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  • 25/01/2023
Il y a plus de dix ans, Adama Camara perdait son frère à la suite de rixes. Il a tenté de se faire justice soi même. Depuis, il a purgé sa peine et s’engage avec son association pour en finir avec cette violence.

https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-9h10/le-7-9h30-l-interview-de-9h10-du-mercredi-25-janvier-2023-2052365

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00:00 Le 7 9 30 sur France Inter.
00:06 Sonia De Villers, votre invitée a voulu venger son petit frère tué à coups de couteau en 2011.
00:12 Voilà, et c'est ce sentiment de vengeance, ce poison de la vengeance dont on va parler ce matin avec vous.
00:17 Bonjour Adama Kamara.
00:19 Bonjour.
00:20 Soyez le bienvenu à France Inter.
00:22 Je vous invite parce que, évidemment, la semaine dernière, un jeune, Tidiane, est
00:26 mort à Thiers, poignardé à plusieurs reprises au moment d'un règlement de compte d'une
00:34 rixe entre bandes.
00:35 Encore, encore un gamin qui tombe ensanglanté sur le trottoir.
00:41 J'ai lu votre livre qui s'appelle numéro 55 852, c'est votre numéro d'écrou, parce
00:48 que vous avez fait de nombreuses années de prison, qui est paru à la Grenade, c'est
00:53 le label de JC Lattesse.
00:55 Et ce qui m'a vraiment frappé dans ce livre, c'est que ce besoin de se venger, il a mis,
01:04 vous avez mis des années à vous en débarrasser.
01:06 Des années à s'en débarrasser parce que lorsqu'on sait des choses qu'on ne connaît
01:11 pas en fait, lorsqu'on perd un proche, forcément au début on est dans la tristesse, mais quand
01:17 il est assassiné par un tel, on a toujours ce sentiment à se dire c'est un tel qui a
01:22 tué mon frère, c'est un tel qui a tué ton frère, et on essaye d'aller de l'avant,
01:25 toujours on voit quand on perd un proche, c'est une famille qui est détruite.
01:28 Et de là on a ce sentiment vraiment de vengeance après qui vient en nous.
01:34 Le sentiment de vengeance, pour moi on peut le combattre lorsqu'on parle.
01:38 Moi j'ai pas parlé.
01:40 Ça veut dire pendant des années j'avais une tête mais j'avais deux visages.
01:44 J'avais le visage que je pouvais montrer à ma famille et aux gens, c'est que je me sentais
01:47 bien.
01:48 - Une famille, une femme que vous aimez profondément, une petite fille qui venait de naître, un
01:53 premier boulot.
01:54 - C'est ça.
01:55 Et que de l'autre côté j'ai toujours cette souffrance, cette douleur, ce moment que je
02:00 comprends pas, j'ai perdu mon frère, on a ce coup de poignard dans le cœur qui est
02:05 toujours là.
02:06 Et forcément quand on en parle pas, et que nous on va pas avoir de psychologue, quand
02:10 je dis nous c'est souvent dans les quartiers populaires ou même dans notre culture, on
02:13 n'a pas l'habitude d'aller se confier à un psy, de dire qu'on a mal, c'est comme si on
02:18 se sent comme un sentiment d'échec.
02:19 Donc à ce moment-là la vengeance...
02:21 - Et justement, justement, je m'arrête sur le psy parce que c'est quelque chose qui revient
02:24 à deux reprises dans le bouquin et aujourd'hui dans votre travail, dans les quartiers, c'est
02:28 quelque chose que c'est un lien que vous essayez de créer.
02:33 Mais d'abord vous arrivez en prison et le psy, même en prison, même après le choc
02:37 de la prison, vous êtes séparé de votre petite fille que vous adorez.
02:40 Mais pas question, le psy pas question.
02:43 Au début pas question.
02:45 - C'est clair parce que pour nous le psy c'est une connotation de fou.
02:48 Si je vais voir un psy c'est que je suis fou, c'est que je ne suis pas bien dans ma tête
02:51 parce qu'au final on ne connaît pas vraiment le métier de psychologue.
02:54 Moi à l'école j'aurais aimé qu'on m'apprenne que le psychologue vienne une fois dans ma
02:58 classe pour me sensibiliser, pour dire si demain vous avez une situation, vous n'êtes
03:02 pas bien, venez me voir, moi je suis là pour vous écouter, je ne suis pas là pour vous
03:05 juger ou vous enfermer en psychiatrie.
03:08 Nous on a toujours ce sentiment-là.
03:11 Donc il est vrai que quand au début je vais voir le psychologue c'est pour être bien
03:15 vu par rapport à mon procès, je prépare mon procès.
03:17 Mais au fil du temps quand j'arrive, des fois je suis énervé par rapport à des conditions
03:22 de détention et que je me livre à la psy, j'ai l'impression que je dépose un sac.
03:26 Un sac de colère, un sac de peine et après quand je repars en cellule je me sens mieux.
03:31 Et après je me suis dit mais en fait c'est top d'aller voir le psy.
03:34 C'est pour ça qu'aujourd'hui j'arrive à en parler librement et je conseille aussi
03:37 beaucoup aux jeunes et aux parents, quand on va mal on doit aller voir des psys, ils
03:42 sont là pour ça, c'est des professionnels qui vont nous entendre et qui ne vont pas
03:46 nous juger.
03:47 - Vous avez acheté une arme à feu en cachette ?
03:50 - C'est ça.
03:51 - C'est facile d'acheter une arme à feu ?
03:52 - Malheureusement oui, il faut se dire la vérité.
03:57 Il est plus facile, comme je dis souvent, il est plus facile de trouver une arme qu'un
04:01 boulot.
04:02 J'ai l'impression dans les quartiers, un peu partout, il est plus facile de trouver
04:06 une arme qu'un boulot.
04:07 Mais oui je me suis procuré cette arme parce que je me suis dit peut-être que si je venge
04:11 mon frère je vais me sentir mieux.
04:13 C'est des fausses idées qu'on se fait par rapport à la vengeance et la vengeance c'est
04:16 souvent de l'ego aussi mal placé.
04:19 C'est quelque chose où on se dit, ben voilà, les gens vont nous voir autrement dans le
04:22 quartier, ils vont dire "on a tué son frère, ils ont rien fait".
04:25 On a tous ce sentiment-là.
04:26 - Parce que vous dites justement, quand un môme est tué, toute une famille est brisée
04:31 et surtout toute une famille d'un seul coup est isolée dans le quartier.
04:35 - C'est une famille qui est détruite et c'est une famille qui est isolée parce que...
04:38 - Isolée pourquoi ?
04:39 - Isolée parce que personne ne sait comment faire en fait.
04:42 C'est que les gens qui ont l'habitude même de nous inviter à sortir, demain ils vont
04:46 pas nous inviter à sortir parce qu'ils vont se dire "ben on sait pas si aujourd'hui au
04:50 bout d'un an ils peuvent encore sortir ou peut-être qu'ils vont venir et ils vont pleurer".
04:54 Les gens ils savent pas en fait.
04:56 On arrive dans des situations où on sait pas.
04:58 Donc nous on est livrés à nous-mêmes, on sait pas quoi faire en fait.
05:02 - On dit veuve, on dit orphelin, mais quand on perd un enfant, y'a pas de mot.
05:09 Moi j'ai perdu ce mien là, quel mot qu'on dit ? Elle a perdu son enfant ? Mais non,
05:14 y'a pas de mot.
05:16 C'est une souffrance, c'est une plaie qui va jamais guérir.
05:20 Donc qu'on arrête ça, qu'on arrête.
05:23 - Voilà, c'est une maman qui parle.
05:25 - Miss, oui.
05:26 - Ouais.
05:27 Et c'est un extrait de la série documentaire.
05:29 - Rix, oui.
05:30 - Que vous avez conçue, réalisée, produite.
05:34 - Avec Street Press et France TV Slash.
05:36 - Voilà, voilà.
05:37 Et elle est très émouvante et justement elle dit "il manque les mots".
05:40 Et votre travail aujourd'hui, Adam Akamara, c'est d'apporter des mots, c'est d'offrir
05:45 la possibilité de parler, d'échanger, de se confronter, de chanter.
05:49 On va en parler ensemble.
05:52 Quelque chose autour des armes, parce que là y'a quand même des gamins qui tombent
05:58 poignardés.
05:59 - Oui, il y a le couteau qui revient partout.
06:01 - Énormément.
06:02 Malheureusement aujourd'hui, moi quand je fais des sensibilisations dans les établissements,
06:09 beaucoup de jeunes me disent "moi j'ai un couteau pour me protéger".
06:11 Mais on se protège pas avec un couteau.
06:13 Aujourd'hui si on doit fouiller dans les sacs de beaucoup de gamins qui vont à l'école,
06:19 on peut être surpris et choqué.
06:21 Parce que pour moi y'a énormément de gamins qui vont à l'école avec un couteau pour
06:26 peut-être se protéger, c'est ce qu'ils disent.
06:28 Mais on ne protège pas avec un couteau.
06:29 - C'est un nouveau phénomène le couteau ?
06:31 - C'est un nouveau phénomène de cette nouvelle génération.
06:33 Parce que nous-mêmes plus jeunes on s'est battus, mais nous c'était rare qu'on pensait
06:37 à mettre un coup de couteau à quelqu'un.
06:39 Aujourd'hui c'est devenu banal de mettre un coup de couteau à quelqu'un, c'est terrible.
06:43 - Y'a l'âge de ces gosses aussi, pris dans des rixes.
06:48 Parce qu'ils sont extrêmement jeunes.
06:49 - Extrêmement jeunes, et c'est ça qui est triste.
06:52 Et malheureusement plus on va avancer dans le temps, plus on va en avoir de plus en plus
06:56 jeunes.
06:57 J'ai commencé mes sensibilisations il y a trois ans, sensibiliser les classes de troisième
07:01 et de lycée.
07:02 Aujourd'hui je parle à des cinquièmes, ils savent ce que c'est une rixe, et quand on
07:06 les met en situation de rixe, un jeune sur deux dit "oui je lui écrase la tête ou je
07:11 le plante".
07:12 C'est des mots durs, mais ça sort de leur bouche.
07:13 - Ça veut dire quoi les mettre en situation de rixe ?
07:15 - Les mettre en situation c'est qu'on part souvent de comment ça part une rixe.
07:19 Donc moi je les mets en situation, ils me disent ça part des réseaux sociaux ou d'un
07:22 regard.
07:23 - Alors justement, les réseaux sociaux.
07:25 - De là je crée une histoire.
07:26 Je lui dis "admettons, ton quartier il est tout pourri".
07:29 Il m'insulte.
07:30 "Bah je t'insulte" et il me dit "je te donne un rendez-vous".
07:33 Je lui dis "ok, admettons j'ai ton âge, moi je viens au rendez-vous ce jour-là, je suis
07:37 plus jeune, admettons j'ai ton âge, je viens à ce rendez-vous-là.
07:40 Et quand j'arrive, toi t'es avec tes amis, moi je suis seul, qu'est-ce qui se passe ?"
07:43 Il me dit "bah on se bat".
07:44 Je lui dis "bah on se bat, malheureusement je suis en train de prendre le dessus, qu'est-ce
07:47 qui se passe ?" Il me dit "bah mes potes y rentrent".
07:49 Et à ce moment-là, les autres gamins de la classe que je mets en situation, ils disent
07:54 "bah moi je rentre, oui je rentre dedans".
07:56 Après moi je veux qu'ils me disent les mots, parce que les mots ont un sens quand même,
08:00 et qu'ils me disent "oui bah je t'écrase la tête, je te mets des pénaltys", c'est
08:04 leurs expressions, ou sinon "je te mets un coup de couteau".
08:05 Et ensuite quand je leur dis "48 heures après vous apprenez, je suis décédé, qu'est-ce
08:10 qui se passe ?" Et de là ils me disent "bah je sais pas, je vais au bled".
08:14 Et je leur dis "mais t'es mineur, tu préviens pas tes parents".
08:17 Ils essayent de s'en sortir et je leur dis "vous arrivez en garde à vue, au bout de
08:21 48 heures de garde à vue vous arrivez au tribunal, et que le juge décide de vous emmener en
08:25 prison".
08:26 La plupart des jeunes ont 13 ans, ils me disent "bah c'est mon père qui va en prison".
08:29 D'autres qui me disent "c'est ma mère".
08:31 Je leur dis "ah non, à partir de 13 ans on est responsable pénalement, vous allez en
08:35 prison les gamins".
08:36 Et là ils sont surpris.
08:37 Donc c'est des situations des fois, parce qu'on a l'habitude d'entendre "t'es mineur
08:41 tu risques rien".
08:42 Ça c'est une phrase qui est dangereuse pour notre jeunesse.
08:46 Donc aujourd'hui c'est pour ça qu'avec nos sensibilisations on essaye de mettre un
08:49 peu de conscience dans leur tête, de se dire "si demain vous commettez un crime les gars,
08:53 c'est pas vos parents qui vont aller en prison".
08:55 Vous avez vidé le chargeur du flingue que vous aviez acheté sur les meurtriers de votre
09:01 petit frère.
09:02 Votre petit frère s'appelait Sada, il avait 18 ans.
09:05 Il a été tué à coups de couteau devant la gare, à Gonesse.
09:10 Vous êtes resté plusieurs mois avec cet arme à feu planqué dans la voiture.
09:17 Quelques mois, vraiment quelques semaines même.
09:19 Parce que comme je le raconte dans mon livre, c'est qu'un soir je me lève, je donne le
09:23 biberon à ma fille et je me dis "mais en fait comment je peux vivre comme si de rien
09:27 n'était".
09:28 J'ai toujours ce sentiment qui me fait mal.
09:29 Et les jours qui ont suivi j'ai eu la bêtise de m'acheter une arme.
09:32 Et voilà je me suis dit que je vais me sentir mieux.
09:35 Et même quand je vide ce chargeur et que j'arrive en garde à vue, je ne suis même
09:40 pas mieux en fait.
09:41 Et c'est là que je me dis qu'en fait on se fait une idée sur la vengeance mais la
09:46 vengeance ce n'est pas vrai en fait.
09:48 Il n'y a pas de réelle vengeance.
09:49 La réelle vengeance c'est pour moi aujourd'hui les actions que je mène.
09:53 C'est ça pour moi la reconstruction de quelque chose.
09:57 Et aujourd'hui comme je le dis je préfère vider l'angle de mon stylo qu'un chargeur.
10:01 Voilà pourquoi j'écris un livre.
10:02 Et dans les remerciements de votre livre, il y a un procureur que vous remerciez.
10:08 Il y a un procureur que vous remerciez.
10:10 Un procureur de la République.
10:12 Un procureur de la République qui pour moi, ça fait partie des changements aussi, des
10:18 personnes qui m'ont tendu la main.
10:19 Lorsque je suis jugé aux assises et que je prends huit ans, et moi entre temps j'étais
10:25 sorti parce que j'avais fait quatre ans de détention provisoire, je n'avais pas encore
10:29 de date de procès.
10:30 Pendant ces cinq mois de libération, j'ai essayé de faire des choses quand même pour
10:33 parler à la jeunesse, pour leur dire qu'au final ça ne sert à rien la vengeance.
10:37 Moi j'ai perdu mon frère, j'étais en prison, j'ai perdu mon père en détention, ça ne
10:41 m'a rien servi.
10:42 Et que j'avais fait une vidéo avec Street Press qui dépasse aujourd'hui les deux millions
10:46 de vues où je raconte mon histoire.
10:47 Et que le procureur a aussi vu cette vidéo, les partis civils aussi.
10:51 Et le procureur me dit à la fin, me serre la main, me dit "je crois en vous, je crois
10:56 en vos projets, je sais que vous allez faire les choses bien".
10:59 Donc aujourd'hui s'il m'entend, c'est pour ça que je le dédicace dans le livre, je
11:03 lui ai même envoyé un livre, je ne sais pas s'il l'a reçu.
11:05 - Bah si il l'a reçu c'est sûr ! - Mais en tout cas voilà, pour moi il y a
11:09 des choses, il faut savoir le dire quand c'est bon et quand c'est mauvais aussi.
11:13 - Adam Akamara est mon invité.
11:15 Vous écoutez France Inter, il est 9h19 et on va continuer à parler ensemble de ces
11:21 phénomènes de Rix, de ces jeunes qui s'arment et surtout du rôle des réseaux sociaux dans
11:26 ces histoires cauchemardesques.
11:28 Fuguer, faire le pas de deux, le pas de côté, cœur et poing levés, partir en fumée, foncer,
11:35 t'aimer, oh.
11:38 Fuguer, le ruban perdu, les cheveux défaits, brûler tous les feux aussi tu savais, ouais.
11:46 Fuguer, malgré tout, malgré les poings de côté, s'envoyer valser pour un seul baiser,
11:56 voler, voulu, oh.
12:00 Fuguer, le ruban perdu, je l'avais trouvé, dans tes cheveux défaits, au mien en mêlée,
12:06 ouais.
12:07 Et je cours là dans ma tête, jour, nuit, je fais le tour du tapotement, sans aucun réplique,
12:20 oui je cours là dans ma tête, je cherche encore ta planète.
12:28 Fuguer, crocher, décrocher pour toi m'accrocher, sur ton étoile filer, sur mes pieds danser,
12:36 t'aimer, t'aimer, t'aimer, t'aimer, oh.
12:40 Fuguer, le ruban je veux plus jamais le dénouer, perdu et perdu je m'en fous j'ai signé.
12:48 Fuguer, toi et moi tu sais c'est pas du chiquer, tu jamais vu jamais, ouais je le sais.
12:53 Et je cours là dans ma tête, jour, nuit, je fais le tour du tapotement, sans aucun réplique,
13:06 oui je cours là dans ma tête, je cherche encore ta planète.
13:11 Et je cours là dans ma tête, jour, nuit, je fais le tour du tapotement, sans aucun réplique,
13:22 oui je cours là dans ma tête, je cours là dans ma tête, je cherche encore ta planète.
13:31 Fugue, fugue, cherche encore, cherche encore.
13:36 Fugue, fugue, fugue, fugue, fugue, oh.
13:42 Cherche encore, cherche encore.
13:44 Fugue, fugue, fugue.
13:50 Elle fugue, Juliette Armanet.
13:59 L'Eryx c'est comme la Ligue des champions, il y a un match aller et un match retour.
14:04 Ils ont tué Sada, il faut qu'on égalise et qu'on reprenne l'avantage.
14:08 Ces mots hyper simples, hyper percutants, ce sont ceux d'Ama Kamara qui est face à
14:14 moi, c'est mon invité.
14:15 Son livre s'intitule numéro 55.852, c'était votre numéro décro, pendant les années
14:23 de tôle.
14:24 Il est paru à la Grenade, c'est un des labels de J.C.
14:27 Lattès.
14:28 J'ai vachement aimé ce livre.
14:29 Et franchement, je vous le dis, si vous avez des ados, même des collégiens, qui ont un
14:35 peu de mal à lire, donnez-leur le livre d'Adama Kamara parce qu'il se lit de manière extrêmement
14:40 simple.
14:41 Et à partir de quel âge vous diriez ? Quatrième ?
14:43 Quatrième, voire cinquième.
14:45 Aujourd'hui, j'ai même des classes de cinquième qui m'ont demandé le livre, qui ont acheté
14:49 le livre aussi par leurs parents.
14:51 Leurs parents ont aussi lu le livre et ils m'ont répondu sur les réseaux sociaux en
14:56 disant « ton livre m'a touché vraiment et ça me fait réfléchir ». Parce que souvent,
15:00 quand on est dans les rixes, on réfléchit pas, on oublie qu'on a une famille à la
15:02 maison.
15:03 Parce qu'on est vraiment concentré sur cette famille qui est dehors, la famille du quartier.
15:07 Mais malheureusement, quand il arrive des situations dramatiques, c'est la famille
15:11 à la maison qui subit.
15:12 Descente de mots, c'est génialement trouvé comme expression.
15:33 Descente de mots, parce que souvent on fait des descentes.
15:36 Quand les jeunes vont se battre, ils disent « on va faire une descente ». Nous, on
15:39 a dit « on va mettre ça à l'écrit, descente de mots ». Donc voilà, c'est un concept
15:45 tout bêtement trouvé dans une situation où il y a un jeune qui se fait lyncher en
15:49 2018 et nous on se dit « qu'est-ce qu'on peut faire pour parler à ces jeunes ? ». Donc
15:54 on s'est dit « les jeunes, ils adorent le foot dans nos quartiers et le rap, pourquoi
15:58 pas les prendre avec le rap ? ».
15:59 Ce qui est hyper intéressant, c'est que ce moment-là, vous n'êtes pas encore jugé,
16:02 vous êtes en liberté conditionnelle.
16:03 Je ne suis pas encore jugé, c'est ça.
16:04 Et je me dis « bon, allez, il faut y aller à un moment donné ». Donc j'ai été dans
16:08 tous les quartiers de Gare, j'ai parlé aux jeunes, je leur ai dit « est-ce que vous
16:11 voulez faire un morceau avec moi ? ». Ils m'ont dit oui.
16:12 Et de là, je les ramène en studio, on se retrouve avec une vingtaine de jeunes qui
16:17 sont en rixe, qui ne s'entendent pas et qui se regardent.
16:21 Ils me disent « mais pourquoi tu les as invités ? ». Et moi je leur dis « c'est les cartes
16:23 blanches, c'est pour ça que je ne les ai pas volontairement censurées dans le morceau.
16:27 Dites ce que vous avez à dire ». Et moi j'essaye de faire le refrain pour apporter quelque
16:31 chose de positif.
16:32 Et c'est ce que je dis dans le refrain, quand je commence, je dis « embrouille = prison
16:36 ou la mort ».
16:37 Et après je dis « je défends mon pote ». Et ça même quand il a tort, parce que souvent
16:40 c'est une réalité.
16:41 Malgré que nos amis ont tort des fois, on va tout bêtement.
16:45 Et à la fin je termine, je dis « on grandit ensemble, on s'entretue, on se trompe d'adversaire
16:49 parce qu'au final on se bat avec qui et contre qui, des personnes souvent qui nous
16:52 ressemblent, qui ont les mêmes problématiques que nous, on a les mêmes problématiques
16:55 qu'eux.
16:56 Donc au final on se bat contre qui ?
16:57 - Ce qui est le cas de votre petit frère.
16:58 - Mais c'est ça.
16:59 - Votre petit frère, il est mort sous les coups d'un gosse qu'il connaissait depuis
17:02 toujours du même quartier.
17:03 - C'est ça, ils ont grandi ensemble.
17:05 Ils ont grandi ensemble et même sur les personnes malheureusement sur lesquelles je tire, c'est
17:09 des gens avec qui j'ai mangé, j'ai été en vacances.
17:11 - Quand vous avez voulu le venger.
17:13 - Bien sûr.
17:14 Et j'aurais même pu appeler mon livre « à la base on était tous des potes ». Parce
17:17 que c'est une réalité.
17:18 - Vous auriez pu l'appeler « la vengeance » aussi.
17:22 - La vengeance aussi.
17:23 - C'est vraiment le poison de la vengeance.
17:24 - C'est le poison de la vengeance.
17:25 - Les réseaux sociaux.
17:27 - Les réseaux sociaux pour moi ils ont un rôle vraiment dévastateur dans notre jeunesse.
17:31 Aujourd'hui quand les jeunes ils se battent, il y en a qui viennent que pour filmer.
17:34 Quand on filme on alimente.
17:35 Et même avec ce qui se passe aussi en détention.
17:38 Quand on regarde TikTok aujourd'hui, moi je fais beaucoup d'interventions sur ça avec
17:43 les jeunes et quand je parle de ce qui se passe sur les réseaux sociaux, on me parle
17:47 de TikTok.
17:48 Je leur dis « vous avez déjà vu des TikTok de personnes en prison ? ». Ils me disent
17:51 « oui on a déjà vu, il y en a qui font un manger, il y en a qui font ci, ça, ça
17:55 doit être trop bien ». Je l'entends.
17:56 - Vraiment ? - Oui, oui, oui.
17:57 Et je leur dis « ça doit être trop bien d'être en prison ». Et quand je leur dis
18:01 « mais une vidéo ça dure combien de temps ? ». Ils me disent « une minute ». Je
18:04 dis « une minute ça ne reflète pas l'univers carcéral.
18:06 Il faut revenir à la réalité ». Et même aujourd'hui je travaille en détention,
18:10 je fais des ateliers d'écriture aussi.
18:12 Et quand même lundi j'ai posé la question à certains détenus, je leur ai dit « est-ce
18:17 que vous savez ce que les jeunes ils pensent des vidéos qui se passent à l'intérieur
18:19 ? ». Ils me disent « bah non ». Et quand je leur dis, ils me disent « mais c'est
18:24 pas possible qu'ils peuvent penser ça ». Je dis « bah si, ils pensent que la prison
18:27 c'est facile ». Ils me disent « ouais mais en une minute non, on veut montrer que
18:31 voilà, on est quand même en vie ». Et puis les réseaux sociaux aussi, quand vous dites
18:35 c'est un regard de travers.
18:37 Et un regard de travers ça peut déclencher un règlement de compte entre bandes.
18:40 Mais les réseaux sociaux c'est le regard de travers amplifié qui se viralise.
18:45 Les insultes et tout.
18:46 Les insultes avec tout le monde qui s'en mêle.
18:49 Avec des groupes qui sont créés aussi.
18:52 Et c'est comme pour le harcèlement, c'est comme pour tout.
18:55 Aujourd'hui on détruit la vie des gens, ne serait-ce qu'avec même une photo envoyée
18:59 qui est mise dans un groupe, qui est amplifiée et ça devient dévastateur.
19:03 Aujourd'hui les réseaux sociaux c'est vraiment le poison, pour moi, numéro 1 de
19:07 la jeunesse.
19:08 - Votre petit frère s'appelait Sada.
19:11 - Sada.
19:12 - Et c'est devenu le nom de votre association.
19:14 - Sada.
19:15 Solidaires, agissons dès aujourd'hui.
19:17 C'est le nom de mon petit frère qu'on a voulu, parce que ça part de là quoi, le
19:22 combat il part de là.
19:23 Et qu'aujourd'hui on se dit avec notre association on va essayer d'aider ses familles.
19:27 Parce qu'avec toutes les familles que j'ai rencontrées, la première question que je
19:31 leur pose c'est "est-ce que vous êtes accompagné ?".
19:32 Ils me disent "non on n'est pas accompagné".
19:34 Et ils n'ont pas l'habitude d'aller voir des psys.
19:38 Donc nous, avec notre association Sada, avec ma collègue, on s'est formés à l'accompagnement
19:43 au deuil.
19:44 Donc aujourd'hui on fait de l'accompagnement au deuil pour déjà tisser ce premier lien
19:48 avec les familles.
19:49 Et quand on voit que ça devient trop profond, on les envoie vers des psychologues qui prennent
19:54 le relais.
19:55 - Alors vous intervenez en prison.
19:57 - Oui.
19:58 - Vous intervenez où ?
19:59 - En PJJ aussi, Protection Judiciaire de la Jeunesse.
20:02 Collège, lycée, bientôt les élémentaires aussi.
20:05 - Bientôt les élémentaires ? Si jeunes ?
20:07 - Si jeunes parce qu'ils vont arriver dans la cour des grands, dans le Grand-Bas.
20:12 C'est le projet qu'on a écrit chez les grands.
20:15 Parce qu'une fois qu'on arrive chez les grands, il y a les sixièmes et les troisièmes.
20:18 Et des fois il y a des troisièmes qui peuvent parler, les sixièmes ils sont à côté.
20:22 Donc préparez déjà les CM2 à arriver en classe de sixième pour malheureusement les
20:28 réseaux sociaux aujourd'hui ça va vite.
20:30 Aujourd'hui dans les élémentaires on peut trouver des gamins qui ont un téléphone.
20:33 - Merci Adam Akamara.
20:35 - Merci à vous pour l'invite.
20:36 - Votre livre s'appelle numéro 55.852 La Grenade, la Tess.
20:43 Donnez-le à tous vos gamins.

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