Réforme judiciaire israélienne : "nous sommes à un point de bascule"

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00:00 Et on retrouve notre invité par Skype, Vincent Lemire.
00:02 Bonjour, merci de répondre à ces quelques questions.
00:04 Vous êtes historien, directeur du Centre de recherche français de Jérusalem,
00:08 auteur de Histoire de Jérusalem, qui est sorti en octobre 2021 aux éditions Les Arènes.
00:14 Et puis, au pied du mur, vie et mort du quartier maghrébin de Jérusalem,
00:18 sorti également en 2022 chez Seuil.
00:20 D'abord, expliquons pourquoi cette réforme suscite autant de craintes, si vous le voulez bien.
00:25 « Nous devons sauver l'État d'Israël, ni plus ni moins », prévient l'ex-premier ministre Naftali Bennett.
00:30 Le chef de l'opposition, Yair Lapid, accuse lui, Netanyahou, d'être une menace pour la sécurité d'Israël.
00:36 Pourquoi y a-t-il péril en la demeure ?
00:38 Alors oui, on avait aussi Benny Gantz hier qui a dit que c'est la crise existentielle la plus grave depuis la guerre de Kippour, il y a 50 ans.
00:48 Écoutez, ce qui s'est passé depuis hier soir est véritablement un tournant,
00:53 parce que les manifestations qu'on voit, elles sont importantes,
00:56 mais peut-être que les gens qui nous regardent se disent « en fait, ça fait quand même 12 semaines que ça dure ».
01:00 Mais hier soir, effectivement, le tournant, Claire Duhamel l'a dit,
01:04 c'est la tentative de limogéage du ministre de la Défense, Yoav Galant.
01:09 Il n'était pas sur le fond opposé à cette réforme, c'est un membre du Likoud, de droite,
01:16 il est favorable à la réforme sur le fond, mais ce qu'il dit,
01:19 c'est que un certain nombre de soldats réservistes de l'armée israélienne ne font plus leur période de réserve,
01:24 que des pilotes de l'armée de l'air ne s'entraînent plus,
01:28 et que donc il y a un risque majeur pour la sécurité d'Israël.
01:32 Et la sécurité, c'est le cœur du consensus national, qu'on soit de droite, de gauche, laïque ou religieux,
01:38 c'est le cœur de la fondation de l'État, il ne faut pas oublier que l'État d'Israël a été fondé
01:46 pour assurer la sécurité des Juifs de diaspora menacés par l'antisémitisme.
01:52 Donc là, ce qui s'est passé hier soir, c'est sans doute que Netanyahou a fait un pas de trop,
01:57 et les rassemblements spontanés qu'on a vus étaient proprement hallucinants,
02:02 on a atteint sans doute 500 à 600 000 personnes dans la rue,
02:07 c'est à peu près 10% de la population juive israélienne.
02:10 Rendez-vous compte, c'est comme si un rassemblement spontané en France rassemblait 6 à 7 millions de personnes,
02:16 donc on est véritablement à un point de bascule.
02:20 Et ces réservistes dont vous parliez menacent d'arrêter leur travail, parce qu'ils contestent cette réforme.
02:30 Ce texte vise avant tout le pouvoir de la Cour suprême.
02:35 Pourquoi cette institution qui est l'un des garde-fous de la démocratie israélienne
02:40 est autant décriée par les partenaires de Netanyahou, donc les ultra-orthodoxes, les ultra-nationalistes ?
02:45 Alors pour plusieurs raisons, d'abord parce que son pouvoir n'est pas basé sur une constitution.
02:52 Il faut rappeler à ceux qui nous regardent qu'il n'y a pas de constitution en Israël,
02:56 c'est lié au contexte de la création de cet État en 1948, avec les laïcs, avec les religieux,
03:01 il n'y a pas de constitution. Et le pouvoir de la Cour suprême s'est finalement installé très tardivement,
03:08 vers 1995, quand la Cour suprême s'est autorisée à s'autosaisir de tous les textes qui étaient votés par la Knesset.
03:16 Donc la première chose c'est que ce pouvoir est fragile.
03:20 Puis la deuxième chose c'est qu'effectivement on a aujourd'hui des sionistes religieux,
03:25 des suprémacistes au gouvernement israélien qui ne supportent plus la Cour suprême,
03:31 qui ne supportent plus le fait qu'on essaye de défendre les droits de l'homme minimum à l'intérieur de l'État d'Israël.
03:40 Il faut bien savoir qu'on ne parle pas des Palestiniens dans cette affaire-là.
03:45 Donc voilà, la Cour suprême c'est d'une certaine manière le garde-fou qui permettrait de sauver
03:51 ce qu'il reste de la démocratie israélienne.
03:55 C'est la dernière barrière et c'est évidemment cette barrière que Benjamin Netanyahou veut faire sauter
04:03 pour avoir complètement les coups d'effranche sur les réformes à venir.
04:06 C'est pour ça qu'on parle d'une réforme préalable qui ensuite, si elle passait,
04:10 déroulerait toutes les réformes antidémocratiques dans les années à venir.
04:14 Pour avoir les coups d'effranche mais aussi pour échapper à un procès pour fraude et corruption ?
04:21 Alors oui, c'est ce que tous les observateurs mettent en avant et c'est vrai, il y a quelque chose de tactique chez Netanyahou.
04:28 Mais je rappelle toujours que Netanyahou est aussi un idéologue, qu'il est en fait assez à l'aise avec ses alliés d'extrême droite.
04:35 C'est aussi pour ça qu'on le voit si déterminé. Il a un programme politique, il a un programme idéologique.
04:41 Son programme c'est de mettre au cœur du projet national israélien la colonisation, y compris au détriment de la sécurité.
04:48 Et c'est ça qui est en train de faire débat aujourd'hui.
04:52 Donc c'est pas seulement une histoire de corruption et d'affaires judiciaires et de cigares qu'il aurait reçues en cadeau.
04:59 Il y a vraiment une crise existentielle systémique en Israël aujourd'hui.
05:04 Néanmoins, est-ce que le Premier ministre pourra aller jusqu'au bout en voyant ce qui se passe dans la rue,
05:11 avec certaines divisions qui commencent à apparaître au sein même du Likoud ?
05:16 Est-ce que politiquement il n'est pas pris au piège, il n'est pas cerné aussi par ses partenaires ultra-nationalistes qui eux sont jusqu'au boutistes ?
05:24 Alors écoutez, il a toujours 64 députés à la Knesset sur 120, donc il a toujours la majorité.
05:30 Mais effectivement ça craque du côté du Likoud, qui est le cœur de la coalition.
05:35 Il y a des ministres du Likoud qui ont dit qu'ils le soutiendraient s'il annonçait une pause.
05:39 Moi je suis persuadé qu'il va essayer quand même de faire passer cette réforme, parce qu'il a la majorité à la Knesset.
05:47 Il va tout faire pour essayer d'y arriver.
05:52 La seule chose effectivement qui peut faire basculer les choses, c'est l'armée.
05:56 Et on voit que là ça s'est joué sur le ministre de la Défense.
05:58 Et puis il y a quelque chose qui s'est passé cette nuit, qu'on n'avait jamais vu, c'est que la Istadrut, c'est-à-dire le grand syndicat israélien,
06:04 s'est entendue avec le patronat, et notamment la high-tech israélienne, l'hôtellerie, le tourisme, pour déclencher une grève générale immédiate.
06:13 Rendez-vous compte que depuis ce matin il n'y a plus aucun vol qui décolle de l'aéroport Ben Gurion,
06:19 c'est-à-dire qu'il n'y a plus aucun vol qui quitte le territoire israélien, et que dans quelques heures plus aucun vol n'atterrira en Israël.
06:26 Le pays est totalement coupé du monde, un petit peu comme au moment du Covid, mais là c'est pour une crise politique absolument majeure.
06:33 On sent les Américains contrariés aussi par cette réforme de la justice.
06:39 À part exprimer ses craintes, que peut faire Biden ?
06:43 Écoutez, l'opinion publique israélienne est très sensible à ce que pense et à ce que dit l'administration américaine.
06:52 Il ne faut jamais oublier que c'est l'allié principal de l'État d'Israël, y compris pour l'armée, pour le budget militaire, pour les subventions, pour le renseignement.
07:00 Donc si Biden prenait la parole dans les heures qui viennent, ça aurait un effet de plus, en plus de tout ce qu'on vient de dire.
07:10 Moi, je ne suis pas du tout de ceux qui disent que la communauté internationale et l'administration américaine n'ont pas de pouvoir.
07:19 Là, on est à un tel niveau de crise qu'évidemment, si l'administration américaine prenait la parole, ça aurait un effet très fort et ça mettrait encore plus de pression sur Benjamin Netanyahou.
07:30 Une parenthèse pour terminer, les sorties du président israélien ne servent à rien ?
07:34 Alors, elles ne servent à rien sur le plan institutionnel, parce qu'il n'a pas de pouvoir.
07:40 Il ne peut pas dissoudre la Knesset, ce n'est pas du tout comparable avec notre présidence de la République en France.
07:45 Mais en même temps, il prend rarement la parole et donc quand il la prend, ça a du poids.
07:50 Et puis, il y a quelque chose qu'il faut noter. Herzog, le président de l'État d'Israël actuel, a dirigé pendant très longtemps l'Agence juive.
07:56 L'Agence juive, c'est une institution majeure en Israël. Elle a précédé même l'État d'Israël. Elle existait avant 1948.
08:03 C'est l'institution qui est là pour favoriser, encourager et organiser l'émigration des Juifs de diaspora vers Israël.
08:10 C'est très très important. Et cette institution, elle fonctionne sur des bases en fait assez libérales.
08:16 La définition du judaïsme pour avoir le droit d'émigrer en Israël, elle est très très large, elle est très extensive.
08:22 Et les religieux, les orthodoxes qui font partie aujourd'hui de la coalition de Netanyahou, veulent restreindre ce droit à émigrer en Israël.
08:29 C'est aussi un des piliers du consensus israélien qui est atteint. Et le président Herzog est évidemment extrêmement sensible.
08:36 Donc vous voyez l'armée, la sécurité, les syndicats, le business, l'Agence juive, tous les piliers du consensus national israélien sont aujourd'hui ébranlés.
08:46 Merci beaucoup pour vos explications Vincent Lemire, historien et directeur du Centre de recherche français de Jérusalem.
08:52 Je rappelle le titre de votre dernier ouvrage paru aux éditions Les Arènes, "Histoire de Jérusalem". Merci à vous.

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