24 Heures du Mans 1955 : l’histoire oubliée du pire accident du sport automobile

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24 heures du Mans, 11 juin 1955. Lancée à 240 km/h, une voiture de course se disloque dans les tribunes, là où la foule est la plus dense. Bilan : 82 morts, plus de 120 blessés.

70 ans après le drame, Le Monde a eu accès à des archives inédites. Des images amateurs, tournées au plus près du circuit, qui permettent de mieux comprendre comment la plus célèbre course du monde s’est transformée en enfer.

Elles ont été confiées à la Cinémathèque de Normandie, une association à but non lucratif qui conserve et numérise des films amateurs qui viennent de beaucoup d’endroits.

Pour le centenaire des 24 Heures du Mans, Le Monde apporte un éclairage nouveau sur un pan de l'histoire de ce circuit.

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Transcript
00:00 24 heures du Mans, 11 juin 1955.
00:07 La bataille fait rage en tête de la course.
00:10 Soudain, lancé à 240 km/h, un des bolides se disloque au niveau des tribunes.
00:16 82 morts, plus de 120 blessés.
00:21 La catastrophe la plus meurtrière de l'histoire du sport automobile.
00:24 Que s'est-il passé ?
00:28 Grâce à plusieurs enquêtes, la cause du crash est aujourd'hui connue à la seconde près.
00:33 Mais pourquoi un tel bilan ?
00:36 Pourquoi autant de morts ?
00:38 70 ans après le drame, le monde a eu accès à des archives inédites.
00:47 Des images amateurs tournées au plus près du circuit,
00:51 qui permettent de mieux comprendre comment la plus célèbre course du monde
00:56 s'est transformée en enfer.
00:58 Janvier 1949.
01:06 Dans quelques mois, les 24 heures du Mans font leur grand retour.
01:10 Fermée pendant la Seconde Guerre mondiale,
01:16 le circuit a été très abîmé par des bombardements.
01:19 Il faut presque tout reconstruire.
01:21 Les ouvriers s'activent.
01:25 Le retour des 24 heures du Mans, c'est un peu le retour à la vie normale.
01:29 Une fête populaire pour oublier la guerre.
01:32 Tant pis si le sucre, le café et l'essence sont encore rationnés.
01:37 Les voitures, elles, pourront rouler à plein régime.
01:40 Ces images tournées sur le chantier sont rares.
01:46 Elles ont été confiées à la Cinémathèque de Normandie,
01:51 une association à but non lucratif qui conserve et numérise
01:55 des films amateurs qui viennent de beaucoup d'endroits.
01:58 Les films viennent de Normandie, de France et puis d'Europe.
02:03 Ce sont des dons qui sont apportés sur place
02:09 ou quelquefois, à ce moment-là, assez souvent expédiés, très bien emballés.
02:14 Et la plupart du temps, les films que l'on reçoit sont des films de mariage,
02:19 de vacances à la montagne, au bord de la mer.
02:22 Mais parmi les centaines de films sauvés chaque année par l'association,
02:27 c'est deux bobines.
02:29 Là, ce qui est plutôt particulièrement intéressant,
02:31 c'est que c'est un film tourné
02:35 pour être projeté à un petit public.
02:38 Et puis c'est sur le Mans, alors là, c'est en 1949.
02:41 Jean-Louis Garzinski et Jean-Jacques Marzorati,
02:45 deux cinéastes amateurs originaires du Mans,
02:48 sont derrière la caméra.
02:50 Là, je vais la remonter.
02:52 C'est une Erg Sam des années 50.
02:54 C'est français ?
02:55 Oui, c'est français.
02:57 Alors, avec un chargeur de film comme ça,
03:03 on tourne à peu près une minute et demie.
03:05 Ça coûtait cher pour l'époque ?
03:08 C'est comme si on tournait un film aujourd'hui
03:11 de trois minutes, ça coûterait 50 euros.
03:16 Et j'appuie où ?
03:17 Ici, tu vises là et tu appuies là.
03:19 Pour quelle raison ces deux cinéastes amateurs
03:23 ont-ils filmé les travaux du circuit ?
03:25 Je pense que leur intention était de réaliser un reportage
03:29 sur le Mans et c'est très bien monté.
03:33 Et c'est tourné par un amateur,
03:34 donc il y a un autre regard que le cinéma officiel.
03:36 C'est vraiment, vraiment formidable.
03:40 Ce circuit, c'est le plus célèbre du monde,
03:43 avec grosso modo le même tracé qu'avant-guerre.
03:46 Avec les difficiles virages du Tertre Rouge,
03:48 Mulsanne, Indianapolis, Arnage.
03:53 Avec son interminable ligne droite des Luneaudières
03:57 et celle des stands techniques complètement repensées.
04:00 C'est sur ce même circuit que va se dérouler,
04:06 six ans plus tard, la pire catastrophe
04:09 de l'histoire du sport automobile.
04:15 11 juin 1955.
04:17 Première heure de course,
04:29 les pilotes vedettes de Jaguar,
04:31 Mercedes et Ferrari ne se lâchent pas.
04:34 Pas assez puissantes, moins bien équipées,
04:40 la plupart des autres voitures ne peuvent pas suivre
04:44 le rythme effréné de ces stars du circuit.
04:46 C'est une des causes importantes du drame à 18h28.
04:53 Que s'est-il passé ?
05:02 À l'entrée de la ligne droite des stands,
05:05 le britannique Houghton roule à 240 km/h.
05:09 Il double par la gauche Lostin et Healy
05:12 de son compatriote Lance McLean,
05:15 qui file à près de 190 km/h.
05:18 Soudain, Houghton se rabat devant McLean
05:21 et pile avec sa Jaguar équipée d'une toute nouvelle technologie,
05:26 des freins à disque.
05:27 Pour l'éviter, McLean donne un violent coup de volant à gauche.
05:34 Sa voiture à lui n'est équipée que de freins à tambour,
05:37 moins performants.
05:40 Derrière McLean, la Mercedes numéro 20 du français Pierre Levegue
05:45 et la Mercedes numéro 19 de l'argentin Juan Manuel Fangio.
05:50 Tout se passe ensuite en quatre secondes.
05:54 Levegue lève le bras pour prévenir Fangio du danger.
05:57 Fangio se déroute.
05:59 Pour Levegue, c'est trop tard.
06:02 La voiture du français grimpe sur celle de McLean.
06:06 Elle décolle, rebondit sur un muret.
06:11 Et se disloque au-dessus des tribunes.
06:13 Le train avant de la voiture balaie le public sur plusieurs dizaines de mètres.
06:19 Pierre Levegue meurt sur le coup.
06:22 Dans le public, le chaos est total.
06:26 Les morts se comptent déjà par dizaines.
06:37 Tournées au moment de la construction du circuit,
06:40 les films amateurs inédits consultés par Le Monde permettent de mieux
06:45 comprendre l'une des clés du drame, les conditions de sécurité du circuit.
06:50 D'abord, son tracé n'a presque pas changé depuis 1932.
06:55 Les performances des voitures, elles, ont explosé.
06:59 Certains bolides atteignent les 280 km/h au milieu des années 50.
07:08 Et parfois, en des endroits de la route que rien ou peu de choses séparent
07:12 des spectateurs.
07:13 Pourtant, côté sécurité, dès 1949, les organisateurs avaient fait
07:19 construire des fascines pour protéger le public.
07:21 C'est quoi une fascine ?
07:23 Eh bien, c'est un bloc de terre, de sable précisément, compacté,
07:28 qui est tenu par des branches de châtaigniers qui sont tressées et qui
07:34 peuvent avoir un effet d'absorption des chocs si jamais une voiture vient
07:38 à les percuter.
07:39 C'était l'usage des types de protections qui existaient sur une très
07:44 grande majorité, si ce n'est la quasi-totalité des circuits dans le monde.
07:48 Quand ce n'était pas ça, ça veut dire qu'il n'y avait rien.
07:50 On élève aussi 2 500 mètres de murets en ciment et on tend pas moins
07:57 de 25 000 mètres de fils de fer barbelé pour séparer les spectateurs
08:02 de 13,5 km de ce circuit, moderne et aux normes de sécurité de l'époque.
08:08 Bref, c'est un dispositif de protection absolument remarquable
08:14 et efficace, notamment dans les virages, estime la presse.
08:18 Problème, ce dispositif de sécurité est déjà dépassé par le succès
08:26 grandissant des 24 heures du Mans.
08:29 Depuis 1949, ils sont des milliers à se presser contre ces fascines,
08:33 des centaines à grimper sur des chaises.
08:36 Hautes d'un mètre 20 environ, ces fascines tiennent plus du décor
08:42 que de la protection.
08:43 C'est d'autant plus gênant que les sorties de route sont fréquentes.
08:49 Entre 1949 et 1955, sur ce circuit, quatre pilotes trouvent la mort
08:56 en pleine course.
08:58 Après le drame de juin 1955, les organisateurs des 24 heures du Mans
09:10 lancent un chantier gigantesque pour sécuriser le circuit.
09:14 C'est une ampleur de travaux qui est similaire finalement à celle
09:18 de la reconstruction en 1949.
09:20 Ils reculent les stands de 15 mètres, ce qui élargit la route et laisse
09:25 de place aux autos qui passent à toute vitesse devant les gradins.
09:28 Eux aussi sont repensés pour la sécurité du public.
09:33 Un public qui, malgré les 82 morts de l'année précédente, viendra
09:38 encore plus nombreux à admirer la course de 1956.
09:41 [Musique]

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