Sa dernière création au théâtre, L’amour telle une cathédrale ensevelie, vient d’être récompensée du Prix de la critique 2 023 de la meilleure création en langue française, au moment où en librairie L’homme qui n’arrête pas d’arrêter poursuit sa vie de roman, le deuxième de la vaste bibliographie
de Guy Régis Jr, écrivain, dramaturge, metteur en scène et directeur du festival Quatre chemins à Port-au-Prince, sa ville natale. Dans la causerie qu’il nous a accordée, l’auteur raconte sa relation à son père, qui lui a inspiré Les cinq fois où j’ai vu mon père (Gallimard), et confie ne pas avoir été sur place lors du séisme qui a coûté si cher à son île d’Haïti, et qui continue de traverser sa population : d’où ce roman déambulatoire, dont le personnage principal, Eddie, demeure hanté par la catastrophe. Depuis qu’il a survécu, Eddy s’est perdu, en lui-même surtout, ne retrouvant plus sa place dans une société où son parcours avait pourtant bien commencé, comme fonctionnaire au service des passeports et visas, pour la joie de sa mère. Celle-ci le raccroche à lui-même dès que possible, quand cesse par instants cette errance nocturne où Eddy s’abrutit d’alcool, se promet de ne pas recommencer, et se remet en route, puis s’arrête. Et repart. Bute sur les phrases, s’envoie des points d’interrogation par kyrielles, ne répond pas, ou si peu, et cependant poursuit. D’autant qu’il s’est mis en quête -jusqu’à mener une forme d’enquête- d’élucider la mort d’un homme, dans une petite rue calme de Port-au-Prince. Pourquoi ce cadavre-là plutôt qu’un autre ? Eddy cherche, en marchant, en suivant les unes et les autres. Qui est cet homme, pourquoi lui a-t-il été tué ?
L'homme qui n'arrête pas d'arrêter, Guy Régis Jr, Ed Lattès, 399 pages, 21,90 €
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de Guy Régis Jr, écrivain, dramaturge, metteur en scène et directeur du festival Quatre chemins à Port-au-Prince, sa ville natale. Dans la causerie qu’il nous a accordée, l’auteur raconte sa relation à son père, qui lui a inspiré Les cinq fois où j’ai vu mon père (Gallimard), et confie ne pas avoir été sur place lors du séisme qui a coûté si cher à son île d’Haïti, et qui continue de traverser sa population : d’où ce roman déambulatoire, dont le personnage principal, Eddie, demeure hanté par la catastrophe. Depuis qu’il a survécu, Eddy s’est perdu, en lui-même surtout, ne retrouvant plus sa place dans une société où son parcours avait pourtant bien commencé, comme fonctionnaire au service des passeports et visas, pour la joie de sa mère. Celle-ci le raccroche à lui-même dès que possible, quand cesse par instants cette errance nocturne où Eddy s’abrutit d’alcool, se promet de ne pas recommencer, et se remet en route, puis s’arrête. Et repart. Bute sur les phrases, s’envoie des points d’interrogation par kyrielles, ne répond pas, ou si peu, et cependant poursuit. D’autant qu’il s’est mis en quête -jusqu’à mener une forme d’enquête- d’élucider la mort d’un homme, dans une petite rue calme de Port-au-Prince. Pourquoi ce cadavre-là plutôt qu’un autre ? Eddy cherche, en marchant, en suivant les unes et les autres. Qui est cet homme, pourquoi lui a-t-il été tué ?
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Art et designTranscription
00:00 tu dis les gens sont fous à marcher sans destination, tu le sais Ed, alors pourquoi
00:05 tu dois te le dire ? Tu le sais bien que les gens sont fous, toi tu pourrais avoir une
00:10 destination, tu pourrais aller te chercher quelque chose à te mettre sous la dent,
00:14 quelque chose à marcher. Ton premier exercice physique de la journée, c'est ce que d'habitude
00:20 les gens normaux se donnent comme exercice, ils prennent l'habitude de manger après
00:24 leur sommeil, en sortant du lit ils se donnent cela comme premier projet, non tu dis tu
00:29 ne veux pas traîner ta carcasse dehors à 7 heures, cela te demande trop d'effort,
00:34 tu n'es plus solide du tout, tu as déjà tout, tu as déjà tant vécu que tu fais
00:41 déjà si vieux, tu n'as envie de voir personne, tu préfères te montrer quand il fera un
00:46 peu sombre l'après-midi à 5 heures, c'est exactement l'heure que tu préfères, quand
00:52 le soleil commence à battre bas, l'heure douce, l'heure maussade de l'après-midi
00:57 quand il n'y a plus l'ardeur du jour, quand les nerfs se lâchent, quand tout se fatigue.
01:03 Guy Régis Junior, bonjour.
01:07 Bonjour Valérie.
01:08 Merci pour cette lecture extraite de L'homme qui n'arrête pas d'arrêter, c'est votre
01:14 dernier ou premier roman, on parlera peut-être de ça plus tard, paru aux éditions Lattesse,
01:22 avant d'y venir parcourons ensemble un petit peu votre trajectoire puisque vous êtes aussi
01:26 bien écrivain que comédien, dramaturge que directeur de festival, on vous connaît d'ailleurs
01:32 déjà au point pour plusieurs de vos tribunes ou des entretiens à retrouver sur le site,
01:38 et donc vous êtes natif de Port-au-Prince en 1974, donc haïtien, et vous partagez votre
01:44 vie entre votre pays natal et la France, principalement Paris mais pas seulement, vous êtes chevalier
01:51 des arts et des lettres, officier des arts et des lettres, et vous avez été pensionnaire
01:56 de la Villa Médicis en 2021-2022, et je viens tout de suite à un flashback personnel puisque
02:03 j'ai eu la chance de vous voir sur la scène du Tarmac, à l'époque ce théâtre était
02:07 à la Villette, c'était en 2007 donc il y a très très longtemps, et vous vous appeliez
02:12 encore Bacla Rocco, alors comme les mots, les surnoms, tout ça c'est votre affaire,
02:18 c'est vrai qu'on commence par ce surnom, et citez aussi votre pièce "Göbel, juif
02:23 et footballeur" qui est parue aux éditions de Solitaire Intempestif, qui est la maison
02:29 d'édition qui publie tout votre théâtre, une maison d'édition je le rappelle fondée
02:33 par Jean-Luc Lagarce, et dans cette pièce justement on parle du fait qu'un footballeur
02:38 peut s'appeler Göbels en Haïti, c'est pas un problème, alors à propos des noms,
02:43 des surnoms, Bacla Rocco c'était quoi ? Bacla Rocco je viens de l'apprendre il n'y a pas
02:50 longtemps, Bacca c'était aussi le nom des pygmées, donc des petits, des petits diables,
03:03 et ces pygmées ont beaucoup apporté en Haïti, toute la connaissance des feuilles, ce sont
03:10 les pygmées, et aujourd'hui, chassés bien sûr par l'église catholique, chassés après
03:17 aujourd'hui les haïtiens aussi, quand ils disent Bacca aussi c'est toujours péjoratif,
03:24 et aujourd'hui on a seulement 30 000 pygmées qui existent, donc c'est vraiment un peuple
03:32 extraordinaire, qui a tout vécu, et j'ai trouvé que ce nom m'allait bien à l'époque
03:40 que j'avais commencé à faire du théâtre, c'est plutôt les comédiens qui m'ont appelé
03:44 Bacca, Bacca Rocco, alors Bacca petit diable, et Rocco Rebel, donc petit diable rebel, un
03:54 peu trop fort pour, comment dire en Haïti, un nom trop fort, un nom trop important, un
04:02 nom qui va tuer le petit chien, bon visiblement il ne vous a pas tué, et tant mieux, et il
04:09 y a un autre nom qui est tout simplement le vôtre, qui est Guy Régis Junior, alors vu
04:15 d'ici, c'est à dire la France hexagonale, on se dit mais alors pourquoi, Guy c'est quoi,
04:21 Régis c'est quoi, Junior c'est quoi, et puis on va directement arriver à votre père
04:27 bien sûr, donc quel est ce patronyme ? C'est encore en lien avec l'esclavage, on donnait
04:34 n'importe quel nom à l'esclave, l'esclave portait le même nom que la vache, je trouvais
04:41 que c'était intéressant de jouer avec mon nom, je m'appelle normalement Guy Junior
04:46 Régis, j'ai deux prénoms Guy Junior, Régis c'est censé être mon nom de famille, Régis
04:52 qui a un prénom ici, comme beaucoup de personnalités françaises, j'adore dire qu'il y a Édouard
05:00 Philippe, c'est deux prénoms, c'est mon père dans son originalité haïtienne, parce
05:11 qu'en Haïti on adore jouer avec les noms et les prénoms, qui a donné à son aîné
05:18 moi Guy Junior Régis, mon frère Müller plutôt allemand et mon petit frère Eduardo plutôt
05:25 espagnol.
05:26 Ah c'est bien, tout un monde.
05:29 Ah bah c'est extraordinaire, c'est pour ça que c'est très étrange quand on est
05:33 en France et que tout le monde s'appelle Hélène, il y a 20 000 Xavier, il y a 10 000
05:44 Kevin, Mathéo, ça nous paraît étrange parce qu'il faut que ce soit original en
05:49 Haïti.
05:50 En Haïti on s'appelle Giscard ou Goebbels.
05:53 Alors Goebbels c'est encore mieux parce que c'est historique, ça a un sens quand
05:58 même, il y a de Hitler aussi, c'est ça qui est plus étonnant.
06:02 En effet.
06:03 Dans Hitler je me souviens qu'il voulait être député.
06:06 Ah oui, ça commençait bien.
06:10 Alors arrêtons-nous un instant sur la figure du père parce qu'elle est assez présente
06:18 même quand elle n'est pas visible et en tout cas elle a été très visible dans un
06:22 premier texte en 2011 d'ailleurs qui s'appelle Le Père et encore plus dans Les cinq fois
06:30 où j'ai vu mon père, un texte qui est paru en 2020 chez Gallimard qui a été aussi
06:34 monté sur scène.
06:35 Je ne sais pas si c'est la scène ou le livre qui est arrivé en premier mais si vous pouvez
06:43 me…
06:44 C'est le récit qui a commencé.
06:45 C'est le récit.
06:46 J'ai commencé par le récit et puis j'ai travaillé sur l'adaptation théâtrale,
06:51 bien plus concie et puis dans l'adaptation théâtrale aussi j'ai renversé, on a commencé
06:57 plutôt par La cinquième fois.
07:00 C'était plutôt un compte à rebours super intéressant en théâtre.
07:05 Et ce sera aussi un film d'animation dans quelques années.
07:09 Ah bon ? Oui.
07:10 Ah ben voilà une nouvelle, une nouvelle nouvelle.
07:12 Et ce père alors, est-ce que vous pouvez en dire quelques mots ?
07:16 Alors évidemment que c'est très intime.
07:22 Je n'ai pas connu mon père longtemps, je l'ai vu très rarement et j'ai eu envie
07:31 de raconter cette histoire-là.
07:33 En tout cas j'ai eu envie de retracer les moments où je l'ai vu.
07:37 Peut-être à mon âge c'est le moment de le faire pour qu'il n'y ait plus de
07:43 rancune, plus de rancœur, de régler les choses.
07:47 Et j'ai commencé à mettre sur le papier une fois, deux fois, trois fois et je me suis
07:53 rendu compte qu'il n'y avait pas tant de fois que ça.
07:55 Je ne pense pas que ce soit cinq fois mais cinq c'est un chiffre pas mal, une main,
08:02 un doigt, pourquoi pas.
08:04 Et aussi j'ai commencé à revoir mon père de mon propre chef.
08:09 Je vais le voir aux Etats-Unis.
08:13 J'envoie aussi ma fille maintenant le voir.
08:15 Ils ont une très très bonne relation d'ailleurs.
08:17 Et c'est comme ça que j'ai eu envie de revenir sur ces choses-là, de revenir à
08:22 cette enfance.
08:23 Et puis de parler de ces histoires de pères qui partent et de pères qui partent aussi.
08:30 Dans quel pays les pères partent ? Et donc d'un coup de la situation sociale en Haïti,
08:37 de la situation politique et historique même parce que c'est quoi la famille haïtienne ?
08:44 Comment on constitue la famille dans un pays qui a vécu trois siècles d'esclavage et
08:54 qui a deux siècles ?
08:56 Est-ce qu'on reconstitue la famille avec des gens qui ont vécu quand même dans des
09:01 cases où la femme était dans une case, l'homme dans une autre case, où l'enfant qui
09:07 naît appartenait aux blancs, aux propriétaires ?
09:10 Donc comment est-ce que cet homme-là se constitue au fil des siècles ?
09:15 Est-ce que c'est le nègre nouveau dans cette colonie, puis dans le pays d'Haïti,
09:26 l'ibérisme ? Comment on constitue la famille dans ce nouveau monde ?
09:30 Je me suis retrouvé face à toutes ces questions-là en écrivant ce livre.
09:35 Donc c'était pas seulement mon histoire, c'était l'histoire des Caribéens, des
09:39 Haïtiens et de beaucoup d'autres gens dans le monde qui voient leur père partir, qui
09:46 ont une absence quelconque dans la famille.
09:48 Ça justement c'est important parce que c'est vrai qu'on remarque que certains
09:53 écrivains qui viennent de lieux où les conditions de vie sont très difficiles se sentent plus
10:02 ou moins interdits de dire "je", de s'intéresser, de frôler l'autofiction comme s'il y
10:11 avait un devoir de parler au nom de son peuple.
10:13 Et là vous faites très bien la liaison sans aller ni dans l'un ni dans l'autre.
10:20 C'est-à-dire que vous nous donnez les deux à la fois.
10:23 Je ne suis pas le premier à le faire.
10:25 Justement, Émile Olivier a écrit un très beau livre sur son père aussi.
10:33 J'ai eu quand même le retour de quelqu'un d'important dans la littérature haïtienne
10:39 aujourd'hui, de Louis-Philippe d'Alembert, qui m'a dit "écoute, avec ce livre, tu
10:44 as vraiment raconté l'histoire du père en Haïti".
10:47 C'est pour moi un livre très important en ce sens.
10:49 J'étais très touché parce qu'il y a Milo, il y a d'autres histoires, des mères
10:55 très souvent.
10:56 On aime bien parler des mères.
10:58 Je trouvais que c'était important de parler du père.
11:02 Mais en parlant du père, je trouvais ça facile de se dire "bon, le père il part".
11:12 Voilà, c'est mon histoire personnelle et j'ai quelque chose à régler avec lui.
11:17 Mais non, les pères partent pour des raisons.
11:20 Je pense que les pères ont bien envie de paterner, même si le mot n'existe pas.
11:28 Il y a quand même dans toute cette bataille de gens dans le monde, la présence autant
11:38 de la mère que du père qui est essentielle.
11:40 Donc, vous avez commencé sur scène et non pas par publier des romans, des nouvelles
11:52 ou des récits.
11:53 C'est là où je voudrais que vous nous emmeniez maintenant avec la création de la
11:59 compagnie "Nous" en 2001.
12:01 Maintenant, c'est une longue histoire et une pièce qui a marqué cette entrée de
12:08 la compagnie qui s'appelait "Service-Violence".
12:10 Alors, il y a deux questions.
12:12 La première, c'est est-ce que vous êtes resté fidèle dans cette compagnie qui continue
12:17 d'être la vôtre au code du corps, de l'exhibition du corps qui marquait votre
12:22 entrée en scène et aussi Service-Violence, où on en est pour dire la violence aujourd'hui.
12:32 Est-ce que voilà, c'est deux choses là.
12:35 J'ai commencé à faire du théâtre de façon… c'était un hasard qui m'a amené
12:45 là.
12:46 J'ai fréquenté l'Institut français à l'époque et j'ai vu un atelier d'écriture.
12:51 Je m'y suis inscrit et puis en m'inscrivant, on était toute une bande, une cinquantaine
12:58 et petit à petit, on est devenu 30 plutôt 20.
13:01 Il n'y a qu'une dizaine, je crois, qui continuent à faire du théâtre aujourd'hui,
13:05 voire moins.
13:06 Et c'est là qu'on se rend compte qu'il y a très peu de lieux pour faire du théâtre.
13:11 Et comme j'étais jeune avec énormément d'envie, j'avais la chance de fouiller
13:19 dans beaucoup de livres qui étaient présents à l'époque en Haïti, à la bibliothèque
13:24 de l'Institut français, toute la collection, les voies de la création théâtrale.
13:27 Je pouvais voir des photos des spectacles de Victor Garcia, Meyerhold, Stanislas, mais
13:37 Stanislavski, mais énormément de grands metteurs en scène, mais aussi des théoriciens.
13:44 J'ai été bercé par les théoriciens Brecht, Arthaud.
13:48 En même temps, tout en étant en Haïti et en étant témoin de formes spectaculaires
13:56 que j'aimais beaucoup, par exemple le rara ou les bandes à pied en Haïti, c'est des
14:02 formes spectaculaires que je trouve incroyables, qui peuvent aussi s'apparenter au théâtre.
14:08 Les espaces où il y a de la théâtralité, les lieux de cérémonie vaudou.
14:14 Et d'ailleurs, Egoutowski et Pitourbo, qui sont deux grands hommes de théâtre du XXe
14:21 siècle, ont été en Haïti.
14:22 Ils ont vu ce qui se passait et ça les intéressait énormément.
14:27 Et quand Malraux a rencontré Tyga, c'était lors d'une performance au haut de la montagne.
14:34 Oui, qui a fait changer son grande œuvre sur les arts pour consacrer son dernier chapitre
14:40 à l'école de Saint-Soleil.
14:42 Exactement.
14:43 Donc, tu avais quand même en Haïti aussi la possibilité de penser théâtre dans l'espace
14:51 public, théâtre partout.
14:53 Et c'est comme ça que j'ai commencé avec les autres en disant bon, on va faire du théâtre
14:58 partout.
14:59 C'était le mouvement Nous, théâtre partout.
15:01 Et on a joué une trentaine, voire une cinquantaine de fois dans les rues, dans des costumes
15:06 très stylisés, noirs, parce que pour moi, c'était une couleur immatérielle et que
15:12 Meyerhold parle beaucoup de biomécanique, de la biomécanique.
15:15 Il ne faut pas de costume.
15:17 Il y a des gestes biomécaniques qui sont aussi influencés par l'expressionnisme allemand,
15:26 fin 19e, début 20e.
15:28 Tout ça qui tourne dans la tête du jeune haïtien que j'étais chez moi.
15:32 Et aussi un vrai regard sur nos gestuelles annonces, sur nos formes spectaculaires.
15:40 J'ai créé un mouvement avec d'autres.
15:44 Ce mouvement là a fini par me faire créer un spectacle qui s'appelle Service Violence
15:51 où j'ai écrit les textes.
15:52 C'était des bouts de textes d'intervention, toutes les interventions qu'on avait faites
15:56 dans les rues.
15:57 C'était aussi à l'âge où tu te poses des questions.
15:59 Je dois aller chez mes parents.
16:01 Qu'est ce que je vais devenir?
16:03 C'est ce qui arrive à des jeunes de 20 ans, 21 ans.
16:07 Tu te poses des questions sur l'état dans lequel tu es, l'état de ton pays aussi.
16:14 Et ces textes étaient des textes très politiques.
16:16 C'était sur la violence de l'état, la violence de l'autorité étatique sur nous.
16:23 On paye, on n'a pas d'électricité.
16:27 On paye des taxes mais il n'y a pas de route.
16:29 On paye des taxes, il n'y a pas d'école.
16:31 Il n'y a pas d'avenir pour les jeunes.
16:32 Il y a plus de 70% de gens en indigence généralisée.
16:39 Toutes ces questions là, j'ai mis en spectacle.
16:44 Et puis il y a eu la mort de quelqu'un quand même qui m'a, ça m'a secoué énormément,
16:48 la mort de Jean Dominique.
16:50 Dans tout ce spectacle, ils avaient finalement tué l'homme.
16:55 Le journaliste bien connu.
16:57 Un journaliste haïtien à Gonhomme.
17:00 Et donc c'était une bonne figure quand même, intellectuelle haïtienne, respectable
17:05 et respectée, tuée au matin dans la station de radio.
17:10 Alors les crimes crapuleux et scandaleux en Haïti, il y en a beaucoup.
17:14 Mais là c'était vraiment, ça allait trop loin.
17:18 Et le spectacle aussi, il y a ce texte qui traverse tout le spectacle.
17:23 J'ai créé ce spectacle qui a pu tourner au Théâtre National de Bruxelles, puis qui
17:30 m'a permis de faire un mois au Conservatoire Royal de Liège parce que cette forme de théâtre
17:35 les a intéressés.
17:36 Ils voulaient que je travaille avec les étudiants là-dessus.
17:40 Mais en revenant en Haïti, c'était terrible parce que tout le monde imitait ça.
17:44 Et c'est comme ça que j'ai décidé de partir parce que pour moi, c'était un début.
17:51 C'était une recherche.
17:52 C'était un travail de laboratoire qui a duré quatre ans, mais c'était un laboratoire.
17:57 Je ne voulais pas emprisonner le théâtre haïtien dans ma forme à moi.
18:02 Il y a diverses formes possibles.
18:04 Et j'ai eu très peur.
18:06 Je suis parti parce que beaucoup de succès, en fait il y a deux choses qui peuvent te
18:13 tuer, c'est le succès ou la défaite.
18:16 Et là, c'était trop de succès.
18:18 J'ai toujours fui aussi la gosse tête.
18:22 Et puis dans une île, tu évites la grosse tête, tu évites l'unique représentant,
18:30 l'unique représentant du théâtre.
18:32 Ça ne m'intéressait pas.
18:33 Je voulais venir dans un pays où c'était justement la guerre pour prendre sa petite
18:38 place.
18:39 Et j'ai fait ça en venant dans une résidence au récolet, au beau centre de Paris, près
18:48 du canal Saint-Martin, où j'ai pu écrire.
18:50 Là, c'est une autre période de ma vie où j'ai plus écrit que mettre en scène.
18:55 Aujourd'hui, j'aime beaucoup parce qu'on me considère d'abord comme dramaturge en
18:58 France.
18:59 C'est une grosse blague.
19:00 En Haïti, je suis considéré plus comme metteur en scène.
19:03 Et j'ai continué à écrire et j'ai rencontré cette maison d'édition magnifique.
19:09 Ils ont lu mes pièces et ils ont publié la pièce que j'ai.
19:13 Bien sûr que j'aime le plus, c'est Mourir Tante parce que j'ai mis beaucoup de temps
19:20 avant de finir cette pièce.
19:23 Dans cette résidence, puis aussi, une fois que je l'ai écrite, je n'ai jamais pu la
19:29 monter parce que les monologues de cette femme sont très longs.
19:34 La présence d'une femme incroyable dans la pièce, comme beaucoup de ces pièces-là
19:37 à l'époque, on est personnage sans trop.
19:40 Ce sont des femmes.
19:42 C'est important aussi par la discrimination qu'on pouvait vivre en tant que noir, de
19:48 comprendre aussi la discrimination sexuelle que les femmes pouvaient vivre.
19:51 Et comme je savais cette grande histoire que beaucoup, les femmes étaient jouées par
19:57 des hommes tout au long du théâtre antique et même pendant Shakespeare.
20:01 Donc, c'était très drôle de changer la donne.
20:04 Il y a plus de personnages de femmes dans mes pièces.
20:07 Comme ça que j'ai écrit, Moinfardeau, Inhérent, de toute la Terre, le Grand Effarement, des
20:12 pièces avec des personnages de femmes.
20:14 Très important parce que aujourd'hui, quand je me dis tiens, j'ai écrit des pièces avant
20:19 Me Too, quand même, avec des rôles très importants pour les femmes.
20:24 Et d'ailleurs, vous avez donné un rôle magnifique à Nathalie Vérac dans une pièce
20:31 qui vient d'obtenir le prix de la Critique 2023 de la meilleure création en langue française.
20:36 C'est L'amour tel une cathédrale ensevelie qui a récemment été jouée au théâtre
20:40 de la Tempête à la cartoucherie, qui parle de ces départs qui ne concernent pas seulement
20:48 Haïti, mais du phénomène de la migration et qu'est-ce que ça crée au sein d'une
20:53 famille.
20:54 Je passe un peu sur cette pièce pour en arriver quand même à un moment à l'écriture
21:03 solitaire, c'est-à-dire celle qui n'est pas pour être représentée, qui n'est pas
21:08 écrite pour être jouée, donc pas pour un spectateur, mais pour un lecteur.
21:12 Alors vous avez commencé par réunir des enfances créoles dans un très beau recueil,
21:19 une enfance haïtienne que je conseille à tout le monde pour connaître comme ça les
21:23 moments d'un certain nombre d'écrivains haïtiens.
21:26 C'est vraiment formidable ce livre.
21:28 Je ne me pose pas la question de la forme, mais je sais quand j'écris pour être lu
21:36 debout et je sais quand j'écris pour être joué comme une pièce de théâtre.
21:41 J'ai plusieurs romans dans Maï ou dans Mon Tiwa, en tout cas sur mon ordinateur.
21:50 J'ai beaucoup aimé des écrivains qui prenaient le temps de cracher leur texte.
21:56 Par exemple, on va parler de quelqu'un justement qui m'a inspiré pour écrire ce livre,
22:03 qui lui, Georges Pérec, il avait écrit quatre ou cinq ou six fois avant d'écrire les
22:09 choses.
22:10 Il avait écrit beaucoup, beaucoup de romans avant d'en arriver là.
22:13 Et c'est comme, enfin j'en ai, et je ne pense pas, enfin pour les pièces de théâtre,
22:18 c'est aussi pareil.
22:19 J'ai beaucoup d'ouvrages que je commence.
22:23 Il y en a que j'ai fini, mais que j'ai déposé pour que je puisse y revenir.
22:28 Vous savez, il y a 365 jours sur 365 jours.
22:33 Franchement, à chaque mois, 30 jours, on peut vraiment travailler.
22:37 Si on veut vraiment travailler, on a le temps de travailler si on se concentre.
22:41 Si on n'est pas dans la période aujourd'hui où je n'ai pas très envie de travailler,
22:46 j'ai un peu fatigué.
22:49 Je n'arrive pas à reprendre un nouveau texte, justement.
22:53 Je suis toujours en train de revoir les autres textes.
22:56 Et donc, ce livre-là, je l'ai écrit très rapidement et j'avais besoin de raconter
23:03 cette histoire-là.
23:04 J'avais besoin que ce soit adressé à une personne.
23:10 Donc, c'est ça pour moi, un roman.
23:12 Dans sa main, peut-être qu'on peut le lire à deux, mais alors ce serait un couple.
23:17 Mais ce qui est incroyable, c'est ce rapport avec le lecteur sur une situation que j'ai
23:22 vue en Haïti et qui m'a énormément interpellé puisque je n'ai pas vécu le tremblement
23:28 de terre.
23:29 Le tremblement de terre du 12 janvier 2010.
23:32 Vous n'étiez pas à Port-au-Poing.
23:34 Je n'étais pas à Port-au-Poing.
23:35 J'étais à Ouagadougou.
23:36 Et c'était aussi très violent pour moi d'être à l'extérieur, de ne pas être
23:44 avec les miens.
23:45 Et quand je suis arrivé, j'avais bien sûr un peu de recul, mais je suis vite tombé
23:51 dedans parce que je suis arrivé en février.
23:53 Donc, très rapidement, même pas un mois plus tard.
23:57 Et il y avait encore des décombres.
23:59 Et mes amis, donc les jeunes gens, jeunes filles de l'époque, j'ai eu beaucoup
24:06 d'échanges avec eux.
24:07 Jusqu'à présent, quand les gens qui ont vécu ce tremblement de terre parlent de ce
24:11 moment-là, Mackenzie dit « moi, je suis mort ce jour-là ».
24:13 Mackenzie Orsell.
24:14 Mackenzie Orsell, il me le répète.
24:16 Il me dit « de toute façon, je suis mort ce jour-là ». Et j'ai entendu tellement
24:21 d'histoires de rescapés, comédies, que j'ai voulu raconter.
24:26 Mais en ce moment, pourquoi en ce moment ? Parce qu'en ce moment, j'ai comme l'impression
24:30 que ce qu'on a, ce que ces jeunes-là ont vécu en 2010, ces jeunes-là qui ont aujourd'hui
24:39 20 ans, 21, 22, 23, si la nouvelle génération qui avait mon âge quand j'ai commencé
24:48 à faire du théâtre, soit on est d'un côté ou soit on est de l'autre, je pense
24:52 que toute la violence aussi que ces jeunes-là commettent, que ce soit les gangs ou que ce
24:59 soit d'autres, ça ne vient pas de nulle part.
25:03 Ce rapport avec la mort, cette facilité de tuer, je ne l'ai pas connu.
25:10 Je ne l'ai pas connu moi dans mon enfance, je ne l'ai pas vécu.
25:13 Il y a une facilité, il y a une espèce de concomitance avec la mort que je vois dans
25:20 la société haïtienne avec les crimes, avec les kidnappings.
25:25 C'est un pays où on pouvait laisser son enfant chez le voisin.
25:28 Le voisin avait un regard important sur ses enfants.
25:33 Aujourd'hui, on se retrouve avec un pays où on peut kidnapper l'enfant.
25:38 Je n'ai pas vu ça.
25:40 Je ne dis pas que c'est une cause à effet, c'est vraiment le déterminant, mais en
25:49 même temps, je me dis qu'on ne sort pas indemne d'une catastrophe aussi grave,
25:53 aussi énorme.
25:54 Donc, c'est le cheminement de cet Eddie Salvateur qui lui est plutôt l'inverse.
26:00 Il voit un mort et ça le choque.
26:03 Et aussi, je pense que c'est souvent le cas d'un créateur ou d'un artiste, cette
26:12 sensibilité de se dire que ce n'est pas possible que ce soit comme ça.
26:15 Ce n'est pas possible qu'on s'habitue comme ça avec la mort.
26:18 Il fait ce cheminement-là pour retrouver ce type, connaître l'avis de ce type qui
26:25 est mort.
26:26 Il vient d'où, c'était qui sa famille ? Il fait une sorte d'enquête.
26:29 Comme moi, je pourrais tenter de faire… Et aussi, il marche dans sa ville.
26:38 Comme je sais que vous connaissez assez bien cette ville que j'aime énormément.
26:43 D'ailleurs, la première fois qu'on s'était vu à Port-au-Prince, c'était dans un café
26:48 que j'aime énormément au bar de l'air au centre de Port-au-Prince.
26:52 Je ne peux plus y aller aujourd'hui parce que justement, c'est des zones un peu suspects.
26:58 Alors que Port-au-Prince, pour moi, pour vivre cette ville, il faut marcher dedans.
27:03 Il faut traverser de quartier en quartier.
27:06 Il y a des collines partout, 13 collines.
27:09 De chaque colline, tu peux voir la mer.
27:11 Enfin, comme toute ville, il faut marcher.
27:15 Et lui, il marche la nuit.
27:19 Ce que j'aimais faire aussi dans Port-au-Prince, c'est quand on finissait des soirées bien
27:24 arrosées en bas de la ville, on remontait à pied, qu'il soit à 2 heures du soir.
27:31 Et il n'y a pas longtemps, d'ailleurs, jusqu'en 2018, on pouvait faire ça.
27:34 On se retrouve avec une ville complètement enfermée qui nous fait peur alors que c'est
27:39 une ville ouverte, une ville sur la mer, une ville festive.
27:44 Il y a des rues qui ne ferment jamais dans Port-au-Prince.
27:46 Même aujourd'hui encore, il y a une ou deux rues qui résistent encore.
27:51 Je voulais me promener la nuit avec ceux qui allaient lire ce livre.
27:58 Mais c'est tout à fait réussi parce que c'est vrai qu'on est complètement dans
28:02 Port-au-Prince.
28:03 C'est donc un personnage qui se parle à lui-même, qui était fonctionnaire au service
28:08 des passeports et des visas, qui était finalement assez bien casé et que le tremblement de
28:13 terre du 12 janvier détruit intérieurement.
28:17 On ne sait plus où est sa tête, on ne sait plus où est sa voix.
28:20 Il s'abrutit d'alcool, il se promet de ne pas recommencer le lendemain.
28:26 En effet, il jette son dévolu sur ce mort parmi tant d'autres.
28:32 Et on n'est pas juste après le tremblement de terre.
28:36 Les choses ont vraiment changé.
28:40 Mais à l'intérieur des gens, non.
28:43 Et c'est une spirale splendide qui se déroule comme une boucle.
28:49 C'est vrai que l'adresse d'Eddie à lui-même pourrait devenir presque suffoquante.
28:57 Vous avez toujours aimé ça dans votre théâtre aussi, la répétition.
29:00 Il y en a qui suffoqueront, tant pis.
29:03 Mais la plupart, ils seront du moins comme moi, envoûtés, magnétisés, hypnotisés.
29:09 Ça ne veut pas dire qu'on s'endort, on reste constamment en éveil derrière votre personnage.
29:15 On est particulièrement réveillés quand il s'agit de ces retrouvailles avec les femmes.
29:21 Parce que là, il y a des scènes de sexualité très fortes.
29:24 Et puis, il y a évidemment un final sur les poètes, où on voit que vous êtes, comme dirait Chamoiseau, un marqueur de parole.
29:32 Alors, il y a cette phrase qui résume un peu ce que vous venez de dire.
29:36 « Une catastrophe avec son lot de morts qui transforme un peuple en agent de la mort ».
29:42 Alors maintenant, passons quelques instants quand même sur la situation actuelle de votre pays.
29:48 Donc là, justement, le Premier ministre réclamait une aide que les Américains semblent prêts, plus ou moins, à apporter.
29:58 Enfin, il y a un nouveau regard, là, ces derniers jours, de début juillet 2023, sur la situation haïtienne,
30:05 à travers la visite d'Antony Blinken.
30:08 Qu'est-ce que... Je ne sais même pas quelles questions poser, d'ailleurs, parce qu'on ne sait plus par quelles...
30:14 C'est un apprentissage de la démocratie qui dure. C'est ça qui est terrible dans tout ce qu'on est en train de vivre aujourd'hui.
30:24 Et c'est intéressant de partir de ce livre pour parler de cela.
30:31 On a eu un président complètement catastrophique après le temblement de terre.
30:36 Les gens ont proposé un président parce que c'était comme une sorte de vote de censure contre les autres présidents.
30:44 Ils nous ont proposé M. Martelly. C'était aussi une proposition de la communauté internationale,
30:53 en tout cas par l'ONU qui était en Haïti, un certain Müller, qui a décidé que ça allait être Martelly qui devait aller au deuxième tour.
31:00 On a bien compris que c'était un jeu un peu terrible.
31:04 D'ailleurs, l'ancien président Prival l'a expliqué qu'en fait, au deuxième tour, ça ne devait pas être Martelly.
31:10 La question que je me pose, c'est que si on avait aujourd'hui les deux autres candidats, c'était Jude Celestin et Mme Maniga,
31:24 quel pays on aurait eu ? Est-ce qu'on aurait ce rapport avec les gangs ?
31:30 Contrairement à Martelly, qui était déjà connu pour ses liens avec certains groupes de la société,
31:41 qui très rapidement a pris contact dans les quartiers plutôt avec les gangs.
31:48 Ce que je trouve le plus dur dans cette histoire, ce n'est pas lui qui a commencé, bien sûr.
31:54 Il y a eu aussi beaucoup de liens d'héricides dans les quartiers populaires avec les jeunes.
32:02 Moi, ce qui me désole en Haïti, c'est l'incompétence. Mais bon, on va dire qu'aujourd'hui, c'est ce qu'on est en train de vivre en France,
32:10 avec l'incompétence de gérer les quartiers, de gérer les jeunes, d'avoir un rapport social beaucoup plus égalitaire avec les gens.
32:18 Comment on fait avec ces gens-là ? C'est trop pour eux, dans notre société.
32:25 Les parents démissionnent et donc les institutions de l'État qui devaient prendre en main ces jeunes-là, elles démissionnent aussi.
32:33 C'est ça, en fait. C'est aussi une situation. Comme c'est un domaine qui m'intéresse énormément, mes premières études, c'était les dessins humains.
32:42 Et donc, quand même, en psychosocial ou une idée de ce que ça peut être du travail avec des jeunes dans des quartiers difficiles.
32:50 Il faut que dans ces pays-là, en tout cas en Haïti, qu'on prenne en compte ces quartiers mal famés, pas géniales, d'où je viens, moi, d'ailleurs.
33:03 Il faut y aller. Il faut travailler avec les gens, travailler avec les mères, travailler pour que les pères ne partent pas,
33:10 afin qu'on arrive à une société plus égalitaire. Et c'est cette injustice-là qui se transforme demain en bras armés.
33:21 Je dis souvent si à Martisor, qui est quand même un des plus beaux endroits de Port-au-Prince, on avait des conservatoires de musique ou de danse,
33:30 je crois qu'il y aurait des danseurs, pas des criminels. Et si les politiciens respectaient l'avis des gens et des jeunes,
33:40 ils n'iraient pas dans ces lieux-là pour armer les jeunes. Parce que quand on vient dans un quartier populaire, Valérie,
33:46 c'est impossible de posséder une arme. Comment tu vas pouvoir, comment une arme peut atterrir chez toi ?
33:51 Déjà, une arme, c'est extrêmement cher. On se retrouve dans un quartier populaire avec une arme qui coûte 14 000 dollars.
33:59 C'est assez clair, c'est marrant. Parce que tu te dis, bon, tout d'un coup, c'est pas à manger, c'est pas des écoles qu'on amène là,
34:09 mais plutôt comment on peut utiliser ces gens-là comme de la chair à canon pour les politiciens, les bras armés pour les pires des malfrats.
34:20 Et donc, pas seulement les politiciens, les grands financiers aussi, ceux qui ont de l'argent en Haïti et qui ont besoin de sécurité,
34:29 ils utilisent aussi les jeunes pour les transformer en gangs. C'est de ça qu'on parle. Cela arrive quand ?
34:39 Après le tremblement de terre, un gouvernement qui ne sait pas comment gérer ça, donc de l'incompétence,
34:45 et petit à petit, ces quartiers deviennent mais infernaux. On ne peut pas entrer. On a vu que ça pouvait arriver là,
34:53 mais tout d'un coup, quand tu as des incompétents au pouvoir, ça se transforme en...
34:58 Donc ce que Blinken a appelé, c'est-à-dire la communauté internationale à venir en aide, ce serait quelle forme à prendre ?
35:14 Ce n'est peut-être pas le rôle d'un artiste ?
35:16 Non, mais c'est intéressant de parler... Moi, ça m'intéresse énormément parce que là, on ne parle jamais de la vraie situation.
35:23 La vraie situation, elle est sociale. C'est une situation dans les quartiers qu'il faut résoudre.
35:28 Et pour résoudre la situation, il faut parler de justice sociale. Il faut que les ressources de ce pays puissent être distribuées partout
35:36 et qu'il y ait plus d'égalité. À partir de ce moment-là, si, quand on parle de Blinken ou de la communauté internationale qui arrive,
35:44 il faut très vite penser qu'on ne va pas prendre les armes et chasser les jeunes des quartiers et puis tout d'un coup, ça va se résoudre.
35:51 Non, il y aura de nouveaux jeunes, il y aura de nouvelles familles dans des situations compliquées.
35:55 Il faut... Il y a une urgence à ce qu'il y ait moins de misère dans ce pays-là et dans tous ces quartiers.
36:01 À partir du moment où on aura résolu ça, je me dirais "Oui, c'est très bien", mais il faut quand même un grand plan.
36:07 Parce que ce n'est pas juste "voilà, on emmène une armée, on fait les élections".
36:13 Je crois que tout de suite après, il faut penser comment rebâtir, exactement comme en France, il ne s'agit pas de parquer les gens
36:21 et de les mettre dans un... Et de penser que "Bon voilà, on a tout résolu, c'est très difficile pour eux de venir, de toute façon, c'est très cher le RER".
36:30 Mais en fait, non, ça peut éclater du jour au lendemain.
36:33 Alors, on va revenir sur ce qui est un petit peu le final de votre livre. Enfin, je ne veux pas le...
36:41 Enfin, disons qu'on va quand même beaucoup vers la poésie, vers l'écriture.
36:46 Et je sais que vous travaillez actuellement en résidence, ou je ne sais pas si c'est terminé, à Bordeaux, sur le thème du déboulonnage et de ces statues que l'on...
36:57 Voilà, c'est tout à fait passionnant. Alors, qui mérite aujourd'hui une statue dans vos écrivains, dans vos repères, dans vos...
37:07 À qui voudriez-vous que soit érigé un monument ou un...
37:14 Pas de monument, mais quand même qu'on parle, que cet écrivain soit dans la mémoire.
37:22 Que ces livres soient plus vendus, par exemple, qu'ils soient représentés dans les écoles, qu'ils soient...
37:27 Franck Etienne, parce qu'aujourd'hui, c'est quand même l'un des plus vieux. Il nous reste encore quelqu'un comme De Pestre, hein.
37:36 Encore vivant, mais bon, très vieux.
37:39 Mais Franck Etienne, en Haïti, a une importance capitale.
37:43 Franck Etienne, enfin, je ne connais pas deux écrivains connus qui ont voyagé seulement à 52 ans.
37:49 Qui a eu un passeport et a laissé son pays seulement à 52 ans.
37:53 Et sa présence en Haïti était très, très importante. On a vu, là, il a juste fait lancer une sonnette d'alarme et tout d'un coup, tout le monde est venu venir chez lui.
38:02 Je trouve ça extraordinaire dans ce pays.
38:03 Là, récemment, tout le monde est venu chez lui.
38:05 Tout le monde est venu chez lui, apporter son aide, acheter un tableau, acheter ses livres.
38:12 C'est incroyable.
38:13 Et il vient encore dans l'écrivain, d'ailleurs.
38:15 C'est ça, il n'arrête pas d'écrire, mais il est extraordinaire, ce bonhomme.
38:21 Mais c'est surtout quelqu'un qui a, qui nous a toujours accueilli, c'est à dire tous les jeunes qui voulaient écrire,
38:28 ceux qui voulaient, même si on vient de quartier populaire comme lui, faire autre chose.
38:36 En tout cas, ne pas toucher à une arme, mais plutôt à l'écriture.
38:41 En tout cas, il nous a toujours conseillé comme ça.
38:44 Et quand tu es arrivé chez Franck-Étienne, tu disais tu es jeune, voilà tout ce que tu peux faire en une journée.
38:49 Ce que je disais tout à l'heure, tout ça en 30 jours, vous voyez tout ce qu'on peut faire,
38:53 tout ce qu'on peut écrire en 30 jours, si on s'y met.
38:56 Vous voyez le nombre de tableaux que j'ai peints et ça, c'est extraordinaire.
39:00 Et puis, autre chose qui est quand même, moi, c'est un des rares écrivains aussi qui pouvait dire libre, ouvertement qui il lisait.
39:10 Franck-Étienne nous raconte son influence, la grande influence que le nouveau roman a eu sur lui.
39:17 Franck-Étienne parle de toutes ses lectures.
39:19 Franck-Étienne est un écrivain aussi pas du tout linéaire, donc un écrivain dans la recherche énormément.
39:25 Moi, c'est un écrivain contemporain extraordinaire avec une modernité incroyable à toutes épreuves.
39:33 Moi, je viens d'un pays de grands écrivains, mais c'est un pays avec des artistes assez classiques aussi qui vitent mes fatigues.
39:41 Mais Franck-Étienne, il y avait toujours cette porte ouverte sur ce qui est très différent, sur ce qui peut troubler.
39:54 Le chaos, le chaos Babel.
39:56 Oui, que ce soit son écriture, que ce soit sa peinture et cette recherche esthétique là à toutes épreuves.
40:04 Quand on est homme de théâtre et quand on fait aussi la vidéo, en tout cas, c'est mon cas.
40:09 Je crois que Franck-Étienne m'a influencé là dessus.
40:11 Il n'y a pas, il n'y a pas une forme d'art, il n'y a pas une forme d'écriture.
40:15 Et d'ailleurs, je crois que c'est Franck-Étienne qui le dit, que Glissant dit souvent et Chamoiseau aussi qu'ils n'auraient pas pu écrire comme ils écrivent.
40:25 S'il n'y avait pas Franck-Étienne.
40:27 Il y a quelque chose d'extraordinaire là chez ce bonhomme.
40:31 Et c'est pour ça qu'il se trouve dans le livre.
40:33 Qui allait voir si on veut être sauvé dans ce chaos.
40:38 C'est vraiment, c'est Franck-Étienne le sauveur et vous lui faites un monument de page en quelque sorte.
40:43 Donc, c'est le meilleur, la meilleure façon de lui rendre hommage.
40:47 Alors, pour terminer notre entretien, après avoir réindiqué l'homme qui n'arrête pas d'arrêter aux éditions Jean-Claude Lattès de vous Guy Régis Junior.
41:02 Je vous propose de nous quitter en lecture.
41:05 C'est un extrait d'une traduction puisque vous êtes aussi traducteur et là pour le coup de classique.
41:13 Peut-être que certains vous fatiguent, mais enfin vous avez travaillé en créole sur Albert Camus, Maurice Maiterlinck, Bernard-Marie Colthespes.
41:23 Et un certain Marcel Proust.
41:26 Alors, merci pour cet entretien d'être venu jusqu'au point Guy Régis Junior.
41:32 Et on vous entend dans le début de la recherche de Marcel Proust traduite par vous en créole.
41:39 L'an temps qu'on couche et qu'on a bien dormi.
41:46 Parfois, à peine je finissais, j'allais me fermer tellement vite, je n'arrivais pas à me lever.
41:59 Et à peu près de deux minutes, j'avais l'idée de me chercher au sommeil et de me lever pour dormir.
42:09 J'ai fait un petit repos, j'ai volé mon livre, j'ai fait un petit coup de poing, j'ai posé mon doigt et j'ai soufflé.
42:16 J'ai éteint la lumière.
42:18 Je suis parti pour me faire un petit repos, j'ai dormi, j'ai fait quelques réflexions.
42:25 Mes réflexions se sont transformées.
42:29 Et il me semblait que c'était sous moi que j'allais parler.
42:33 Il y a l'église, il y a la voiture, la rivalité entre François Ier et Charles V.
42:40 Croyant ça, j'étais tout vivant dans ma tête pendant quelques secondes de réveil.
42:47 Je n'ai pas trop su que j'avais raison.
42:49 Il y avait des écailles sous ma peau, j'ai empêché de me lever, je n'avais pas encore les mains.
42:58 Après, il y avait une apparence très claire pour moi,
43:02 tout comme rien qu'à la fois plusieurs pensées se sont lavées en passant en vent.
43:07 Par le livre, j'ai pu parler, je me suis détaché.
43:11 J'étais libre pour moi, soit rentrer dans la joie ou non.
43:17 Tout de suite, j'ai fait un ouvrage.
43:20 J'étais bien étonné de retrouver mes têtes dans le temps où ils ont fait noir douce,
43:24 et bien reposant pour déjeuner.
43:27 Peut-être même plus pour l'esprit.
43:31 Merci.
43:32 Merci à tous !