec,
01:14:32 parce que les Français
01:14:33 se font tailler en pièces.
01:14:34 Et finalement, c'est plus
01:14:35 la décision de Montcalm
01:14:36 qui entraîne la suite de la bataille
01:14:38 réellement que l'information secrète.
01:14:41 Même si elle a été utile.
01:14:42 Donc, tu n'as pas de cas d'école
01:14:45 entre guillemets où l'information arrive
01:14:47 et on en rêve de cas d'école comme ça.
01:14:49 Et j'en ai rêvé
01:14:50 pendant toutes mes recherches,
01:14:53 de trouver l'information décisive
01:14:55 qui a amené à...
01:14:57 Non, ce que j'ai trouvé, en revanche,
01:15:00 c'est des informations qui...
01:15:02 Des gens qui parlaient trop
01:15:06 et ça a amené l'ennemi
01:15:07 à se préparer à l'attaque.
01:15:08 Ça, je l'ai trouvé, par exemple.
01:15:11 Des Français qui faisaient une réunion,
01:15:15 ils faisaient une réunion,
01:15:16 un camp de...
01:15:17 Enfin voilà, l'état-major,
01:15:20 et qui, au sortir du camp,
01:15:22 se mettent à crier un peu sur tous les toits.
01:15:24 "Aiguisez vos couteaux,
01:15:25 demain, c'est bataille.
01:15:29 On verra, le prince Ferdinand nous attend."
01:15:31 Bon, ben voilà.
01:15:31 Donc, le prince Ferdinand de Brunswick,
01:15:33 évidemment, il est prévenu
01:15:34 par ses espions sur place
01:15:35 que les Français vont attaquer.
01:15:36 Il se prépare, il se défend
01:15:37 et c'est lui qui emporte la bataille
01:15:38 de Minden le lendemain.
01:15:40 Donc oui, on trouve ce genre de choses.
01:15:42 On trouve ce genre de choses.
01:15:43 Après, vraiment, l'espion décisif,
01:15:46 le type sans lequel la bataille
01:15:48 aurait été complètement différente,
01:15:50 non, pas vraiment.
01:15:51 Et même plus tard, je pense à Schulmeister,
01:15:54 par exemple, qui est le maître espion de Napoléon.
01:15:56 Napoléon, il gagne ses batailles
01:15:57 pas parce qu'il a un maître espion
01:15:59 qui lui donne les renseignements précis.
01:16:01 Il emporte ses batailles
01:16:02 parce qu'il a un talent militaire,
01:16:06 un peu de chance parfois,
01:16:08 qui lui permet de remporter les batailles.
01:16:09 Et même, je dirais, même à une époque contemporaine,
01:16:11 même à une époque contemporaine.
01:16:13 L'exemple le plus connu,
01:16:14 c'est quand même Barbarossa.
01:16:17 L'opération Barbarossa, le 22 juin 1941,
01:16:20 quand il y a Hitler qui attaque l'URSS,
01:16:23 Staline, il le sait, l'attaque.
01:16:25 Il a reçu les ordres de ses espions,
01:16:26 les avis de ses espions.
01:16:27 Il a Sorg, son espion au Japon,
01:16:30 qui l'a dit, attention, attaque imminente.
01:16:32 Attaque imminente, il a prévenu.
01:16:34 Il est surpris.
01:16:35 Alors forcément, on a quelques questions
01:16:37 qui sont posées par les gens
01:16:39 qui nous écoutent.
01:16:41 Et il y en a plusieurs
01:16:43 qui concernent des personnages.
01:16:44 Tout à l'heure, notamment,
01:16:45 forcément, il y a le Chevalier d'Eon.
01:16:46 Tu nous disais, mais Chevalier d'Eon,
01:16:48 c'est pas un espion.
01:16:49 Non, c'est pas un espion.
01:16:51 Le Chevalier d'Eon,
01:16:52 alors le Chevalier d'Eon, il est très connu.
01:16:54 D'abord parce que forcément,
01:16:57 il y a son identité un peu flottante.
01:17:00 Il revient souvent dans les mots fléchés aussi.
01:17:02 Ce qui explique à force
01:17:05 les gens de tous les âges le connaissent.
01:17:07 Voilà, non, le Chevalier d'Eon,
01:17:08 en fait, c'est une erreur de casting.
01:17:11 Il faut bien comprendre une chose.
01:17:12 Quand j'évoquais tout à l'heure
01:17:14 la question du secret du roi,
01:17:16 le secret du roi, c'est une diplomatie
01:17:18 parallèle et secrète.
01:17:19 C'est Louis XV qui établit ça
01:17:21 pour manœuvrer dans le cadre
01:17:24 de sa diplomatie.
01:17:25 L'exemple le plus connu, c'est le début.
01:17:27 Pourquoi Louis XV crée ça ?
01:17:29 Parce qu'officiellement,
01:17:30 la France soutient sur le trône de Pologne.
01:17:33 Le trône de Pologne, c'est un trône électif.
01:17:35 C'est-à-dire qu'on va élire le roi.
01:17:37 Et donc, officiellement,
01:17:38 il y a un candidat qui est
01:17:40 électeur de Saxe et c'est lui
01:17:41 qui devient roi de Pologne.
01:17:42 Sauf que Louis XV, lui,
01:17:44 il aimerait bien placer sur le trône
01:17:45 de Pologne le prince de Conti,
01:17:47 son cousin.
01:17:48 Et donc, officiellement,
01:17:49 la France soutient l'électeur de Saxe.
01:17:52 Mais officieusement, dans le cadre
01:17:54 de la diplomatie secrète
01:17:56 qu'il crée du secret du roi,
01:17:57 il pousse le prince de Conti
01:17:58 sur le trône de Pologne.
01:18:00 Et donc, il va créer tout un réseau
01:18:02 diplomatique visant à assurer
01:18:04 cette élection au prince de Conti.
01:18:06 À son cousin.
01:18:07 Et donc, c'est que des gens
01:18:11 qui doivent être loyaux rois,
01:18:12 qui doivent être tenus au secret,
01:18:15 alors le plus impénétrable.
01:18:17 Des gens très compétents
01:18:20 et qui, voilà, doivent être
01:18:22 une obéissance absolue.
01:18:24 Et dans ce cadre-là,
01:18:25 on va recruter Déon.
01:18:26 Alors, Déon, c'est vraiment
01:18:28 pas une bonne idée de le recruter
01:18:30 parce que Déon est quelqu'un
01:18:31 qui est très compétent,
01:18:33 qui va jouer un rôle important
01:18:35 pour le secret du roi,
01:18:36 quand il va s'agir d'aller en Russie
01:18:38 pour essayer de convaincre
01:18:39 la tsarine Elisabeth
01:18:41 de s'aligner sur les positions
01:18:43 françaises.
01:18:44 Là, Déon va être assez habile,
01:18:46 voire très habile
01:18:47 dans ses négociations.
01:18:49 Mais par la suite,
01:18:51 ça va un peu lui monter à la tête.
01:18:54 Et il est persuadé de son importance.
01:18:57 Et il est persuadé
01:18:58 de sa grande importance.
01:19:00 Ce qui fait que quand il est envoyé
01:19:01 en Angleterre, il n'accepte pas,
01:19:03 il ne va pas tolérer du tout
01:19:05 d'être relégué finalement.
01:19:08 Alors, il occupe l'ambassade
01:19:09 pendant un certain temps,
01:19:10 le temps que l'ambassadeur arrive.
01:19:12 Et quand l'ambassadeur...
01:19:13 Alors là, il met une grande reine,
01:19:14 il fait des grandes fêtes,
01:19:15 c'est somptueux.
01:19:16 Enfin, il adore ça.
01:19:17 Déon est quelqu'un qui adore
01:19:19 les belles...
01:19:21 voilà, les fêtes,
01:19:23 ce genre d'ambiance
01:19:25 un peu fastueuse.
01:19:26 Et quand l'ambassadeur en titre
01:19:27 arrive, forcément,
01:19:28 on est dans une société
01:19:29 d'Ancien Régime,
01:19:30 il faut connaître son rang
01:19:31 et donc il faut qu'il redescende.
01:19:33 Mais il n'est pas l'ambassadeur
01:19:34 en titre et il va refuser.
01:19:36 Il va le refuser au motif
01:19:37 qu'il a occupé la place,
01:19:40 qu'il est beaucoup plus compétent
01:19:41 que l'ambassadeur
01:19:43 et au motif officieux
01:19:45 que c'est un agent du secret du roi.
01:19:46 Mais ça, il ne peut pas le dire.
01:19:47 Et donc, évidemment,
01:19:49 ça va créer un conflit colossal,
01:19:51 mais vraiment colossal,
01:19:53 entre lui et l'ambassadeur.
01:19:54 Ça va aller jusqu'à des tentatives
01:19:56 d'assassinat, enfin de la violence,
01:19:58 tentative d'assassinat
01:19:59 et une implication du roi de France.
01:20:01 Et là, Déon part complètement
01:20:03 en vrille, si vous me passez
01:20:04 l'expression.
01:20:05 Il se met à faire chanter Louis XV
01:20:09 en menaçant de divulguer
01:20:10 les documents qu'il a en sa
01:20:11 possession et qui sont relatifs
01:20:13 au secret du roi et donc de donner
01:20:16 toute cette information.
01:20:17 Alors, évidemment,
01:20:18 Louis XV ne peut pas l'accepter
01:20:20 et il est très embêté
01:20:23 avec cette histoire de Déon.
01:20:24 Et c'est là l'affaire
01:20:25 où on va envoyer Beaumarchais
01:20:26 pour négocier avec lui.
01:20:27 Alors Beaumarchais,
01:20:27 c'est un bon exemple d'espion aussi.
01:20:29 On envoie Beaumarchais
01:20:30 pour négocier avec lui
01:20:32 pour qu'il restitue
01:20:32 les documents en question.
01:20:34 Et Déon qui...
01:20:39 Très sincèrement,
01:20:40 Déon a des problèmes psychiatriques.
01:20:42 Je sais, c'est difficile à estimer
01:20:44 en tant qu'historien,
01:20:45 parce qu'on n'est pas des psychiatres,
01:20:47 mais dans ses attitudes,
01:20:49 dans ses écrits, dans sa façon
01:20:50 de se mettre en scène,
01:20:51 c'est quelqu'un qui est vraiment
01:20:52 très, très...
01:20:53 qui raconte sa propre histoire
01:20:55 et qui la raconte de la façon,
01:20:57 parfois un peu fantasmée.
01:21:00 Et donc voilà,
01:21:03 c'est pour ça qu'on va avoir
01:21:05 ce personnage qui, en plus,
01:21:07 aime bien se travestir.
01:21:09 Alors là, ça n'a rien à voir
01:21:11 avec ses problèmes psychiatriques,
01:21:12 mais il aime bien se travestir,
01:21:13 c'est un fait.
01:21:14 Et Louis XV va négocier
01:21:16 dans le cadre de la négociation
01:21:18 avec lui pour qu'il restitue
01:21:19 les papiers, va exiger
01:21:21 qu'il va obtenir une pension.
01:21:24 Déon obtient une pension
01:21:25 et en échange,
01:21:27 il doit conserver des habits de femme.
01:21:30 Mais il faut bien comprendre
01:21:31 que ce n'est pas du tout
01:21:32 l'homme qu'on imagine,
01:21:33 l'homme un peu androgyne
01:21:36 qui pourrait être...
01:21:38 enfin voilà,
01:21:39 dont on n'aurait pas forcément
01:21:41 de doutes évidents sur sa stature.
01:21:44 Tous les témoignages qui sont faits
01:21:45 sur Déon disent que c'est
01:21:46 un capitaine des dragons.
01:21:48 Et un capitaine des dragons,
01:21:50 c'est quelqu'un de bien charpenté.
01:21:52 Voilà, c'est un homme
01:21:52 qui est assez charpenté.
01:21:54 Et sincèrement,
01:21:56 voilà, il n'y a pas trop de doutes.
01:21:58 Alors après, au fur et à mesure du temps,
01:22:00 vieillissant, plus lui-même
01:22:01 joue sur l'ambiguïté,
01:22:03 il faut bien vivre,
01:22:04 la pension ne suffit pas.
01:22:05 C'est quelqu'un qui aime bien
01:22:06 mener grand train,
01:22:07 donc il se prend au plaisir des paris.
01:22:10 Alors, il adore parier.
01:22:11 Donc, est-ce que c'est un homme ?
01:22:12 Est-ce que c'est une femme ?
01:22:13 Il gagne sa vie en faisant
01:22:14 des combats d'épée,
01:22:16 habillé en femme.
01:22:17 Alors, vous vous rendez compte ?
01:22:17 La chevalière Déon
01:22:19 qui fait des combats d'épée.
01:22:21 Et voilà, et ça va continuer
01:22:22 assez longtemps jusqu'à ce qu'il finisse
01:22:24 finalement dans la misère.
01:22:26 Voilà pour le chevalier Déon
01:22:29 qui est tout sauf un espion.
01:22:33 C'est un diplomate officieux,
01:22:35 plutôt habile et plutôt intéressant
01:22:37 dans la première partie
01:22:39 et qui a un peu perdu les pédales
01:22:42 à partir du moment où il était
01:22:44 en Angleterre.
01:22:45 Mais tu as cité le nom, par contre,
01:22:46 d'un certain Beaumarchais
01:22:48 et là, tu as dit que c'était intéressant.
01:22:50 Ah oui, Beaumarchais, oui.
01:22:51 Beaumarchais, c'est un exemple
01:22:54 de ce que j'évoquais tout à l'heure,
01:22:55 des aventuriers.
01:22:56 Beaumarchais, c'est quelqu'un
01:22:57 qui est talentueux pour écrire
01:23:00 des pièces de théâtre.
01:23:02 C'est quelqu'un qui fait
01:23:03 du trafic d'armes.
01:23:04 Beaumarchais va faire du trafic d'armes
01:23:06 au début de la guerre
01:23:07 d'indépendance américaine
01:23:08 pour approvisionner les insurgents
01:23:10 en armes.
01:23:10 Alors, c'est toujours la même chose.
01:23:11 S'il fait du trafic d'armes,
01:23:12 c'est parce que la France,
01:23:13 officiellement, ne veut pas s'impliquer
01:23:15 dans ce conflit au début.
01:23:17 Et donc, on veut bien les aider,
01:23:19 mais pas officiellement.
01:23:20 Donc, qu'est-ce qu'on fait ?
01:23:21 On crée des fausses compagnies.
01:23:22 Alors, Beaumarchais crée une compagnie
01:23:24 avec un nom espagnol
01:23:25 et il va amener, comme ça,
01:23:26 des armes aux Etats-Unis.
01:23:28 Donc, il fait du trafic...
01:23:29 Enfin, aux futurs Etats-Unis.
01:23:30 Il fait du trafic d'armes.
01:23:32 C'est quelqu'un qui est un négociateur aussi.
01:23:33 Là, on l'a vu avec Déon.
01:23:34 Il vient pour négocier.
01:23:36 Il vient pour...
01:23:38 Il sert d'agent secret
01:23:40 dans ce cadre-là.
01:23:41 Et là, il va servir d'agent secret
01:23:43 dans le cadre du secret du roi.
01:23:44 Donc, oui, Déon est quelqu'un...
01:23:46 Beaumarchais, pardon,
01:23:47 est quelqu'un de très intéressant
01:23:48 parce que là, on a une sorte d'espion
01:23:51 un peu intermittent.
01:23:52 Un espion intermittent,
01:23:54 et alors un personnage très haut en couleur,
01:23:56 comme le 18e siècle, c'est bien fait.
01:23:58 Alors, on a des gens qui nous parlent aussi
01:24:00 d'une certaine "Milady de Winter",
01:24:03 mais qui serait plutôt un personnage de roman.
01:24:05 Bah, oui, c'est Dumas.
01:24:07 C'est les trois mousquetaires.
01:24:08 Alors, c'est le siècle d'avant.
01:24:10 C'est le siècle d'avant et "Milady de Winter",
01:24:12 c'est un exemple d'archétype.
01:24:16 C'est l'archétype de l'espionne.
01:24:17 Et alors, ce qui est intéressant,
01:24:18 c'est que l'archétype de l'espionne,
01:24:19 c'est que c'est la femme séductrice,
01:24:23 une femme habile, très très habile,
01:24:25 très douée dans l'espionnage,
01:24:26 qui généralement a en plus des talents d'escrime,
01:24:29 c'est se battre,
01:24:31 et qui malgré tout a des regrets,
01:24:36 des doutes et des considérations morales.
01:24:39 Voilà, là, on est dans l'archétype
01:24:40 de la femme espionne,
01:24:42 comme on trouve beaucoup dans la littérature.
01:24:44 Mais c'est un archétype.
01:24:46 Ce n'est pas une réalité du tout.
01:24:48 C'est un archétype, elle n'a pas existé.
01:24:50 Il n'y a pas eu de "Milady de Winter".
01:24:52 Après, il a existé des femmes espionnes,
01:24:54 pas nombreuses pour les raisons qu'on a évoquées,
01:24:56 mais il en a existé, oui.
01:24:58 Peut-être un peu plus d'ailleurs au siècle d'avant,
01:25:01 parce que là, il y avait des enjeux religieux
01:25:04 qu'il n'y a pas au XVIIIe siècle.
01:25:06 Le XVIIIe siècle, c'est une époque un peu
01:25:08 un temps mort en termes d'affrontements religieux.
01:25:11 On est à une époque où la tolérance,
01:25:12 une certaine tolérance se met en place,
01:25:15 et donc on ne s'affronte plus vraiment
01:25:17 sur des considérations protestants catholiques.
01:25:19 Ça joue en plus de considérations et de tensions politiques,
01:25:22 mais ce n'est pas forcément des considérations majeures.
01:25:25 Donc, au XVIIe siècle, on trouve peut-être
01:25:26 un peu plus d'espionnes parce que là,
01:25:28 il y a l'enjeu religieux.
01:25:30 Et justement, c'est intéressant,
01:25:31 parlons un peu des religieux.
01:25:34 Il n'y a pas de réseau d'espions non plus pour l'Église ?
01:25:37 Pas vraiment. Là aussi, pas vraiment.
01:25:40 Alors que tous les traités,
01:25:41 tous les traités sur l'espionnage ou pour les officiers
01:25:45 disent tous la même chose.
01:25:46 Les religieux font de parfaits espions.
01:25:48 Oui, mais dans les faits, il n'y en a pas.
01:25:50 Dans les faits, il n'y en a pas ou très peu
01:25:53 parce que, pour plein de raisons,
01:25:55 et je pense que la raison principale,
01:25:57 c'est la raison de la moralité.
01:25:59 Espion, c'est immoral.
01:26:00 Et donc, un homme d'Église
01:26:03 ne va pas se mêler de ce métier qui est un métier infâme
01:26:06 et donc forcément se tient à distance,
01:26:09 ce genre de choses.
01:26:09 Et c'est très dommage parce que
01:26:11 les réseaux religieux sont très utiles.
01:26:14 Alors néanmoins, les jésuites
01:26:16 sont de très bons informateurs,
01:26:18 pas des espions, mais des informateurs.
01:26:19 Et les réseaux jésuistiques,
01:26:20 eux, transmettent beaucoup d'informations.
01:26:23 Et parfois, j'ai certains de mes agents
01:26:25 qui s'arrêtent dans un collège tenu par des jésuites
01:26:28 pour avoir des informations
01:26:30 parce que les jésuites communiquent beaucoup entre eux.
01:26:32 Est-ce qu'il y a des secrets
01:26:34 qui auraient pu être gardés des informations d'espionnage, etc.,
01:26:37 qui n'étaient pas connus forcément à l'époque,
01:26:40 mais qui auraient pu ressortir dans des sources
01:26:43 et qui nous auraient apporté un nouvel éclairage
01:26:45 à nous autres contemporains ?
01:26:46 Pas vraiment.
01:26:48 Pas de choses sensationnelles
01:26:49 ou des révélations ou des choses comme ça.
01:26:53 Non, on n'a pas vraiment...
01:26:54 Il y a des choses qu'on découvre.
01:26:55 Par exemple,
01:26:57 ce qu'on disait sur l'opération en Écosse
01:27:01 menée par la Suède,
01:27:02 bon, ça, c'est assez nouveau.
01:27:04 Par exemple, on ne savait pas vraiment
01:27:05 que les Français avaient organisé ce truc-là.
01:27:09 On savait qu'il y avait des Écossais
01:27:11 qui étaient arrivés réfugiés par les routes allemandes,
01:27:14 mais on ne savait pas trop comment ils étaient là
01:27:17 et pourquoi ils étaient venus par là.
01:27:19 Non, il n'y a pas vraiment de révélations sensationnelles
01:27:22 qu'on pourrait découvrir dans les archives.
01:27:24 Ça aussi, ça fait partie des choses dont on rêve parfois,
01:27:26 de trouver le document, le truc.
01:27:28 Et alors, la révélation absolue,
01:27:30 non, ce sont des révélations d'historiens.
01:27:32 C'est des choses où on se dit
01:27:33 "Ah, sur ce point-là d'histoire,
01:27:35 je viens de trouver quelque chose de tout à fait intéressant
01:27:37 et qui intéresse généralement le petit cercle d'historiens
01:27:40 spécialistes du sujet."
01:27:41 Mais non, il n'y a pas...
01:27:44 Moi, je n'ai pas en tout cas trouvé de document
01:27:47 qui soit absolument une révélation absolue sur cette période.
01:27:51 Ce qui est assez intéressant aussi,
01:27:54 c'est que je discutais avec d'autres historiens
01:27:58 et qu'ils me disaient "Oui, mais en fait,
01:27:59 des fois, pour comprendre la société,
01:28:03 ça peut être intéressant d'aller voir
01:28:06 de la comptabilité de commerçants, par exemple,
01:28:09 pour voir un petit peu ce qu'ils achetaient,
01:28:10 donc qu'est-ce qui s'échangeait
01:28:12 et donc qu'est-ce que ça traduit dans la société."
01:28:15 On a ça aussi justement dans les rapports d'espions,
01:28:18 parce que tu nous disais tout à l'heure
01:28:18 que certains espions, dans leurs rapports,
01:28:20 c'était un peu les actualités.
01:28:21 Donc, est-ce que ces archives,
01:28:23 finalement, ne permettent pas,
01:28:25 par un angle vraiment différent et un peu original,
01:28:29 d'avoir une fenêtre sur la société de l'époque ?
01:28:33 - C'est ça, absolument.
01:28:34 Absolument. On voit, par exemple...
01:28:36 Je pense qu'on pourrait utiliser les rapports,
01:28:38 par exemple, pour étudier
01:28:41 la question des transports,
01:28:43 des routes qui sont suivies,
01:28:44 les coûts aussi,
01:28:46 parce que j'ai des relevés de comptes
01:28:49 de coûts de transport d'un point à un autre,
01:28:52 des différentes auberges,
01:28:55 parfois du coût de l'auberge.
01:28:56 Enfin, ça peut donner des informations.
01:28:58 Je pensais aussi à...
01:29:02 Ça marche dans les deux sens,
01:29:03 c'est-à-dire que j'ai aussi des...
01:29:04 J'ai un espion, je l'ai appelé l'espion mondain.
01:29:07 L'espion mondain, c'est un...
01:29:09 En fait, c'est un agent...
01:29:12 C'est un commandant militaire
01:29:13 qui est dans une place un peu frontalière,
01:29:16 avec une petite principauté allemande,
01:29:19 la principauté des Deuponds.
01:29:21 Et il s'ennuie un peu.
01:29:23 Et finalement, de fil en aiguille,
01:29:26 il a sympathisé avec la famille princière des Deuponds.
01:29:29 Et donc, il est régulièrement invité.
01:29:30 Il participe aux fêtes princières.
01:29:33 Et il raconte tout ça dans ses lettres.
01:29:35 Et alors, là, on a des rapports
01:29:37 qui sont à la base des rapports d'espionnage,
01:29:39 mais dans lesquels il nous raconte un peu la vie,
01:29:42 presque au quotidien, d'une famille princière,
01:29:44 ce qu'il peut faire,
01:29:45 le genre de choses auxquelles il participe.
01:29:48 Et de temps en temps, ici ou là, il glisse.
01:29:50 "Tiens, avec le prince,
01:29:51 je suis allé inspecter un régiment étranger.
01:29:54 J'ai vu des soldats.
01:29:55 Ils étaient bien armés, pas bien armés.
01:29:59 J'ai entendu qu'ils allaient être engagés à tel endroit."
01:30:01 Et donc, hop, il revient sur la fonction d'espion.
01:30:03 Et après, il nous dit "Oui, et donc,
01:30:05 ensuite, nous sommes allés voir la princesse
01:30:06 et elle se porte bien."
01:30:08 Enfin, bref, donc,
01:30:09 au milieu de deux informations mondaines,
01:30:11 on a une petite pépite d'espionnage qui est donnée.
01:30:16 Alors, ce qui est d'ailleurs très amusant sur cet espion,
01:30:19 c'est qu'il a un supérieur qui n'en peut plus
01:30:24 parce qu'il n'est jamais en poste.
01:30:25 C'est un commandant militaire, normalement,
01:30:27 donc il devrait être dans son commandement.
01:30:33 Et en fait, il n'est jamais en poste
01:30:34 parce qu'il passe son temps à la cour princière.
01:30:36 Et donc, son supérieur s'en plaint en disant
01:30:39 "Mais c'est lamentable."
01:30:40 Et il envoie une lettre auprès du ministre en disant
01:30:42 "Non, mais vraiment, il faut faire quelque chose
01:30:43 parce qu'il n'est jamais en poste."
01:30:45 Et le ministre, il dit "Non, non, mais laissez-le,
01:30:47 c'est très bien."
01:30:48 Parce que, évidemment, ça lui permet
01:30:50 d'avoir toutes les informations utiles.
01:30:52 On a quelqu'un qui pose une question.
01:30:54 Je te demande si tu disais "Oui, mais un tel,
01:30:55 c'est pas un espion, c'est plus de l'information, etc."
01:30:58 C'est quoi la distinction, du coup,
01:31:00 entre espion et informateur ?
01:31:03 Les espions n'existent pas.
01:31:05 Les espions, ce sont toujours ceux des autres.
01:31:08 Nous, on a des agents.
01:31:10 C'était mon maître,
01:31:13 enfin, c'est mon maître Lucien Belli qui avait dit ça
01:31:16 dans son livre "Espions et ambassadeurs" au temps de Louis XIV.
01:31:18 Et je trouve que c'est très vrai.
01:31:20 C'est-à-dire que "espion" est un terme insultant,
01:31:23 injurieux, négatif.
01:31:25 Donc, généralement, quand on dit souvent "les espions",
01:31:28 ce sont ceux des autres.
01:31:29 Nous, on a des agents, des informateurs.
01:31:32 C'est rare de trouver dans les archives
01:31:34 que, par exemple, les officiers disent "mon espion".
01:31:37 Ils vont dire "mon homme", "mon agent".
01:31:40 Donc, généralement, le terme d'espion,
01:31:42 souvent, on l'attribue à l'autre.
01:31:45 Et ensuite, la distinction, c'est que l'espion
01:31:51 a généralement une dimension pécuniaire.
01:31:54 Il y a de l'argent derrière.
01:31:56 C'est-à-dire que contre le service qu'il donne,
01:31:58 c'est-à-dire d'aller voir l'armée ennemie
01:32:00 ou de rapporter une information,
01:32:01 il a une rétribution en échange.
01:32:03 L'informateur peut le faire parce qu'il a envie
01:32:10 de raconter quelque chose,
01:32:11 parce qu'il connaît la personne à qui il s'adresse
01:32:13 quand c'est un échange de correspondance,
01:32:15 parfois par grandeur d'âme.
01:32:17 Alors là, j'ai en tête un exemple d'un type
01:32:22 qui vient voir un bourgeois d'une ville de Flandre,
01:32:26 des Pays-Bas actuels,
01:32:28 qui vient voir les Français en les prévenant
01:32:31 du projet des Autrichiens, en disant
01:32:32 que les Autrichiens veulent faire sauter les écluses.
01:32:35 Ils savent que vous arrivez,
01:32:36 ils veulent faire sauter les écluses
01:32:38 et je suis contre parce que ça va détruire la ville
01:32:42 et je n'ai pas envie que ça détruise la ville.
01:32:44 Donc, je vais vous dire où ils sont
01:32:46 et je vais vous dire comment vous pouvez les attaquer
01:32:48 parce que je tiens à sauver les habitants.
01:32:53 Et il dit "j'ai une belle maison,
01:32:55 je sais qu'elle va être détruite par votre artillerie,
01:32:57 mais je préfère ça plutôt que la ville soit inondée".
01:33:01 Bon, alors ça, là on a de l'informateur par grandeur d'âme.
01:33:07 Mais voilà, la plupart du temps,
01:33:09 à partir du moment où il y a une dimension pécuniaire,
01:33:12 c'est un espion.
01:33:14 Après, quand on veut le considérer un peu mieux,
01:33:19 quand on estime que moralement, c'est un peu plus défendable,
01:33:22 on va employer soit des périphrases,
01:33:25 soit des synonymes en parlant d'agent, d'informateur.
01:33:29 Pour espionner les coups,
01:33:30 on a vu qu'il y a des aristots, il y a des officiers.
01:33:33 La petite porte, les domestiques, il y en avait aussi ?
01:33:36 Oui, avec un biais important qui est que souvent,
01:33:42 ils ne sont pas au courant de grand chose.
01:33:43 C'est-à-dire que les domestiques,
01:33:45 à part ceux qui restent pour tenir les portes lors des grandes réunions,
01:33:49 mais généralement, ils sont de l'autre côté de la porte.
01:33:51 Donc, il faut une bonne oreille pour écouter ce qu'ils se disent.
01:33:54 Et donc, le problème souvent, c'est qu'ils ne savent pas grand chose.
01:33:56 Alors, on les interroge, on essaye de se rapprocher d'eux.
01:33:59 Mais souvent, ça ne donne pas un résultat très probant.
01:34:03 Donc, c'est pour ça que ça ne fait pas...
01:34:06 Ils ne sont pas considérés comme étant des espions forcément pertinents.
01:34:09 Est-ce que tu aurais une petite liste ?
01:34:13 Je fais souvent ça avec les invités qui passent dans l'émission.
01:34:16 Une petite liste de bouquins à nous conseiller
01:34:20 pour les gens qui veulent en savoir plus sur l'espionnage ?
01:34:22 Eh bien, il y a mon livre.
01:34:27 Tu as le droit de faire ta promo, vas-y, fais-toi plaisir.
01:34:30 Il est difficile à trouver parce que l'éditeur le fait sur commande maintenant, je crois.
01:34:38 Donc, les espions des Lumières,
01:34:41 Action secrète, espionnage militaire au temps de Louis XV.
01:34:45 On le trouve plus facilement avec l'édition québécoise,
01:34:48 qui est d'ailleurs celle que je conseille parce qu'elle est plus à jour.
01:34:51 Elle a été corrigée, elle est plus à jour.
01:34:54 C'est celle qui est parue chez Septentrion,
01:34:57 qu'on trouve aussi généralement assez facilement.
01:35:01 Après, il y a le livre de Lucien Belly qui est absolument excellent.
01:35:04 C'est la Bible.
01:35:05 C'est vraiment un très, très, très grand historien, spécialiste de Louis XIV
01:35:09 et qui, lui, a travaillé sur espions et ambassadeurs au temps de Louis XIV.
01:35:13 Donc, c'est la période antérieure et c'est probablement ce qui se fait de mieux
01:35:19 sur cette période.
01:35:21 Voilà, moi, je peux conseiller.
01:35:23 Alors, ce n'est pas directement sur l'espionnage,
01:35:25 mais c'est parce que c'est un livre extraordinaire.
01:35:28 Et je pense que c'est là aussi ce qui se fait de mieux sur la période.
01:35:31 C'est La guerre de Sept Ans par Edmond Dziembowski.
01:35:36 Alors, ce n'est pas facile à écrire.
01:35:37 C'est DZIEMBOWSKI.
01:35:43 Et c'est extraordinaire.
01:35:44 C'est extrêmement bien écrit.
01:35:45 Ça se lit comme un roman.
01:35:46 C'est vraiment très, très bien sur la période.
01:35:49 Et voilà à peu près parce qu'il n'y a pas grand chose en français sur ces questions là.
01:35:54 Et puis, on peut signaler quand même que, encore une fois,
01:35:58 on a sorti un bouquin tous les deux, mais c'est un complot, intrigue,
01:36:02 coup fourré dans l'histoire.
01:36:04 Il y a des espions.
01:36:05 Oui, oui, bien sûr.
01:36:07 Bien sûr, il y a des espions.
01:36:09 On le voit notamment lors du protocole des sages de Sion,
01:36:12 où c'est une opération concoctée par les services secrets tsaristes.
01:36:16 Donc, il y a des espions qui sont partout, les espions.
01:36:19 Et des informateurs qui prient de remords aussi durant la conjuration d'Amboise.
01:36:25 On a un protestant qui se dit "Oh là là, OK, je suis protestant.
01:36:29 OK, ils vont kidnapper le roi, mais c'est le roi quand même".
01:36:32 Mais c'est trop horrible ce qu'ils veulent faire.
01:36:34 Donc, je préfère soulager ma conscience.
01:36:36 Voilà, des histoires aussi romanesques que l'on détaille dans ce bouquin avec Stéphane.
01:36:41 Ça nous ferait très plaisir que vous y jetiez un oeil.
01:36:45 C'est dispo partout, en librairie, sur Internet, sur tous les grands sites.
01:36:51 N'hésitez pas à laisser un commentaire aussi, quand vous pouvez, sur les sites qui le permettent.
01:36:55 Parce que c'est pas mal, ça rend le livre aussi plus visible
01:36:59 pour d'autres acheteurs qui pourraient se laisser convaincre.
01:37:01 Eh oui, voilà.
01:37:02 Écoute Stéphane, encore merci à toi pour le temps que tu nous as accordé.
01:37:06 Merci à toi pour l'invitation, c'était un plaisir.
01:37:08 Bonne soirée à tous et encore merci. Ciao.
01:37:11 Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org
01:37:14 "La Vérité, c'est un rêve" - Albert Einstein
01:37:17 "La Vérité, c'est un rêve" - Albert Einstein
01:37:20 "La Vérité, c'est un rêve" - Albert Einstein
01:37:23 Merci à tous !
01:37:25 [SILENCE]
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