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  • il y a 2 ans
En septembre 1944, presque par hasard, l'écrivain Louis Guilloux participe au procès d'un soldat noir américain en Bretagne. Le GI est condamné à mort par pendaison. Cette affaire hante le romancier pendant trente ans. En 1976, il la raconte dans un court roman : « Ok, Joe ! ». Il lève alors un coin de voile sur des aspects tabous de la 2ème Guerre Mondiale : les exactions de l'armée US envers des populations civiles, la ségrégation raciale, les châtiments sélectifs qu'elle inflige à ses soldats. Mais son récit passe inaperçu...

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Transcription
00:00 [Musique]
00:08 Certaines lectures ébranlent les mythes de votre enfance.
00:11 [Musique]
00:13 "Ok Joe" fait partie de ces livres-là.
00:16 [Musique]
00:17 Son action se déroule en août 1944,
00:20 quand l'armée américaine libère la France de l'occupant allemand.
00:23 [Musique]
00:29 Ce livre dévoile une part sombre de la Libération,
00:33 où se mêlent sexe, alcool, violence et racisme.
00:38 [Musique]
00:42 Il raconte des exactions commises par des GIs américains
00:45 envers les populations civiles françaises,
00:48 des viols et des meurtres.
00:51 [Musique]
00:55 L'auteur d'Ok Joe est l'écrivain Louis Guillou,
00:58 interprète pour l'armée américaine pendant plusieurs semaines.
01:02 Il a été un témoin privilégié de ces crimes.
01:05 [Musique]
01:11 Pendant plusieurs mois, j'ai parcouru la Bretagne
01:14 en confrontant son récit au souvenir des ultimes témoins
01:17 de ces crimes oubliés et de leurs châtiments,
01:20 en rencontrant des descendants de victimes
01:23 qui prennent la parole après 80 ans de silence et de refoulement.
01:27 [Musique]
01:47 [Musique]
02:09 Est-ce que vous vous souvenez encore de ce jour-là ?
02:12 Parfaitement, comme si c'était hier.
02:15 J'étais allé ce jour-là, j'étais à 2-3 kilomètres de chez moi
02:19 et où il y avait une rivière, donc, et comme mon habitude,
02:22 je plongeais, je nageais sous l'eau quelques instants
02:27 et stupéfaction, quand j'y suis revenu à la surface,
02:31 je vois tout le monde qui courait à droite et à gauche de la rive
02:35 dans laquelle je me baignais, mais impossible d'avoir une information.
02:40 J'avais beau crier, dire mais qu'est-ce qui se passe, qu'est-ce qu'il y a,
02:43 personne ne me répondait, tout le monde courait,
02:46 mais dans la tenue où ils étaient, la tenue la plus baroque,
02:49 il y en a qui étaient à moitié à moitié nus,
02:51 ils couraient vers un endroit déterminé.
02:54 Alors finalement, je sortais de l'eau, je dis qu'est-ce qui se passe ?
02:57 Et là, on m'a dit les Américains, les Américains !
03:01 Effectivement, on entendait comme un bruit, un bruit de chêne, vous voyez,
03:08 il se traîne sur les cailloux.
03:11 C'était quand même une drôle d'époque.
03:28 Et puis on ne savait pas ce qui se passait, on ne savait rien d'information.
03:36 On est descendus et on a vu les troupes arriver, passer,
03:40 ils étaient couleur terre, tellement qu'ils étaient fatigués.
03:46 Ces jeunes soldats yankees font irruption dans des campagnes de l'Ouest,
03:57 vivant sans eau courante ni électricité, comme à l'écart du monde.
04:03 Opulence des uns, archaïsme des autres.
04:07 Les rencontres sont joyeuses et fraternelles souvent,
04:10 mais aussi sources de lourds malentendus.
04:13 Le 6 août, dans sa ville de Saint-Brieuc,
04:20 Louis Guillaume assiste, soulagé, à l'entrée des libérateurs tant attendus.
04:30 Mais ces instants de joie sont teintés de malaise,
04:33 devant l'atmosphère de violence, les règlements de comptes,
04:36 les lâchetés, les humiliations, auxquelles cet écrivain humaniste
04:40 ne peut qu'être sensible.
04:43 Guyoud pense à la douleur chez les autres.
04:47 L'expérience de l'humiliation revient beaucoup dans son œuvre.
04:50 Guyoud a démarré dans les années 1920, c'est un fils de cordonnier de Saint-Brieuc,
04:54 pauvre. Il a commencé par des récits,
04:57 en gros représentant ce milieu pauvre dont il était originaire.
05:02 Et puis en 1935, coup d'éclat avec un grand livre,
05:06 vraiment un grand roman qui est unanimement reconnu à ce moment-là
05:10 comme un grand roman, c'est "Le sang noir",
05:13 qui rate de peu le prix Goncourt, qui lui vaut les éloges
05:16 d'Aragon, de Gide, de Malraux,
05:19 vraiment des plus grands écrivains de l'époque.
05:22 Et donc Okéjo, pour le coup, c'est vraiment la posture de témoin
05:26 en état presque pur, avec une sorte de déposition
05:30 très factuelle de ce qu'il a vu.
05:33 On est très loin de l'esthétique très romanesque du "Sang noir".
05:37 Le livre n'est pas présenté comme un roman, il n'y a écrit roman nulle part,
05:41 on est vraiment dans le récit-témoignage.
05:44 Ils ont fait s'asseoir la fille,
05:52 vingt et quelques années,
05:54 une petite bonne d'auberge, toute menue.
05:57 L'un des jeunes gens lui maintenait la tête baissée,
06:00 avec une grande paire de ciseaux il a commencé à tailler à grands coups
06:03 dans sa chevelure.
06:06 Un autre se tenait tout près, une tondeuse à la main.
06:10 L'une des jambes de la jeune fille tremblait si fort
06:13 qu'on aurait dit qu'elle pédalait.
06:16 Autour d'elle, les gens rient et plaisantent.
06:20 "T'en fais pas, elle sera au bordel avant deux mois d'ici.
06:24 Tremble donc pas comme ça.
06:27 Tu tremblais pas comme ça quand tu faisais l'amour avec les Boches."
06:31 Elle se laisse faire, elle penche la tête à droite, à gauche,
06:35 obéissant docilement à la main qui la pousse.
06:38 Les mèches brunes s'éparpillent autour de la chaise,
06:41 son genou tremble toujours autant.
06:45 (Rires)
06:48 Kokejo est pris dans la grande histoire,
07:00 puis dans l'histoire à la fois de Louis Guillaume lui-même,
07:03 à savoir qu'il a 45 ans,
07:06 sa santé a été en partie altérée par la guerre,
07:11 on le voit sur les photographies, il est très famélique.
07:14 Il y a quelque chose de mélancolique, ça a été des années très dures.
07:18 Sur ce fond à la fois subjectif, individuel et historique,
07:22 l'histoire se situe.
07:24 Il y a cette chose très particulière que Guillaume parle anglais,
07:28 parle même très bien anglais, au point qu'il a traduit
07:31 des auteurs américains, et pas les plus faciles,
07:34 alors que c'est quelqu'un qui a arrêté avant le baccalauréat,
07:37 qui n'a pas fait d'université,
07:39 qui n'a pas appris l'anglais lui-même pour ainsi dire seul,
07:42 c'est lui qui se trouve devenir pendant un mois interprète
07:45 pour l'armée américaine.
07:47 La Jeep était en effet devant la porte, le chauffeur au volant.
07:52 On est montés.
07:54 "Ok Joe", a dit le lieutenant Stone.
08:07 On aurait dit qu'il connaissait la route aussi bien qu'un homme du pays.
08:11 Il savait où il allait.
08:13 Les lieutenants aussi. Pas moi.
08:16 Nous sommes arrivés dans un hameau.
08:20 Le lieutenant Stone a remis son dossier dans son porte-documents.
08:23 "Il s'est passé ici une très sale affaire", en a-t-il dit.
08:27 "Voulez-vous demander à cette femme ?"
08:30 "Ask the witness."
08:32 Demandez au témoin.
08:36 C'était la nuit, ton jeune ?
08:39 Oui.
08:41 C'était au mois d'août, vers 23h50, il faisait nuit.
08:44 Les Américains sont venus se perdre.
08:47 Il y a beaucoup de chemin, tu sais bien.
08:50 Ils sont venus sur le père de l'homme là.
08:53 À cette heure-là, mon père descendait chauffer un vivant,
08:56 avec son bébé, avec la lumière élevée.
08:59 Il a dû se dire, les femmes sont là.
09:02 Mon père s'est interposé entre sa fille et ce bonhomme là.
09:05 Il a eu un cathrive, il est mort.
09:08 C'est un bonheur, vraiment.
09:11 Il a dû défendre sa fille contre un viol.
09:14 Sa fille est née.
09:16 Il s'est interposé, il a été abattu.
09:19 C'est quelque chose quand même.
09:22 Il a dit à ses fils, à Pierre et à François,
09:25 "Allez chercher de l'aide, car ici, moi, je vais te tuer."
09:28 Et puis il est rentré défendre sa fille.
09:31 Il s'est rendu compte, il a dit,
09:34 "Ici, moi, je vais te tuer."
09:37 Le bonhomme était armé.
09:40 Et ça se voyait qu'il avait bu ou pas ?
09:45 Oui, il avait bu. Septembre, il avait bu.
09:48 Pas mon père.
09:51 Je me rappelle de cette nuit-là.
09:54 Ça, c'est à cause des femmes qui sont venues se perdre
09:57 autour de notre exploitation, qui ont galopé les Américains.
10:00 Ils ont donné plein de choses aux femmes.
10:04 Ils avaient beaucoup de choses, de nourriture et tout ça.
10:07 Et eux, ils ont donné aux femmes.
10:10 Quand les femmes ont eu assez de choses, elles sont parties.
10:13 Donc eux, ils croyaient qu'elles auraient profité d'autres choses, sans doute.
10:17 Louis Guillaume est brusquement plongé au cœur de drames
10:20 dont les scénarios se ressemblent souvent.
10:23 Des soldats ivres violent ou tentent de violer de jeunes Françaises.
10:26 Parfois, un proche s'interpose et se fait tuer.
10:29 Des soldats ivres violent ou tentent de violer de jeunes Françaises.
10:32 Parfois, un proche s'interpose et se fait tuer.
10:35 Des soldats ivres violent ou tentent de violer de jeunes Françaises.
10:38 Parfois, un proche s'interpose et se fait tuer.
10:41 Des soldats ivres violent ou tentent de violer de jeunes Françaises.
10:44 Parfois, un proche s'interpose et se fait tuer.
10:47 Parfois, un proche s'interpose et se fait tuer.
10:50 Le débarquement en Normandie s'est accompagné à l'été 1944
10:53 d'une vague de viols évaluées à plusieurs milliers.
10:56 Les premières semaines, l'armée américaine laisse faire.
11:02 Mais devant les plaintes des autorités françaises,
11:05 elle se décide à sévir.
11:08 Marie-Louise Roberts a étudié ces violences sexuelles.
11:11 Elle a décrypté des dizaines de dossiers de la justice militaire.
11:14 Comment les soldats américains voyaient les femmes françaises à l'époque ?
11:19 Je pense que le stéréotype des femmes françaises érodées,
11:22 en particulier, a été renforcé pendant la première guerre mondiale.
11:25 parce que les soldats américains déployés là-bas en 1917
11:28 sont revenus et ont raconté des histoires de grosses femmes,
11:31 de belles femmes françaises et de femmes sexy,
11:34 et que ce sont des femmes « faciles ».
11:37 Et les soldats américains,
11:40 qui étaient en train de se débarquer,
11:43 ont été en train de se débarquer,
11:46 et l'armée américaine a encouragé cette vision,
11:49 parce que l'un des soldats américains
11:52 n'a pas vraiment compris pourquoi ils se battaient en France.
11:55 Ils ont compris, en quelque sorte,
11:58 le théâtre pacifique,
12:01 parce que les Américains avaient été attaqués.
12:04 Mais en France,
12:07 même si les Français étaient leurs alliés les plus anciens,
12:10 ils ont réussi à trouver un moyen de se débarquer.
12:13 Et libérer les Français.
12:16 Donc l'armée américaine,
12:19 grâce au journal,
12:22 qui s'appelle « Stars and Stripes »,
12:25 qui est le journal de la GIs,
12:28 a créé et a recréé ce stéréotype,
12:31 et le titre serait « C'est ce que nous nous battons pour ».
12:34 Ils ont montré des cartoons et des images
12:37 de femmes qui embrassent les GIs et qui la baisent.
12:40 Donc cela a donné aux soldats qui allaient arriver
12:43 l'idée que si ils libéraient les Français,
12:46 ils seraient pas seulement bien accueillis,
12:49 mais accueillis dans les chaises des femmes françaises.
12:53 [Musique]
12:56 [Musique]
13:24 C'est l'âge que vous aviez à peu près à la libération ?
13:27 Ah, oui, oui.
13:30 Oui, parce que...
13:33 Mais voilà.
13:36 J'étais intrépide aussi, moi.
13:39 Mais vous avez l'air décidée, là.
13:42 Oh oui.
13:45 Qu'est-ce que vous voulez ? C'était des hommes, hein ?
13:48 Et puis ils arrivaient du front.
13:51 Moi, je sais qu'on allait sur la route
13:54 et puis, parce qu'on avait 15 kilomètres à faire
13:57 pour aller chercher nos cartes d'alimentation et tout ça.
14:00 Eh bien, ils s'arrêtaient, ils nous prenaient.
14:03 Alors, il y a un jour, ils ont fait une chose.
14:06 Ils m'ont proposé de m'asseoir auprès du chauffeur.
14:09 Alors j'étais auprès du chauffeur,
14:12 et ils m'ont dit « Vous êtes la première femme,
14:15 vous pouvez nous aider, vous pouvez nous aider.
14:18 » Alors j'étais auprès du chauffeur,
14:21 et un autre auprès de moi,
14:24 et puis celui qui est devenu mon mari,
14:27 ils l'ont collé par derrière.
14:30 Alors, écoutez, ils avaient un livre où c'était français et puis...
14:33 Américain.
14:36 Alors, je ne vous dis pas ce qu'ils me disaient.
14:39 Mais ils ont été tout...
14:42 Ils essayaient de vous séduire ?
14:45 (musique)
14:48 Est-ce qu'il y avait du trafic avec les Américains ?
14:51 - Bien sûr. Les Américains avaient créé un dépôt d'essence très important.
14:54 L'essence, c'était la manne céleste.
14:57 Avec de l'essence, vous pouviez faire n'importe quoi.
15:00 Surtout, c'était l'époque des batages.
15:03 Les paysans étaient très avides de trouver de l'essence.
15:06 Monnayer contre du calvados.
15:09 On allait directement au calvados.
15:12 On allait directement au dépôt où le trafic se faisait.
15:15 Mais dans une ambiance très joyeuse.
15:18 On entendait des cris, des rires, etc.
15:21 Il y avait quelques femmes, quelques fois,
15:24 des villages ou des villes voisines
15:27 qui venaient également chercher de l'essence
15:30 pour leur mari en particulier.
15:33 (musique)
15:36 (musique)
15:39 ...
16:08 ...
16:10 ...
16:11 -C'est ici...
16:13 ...
16:14 ...que le drame a eu lieu,
16:16 le 21 août 44.
16:17 ...
16:20 Dans cette maison derrière.
16:22 ...
16:27 "Ask her."
16:28 Demandez-lui.
16:29 Oui, la jeune fille était allée au camp.
16:32 Demandez-lui pour quoi faire.
16:35 "Pour voir, comme tout le monde," a répondu la mère.
16:39 "On disait qu'ils étaient si gentils."
16:42 "Il vous a suivis?" a demandé le lieutenant Stone.
16:46 La jeune fille ne le savait pas.
16:48 Elle ne s'était pas rendue compte.
16:51 Il allait faire nuit.
16:53 On s'apprêtait à aller se coucher.
16:55 Quand on a entendu marcher dans la cour,
16:57 le soldat avait appelé "Mamoiselle."
16:59 Aussitôt, la mère avait fermé les volets,
17:02 tandis que le père verrouillait la porte.
17:04 Le père a crié au soldat de s'en aller.
17:07 "Il n'y a pas ici de Mamoiselle pour vous."
17:11 Le lieutenant Stone a voulu savoir
17:13 si le père n'avait pas injurié le soldat,
17:16 si, par exemple, il ne l'avait pas traité de sale nègre.
17:19 "Non."
17:21 On lui a dit de s'en aller.
17:23 Tout ce qu'elle pouvait dire,
17:25 c'est que le soldat devenu furieux
17:27 s'était mis à cogner dans la porte à grands coups de pied.
17:30 La peur les avait pris.
17:32 On dit que la porte allait céder.
17:35 Le père et la mère s'accotant contre la porte
17:38 sont restés là longtemps à pousser.
17:41 Combien de temps ? Je ne sais pas.
17:44 Ils cognaient très fort, la porte tremblait.
17:46 On poussait toujours.
17:48 Il s'est arrêté.
17:50 On a entendu marcher et on a cru qu'il s'en allait.
17:53 C'est là qu'il a tiré dans la porte.
17:56 Le père s'est écroulé,
17:58 la moitié du crâne enlevé.
18:00 La mère n'avait pas compris tout de suite.
18:03 Ce n'est que plus tard qu'elle s'est rendue compte
18:06 qu'elle était couverte du sang et de la cervelle de son mari
18:09 et qu'elle avait la joue à moitié enlevée.
18:12 "Bon, arrêtons-nous là."
18:14 a dit le lieutenant Stone.
18:17 "C'est horrible, tout à fait horrible."
18:20 On y avait 2 ou 3 lits.
18:26 Le lit parental était sur la gauche.
18:29 Au fond, à cette époque de 1944,
18:32 devait dormir ma mère.
18:34 Il y avait des armoires.
18:36 A priori, il y avait aussi un autre lit
18:39 qui servait aux garçons de ferme
18:42 qui aidaient mes grands-parents
18:44 pour le travail à la ferme.
18:46 Je pense que dans la campagne plus modenaise,
18:52 il n'y avait pas.
18:54 Les gens de couleur noire, on n'en voyait jamais.
18:57 Donc, de ce que je crois savoir a posteriori,
19:00 c'est que mon grand-père,
19:02 qui avait fait la Première Guerre mondiale,
19:05 avait une...
19:07 Comment dirais-je ?
19:09 Une vision concernant les Noirs
19:12 qui n'était pas top.
19:14 Après, dans le détail, je ne saurais pas dire pourquoi.
19:18 Et donc, ici, quand il était là,
19:21 ma mère me disait qu'il avait peur.
19:24 Il avait peur.
19:27 -A 500 m de la ferme de la famille Bignon,
19:30 le camp d'un bataillon chargé du ravitaillement
19:33 a pris ses quartiers.
19:35 Comme toutes les compagnies qui s'occupent de logistique,
19:42 elle est composée essentiellement de soldats afro-américains
19:46 qui ne participent que très rarement au combat.
19:49 Avoir le droit de verser son sang implique réellement
19:53 l'accès à une citoyenneté entière qu'on leur refuse toujours aux Etats-Unis.
19:57 Sous la pression du lobby sudiste,
20:01 une ségrégation stricte règne dans l'US Army.
20:04 Comme s'il y avait deux armées en une.
20:07 Les soldats noirs ont leur propre barraquement,
20:10 leur propre cantine
20:12 et sont toujours commandés par des officiers blancs.
20:20 Ces jeunes soldats afro-américains de 1944
20:22 sont aujourd'hui quasi tous décédés.
20:25 Pour évoquer cette ségrégation,
20:28 j'ai retrouvé une interview de l'un d'entre eux,
20:31 filmée en 2003.
20:34 -The African-American Army was...
20:37 ...officered by white people.
20:42 Usually people from the South
20:45 who had been racist all their lives
20:48 and who hated African people.
20:51 Even non-commissioned officers like sergeants,
20:56 you know,
20:58 and of course the captains and the majors
21:01 and the lieutenants,
21:03 they were all white people,
21:05 usually from the South.
21:07 So that we were like slaves on a plantation.
21:10 That's what we felt like.
21:12 You know?
21:14 Our father told us,
21:16 "You belong to God and you belong to no man.
21:19 "And you fear only God and no man."
21:23 So we grew up that way.
21:25 So to come into an army
21:27 to fight against a racialist army
21:30 of a racist, murderous society
21:33 and be segregated in the act of it,
21:36 that was unheard of
21:39 and unbearable.
21:42 Terrible.
21:44 So this was really
21:48 what made the meeting with the French farmer
21:51 so precious to me
21:54 because it was so human.
21:57 Everything was so warm.
21:59 His wife was weeping, was crying.
22:01 He was crying. I was crying.
22:04 He dug up the calvados he had buried
22:07 so that what he called "les bouches"
22:10 could not have it, you know.
22:12 And it was just a beautiful moment
22:15 that I never forgot
22:18 and I think is the source
22:20 of my love for France to this day.
22:24 "The War of the Nations"
22:27 September 1944.
22:35 Guy Hougue now wears the uniform of the American army.
22:39 He settles for a few weeks in Morlaix
22:42 where he shares the daily life of the staff
22:45 in the boys' high school requisitioned by the army.
22:48 The party room is transformed into a martial court
22:51 where the boys are put to trial.
22:54 The first is the murder of Pierrick Beyron's grandfather.
22:58 The victim's wife and daughter
23:05 were summoned as witnesses.
23:08 During the confrontation,
23:10 they were unable to identify the accused.
23:13 He was a black man
23:15 and it was dark.
23:17 - Pierrick, have you ever been here?
23:20 - Never. Never, no.
23:22 It's a real pleasure to be here.
23:25 No, never.
23:27 I had heard about Morlaix,
23:29 about the martial court.
23:31 I imagine that in their heads
23:33 they were a bit lost
23:35 because to end up leaving Plumaudan
23:38 to come to Morlaix,
23:40 well, it's never seen.
23:42 - It's a long journey.
23:44 - Yes, it's a journey.
23:46 Going to the hotel,
23:48 to the police station,
23:50 to the police station.
23:52 It's a long journey.
23:54 It's a long journey.
23:56 It's a long journey.
23:58 It's a long journey.
24:00 It's a long journey.
24:02 It's a long journey.
24:04 It's a long journey.
24:06 It's a long journey.
24:08 It's a long journey.
24:10 It's a long journey.
24:12 It's a long journey.
24:14 It's a long journey.
24:16 It's a long journey.
24:18 It's a long journey.
24:20 It's a long journey.
24:22 It's a long journey.
24:24 It's a long journey.
24:26 It's a long journey.
24:28 It's a long journey.
24:30 It's a long journey.
24:32 It's a long journey.
24:34 It's a long journey.
24:36 It's a long journey.
24:38 It's a long journey.
24:40 It's a long journey.
24:42 It's a long journey.
24:44 It's a long journey.
24:46 It's a long journey.
24:48 It's a long journey.
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24:52 It's a long journey.
24:54 It's a long journey.
24:56 It's a long journey.
24:58 It's a long journey.
25:00 It's a long journey.
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26:15 It's a long journey.
26:17 It's a long journey.
26:19 It's a long journey.
26:21 It's a long journey.
26:23 It's a long journey.
26:25 It's a long journey.
26:27 It's a long journey.
26:29 It's a long journey.
26:31 It's a long journey.
26:33 It's a long journey.
26:35 It's a long journey.
26:37 It's a long journey.
26:39 It's a long journey.
26:41 It's a long journey.
26:43 C'est quelqu'un qui est blindé, il a sa fragilité
26:47 et il ne la dissimule pas tout le temps.
26:50 Il est en malaise avec ça.
26:52 Il s'est laissé embarquer.
26:54 Il s'est fait embarquer.
26:56 Après un jour et demi de procès
27:00 et 15 minutes de délibérés,
27:02 James Hendrix est condamné à être pendu.
27:06 Le soir même,
27:13 la mère et la grand-mère de Pierrick Perroux
27:16 sont reconduites chez elles.
27:18 L'armée leur remet quelques centaines de francs
27:21 comme indemnité de témoin.
27:23 Plus quelques conserves,
27:25 cartouches de cigarettes
27:27 et paquets de café.
27:29 Ma mère était traumatisée.
27:36 Pendant pas mal d'années,
27:38 elle a eu des soucis de santé.
27:40 Elle me disait qu'elle avait la peau
27:42 qui se décollait tellement son corps
27:45 subissait le traumatisme.
27:48 Elle disait dans son jargon à elle
27:51 "Mon sang a tourné".
27:53 C'était comment le prénom de ton grand-père ?
27:59 Victor.
28:01 Victor Mignon.
28:04 Elle est belle, cette photo.
28:08 Elle est très belle.
28:10 C'est émouvant.
28:12 C'est pas vilain.
28:14 Non, pas vilain du tout.
28:16 Non.
28:18 Il ressemble à Jonathan.
28:20 Ça, ça devait être compliqué à l'époque.
28:24 Oui, surtout que mon père travaillait énormément.
28:27 Quand c'est les fils qui ont été obligés de prendre la suite,
28:30 ça a été la catastrophe.
28:32 Ils étaient jeunes aussi.
28:34 Non, pas si jeunes que ça.
28:36 Maman avait 17 ans, c'était l'aîné.
28:38 Maman avait 16 ans.
28:40 Donc, tonton Pierre devait avoir 15 ans, 16 ans.
28:44 Et pour amener des peaux derrière le bras blanc,
28:47 c'était pas...
28:49 - Il avait 17 ans. - 17.
28:51 J'étais d'accord à ce qu'on le pende.
28:53 Il méritait que ça.
28:55 Oui, il méritait que ça.
28:57 Les avis sont partagés.
28:59 Tante Jeanne dit pas ça.
29:01 Tante Jeanne dit...
29:03 Et Maren Pintré disait aussi que ça ferait pas revenir...
29:06 - Le grand-père. - Il était père de famille.
29:09 Tu es encore un père de famille, quoi ?
29:11 Encore des enfants sans père, quoi.
29:14 De nouveaux jours se sont passés.
29:22 La cour martiale a siégé presque chaque matin.
29:25 Et à chaque fois, l'accusé était un noir et l'accusation toujours la même.
29:29 Il est arrivé que l'on jugeait à plusieurs accusés ensemble.
29:33 Et ils étaient tous des noirs.
29:36 Un matin, il y en a eu quatre.
29:39 Ils n'ont pas dit un mot.
29:41 Et pourquoi rien que des noirs ?
29:45 Ce n'est pas un tribunal pour les noirs.
29:48 Durant l'été 1944,
29:55 la police militaire traduit en justice 152 soldats américains pour viol,
30:00 parfois accompagnés de meurtres.
30:04 Sur les 152, 139 sont afro-américains,
30:09 alors qu'ils constituent moins de 10 % du contingent.
30:14 Le jour de la mort de Jean-Michel Lévy
30:19 Ce qui s'est passé, c'est deux choses.
30:22 D'abord, les soldats afro-américains
30:25 avaient beaucoup plus de contacts avec les civils
30:28 que les soldats infants.
30:30 Deuxièmement, si vous êtes un homme infanteriel blanc
30:33 et que vous vous y mettez rapidement,
30:36 au nord de la France, à l'ouest,
30:39 vous pourriez avoir violé une femme et la laisser le matin suivant
30:42 sans avoir à lui répondre.
30:45 Mais si vous êtes un soldat afro-américain,
30:49 vous êtes stationnaire dans le camp de Canzi,
30:52 donc il n'y a pas de manière de s'en sortir des accusations.
30:56 Mais pourquoi toujours des noirs, Bob ?
31:00 J'ai fini par le lui demander.
31:02 Ah, c'est un sacré problème.
31:05 Je sais, Bob, il paraît qu'il faut être américain pour le comprendre.
31:09 Il s'est presque indigné.
31:12 Ce n'est tout de même pas de notre faute
31:14 qu'ils ne peuvent pas voir une fille sans chercher à la violer.
31:19 La croyance commune des Africains
31:22 était qu'ils étaient des animaux
31:25 et qu'ils étaient hypersexuels,
31:28 qu'ils ont besoin de sexe tout le temps,
31:30 que leurs organes ménages étaient exceptionnellement grands.
31:33 Ce sont des stéréotypes américains très vieux.
31:36 L'armée américaine circulait des histoires
31:39 sur nous, sur les Scots,
31:43 qu'on avait des couilles
31:46 qui nous ont été opérées et prises.
31:49 On était infectés par la syphilis
31:52 et d'autres maladies venériales.
31:55 Tout ça, ça vient de notre propre armée.
32:00 Le fait que les hommes noirs
32:02 puissent être présents dans la communauté blanche
32:05 inquiète beaucoup les racistes du Sud,
32:08 et en particulier le fait qu'ils leur prennent leur femme.
32:11 Il va y avoir des lois
32:14 qui vont interdire les mariages interratiaux.
32:17 C'est quelque chose qui revient très loin,
32:19 même après la Seconde Guerre mondiale,
32:21 dans les États du Sud.
32:23 Le mariage entre un homme noir et une femme blanche est interdit.
32:27 Le fait qu'il y ait pu y avoir des liaisons
32:30 ou des amourettes
32:32 entre soldats noirs et femmes blanches européennes,
32:35 c'est quelque chose qui n'est pas concevable
32:37 pour l'armée américaine de l'époque.
32:40 Le soupçon de viol va très vite partir.
32:47 Si vous avez été accusé de viol,
32:51 les autorités militaires
32:53 écouteraient les femmes
32:55 et ce qu'elles devaient dire.
32:57 Elles les croyaient.
32:59 Si c'était un homme blanc qui avait été accusé de viol,
33:03 les femmes seraient questionnées et questionnées et questionnées.
33:07 Parce que ici,
33:09 la race était plus importante que le sexisme.
33:12 Donc, le racisme a trompé le sexisme, en quelque sorte.
33:16 ...
33:21 -Les soldats noirs sont systématiquement jugés
33:24 et toujours sévèrement condamnés.
33:26 Il n'en va pas de même des soldats blancs,
33:29 comme le remarque Guy Hieu dans son récit.
33:32 Tout dépend du bon vouloir des officiers
33:37 qui décident des poursuites à engager.
33:40 Certaines affaires ne sont jamais entrées
33:44 dans la mémoire de l'armée américaine,
33:46 comme ce meurtre commis par deux G.I.s blancs
33:49 près de Fougères.
33:51 On y retrouve toujours le même scénario.
33:55 Deux soldats ivres poursuivent une demoiselle
33:58 et commencent à l'agresser.
34:00 Elle appelle son frère à la rescousse.
34:03 L'un des soldats tire.
34:05 Le frère est tué d'une balle dans le ventre.
34:13 La journée avait pourtant commencé dans la bonne humeur.
34:16 -Le 16 août 1944, sachant que les Américains
34:19 étaient dans le secteur de la ferme de l'Épine,
34:22 sont venus depuis l'après-midi.
34:25 Et puis mon grand-père, qui avait fait la guerre 14-18,
34:29 il a dit à sa soeur et à sa fille, en fait,
34:32 "Donnez à boire à ces gars-là."
34:35 Donc à l'époque, c'était le cidre.
34:37 Et peut-être, je sais pas vous confirmer,
34:41 mais peut-être qu'il y avait un peu d'autre vie aussi.
34:44 Donc voilà, ils ont bu un coup ensemble
34:47 et puis, comment dirais-je, les Américains sont partis.
34:50 Mon grand-père et mon père sont allés faire des travaux dans les champs.
34:54 Ma tante et ma grand-tante sont restés à la maison.
34:57 Et en soirée, les Américains sont revenus,
35:00 mais un petit peu... Ils avaient un petit coup, on va dire.
35:05 (Cris de la foule)
35:07 (Explosion)
35:09 Alors après, ils auraient voulu mettre ça sur le dos de la famille.
35:17 Enfin bon, toujours est-il qu'ils ont dû fouiller à la maison
35:21 et mon grand-père, il avait une carabine.
35:24 Elle était cachée dans le grenier.
35:26 Et mon père a toujours eu peur qu'ils la trouvent.
35:29 En fait, ils l'ont pas trouvée.
35:31 Et les jours d'après, je sais pas trop combien de jours après,
35:34 mon père, ma tante et ma grand-tante ont été emmenés à Rennes en Jeep.
35:40 Et dans une grande salle, il y avait des soldats.
35:45 Ils étaient tout autour de la salle.
35:47 Et donc, des chefs leur ont demandé
35:50 s'ils pouvaient reconnaître les soldats qui avaient fait ça,
35:53 mais ils les ont pas reconnus.
35:55 - Vous savez s'il y a eu un procès, après ? - Je ne crois pas.
35:59 Étant donné qu'ils n'avaient pas reconnu l'auteur,
36:02 c'est, entre guillemets, à ma connaissance, non.
36:06 Ici, on ne jugeait que des Noirs,
36:15 et on en jugerait encore un demain matin.
36:18 Et sans doute, ils seraient condamnés à la corde.
36:21 Au fait, où les pendait-on ?
36:24 Et qui était le bourreau ?
36:27 Cela se passait sans doute au petit matin,
36:29 comme partout dans le monde.
36:31 Là où l'on pend, où l'on fusille, où l'on coupe les têtes.
36:35 Guillou quitte l'armée américaine
36:37 avant que les exécutions des soldats condamnés n'aient eu lieu.
36:41 Il imagine des pendaisons discrètes et matinales.
36:47 La réalité est plus cruelle.
36:49 Est-ce que vous vous souvenez du moment où vous avez appris
37:01 qu'il y allait y avoir cette exécution ?
37:03 La source d'information, c'était le crieur public
37:07 qui, après la messe du dimanche,
37:09 montait sur le mur du cimetière.
37:12 La foule ayant assisté à la messe était présente
37:16 et écoutait les nouvelles transmises par le crieur public.
37:20 Et c'est là qu'il nous a dit
37:22 que l'exécution du soldat en question,
37:26 l'agresseur de cette dame,
37:28 aurait lieu en public,
37:30 tel jour, vers telle heure.
37:33 On partait au bourg faire des courses
37:36 et les fermiers nous ont dit
37:39 "Vous savez, il y a une fille, un noir,
37:45 il l'a emmenée dans le carrot chou, puis dame,
37:48 il paraît qu'il va être pendu."
37:51 "Moi, je veux voir ça, mais papy,
37:54 je ne veux pas voir ça."
37:56 Et moi, je suis restée.
37:58 L'assistance était assez clairsemée.
38:02 Il y avait des jeunes, nous,
38:04 puis quelques gens du coin,
38:07 qui se sentaient un peu gênés
38:09 d'assister à ce spectacle,
38:11 mais que l'on trouvait un peu normal
38:13 après tout ce qui s'était passé.
38:15 Le soldat américain supplicié
38:18 arrivait encadré par les militaires et police, bien sûr,
38:22 habillé apparemment de neuf,
38:26 avec un manteau,
38:28 et il passait quand même pas loin
38:31 du cercueil qui allait être le chien.
38:33 On avait trouvé ça un peu dur quand même.
38:36 Alors, on est montés sur la basserelle.
38:39 On a mis la corde autour du cou.
38:52 La trappe s'est ouverte et elle a disparu.
38:55 Alors qu'on ne s'y attendait pas du tout.
38:57 Enfin, c'était sans doute volontairement fait.
39:00 On a attendu quelques instants
39:03 que la corde ne bougeait plus.
39:05 Puis je me souviens,
39:07 au bout de quelques instants,
39:09 je ne peux pas évaluer si c'était quelques minutes,
39:11 peut-être deux, trois minutes,
39:13 il y a eu comme un frétillement sur la corde.
39:16 Est-ce que c'était les derniers spasmes,
39:19 sufficiés, je ne sais pas.
39:21 En tout cas, presque aussitôt, à ce moment-là,
39:23 le militaire et police ont vu s'agiter.
39:26 Tout d'un coup, ça a été un spectacle
39:29 presque burlesque,
39:31 alors que c'était le calme absolu jusqu'alors.
39:33 Tout d'un coup, tout le monde s'est mis à courir.
39:35 On entendait quelques coups de marteau.
39:37 Il y avait une voiture qui a pris le cercueil.
39:40 En cinq minutes, tout le monde avait disparu.
39:43 La justice de l'armée américaine en campagne
39:49 avait fait son oeuvre.
39:51 C'était fini.
39:54 - Quel souvenir vous avez de ce spectacle-là ?
39:57 - Oh !
39:59 Je pense que...
40:04 Je vais vous dire que...
40:07 De vous dire que ça m'a touchée, non.
40:10 Non. Il faut être franche.
40:12 Je me suis dit, bon, il a fait ça, il a fait ça.
40:15 Après tout, c'était les lois de la guerre, là.
40:18 Il y en a eu un deuxième aussi,
40:21 pas très loin, du même endroit,
40:24 mais on n'est pas restés, là.
40:27 Écoutez, je vais vous dire sincèrement,
40:30 les Américains, ils ne faisaient pas de détails.
40:33 - Pendant l'hiver 1944,
40:41 plusieurs dizaines de pendaisons publiques
40:44 de soldats noirs ont lieu
40:47 dans des villages de l'ouest de la France.
40:50 Généralement à proximité du lieu du crime.
40:53 Ou au centre du bourg, comme ici, à mon tour.
40:56 Ou là, à l'entrée du château de Plumaudan.
41:00 La potence mobile se déplace de village en village.
41:06 Et au pays de la guillotine,
41:09 l'US Army a dû faire venir un bourreau du Texas.
41:13 - En utilisant ces déplacements publics,
41:16 ces exécutions publiques,
41:19 pour prouver aux Français
41:22 que l'Unité des Nations a tout sous contrôle...
41:25 - Et la disproportion et les chiffres
41:28 que j'ai essayé d'expliquer
41:31 ont conduit les militaires américains
41:34 à décider de faire de ce problème un problème négro.
41:38 On ne va pas le faire un problème américain.
41:42 Et les Africains américains
41:44 ont fait le travail
41:47 pour le "boy américain".
41:50 C'est ce qu'ils ont fait dans ce pays.
41:54 - Pour vous, M. Kerouette, ce serait ici.
41:57 - Mais ce champ-là, on l'a dénommé
42:00 un menu du après la pendaison.
42:03 - Oui, oui, oui.
42:05 Et puis c'est très, très fort.
42:08 - Ce champ-là a toujours été...
42:11 - De l'avoir baptisé comme ça...
42:14 - Mais ça, ce sont les gens du quartier
42:17 qui l'ont mis, qui ont été marqués par ça.
42:20 C'est tout.
42:22 - C'est tout à fait ça. Et comment on peut le traduire?
42:25 - "Park" en inédit, c'est littéralement
42:28 le champ de celui qui est noir.
42:31 Mais le "inni", là, c'est un vocabulaire qui est fort.
42:35 - Mais je suis pas surpris
42:38 que les gens, à l'époque, ont sorti ça.
42:41 Pourquoi? Parce qu'ils avaient quelque part
42:44 une petite haine après les Noirs.
42:47 Je pense que c'est ça.
42:49 - Ces gens qui vivaient en Bretagne ou en Normandie
42:52 n'ont probablement jamais vu, en fait,
42:55 de personnes de couleur noire de leur vie.
42:58 Et c'était un élément d'étrangeté total.
43:01 Mais c'est aussi, ben...
43:03 Les soumettre à ce type de spectacle,
43:06 c'est quand même diaboliser le Noir.
43:09 Enfin, c'est faire naître un racisme
43:12 qui n'était pas nécessairement en eux.
43:15 Donc c'est vraiment assez diabolique,
43:18 comme mise en scène.
43:21 (musique douce)
43:24 - 1945.
43:26 Louis Guillou a quitté son uniforme de l'armée américaine.
43:30 Il reprend ses habits d'écrivain,
43:32 vit entre Saint-Brieuc et le Paris littéraire
43:35 du quartier Saint-Germain.
43:37 (musique de jazz)
43:39 Peu à peu, l'Europe oublie la guerre.
43:42 La culture américaine fait son entrée massive
43:45 sur le Vieux Continent.
43:47 Cinéma, musique, littérature,
43:49 les cinéastes amateurs français
43:51 rejouent des clichés de la conquête de l'Ouest.
43:54 (musique de jazz)
43:57 La France rurale se reconstruit et se modernise.
44:01 Elle a hâte de tourner la page.
44:04 (musique de jazz)
44:07 Les victimes des crimes de la libération
44:10 préfèrent taire leurs souffrances
44:12 pour éviter de paraître ingrate
44:14 ou d'être montrées du doigt.
44:16 - Tout le côté psychologique,
44:18 n'était rien pris en compte.
44:20 A ces époques-là, on n'en parlait pas.
44:22 Mais nous, on voyait bien la vie de maman,
44:25 la relation qu'elle avait avec nous,
44:28 les choses s'enfoncer dans le travail,
44:31 comme elle a fait, se tuer par le travail,
44:34 ne vivre que ça.
44:36 C'était évident qu'il y avait quelque chose qui n'allait pas.
44:40 Les soirs, à pleurer dans son lit,
44:43 et sans rien dire à personne.
44:45 Moi, si on pouvait au moins dire...
44:48 - Elle pleurait dans la porcherie.
44:50 - On croit qu'elle...
44:52 Une reconnaissance pour ma mère...
44:54 - Elle chantait beaucoup aussi.
44:56 - Elle chantait tout le temps,
44:58 en entraillant les vaches.
45:00 - J'ai entendu dans les brûleries.
45:02 - On a entendu tous, mais elle chantait aussi.
45:05 - Oui.
45:06 - J'ai dû même chercher
45:09 le prénom de mon grand-père maternel.
45:13 Je sais pas si tu comprends.
45:15 C'est... Je trouvais ça...
45:18 - C'est pas normal. Un décent.
45:19 - Oui.
45:21 Irrespectueux de sa mémoire.
45:23 Pour moi, c'est pareil.
45:25 - Il s'appelle...
45:27 - Il y avait un décalage entre l'investissement...
45:30 - Une omerta là-dessus.
45:32 - La famille maternelle et la famille paternelle.
45:35 - Mais quand on ne veut pas faire mal à quelqu'un,
45:38 on sait pas comment aborder les sujets comme ça.
45:41 Je pense que tout le monde aurait aimé en parler,
45:44 mais on pouvait pas.
45:47 - Oui.
45:48 - Louis Guillou va mettre 30 ans pour écrire "Ok Joe".
45:54 Il hésite à en faire un roman.
45:56 Le narrateur s'appelle d'abord Francis,
45:59 puis François, puis Bernard,
46:01 et enfin Louis.
46:03 Guillou assume son malaise et sa culpabilité dans cette histoire.
46:08 Sa responsabilité de petit maillon d'une justice expéditive.
46:15 Son récit n'est pas un pamphlet anti-américain.
46:17 Pour lui, la nature humaine est trop complexe
46:20 pour distribuer des rôles simplistes de héros ou de salauds.
46:24 Le livre sort en 1976, 4 ans avant sa mort,
46:30 mais pas si inaperçu.
46:32 La France giscardienne n'est pas prête
46:35 à égratigner l'image du libérateur.
46:38 - À vous écrivez 5 premières.
46:43 - Au fond, vous êtes un marginal.
46:46 Vous êtes un marginal de la littérature,
46:49 vous êtes un marginal de la politique.
46:52 - Franc-tireur.
46:54 - Mais il y a tout de même ce mot tiré dedans.
46:57 Vous serez toujours un franc-tireur, un marginal.
47:00 - Oui. Si j'étais plus violent, je serais volontiers un terroriste.
47:04 - Ah ! - Oui.
47:06 Mais je réprouve le violent.
47:08 - C'est difficile d'être terroriste.
47:11 - Non. - Ça vous démange des fois.
47:13 - C'est un dernier, oui. - Ah bon ?
47:15 - Je me suis aperçu d'une chose bien simple.
47:19 C'est qu'on vivait dans un monde dit "chrétien".
47:24 N'est-ce pas ?
47:27 Où personne n'était le frère de l'autre.
47:30 Dit "républicain", où les citoyens étaient égaux.
47:34 C'était pas vrai.
47:38 Où on était obligatoirement étrangers
47:42 et considérés et tenus pour tels.
47:45 En somme, un monde esclavagiste.
47:48 Il est resté.
47:50 Et c'est encore comme ça.
47:52 Je n'ai pas pensé autrement de ma vie entière.
47:55 - Louis Guillaume est mort il y a plus de 40 ans.
48:01 Aujourd'hui, Okéjo trouve de nouvelles résonances
48:04 alors que nos sociétés s'interrogent sur les discriminations raciales.
48:08 Et les violences sexuelles.
48:11 En 2022, le livre a été réédité.
48:14 Cette œuvre littéraire est désormais reconnue
48:18 comme un témoignage précieux par les historiens.
48:21 L'armée américaine, elle, peine toujours
48:26 à bousculer le mythe du libérateur pur et sans tâche.
48:30 Le service de communication du cimetière militaire de l'Oise
48:34 a refusé que je filme les tombes des soldats pendus.
48:38 Elles sont regroupées dans le carré des morts sans honneur.
48:45 Reléguées à l'écart des tombes des héros.
48:48 Derrière une entrée de service inaccessible au public.
48:52 - Ce genre de silence qui se perpétue sur des générations,
48:57 ça entache de doute.
48:59 Et ça, à mon sens, ça alimente
49:02 des discours conspirationnistes ou complotistes
49:06 sur l'armée américaine.
49:08 Donc, à mon avis, il faut ouvrir grand.
49:11 Il faut regarder là où ça fait mal,
49:14 les mensonges, les injustices,
49:17 pour pouvoir être convaincu que l'institution dont on parle,
49:21 c'est une institution qui n'a pas peur de son passé.
49:25 ...
49:53 - J'aurais voulu qu'un jour, on en parle officiellement.
49:57 Qu'on dise "les Américains nous ont libérés,
50:01 "mais on va se joindre à la peine des Salins,
50:05 "des Tournalets, qui ont, eux, perdu leur grand-père,
50:09 "tués par un de nos libérateurs."
50:12 Je veux pas qu'il ait de médaille,
50:15 mais qu'on dise qu'ils n'ont pas fait que du bien.
50:19 Que le mal qu'ils m'ont fait, c'est petit comme ça.
50:23 Par rapport au bien qu'ils nous ont fait.
50:26 Et c'est peut-être pour ça qu'on nous a fait taire.
50:29 On nous a pas fait taire.
50:32 On a créé une... Hein ?
50:34 Un coffre autour de nous.
50:37 Voilà.
50:39 Moi, ma mère, elle m'en a parlé.
50:43 Mais quand on a commencé à parler,
50:47 elle m'a dit...
50:50 Ma mère m'a dit...
50:53 "T'as que ça à faire.
50:55 "T'as cerclé ton jardin ?"
50:57 J'ai dit non. "Il est en taille."
51:00 C'était clos.
51:02 <i>Je ne sais pas comment j'ai retrouvé ma chambre.</i>
51:07 <i>Il y faisait aussi noir que dehors.</i>
51:10 <i>Ni comment j'ai retrouvé mon lit.</i>
51:13 <i>Je me suis endormi aussitôt,</i>
51:15 <i>enveloppé dans mes trois couvertures.</i>
51:18 <i>Oui, c'est vrai qu'un homme qui s'endort</i>
51:22 <i>ferme les yeux sur bien des choses.</i>
51:25 <i>C'est un peu comme si on avait un peu de temps.</i>
51:28 <i>On a un peu de temps pour se dire</i>
51:31 <i>que c'est pas la fin de la vie.</i>
51:34 <i>On a un peu de temps pour se dire</i>
51:37 <i>que c'est pas la fin de la vie.</i>
51:40 <i>On a un peu de temps pour se dire</i>
51:43 <i>que c'est pas la fin de la vie.</i>
51:46 <i>On a un peu de temps pour se dire</i>
51:49 <i>que c'est pas la fin de la vie.</i>
51:52 <i>On a un peu de temps pour se dire</i>
51:55 <i>que c'est pas la fin de la vie.</i>
51:58 <i>...</i>
52:02 ---
52:15 [Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org]
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