Arras : un professeur raconte l'attaque

  • l’année dernière
Un enseignant a été tué et deux autres personnes ont été blessées dans une attaque au couteau dans un lycée à Arras (Pas-de-Calais) ce vendredi 13 octobre. Martin Doussau, professeur de philosophie au lycée Gambetta a été témoin de l'attaque.

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Transcript
00:00 - Effectivement, Nelly, ici, l'émotion est évidemment très forte.
00:03 Je suis avec M. Doussault, professeur de philosophie dans cet établissement scolaire d'Arras.
00:07 Merci d'être avec nous sur CNews.
00:08 Vous avez vu la scène dans la cour de l'établissement, racontez-nous.
00:11 - Effectivement, j'ai été témoin d'une partie de la scène,
00:13 donc la troisième agression qui a eu lieu dans la cour de l'établissement.
00:17 Les agressions ont commencé devant l'établissement.
00:20 Et donc, moi, je sortais à l'intercours.
00:23 Et effectivement, il y avait à ce moment-là un professeur qui était agressé.
00:26 Non, pas un professeur, à ce moment-là, il y avait le chef cuisinier qui était agressé dans la cour.
00:31 Je ne comprenais pas du tout ce qui se passait.
00:33 Et un ancien élève à moi m'a fait reculer en me disant
00:37 « il y a une personne avec un couteau, recule, recule, reculez », etc.
00:41 Je me suis quand même avancé parce que je voyais l'agresseur avec deux couteaux
00:46 s'en prendre à une personne qui était désarmée, assez âgée,
00:50 et qui était déjà en plus blessée.
00:52 Il y avait déjà du sang sur la main droite.
00:54 Donc je me suis avancé pour dire « écoutez, arrêtez, arrêtez tout de suite,
00:58 qu'est-ce que vous faites ? » etc.
01:00 Et la personne, l'agresseur s'est tourné vers moi,
01:03 il m'a dit « t'es professeur d'histoire, t'es professeur d'histoire »,
01:06 et il m'a poursuivi à ce moment-là, et remonté vers moi.
01:09 J'ai reculé, je me suis mis avec la personne avec qui j'étais,
01:12 en sécurité derrière une porte vitrée qu'on a tenue.
01:15 Il est remonté jusqu'à la porte, il a essayé de pousser la porte.
01:18 À deux, on a bloqué la porte à ce moment-là,
01:21 et on a pu heureusement la verrouiller.
01:24 On a eu très peur à ce moment-là qu'il fasse le tour
01:26 et qu'il rentre par une autre partie de l'établissement.
01:28 On a eu peur pour des élèves qui n'auraient pas pu se confiner à ce moment-là.
01:32 Et on a vu que l'agression continuait,
01:35 donc moi j'ai vu effectivement à travers la vitre,
01:37 l'agression continuait sur le chef cuisinier,
01:39 sans que ça aille plus loin, parce qu'à ce moment-là,
01:41 il n'a pas donné de coups de couteau supplémentaires.
01:43 Et moi à ce moment-là, je ne voyais pas la gravité de la scène dans toute son ampleur,
01:46 et j'ai eu le sentiment qu'il était en train de se calmer,
01:48 que le chef cuisinier, en lui parlant, réussissait à le calmer,
01:51 et que donc il n'irait pas plus loin.
01:54 Donc on était un petit peu rassuré à ce moment-là,
01:56 et on se doutait que la police allait arriver très vite.
01:58 Donc à ce moment-là, effectivement, la police est arrivée,
02:02 et l'a rapidement maîtrisée en lui envoyant un coup de taser,
02:06 et donc l'a arrêtée assez rapidement,
02:09 sans qu'il présente de résistance particulière.
02:11 Et les pompiers sont intervenus rapidement pour aider le chef cuisinier,
02:14 qui effectivement était apparemment assez gravement blessé dans la cour.
02:18 Et il m'a demandé, enfin oui, la question qui m'avait surprise à ce moment-là,
02:22 c'est que quand il s'est tourné vers moi, il m'avait demandé si j'étais professeur d'histoire.
02:25 – Il vous connaissait ? – Non, il ne me connaissait pas,
02:27 et ce qui m'a inquiété sur le moment, c'est qu'il puisse s'en prendre à moi,
02:31 dans l'idée que j'étais professeur d'histoire.
02:33 Et je me suis immédiatement rappelé de l'affaire Samuel Paty,
02:35 je me suis dit, mais pourquoi s'en prendre à un professeur d'histoire,
02:37 ou pourquoi vouloir s'en prendre à un professeur d'histoire ?
02:39 – Il semblait rechercher un professeur d'histoire.
02:41 – Oui, c'est du moins, le fait que je puisse être professeur d'histoire,
02:44 l'intéressait et faisait de moi une cible, à ce moment-là.
02:47 Et donc effectivement, je me suis dit que c'était plus qu'une affaire de personne,
02:51 il n'était pas là pour régler des comptes avec tel ou tel professeur,
02:55 ou avec telle ou telle personne de l'établissement.
02:57 C'était pas ça du tout, c'est ça qui m'est venu immédiatement à l'esprit.
03:00 – Parce qu'à noter effectivement qu'on est à 3 jours du 3ème anniversaire
03:04 de la mort de Samuel Paty, malheureusement,
03:06 combien de temps a duré cette agression avant que la police arrive ?
03:09 – Je pense que ça a duré environ 10 minutes.
03:11 Je pense qu'entre le moment où il est rentré, en profitant de l'intercours,
03:15 c'est-à-dire du fait que les portes sont ouvertes pour laisser rentrer,
03:17 sortir des élèves et des professeurs, parce qu'elles sont habituellement fermées,
03:20 je pense qu'effectivement, il a profité de la situation.
03:22 Et qu'entre le moment où il est rentré et le moment où la police est intervenue,
03:26 je pense qu'il s'est écoulé environ 10 minutes de cet endroit-là.
03:29 Entre 11h et 11h10, peut-être 11h un peu plus, mais pas beaucoup plus.
03:32 – Donc il est rentré facilement, il a pénétré facilement dans l'établissement ?
03:35 – Il est rentré facilement dans l'établissement, mais pour une seule raison,
03:38 qui est que, à l'intercours, c'est ce que je pense,
03:41 parce que je n'étais pas témoin à ce moment-là,
03:42 mais je pense qu'il a profité de la situation d'intercours,
03:44 qui se caractérise par le fait, dans cet établissement,
03:47 qu'on ouvre les portes qui sont habituellement fermées et bien contrôlées,
03:50 parce que l'établissement surveille bien les entrées et les sorties.
03:53 Et voilà, il a profité de la situation, peut-être en menaçant quelqu'un,
03:57 il a quand même tué quelqu'un devant l'établissement.
04:00 Mais je pense qu'effectivement, dans la rapidité, il agit suffisamment vite
04:04 pour que personne ne puisse fermer les portes et l'empêcher de rentrer.
04:09 – Vous étiez à l'intérieur de l'établissement,
04:11 la sirène de confinement a retenti,
04:13 comment ont réagi les élèves et le corps enseignant à ce moment-là ?
04:16 Est-ce qu'ils ont cru que c'était un exercice ?
04:18 Est-ce qu'ils ont pris la chose au sérieux directement ?
04:20 – Non, non, en fait, très vite, on a compris,
04:22 parce que l'agression a eu lieu dans la cour.
04:24 Et si vous voulez, la cour est entourée par tous les bâtiments,
04:27 donc on voit très très bien, et je pense que tout le monde a très vite compris
04:30 qu'il s'agissait de quelque chose de grave.
04:32 Et donc, je pense que les réflexes ont été bons
04:35 et que les élèves ont très très rapidement été mis à l'abri.
04:38 Moi, j'ai vu très rapidement refluer beaucoup d'élèves du collège
04:41 dans la partie centrale de l'établissement et se mettre très vite à l'abri.
04:44 Et donc, voilà, je pense que les élèves ont été très vite en sécurité,
04:49 très vite la sirène a retenti.
04:51 En fait, la sirène a retenti après, évidemment, le début de l'agression,
04:56 mais très peu de temps après.
04:58 Et les élèves, donc, ont pu très vite comprendre
05:00 qu'il s'agissait d'autre chose que d'une répétition ou qu'un exercice
05:05 et se sont mis en sécurité.
05:07 Et voilà, donc ça n'a pas pu aller plus loin.
05:10 Et je pense que lui a vite senti qu'il ne pouvait pas aller plus loin
05:13 tel qu'il était armé, compte tenu du fait que nous étions tous protégés
05:17 et qu'il était tout seul, parce qu'il était effectivement tout seul.
05:20 – Il était tout seul ? – Oui, il était tout seul.
05:22 Ça, il était seul.
05:23 – Les élèves sont entraînés à ce genre de situation ?
05:25 Il y a des exercices tout au long de l'année ?
05:27 – Il y a quelques semaines, le proviseur lui-même, M. Vieban,
05:30 était passé dans toutes les salles avec le proviseur adjoint
05:33 pour rappeler toutes les consignes de confinement
05:36 et de consignes à suivre en cas d'incendie.
05:38 Donc tous ces exercices, on les a en tête.
05:42 Et donc, oui, on connaît la procédure et on sait ce qu'on doit faire
05:46 quand peuvent se produire des choses qu'effectivement,
05:49 à ce moment-là, on n'imagine pas possibles.
05:51 Au moment où on fait ce genre d'entraînement,
05:53 on ne s'imagine pas une seconde que ça peut se produire, c'est vrai.
05:56 – On vous sent détendu à l'instant où vous nous parlez,
05:59 dans quel état d'esprit vous êtes ?
06:01 – Écoutez, on est dans un état un peu particulier,
06:04 qui est qu'on se demande effectivement comment les choses on pourra reprendre.
06:08 Moi, je pense actuellement beaucoup au chef cuisinier
06:11 qui est blessé et qui est gravement blessé.
06:14 Donc, voilà, mon état d'esprit, c'est de me dire que je souhaite
06:19 que ça se rétablisse très vite, que mon collègue qui a été blessé
06:23 aussi devant l'établissement, M. Vérag, puisse aussi se rétablir très vite,
06:27 que ce ne soit pas trop grave.
06:29 Mais je pense que la personne qui est dans un état grave,
06:31 c'est le chef cuisinier, je pense vraiment très très fort à lui.
06:35 Et puis voilà, non, je ne suis pas vraiment détendu,
06:38 vous savez, peut-être qu'on est dans l'état un peu particulier
06:42 de quelqu'un qui a simplement survécu à une circonstance très grave
06:46 et qui ne réalise pas encore peut-être complètement toute la gravité.
06:49 Je pense que ce week-end, les choses vont nous saisir peut-être
06:53 de manière un petit peu plus visible, j'allais dire.
06:56 [Musique]
07:00 [SILENCE]

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