Toavina Ralambomahay évoque la situation politique à Madagascar

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Toavina Ralambomahay, conseiller d'opposition à Tananarive et professeur de droit, fait le point sur la situation politique à Madagascar.

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00:00 (musique)
00:02 -Gustavina Roland-Bomay, bonjour. -Bonjour.
00:06 -Alors, vous êtes malgache déjà, il faut le dire.
00:10 Vous êtes conseiller municipal d'opposition précise à Tana N'Arrive.
00:14 -Absolument. -Et vous êtes également un auteur, vous écrivez notamment pour les éditions L'Armatant.
00:19 J'ai souhaité vous... faire votre interview parce que
00:24 il se passe des choses en ce moment à Madagascar, et c'était l'occasion, ou jamais, de faire un point avec vous.
00:28 Alors, bientôt, il y a les élections le 16 novembre.
00:32 Et on va dire que c'est un peu le foutoir, quand même, pour dire les choses comme les sont.
00:38 D'abord, les élections ont été repoussées, si j'ai bonne mémoire.
00:42 -Ça a été repoussé une fois, et c'est encore un enjeu de repousser ou pas.
00:46 C'est-à-dire que c'est encore l'objet du bras de fer.
00:49 -Oui, il est question de repousser à nouveau, peut-être parce que le président n'est peut-être pas si bien assis que ça,
00:54 et qu'il a peut-être pas envie d'aller aux élections tout de suite.
00:57 En ce moment, il y a plein de choses qui se passent, au point qu'il y en a même qui parlent de coup d'État.
01:03 Enfin, pas comme on a l'habitude avec l'armée, mais c'est un quasi coup d'État institutionnel.
01:09 Avant d'en venir à ça, est-ce qu'on peut faire un point sur la situation à Madagascar,
01:15 la situation au niveau économique ? Où est-ce que vous en êtes en ce moment ?
01:20 Pour nous, réunionnais, Madagascar, c'est un océan de pauvreté.
01:24 Est-ce que les choses s'améliorent ? Est-ce que ça se détériore ? Où est-ce que vous en êtes en ce moment ?
01:29 -Malheureusement, le bilan du président Andrade, le président sortant, est catastrophique.
01:34 Nous avons encore plus d'un million de malgaches en situation de famine au sud.
01:39 -Sur combien de population ?
01:41 -Sur, disons, 28 millions de malgaches. Il y a un million de malgaches qui est encore en situation de famine.
01:47 Nous avons les deux grandes sociétés d'État qui sont celles de l'électricité, de l'eau, la djirama, qui est endettée, superbement endettée.
01:57 -Il y a des coupures de courant régulièrement.
01:59 -Tous les jours, partout dans Madagascar, c'est une coupure de courant et un manque d'eau, même dans la capitale.
02:05 Il y a la compagnie aérienne Air Madagascar qui est quasi morte.
02:10 On a créé une autre compagnie qui est Madagascar Airlines, mais ça bat de l'aile aussi.
02:16 -Il y avait eu un accord qui a été passé avec Air Austral et qui est tombé à l'eau.
02:21 -Effectivement, ils ont coupé les relations avec Air Austral dès le début du mandat de M. Raduel.
02:28 Et donc, on est dans une situation catastrophique.
02:32 M. Andrew Raduel explique son bilan par la Covid et la guerre en Ukraine.
02:37 Mais un rapport de la Banque mondiale précise très bien que Madagascar a régressé trois fois plus vite que les pays de l'Afrique subsaharienne.
02:48 -On dit également, et ça c'est quelque chose qui m'a frappé, que Madagascar est le seul pays au monde où la situation se détériore alors même qu'elle n'a pas connu de guerre.
02:59 -Alors ça, c'est le bilan non seulement du président Raduel, mais de tous les présidents précédents.
03:04 C'est-à-dire qu'en 63 ans, nous n'avons pas connu de guerre et pourtant nous avons régressé.
03:08 -Et alors que vous êtes assis sur des tas d'or, enfin quand je dis or, c'est la façon de parler, mais il y a des ressources extraordinaires, peut-être même du pétrole.
03:16 -On a absolument tout. On a toutes les ressources naturelles. On a le soleil, on a les bananes, on a le cobat, l'ilménite, l'or, une végétation, une faune, une flore endémique.
03:28 Malheureusement, on n'arrête pas de régresser. On peut parler des causes s'il le faut, mais c'est un constat malheureux et c'est vrai.
03:35 -D'accord. Donc, élection présidentielle, normalement le 16 novembre.
03:40 -Alors... -J'ai dit "normalement". Pourquoi "normalement" ?
03:42 -Normalement parce que le bras de fer... Alors au contraire, c'est M. Andrade, le président sortant, qui veut les tenir le 16.
03:50 Mais l'opposition, justement, ne veut pas les tenir le 16, mais a des arguments pour reculer sur cette date. On peut en parler.
04:00 D'abord, il y a eu le scandale aux yeux de l'opposition sur l'acquisition du président Andrade, celle d'une nationalité française, alors qu'il était en plein pouvoir en 2013.
04:11 Et comme la loi Malgache dit qu'un majeur qui acquiert une nationalité étrangère perd la nationalité malgache, l'opposition pense qu'il ne devrait même plus être candidat parce qu'il n'est même plus malgache.
04:23 Donc c'est la première pierre.
04:26 -Alors ça, c'est imparable, normalement. Qu'est-ce qui répond ?
04:29 -Alors, l'autoconstitutionnel a accepté sa candidature et à partir de là, il a naiti le mouvement...
04:35 -Qui était sa bonne, l'autoconstitutionnel.
04:38 -Qui apparemment, effectivement, comme elle a accepté la candidature avec un certificat de nationalité, délivré par les juges, alors c'est ce qui a fait que les 11 candidats se lèvent.
04:52 -Et puis aujourd'hui... -Il y a des manifs. Et ces manifs sont... La police intervient très fortement, on va dire.
05:03 -Alors, les forces de l'ordre interviennent. Nous on a les forces de l'ordre parce qu'il s'agit de la police, la gendarmerie et l'armée.
05:11 Et cette répression date d'avant même la campagne électorale puisqu'il y a eu deux rencontres de l'opposition dans des lieux fermés, dans des restaurants qui ont été interdits.
05:22 Donc après, quand la candidature a été validée, le mouvement a repris de plus belle et maintenant il ne s'arrête plus.
05:31 -Et cette répression, il y a des blessés, il y a des arrestations ?
05:34 -Il y a eu des blessés, il y a même deux candidats qui ont été blessés. Il y en a un qui est aujourd'hui bloqué à l'île Maurice parce qu'il ne peut pas encore voyager.
05:43 Il y a eu des civils, des enfants qui ont été atteints par des grenades lacrymogènes. Et voilà la situation aujourd'hui.
05:53 Donc la liberté de manifester est décriée par toute la société civile, même par les partenaires financiers et techniques dont la France, la Suisse, les Nations Unies, l'OIF.
06:05 Ils ont fait des communiqués comme quoi il fallait quand même respecter le droit de manifester. Mais jusque-là, ces entités-là ne considèrent pas qu'on est en plein coup d'État.
06:15 -Alors, autre raison pour laquelle vous parlez de coup d'État, c'est que normalement quand le président se présente à une élection, c'est le président du Sénat qui devient normalement président par intérim.
06:26 -Absolument. Ce n'est pas le cas. Alors ce qui s'est passé c'est que avant, la Constitution prévoit que quand on est en France, quand le président n'est pas en poste,
06:36 quand le poste est vacant, alors il est remplacé par le président du Sénat, ce qui n'a pas été le cas. Et tout de suite c'est le gouvernement dans sa collégialité qui a exercé les fonctions de chef de l'État.
06:48 Et en ce moment, il y a un brusque retour d'un autre président du Sénat parce qu'ils ont démis celui qui devait être...
06:56 -Je comprends chronologiquement. Le président du Sénat avait accepté d'être démissionné mais maintenant il est revenu en disant "non, non, non, tout compte fait, j'ai subi des pressions, des menaces, du chantage et je veux exercer les fonctions comme le prévoit la Constitution".
07:11 -Absolument. -Et là on lui a dit "non, il a été destitué par le Sénat".
07:15 -Alors, c'est exactement ça. Mais aujourd'hui, la journaliste Kael Borgia qui a révélé l'info se fait déduire en disant "j'ai été manipulé et l'ancien président du Sénat n'a même pas eu de pression".
07:34 Donc on ne sait plus ce qui est la vérité ou quoi mais le nouveau président du Sénat est devenu président de la République par intérim aujourd'hui et...
07:44 -Et lui s'approche du président sortant. -Les deux étaient proches du président sortant.
07:49 Les deux étaient proches du président sortant mais il y a eu bisbille et il a été mis dehors et ils ont remplacé par un autre.
07:56 Et aujourd'hui, l'opposition crie vraiment au coup d'État mais la communauté internationale n'a pas encore qualifié cette situation-là alors qu'il y a un article de la charte africaine de la démocratie et de la gouvernance
08:11 qui dit qu'un gouvernement qui a commis un coup d'État ne peut pas organiser les élections. Donc on verra si la communauté internationale le bascule.
08:20 -Que l'organisation africaine se l'enlève et fasse. Mais apparemment le coup d'État...
08:26 -Apparemment le coup d'État n'est pas aussi évident qu'au... -Où ils ont pas envie de se mouiller peut-être.
08:31 -Voilà et donc ils laissent faire et s'ils le prennent de faire, continue tant qu'il n'y a pas une force qui s'impose.
08:38 S'il y a des élections le 16 novembre, on verra qui gagne et on verra qui reconnaît qui comme vainqueur.
08:44 Mais s'il n'y a pas reconnaissance du prochain vainqueur, on entre encore dans un autre cycle de crise.
08:51 Et il faut savoir qu'il n'y a pas eu crise en 2018 parce que le candidat Marc Ravelman avait reconnu la victoire d'Andrzej Dżel
08:59 et donc le mandat a pu commencer. Mais cette fois-ci on verra bien si ça se passe encore comme ça.
09:06 -M. Gasser a déjà connu une révolution populaire où on avait pris d'assaut le palais présidentiel.
09:12 Est-ce que ça c'est quelque chose qui peut à nouveau se reproduire ?
09:15 -Est-ce une révolution ? En tout cas s'il y avait plusieurs marches vers des palais présidentiels ou la mairie de Dana.
09:21 C'était en 1972 vers la mairie de Dana, la mairie était incendiée. En 1991 vers le palais présidentiel de Diavelou.
09:29 En 2009 vers le palais présidentiel d'Amboutsrout. Cette fois-ci c'est la place du 13 mai que l'opposition voudrait conquérir mais elle n'y arrive pas.
09:41 Et pourtant au sein du conseil municipal dont je fais partie, nous sommes en principe majoritaires.
09:48 Et donc il devrait y avoir un rapport de force à ce niveau mais ce n'est pas le cas.
09:55 -D'accord. Madagascar présente toutes les apparences d'une démocratie puisqu'il y a des élections.
10:03 On voit que ce n'est pas aussi simple que ça parce que s'il est candidat alors qu'il n'a pas le droit de l'être, ce n'est pas aussi simple.
10:10 Mais est-ce que c'est une vraie démocratie ? Parce que là aussi c'est pareil, c'est ce qu'on voit nous de la réunion.
10:18 Mais on dit que souvent les votes sont achetés à Madagascar. Est-ce que c'est vraiment le cas ?
10:22 -Première question, est-ce que c'est vraiment une démocratie ? Déjà il n'y a pas eu d'alternance normale.
10:29 Ça a toujours été une alternance précédée de crise ou de transition.
10:34 Et même dans le cercle des diplômés, le cercle des sachants, il y a une élite qui dit carrément que la démocratie n'est pas adaptée à la mentalité malgache.
10:46 Alors c'est un débat récurrent. Il faudrait le mettre sur la table un jour pour en parler.
10:52 -Et s'il n'y a pas de démocratie, ça serait quoi à la place ?
10:54 -Malheureusement, il y a des entités qui se sont légalisées pour le retour à la monarchie par exemple.
11:01 Il y a plusieurs présidents qui reçoivent des malgaches en tant que nobles. En malgache on dit "soudzabe", "andjina" etc.
11:13 Et donc il y a une frange des diplômés qui disent carrément, il y a un professeur d'histoire, Slouf Lundlert,
11:20 qui avait dit dans un journal étranger il y a trois semaines que l'avènement de la démocratie paraît improbable.
11:27 Première chose. Deuxième chose par rapport à l'argent qui circule pendant les campagnes.
11:32 La première réponse est que c'est facile d'acheter le malgache parce qu'il est très pauvre.
11:36 Mais il y a une autre réponse qui se...
11:38 -C'est coûte combien une campagne ?
11:40 -Très très chère. Les rapports de 2013 et 2018 parlent de 140 millions d'euros.
11:46 -Je parle pour un candidat, s'il veut acheter, l'enjeu est de combien ?
11:51 -On avait parlé de 140 millions d'euros à l'époque.
11:54 -140 millions d'euros.
11:55 -Pour une campagne présidentielle. Et pourquoi ça coûte aussi cher ?
11:59 Parce que la première réponse, la selle classique, c'est de dire que le malgache est pauvre,
12:04 donc on peut l'acheter sans problème, et c'est malheureux.
12:08 Et la deuxième réponse, qui est la mienne, qui est plutôt que depuis 1991,
12:13 les diplômés malgaches et la société civile ont détruit ce qu'est l'idéologie.
12:17 C'est-à-dire qu'aujourd'hui, on ne pense plus d'idéologie, on n'a presque plus de projet de société,
12:23 on n'a presque plus de vision, et à partir de là, c'est très facile d'acheter quelqu'un
12:28 quand le malgache n'a plus d'idéal devant lui, alors c'est très facile de monnayer un vote.
12:36 C'est-à-dire que le mal est très profond.
12:39 -Quelle est l'influence des Russes à Madagascar ?
12:42 On parle d'eux au Niger, au Mali, etc., mais on sait que Wagner est présent à Madagascar.
12:48 Quelle est leur importance ?
12:50 -Alors, c'est une histoire... Déjà, Madagascar a été proche de l'Union soviétique
12:56 du temps du régime socialiste, ainsi que de la Chine.
13:00 C'est le président Erdogan de 2014 à 2018 qui a confié une société de chrome officiellement aux Russes,
13:09 mais de là à dire que... Et les Russes sont présents, donc, mais de là à dire que
13:14 sur l'échiquier de la Russie ou de la Chine même, on est super important, ce n'est pas encore le cas.
13:19 Il y a peut-être une présence, il y a eu en 2018 des 3 ou 4 candidats qui ont avoué avoir été approchés
13:26 ou même financés par les Russes, mais ce n'est pas au point d'une considération comme chez les autres pays.
13:33 -La Chine n'a pas acheté des terres à Madagascar ?
13:36 -La Chine, exactement. On a aussi des relations privilégiées depuis Didier Latzler,
13:41 depuis la Deuxième République. Ils ont eu un terrain en plein province de Tadanari sur l'or,
13:47 mais ils ont été mis dehors. Et il y a un rapport de l'IFRI, de l'Institut français de la relation internationale,
13:53 qui dit que la Chine est présente, mais pas aussi importante que par exemple au Sri Lanka ou ailleurs.
13:59 Ils sont là, mais ce n'est pas une influence telle qu'il faut la considérer énormément.
14:05 -La France est rejetée d'une bonne partie de l'Afrique, et pour y être allé il y a un an de ça,
14:11 j'ai ressenti une certaine animosité envers les Français. Est-ce que c'est vrai d'abord, et comment on pourrait l'expliquer ?
14:18 -Il y a toujours eu effectivement une partie des malgaches qui est antifrançaise, évidemment,
14:25 parce qu'il y a une histoire. -Le colonialisme.
14:28 -Le colonialisme, c'est une ancienne puissance. -Il y a eu des massacres, ça laisse des traces.
14:32 -Ça laisse des traces. Il y a toujours aussi une... Mais c'est le président Didier Latzler qui résume bien la situation.
14:40 C'est un mariage de dépit, c'est un mariage de raison faute d'amour.
14:44 Donc on ne peut pas se passer de la France, mais effectivement, il y a toujours, et aujourd'hui,
14:51 la goutte d'eau qui fait déborder le vase dans l'opposition, c'est cette histoire d'acquisition de nationalité française
14:57 par un président malgache, parce qu'on voit mal le drapeau français flotter le 14 juillet à la résidence du président de la République malgache
15:07 à Yavelou, au palais présidentiel. On voit mal... Il y a des gens même dans l'opposition qui avaient soutenu M. Radzuel
15:16 quand il avait réclamé les îles-et-Pars, mais maintenant qu'on sait que... Les nous sommes à la casse,
15:20 mais maintenant qu'on sait qu'il est lui-même français, c'est resté un peu en travers de la gorge.
15:26 -C'est ce que je voulais vous dire, mais Radzuel n'est pas connu pour être un pro-français, quand même.
15:30 Il était en opposition assez frontale avec la France.
15:34 -Alors M. Radzuel, avant 2009, n'avait pas de passé politique, donc on ne connaît pas exactement ses affinités avec la France.
15:42 Il n'a pas vécu la colonisation, il est né en 1977. Et en 2009, il était réputé soutenu par la France avec l'ancien président Idil Al-Tirek.
15:55 -Face au président. -Face à Marc Ravelman, au pouvoir, alors.
16:01 Et on a vu Nicolas Sarkozy venir à son investiture en 2018.
16:07 Donc aujourd'hui, il a des relations certainement très proches avec la France officielle.
16:13 -D'accord. Très bien. Merci en tous les cas, grâce à vous. On a une meilleure vision de ce qui se passe en ce moment en Madagascar.
16:20 Et puis on regardera plus attentivement ce qui se passera le 16 novembre, si l'élection est là ou pas.
16:25 Et peut-être qu'on fera un petit interview en visio, de façon à ce que vous nous expliquiez.
16:30 Merci en tous les cas. -Merci à vous. Merci bien.
16:33 [Musique]

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