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  • 3 days ago
Ce documentaire remarquable montre comment, de la liesse du premier printemps arabe, début 2011, au rétablissement progressif de la dictature, Kaïs Saïed, ex-outsider devenu président, a enterré les promesses démocratiques de la révolution.

En mars 2025, pour la première fois depuis l'ère Ben Ali, la justice tunisienne a condamné à de lourdes peines de prison des femmes et des hommes pour s'être opposés publiquement au président Kaïs Saïed, qui s'est arrogé les pleins pouvoirs en 2021. Un "complot contre la sécurité de l'État", selon le vocabulaire à nouveau en vigueur dans le berceau des printemps arabes. Comment cet austère juriste et universitaire de 67 ans est-il parvenu, d'abord à se faire triomphalement élire en 2019 (plus de 70 % des suffrages), puis à enterrer une à une les promesses démocratiques de la "révolution de jasmin" ? Commentant de riches images d'archives, dont certaines inédites, de nombreux opposants et observateurs critiques (dont la poétesse et activiste des droits humains Chaïma Issa et l'opposant de gauche Ahmed Nejib Chebbi, tous deux condamnés au début de l'année et dans l'attente de leur procès en appel), mais aussi des partisans, anciens ou actuels, de Kaïs Saïed, retracent les quinze années d'espoirs, de combats et de crises politiques qui ont favorisé son populisme autoritaire. Réélu en 2024 avec 90 % des voix, mais seulement 22 % de participation – le score le plus bas depuis le premier scrutin libre de l'histoire de la Tunisie, en octobre 2011 –, ce contempteur des partis s'est avéré impuissant à redresser le pays, qui s'enfonce dans le marasme économique et social…

Gardien des frontières

"Pain, liberté, dignité nationale." Verra-t-on refleurir l'un des slogans phares de la révolution dans les rues tunisiennes ? Pour l'heure, au nom de "la volonté de Dieu, du destin et de l'histoire", Kaïs Saïed est parvenu à vider peu à peu de sa substance la démocratie tunisienne, sans déclencher de réaction d’une communauté internationale qui salue en lui un efficace gardien des frontières. Même quand, en 2022, il désigne à la vindicte populaire les migrants subsahariens, nombreux en Tunisie, l'Union européenne, qui contrairement au Fonds monétaire international continue à subventionner son régime, ferme les yeux. Avec fluidité et précision, cette remarquable synthèse, portée par la parole vibrante de celles et ceux qui témoignent, permet de comprendre comment la première et la dernière des étincelles du "printemps arabe" a été étouffée, mais aussi de mesurer combien l'exigence démocratique qu'elle a fait naître reste vivante.

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Transcript
00:00...
00:00Elle a eu la réélection sans surprise de Qaïs Saïed en Tunisie.
00:14Oui, Qaïs Saïed réélu président avec un peu plus de 90% des voix.
00:17...
00:18Étincelle des printemps arabes, la Tunisie a porté l'espoir
00:39d'un basculement dans un monde figé par les dictatures.
00:42Seule démocratie issue de ces soulèvements, elle incarnait la promesse d'un renouveau.
00:50Mais 15 ans après, le spectre d'un régime autoritaire ressurgit.
00:54Au cœur de cette menace, un homme, Qaïs Saïed.
00:59Depuis la révolution de 2011, cet outsider discret s'effrayait un chemin jusqu'au sommet de l'État.
01:06Il était porteur d'un espoir et c'est cela qui l'a porté au pouvoir.
01:14C'est une personne introvertie, très secrète, qui n'exprime pas des émotions.
01:19Il donne toujours cette impression de parler comme s'il détenait la vérité absolue, une sorte de messie.
01:27Comment cet homme, porté au pouvoir pour incarner le renouveau, la sagesse et la probité,
01:34a-t-il pu devenir le faux soyeur des idéaux de la révolution et briser le rêve démocratique du peuple tunisien ?
01:40C'était trop beau pour être vrai, de croire que la dictature ne va plus revenir.
01:45Sous-titrage Société Radio-Canada
02:15Le 17 décembre 2010, à Sidi Bouzid, au centre de la Tunisie,
02:22le jeune vendeur ambulant Mohamed Bouazizi s'immole par le feu après une nouvelle saisie de sa marchandise par la police.
02:29Par ce geste désespéré, il entend dénoncer l'humiliation, l'arbitraire et la corruption d'un régime autoritaire,
02:36dirigé depuis 23 ans par le président Ben Ali.
02:39L'événement déclenche un vaste soulèvement populaire qui se propage à travers le pays comme une traînée de poudre
02:52et prendra plus tard le nom de Révolution du Jasmin.
02:57L'obsession à ce moment-là, c'était que la révolution réussisse.
03:26Et ouvre la voie à la liberté.
03:31Nous sommes contre l'oppression du dictateur Ben Ali !
03:36C'était juste historique, incroyable, énorme.
03:43Vous mettez tous les superlatifs comme vous voulez.
03:45Parce qu'avant, c'était inconcevable pour nous de manifester en Tunisie.
03:49Il n'y a pas de manifestation.
03:50Le peuple s'est révolté contre l'injustice, s'est révolté pour sa liberté, s'est révolté pour chercher à vivre comme des citoyens et non pas comme des esclaves.
04:04Cette révolte tunisienne donne naissance à ce qu'on appellera les printemps arabes.
04:14En quelques semaines, la vague de contestation s'amplifie.
04:18Elle gagne le Yémen, la Libye, la Syrie,
04:24où les soulèvements, réprimés avec une extrême violence, basculent rapidement dans le chaos et se transforment en guerre civile.
04:34Parallèlement, des mouvements de protestation secouent aussi l'Egypte, la Jordanie ou le Bahreïn.
04:40Partout, des régimes autoritaires en place depuis des décennies sont remis en cause par des populations jeunes,
04:47privées de liberté politique, confrontées à un chômage massif, à la corruption endémique et à une répression policière brutale.
04:54En Tunisie, tout bascule le 14 janvier, lorsque le Premier ministre annonce à la télévision le départ précipité de Ben Ali.
05:09Le président déchu, lâché par l'armée, a quitté le pays à bord de cet avion en direction de l'Arabie Saoudite.
05:17On s'est débarrassés de cette charge, cette charge de dictature, de lourdeur qui était sur nos épaules.
05:24On se sentait léger, mais en même temps, il y avait une fierté immense, une légèreté immense.
05:33Et on se disait, on va s'en sortir.
05:37Le système semblait si puissant et presque, pas éternel, mais indéboulonnable.
05:45C'est un sentiment de bonheur qui m'a comblé le 15 janvier, le lendemain de la Révolution.
05:51Je me suis dit, je suis libre et dans mon pays.
05:56Enfin, la Tunisie est parvenue à se débarrasser de la casquette du chef.
06:03Elle est parvenue à tuer le père.
06:06On allait vers une ère de démocratie, faite de liberté, d'un état respectueux, de la dignité de l'homme et de ses droits.
06:15Je pensais, je dois le dire aujourd'hui naïvement, qu'on allait réellement dans cette bonne direction.
06:24Sa chute met fin à plus de 50 ans de pouvoir personnel en Tunisie.
06:31Depuis l'indépendance en 1956, le pays a été dominé par deux figures.
06:37Habib Bourguiba d'abord, père de la nation, qui est roi avec le protectorat français et fonde un régime autoritaire, mais réformiste.
06:45Héros national, il incarne l'émancipation du joug colonial et pose les bases d'un état moderne.
06:50Il ne faut pas oublier que si on va trop lentement, on recule.
06:55Puis le président Ben Ali arrive à la tête de l'état en 1987, en promettant plus de liberté et de pluralisme.
07:04Pourtant, très vite, il verrouille le système.
07:07Opposition muselée, censure, surveillance généralisée et torture.
07:13La corruption gangrène le pays.
07:15Les ressources sont accaparées par les proches du pouvoir, tandis que le chômage s'aggrave.
07:20L'élan de la révolution a brisé un régime, mais il ne suffit pas à bâtir un ordre nouveau.
07:29En 2011, la Tunisie se cherche, le vide politique s'installe, les gouvernements se succèdent, la rue gronde encore.
07:37À la faveur de la révolution, un homme émerge dans l'espace public.
07:50Figure jusque la marginale, il se fait progressivement remarquer par ses mises en cause radicales de l'ensemble de la classe politique.
07:57Professeur austère de droit constitutionnel, il n'appartient à aucun parti, n'a jamais été militant avant le soulèvement populaire,
08:06et cultive une image d'homme intègre.
08:09Cet homme s'appelle Kay Sayed.
08:11Il est perçu comme un intellectuel discret, respecté pour sa rigueur, rien ne le prédestine à exercer le pouvoir.
08:21Le 3 mars 2011, le président par intérim annonce la tenue d'élection.
08:45Mais Kay Sayed critique le fait que ce processus soit confié au parti politique.
08:50J'ai vu un professeur de droit constitutionnel monter sur scène.
08:56Kay Sayed était pour le boycott électoral et a prononcé un discours pour dénoncer ces élections
09:01qu'il qualifiait de simulacres de démocratie destinées à perpétuer la dictature des riches et de la corruption.
09:09Un système incapable de répondre aux revendications du peuple.
09:20Je connais Kay Sayed, je le connais en tant que prof, j'ai enseigné à la fac de droit.
09:45Je l'ai assez connu en 2011 quand il y a eu les débats au début sur la feuille de route pour la Tunisie.
09:52Il était actif, il venait dans les réunions pour parler est-ce qu'on va vers un régime parlementaire ou un régime présidentiel.
09:59C'est devant les files d'attente sous le soleil que se mesure la motivation des Tunisiens.
10:07Ils ont attendu 4 heures avant de pouvoir voter, librement pour la première fois de leur vie.
10:12Trop fière, j'ai même la chair de poule, vous pouvez voir.
10:15Dans l'histoire du pays, ce scrutin reste un moment fondateur.
10:22Les premières élections libres, saluées comme un tournant démocratique majeur,
10:26et la promesse d'un nouvel ordre politique après des décennies de dictature.
10:31Parmi les principales forces en présence, le parti islamiste Enarda,
10:35des formations de gauche et des partis libéraux.
10:39Une nouvelle ère politique s'ouvre pour les 12 millions de Tunisiens.
10:42Les élections ont eu lieu dans une ambiance où il fallait d'abord élire ceux qui étaient les plus réprimés.
10:51Les islamistes ont été les plus réprimés pendant la période de Ben Ali.
10:55Donc ils ont payé lourdement.
10:58Donc ils sont perçus comme des victimes.
10:59Tout le monde savait qu'ils se sont fait arrêter, torturer, renvoyer de leur boulot, etc.
11:04Ça a été pour beaucoup dans le vote massif qu'il y a eu pour eux.
11:08Parce que les gens disaient, voilà, Ben Ali était corrompu.
11:12Alors on va voter pour les gens les plus clean, donc les plus vieux, croyants.
11:17Oui, Enarda, Meshati !
11:20Enarda, c'est le parti de Dieu.
11:22Il y a des gens qui sont honnêtes, qui ont peur de Dieu,
11:25et qui donc vont respecter la religion, ils vont protéger l'État.
11:28Les Tunisiens portent au pouvoir le parti islamiste Enarda.
11:34Celui-ci laisse la mouvance salafiste s'installer au grand jour.
11:39Se réclamant d'une rupture avec les pratiques répressives de l'ancien régime,
11:43ils tolèrent l'activité d'anciens djihadistes, libérés grâce à l'amnistie générale.
11:47Ceux-là ont eu des centaines d'hommes barbus avec des drapeaux noirs, etc.
12:06Ils revendiquaient pleinement leur appartenance à Al-Qaïda.
12:13Et il y avait des dirigeants de Mahda qui les défendaient, qui assistaient à leur congrès.
12:17En 2013, l'agitation et la violence politique entretenue par les salafistes atteint un point culminant.
12:28Deux figures majeures de l'opposition de gauche sont assassinées par des membres de la mouvance djihadiste.
12:34Ces actes terroristes marquent un tournant.
12:36Ils jettent une lumière crue sur l'ambiguïté de plusieurs responsables du parti islamiste,
12:41accusés de complaisance à l'égard de ces groupes extrémistes.
12:47La transition démocratique tunisienne vacille.
12:52Pour la première fois depuis la Révolution, le spectre du chaos semble réel.
12:57Le jour du second assassinat, dans un climat de tension,
13:01Kay Sayed se rend devant l'hôpital où le corps de la victime a été transporté.
13:06Loin des partis et sans mandat, il est l'un des rares à pouvoir s'exprimer sans être rejeté par la foule.
13:12Cette apparition renforce son image dans l'opinion.
13:15Celle d'un homme resté proche du peuple, au-dessus des querelles partisanes.
13:19Le jour où ils ont été décaden, ils ont été décjaké par la foule.
13:24Ce qui leur a été dépensé par la réalité, c'est qu'ils ne peuvent pas se remplissent.
13:29Le jour où ils ont été décédé par la réalité, c'est qu'ils ne peuvent pas se remplacer, ils ont été décégés.
13:34Tous ! Tous !
13:37Je vous remercie avec nous, le canon d'Osturi, le canon d'Osturi, le canon d'Osturi, le canon d'Osturi, le canon d'Osturi, le canon d'Osturi.
13:46Kays Sayed occupe de plus en plus d'espace à la télévision et devient une voix familière pour les Tunisiens,
13:52qui s'habitue à son phrase effroi, analytique et monocorde.
13:57Une sobriété qui tranche avec la classe politique traditionnelle.
14:02Le journal de 8 heures était sacré pour tout le monde, l'émission la plus regardée en Tunisie.
14:07Et à chaque fois qu'il y a un problème constitutionnel, on a vu Kays Sayed pour expliquer.
14:14Je me souviens de Kays Sayed qui commençait à gagner en popularité au fur et à mesure de ses passages médiatiques.
14:20Pourquoi ? Parce que le monsieur se tient droit.
14:23Il parle en arabe littéraire, old school, avec une voix grave mais en même temps charismatique et inspirante.
14:35Vous avez tout de suite une impression d'intégrité, de droiture, d'exemplarité de ce qu'un professeur devrait être pour ses élèves.
14:47En 2013, il renforce son image d'un inébranlable lors d'une caméra cachée, diffusée dans une émission largement suivie en Tunisie.
15:00Le concept était de simuler un tremblement de terre.
15:05Donc les gens, ils viennent au studio, ils se mettent et le studio, il se met à trembler et tout.
15:09Et on voyait la réaction des gens, comment ils se comportent face à une catastrophe naturelle comme ça.
15:15Il y en a qui s'est caché sous la table, d'autres qui commençaient à hurler, d'autres qui sont sortis.
15:39Donc chacun a réagi.
15:42Rays Haïd, c'était extraordinaire, ça.
15:46Les gens, eux, ne me quittent pas les gens.
15:48Les gens, eux, ne me quittent pas les gens.
15:50Les gens, eux, ne me quittent pas les gens.
15:52Les gens, eux, ne me quittent pas les gens.
15:57Rays Haïd était impassible. Il n'a pas bougé. Il n'a pas bougé.
16:11Cette coupure qu'il a avec l'environnement qui l'entoure, elle est terrifiante.
16:18Aucune réaction, ni peur, ni fuite, ni angoisse, ni question, ni même un battement de signes. Rien.
16:30Et ça donnait l'image de quelqu'un de très fort. Sécurisant.
16:35Les gens ont été beaucoup impressionnés par son calme et son sang froid.
16:41Ils se disaient, franchement, ce mec-là, il assure.
16:45Ce n'est pas une poule mouillée comme certains autres politiciens qu'on a vus.
16:50Donc, c'est une personne digne de confiance.
16:55Tandis qu'il gagne en visibilité dans la sphère publique,
16:58le pays, lui, s'enfonce dans l'incertitude politique.
17:19Au Parlement, durant les débats sur la rédaction de la nouvelle constitution,
17:23le parti islamiste Enarda suscite de vives inquiétudes au sein du camp laïc.
17:28L'un des points les plus sensibles concerne la place de la religion.
17:32La reconnaissance éventuelle de la charia comme fondement juridique
17:36fait craindre un retour en arrière,
17:38notamment sur les acquis des femmes tunisiennes
17:40inscrits dans le code du statut personnel adopté en 1956 par Habib Bourguiba.
17:47Un texte pionnier dans le monde arabo-musulman.
17:50Il considérait que certains acquis du code du statut personnel
17:58concernant les droits des femmes
18:00constituaient une violation de l'islam.
18:04Et par conséquent, ces acquis devaient être annulés,
18:07comme la question du divorce ou de l'adoption.
18:10Le droit au travail et l'égalité des droits entre les hommes et les femmes.
18:16La femme tunisienne est une part entière, elle est l'illégale de l'homme.
18:30Et on est là pour montrer ça.
18:32Ici, aujourd'hui, les femmes tunisiennes sont là nombreuses, comme vous pouvez le voir.
18:36Le leitmotiv à l'époque, c'est qu'on ne sort pas aujourd'hui
18:39pour sauver notre statut d'égal à l'homme, c'est foutu pour nous.
18:43On va régresser, on va perdre nos acquis.
18:46Et ça, c'est viscéral.
18:48C'est insupportable pour les femmes tunisiennes.
18:51Finalement, la constitution a accordé l'égalité totale entre hommes et femmes.
18:56Ce qui est extraordinaire.
19:01La mutation démocratique de la Tunisie atteint son apogée en janvier 2014
19:05avec l'adoption d'une nouvelle constitution.
19:09Destinée à prévenir les dérives du pouvoir personnel,
19:11elle instaure un système hybride entre régime parlementaire et présidentiel.
19:18Salué par les démocraties occidentales et la majorité de la classe politique tunisienne,
19:22ce compromis institutionnel est pourtant vivement critiqué par Kays Sayed.
19:27À ses yeux, il reconduit un schéma partisan
19:31qu'il tient pour responsable de la corruption,
19:33de la paralysie politique et de la confiscation du pouvoir par les élites.
19:37La démocratie représentative n'est pas une démocratie.
19:55C'est clair et net.
19:57Ils ont créé un système pour que les partis politiques puissent partager le gâteau entre eux.
20:04C'est tout.
20:05C'est une démocratie, c'est là où le peuple,
20:07quand le peuple a le droit d'exercer sa souveraineté à n'importe quel moment.
20:12Donc la France n'en est pas une ?
20:14Non, bien sûr que non.
20:15Ni les États-Unis, ni l'Italie, bien sûr.
20:18Pour moi, ce n'est pas une démocratie.
20:19C'est le petit peuple qui croit vivre en démocratie
20:23et qui suit le courant parce que c'est comme ça.
20:29On a décidé que c'était comme ça.
20:31La plupart des jeunes, et même la majorité du peuple,
20:36considéraient qu'un profond fossé s'était creusé entre le peuple et l'élite.
20:40Une forme de despotisme démocratique qui ne reflétait pas la volonté du peuple.
20:46La moyenne d'âge des gens qui font de la politique, c'est entre 50 et 70 ans.
20:50La jeunesse se sent exclue de la politique.
20:54Je ne vote pas pour qu'ils comprennent.
20:56Le peuple n'est pas d'accord avec les candidats qui se présentent.
20:59Nos attentes étaient plus grandes.
21:04Ma critique fondamentale, c'est que nous avons vécu sous le régime des partis.
21:10Chacun des partis, à commencer par Nada,
21:14son programme, c'était de s'installer au pouvoir.
21:18Donc c'était une lutte interminable pour les portefeuilles.
21:22Et cela au détriment des attentes des Tunisiens.
21:25Tous ceux qui ont créé des partis politiques n'avaient qu'une aspiration.
21:32C'était devenir président de la République.
21:35C'est aussi comique et rigolo que cela.
21:40Et pour ceux qui sont réalistes, eh bien devenir ministre.
21:47Devenir ministre, même pendant quelques mois, une année ou deux années, c'était s'enrichir.
21:55C'était devenir quelqu'un.
21:56C'était avoir accès aux crédits.
22:00C'était avoir accès à certains privilèges.
22:02C'était une démocratie dominée par l'argent et par la corruption.
22:10Donc les Tunisiens et les Tunisiennes ont senti qu'ils n'ont rien gagné finalement.
22:15C'est vrai qu'ils pouvaient s'exprimer, mais ils avaient les poches vides, de plus en plus vides.
22:20Le gouverneurat de Gafsa compte parmi le plus grand nombre de chômeurs diplômés du pays.
22:27Il avoisine les 30%.
22:29Depuis l'époque de Ben Ali, nous réclamons du pain.
22:32Imaginez, j'ai 40 ans.
22:34Je rentre chez moi quand la nuit est tombée et je sors à l'aube
22:37pour que ma famille ne me voie pas entrer et sortir et se dise, il est encore au chômage celui-là.
22:44Et c'est à partir de là que a commencé à apparaître le besoin d'avoir quelqu'un qui ne vienne pas du système,
22:53qui soit hors système.
22:56Il a commencé à monter en popularité, à fédérer des gens autour de lui.
23:01Et en même temps, le monsieur faisait un travail colossal dans les régions.
23:06Il faisait le tour de la Tunisie dans sa voiture, il se réunissait avec les gens,
23:11il débattait avec eux, il faisait des mini-meetings populaires, improvisés, libres.
23:17Il a travaillé pendant des années à gagner une base de partisans fidèles autour de lui, à les fédérer.
23:25On fait le maximum pour pouvoir convaincre les gens, le citoyen qu'on rencontre tous les jours,
23:31dans le café, dans le supermarché, dans la rue, là où tu veux qu'on est en train de l'embobiner,
23:41que ce qui arrive n'est pas normal, qu'il y a d'autres solutions.
23:44Je me rappelle qu'un jour, j'ai posé une question à la femme de ménage qui travaillait chez moi.
23:54Je lui dis « Est-ce que vous connaissez Gaïs Saïd ? Est-ce que vous l'appréciez ? »
23:59Elle m'a dit « Oui ». Je lui dis « Est-ce que vous le comprenez quand il parle ? »
24:06Parce qu'il parle un langage très classique.
24:10Elle m'a dit « Non, je ne comprends pas. »
24:13Je lui dis « Alors pourquoi il te plaît ? »
24:16Elle m'a dit « Parce qu'il parle un peu comme le Coran. »
24:19Quand on l'entend parler, inconsciemment, on a l'impression que c'est comme si quelqu'un était en train de clamer la parole de vérité absolue.
24:30Vous savez, Maradona, c'est la main de Dieu.
24:32Gaïs Saïd, c'était la voix de Dieu.
24:34En stratégie de communication, il a réussi son coup parce que réellement, à un certain moment, il est considéré comme le sage.
24:41Celui qui explique au peuple sans pour autant se disputer avec les autres politiciens qui sont véreux.
24:47Il ne se mélange pas aux autres.
24:50« Non, comme ça, il travaille pour l'intérêt collectif à 100%.
24:53Il ne travaille pas pour lui. Il n'a même pas réparé ses dents. Il porte le même manteau, je t'assure. »
24:59C'est ainsi qu'au fil de la décennie, il s'impose comme une alternative au système en place.
25:05Autour de lui, son petit cercle de fidèles l'incite à aller plus loin.
25:09On s'est dit, voilà, maintenant, on devrait présenter un candidat aux élections présidentielles.
25:18Et on a proposé, on a même obligé Gaïs Saïd à se présenter.
25:21Pourquoi lui ?
25:24Parce qu'on avait confiance en lui. C'est tout.
25:26C'est tout.
25:27C'est tout.
25:30En vrai, Gaïs Saïd, est-ce qu'il peut se débris de l'antéchabat riaisier ou est-il.
25:35Est-ce que c'est OK ?
25:37Par cette déclaration, plus d'un an avant l'élection présidentielle,
25:56Kay Sayed franchit un cap et entre dans l'arène politique.
26:01En refusant les partis et les logiques clientélistes,
26:03il se présente comme une alternative morale portée par un discours de rupture
26:08et la promesse de servir l'intérêt général.
26:12Sa campagne, centrée sur une proximité affichée avec le peuple,
26:16trouve un écho auprès d'un électorat fatigué des promesses sans lendemain.
26:19Les Tunisiens ont abordé les élections de 2019
26:33avec la conscience que les dirigeants politiques du pays
26:37sont des incomplétents laitoires,
26:41incapables d'assurer la prospérité du pays,
26:45incapables d'assurer la stabilité et la sécurité du pays,
26:50incapables d'assurer l'avenir de la Tunisie.
26:54Il y avait un seul candidat qui n'avait pas participé à cette éjecture,
26:59c'était Kay Sayed.
27:01Kay Sayed reprenait dans ses discours et son programme
27:17ce qu'il entendait des jeunes.
27:19Il a dit durant sa campagne électorale
27:21« Je ne possède pas de programme,
27:24le peuple veut,
27:26et le peuple sait ce qu'il veut ».
27:28Toutes les conditions ont été réunies
27:34pour que Kay Sayed passe.
27:36C'est une personnalité qui est conforme à la société tunisienne.
27:42Lors de la présidentielle de 2019,
27:4526 candidats sont en lice.
27:47Un chiffre record
27:48qui reflète l'émiettement du paysage politique tunisien.
27:51Cette fragmentation provoque une dispersion massive
27:58des voix au premier tour
27:59et Kay Sayed se hisse en tête.
28:02« Je ne souviens, je ne souviens, je ne souviens, je ne souviens, je ne souviens, je ne souviens, je ne souviens, je ne souviens. »
28:10Sa victoire au second tour
28:13consacre le rejet des élites politiques
28:16issues de l'après-révolution.
28:18Une foule en liesse a envahi le cœur de Tunis dimanche soir.
28:22Des milliers de Tunisiens ont célébré
28:24la victoire triomphale du candidat indépendant
28:26à la présidentielle, Kay Sayed.
28:29Il remporte largement la victoire
28:31avec plus de 70% des voix.
28:33Je suis sortie avec mon fils, ma sœur,
28:48m'attend, tout le monde, tout le monde, tout le monde dans la rue,
28:50klaxonné, voilà, c'est la fête pour fêter
28:54cet honneur de la démocratie,
28:56que tout va bien, que voilà,
28:59aujourd'hui on a mis un président en place,
29:02en toute démocratie, en toute transparence,
29:05en toute liberté.
29:05Mais ces débuts sont difficiles.
29:35Kay Sayed doit composer avec un parlement profondément divisé
29:39et dysfonctionnel.
29:41Les tensions entre partis,
29:43notamment entre Enarda, première force politique
29:45mais sans majorité,
29:46et ses opposants,
29:47se traduisent par des blocages législatifs
29:50et une instabilité gouvernementale chronique.
29:52Les séances sont diffusées en direct à la télévision.
30:02Une situation inédite
30:03pour une société longtemps tenue à l'écart de la vie politique,
30:06confinée avant la révolution,
30:08au huis clos du pouvoir.
30:09Il y avait au sein du Parlement des groupes
30:12qui s'opposaient de manière violente,
30:15de manière violente, verbale et physique,
30:18des situations qui étaient ingérables.
30:20La pagaille qu'il y avait dans le Parlement
30:30n'était pas supportable pour le peuple tunisien.
30:33Il n'a pas l'habitude de voir ça
30:34et il pense que ça,
30:36c'est la décadence la plus absolue.
30:37Les Tunisiens ont assisté à des scènes horripilantes,
30:43dégoûtantes et désastreuses au Parlement.
30:50Des députés qui s'insultent,
30:53qui se tapent dessus,
30:55deux députés qui agressent les députés femmes,
30:59des députés qui font leur show,
31:02leur spectacle dans l'hémicycle.
31:07Tout le monde a commencé à se demander
31:15comment le Parlement,
31:17cette institution souveraine du pays,
31:19celle qui nomme les gouvernements,
31:21désigne le chef du gouvernement
31:23et approuve le budget,
31:24s'est transformée ainsi en une scène de théâtre.
31:28Il ne pourra certainement pas remplir son rôle.
31:30On est sortis du romantisme,
31:34de la révolution,
31:35de l'amour réciproque,
31:40des fleurs,
31:43des cœurs.
31:44Et on est entrés dans la pratique politique
31:47qui diabolise.
31:49On est tous contre.
31:51Rien ne passe sans une grande dispute.
31:54Ce désordre,
31:58pour Kay Sayed,
31:59n'est pas un obstacle,
32:00mais une aubaine.
32:02Il s'en empare
32:02pour discréditer toute la classe politique.
32:05La crise va-t-elle servir de levier
32:28pour renforcer sa position
32:30au sein d'un pouvoir fragilisé ?
32:32Notre objectif,
32:34c'était de changer le système parlementaire.
32:36Le système en place, en tout cas.
32:38Et bon, voilà,
32:39deux ans après,
32:40on y est arrivé.
32:41Comment ?
32:42Les gens sont sortis dans la rue,
32:43ils ont commencé à brûler
32:45des bureaux de partis politiques.
32:47Ils ont réellement commencé
32:48à se révolter contre le système.
32:50Donc, il y a eu une dégringolade
32:56sur le plan économique et social
32:57qui a alimenté un sentiment
33:00de forte déception
33:02et de rejet
33:03de l'expérience démocratique.
33:05Les Tunisiennes se disent
33:06la démocratie,
33:07elle ne nous a rien amenés,
33:09on n'en veut plus.
33:10On a besoin
33:11d'un dictateur éclairé.
33:13depuis peu importe on,
33:15c'est ce qui
33:26s'invite.
33:27Ce mécontentement était un terrain très favorable pour Qaysaïd, pour faire un retournement de la situation, et dire voilà, moi je vais vous sauver, mais j'ai besoin d'avoir un pouvoir absolu.
33:55Là c'était le moment propice pour déclencher un changement radical, donc on ne veut plus de la démocratie, on veut un peu de dictature.
34:05A la paralysie parlementaire vient s'ajouter la pandémie de Covid. Débordé, le système de santé est à bout de souffle et le pays vacille.
34:15C'est à ce moment charnière que Qaysaïd outrepasse la constitution, censée encadrer la séparation des pouvoirs pour renforcer son autorité.
34:23Ce soir-là, à 21h, Qaysaïd a réuni en urgence au palais de Carthage les plus hauts responsables militaires et sécuritaires.
34:38Il prend la parole afin de dévoiler une décision appelée à changer la trajectoire du pays.
34:43C'est à ce moment-là, c'est à ce moment-là, c'est à ce moment-là.
35:13Le 25 juillet, je n'étais pas étonné.
35:27Il y avait beaucoup de signes qui ne pouvaient pas être trompeurs.
35:33Par exemple, lorsque le chef de l'État fait des visites aux casernes de l'armée et de la police.
35:40Les choses commençaient à devenir claires.
35:43Il faisait l'éloge de l'appareil sécuritaire de l'armée tout le temps.
35:45L'assise du pouvoir de Qaysaïd, c'est l'armée, c'est la police, c'est ce qu'on appelle l'État profond, c'est l'administration.
36:04Cette justice qui a servi toutes les dictatures en Tunisie.
36:09Ces visites, soigneusement orchestrées, mettent en scène un président entouré d'uniformes.
36:19Une manière de rappeler, sans le dire, ce qui fonde son autorité.
36:22À ce moment-là, une partie de la classe politique et de la société civile
36:29pensent encore que la constitution adoptée après la révolution
36:33constitue un garde-fond, un cadre juridique censé prévenir toute dérive personnelle.
36:42En pensée, on a en main la constitution de 2014
36:46qui ne donne pas beaucoup de pouvoir au président
36:49et il ne peut pas changer les textes en place,
36:55ces textes-là, qui garantissent la pratique politique,
37:00qui garantissent les libertés,
37:02qui garantissent la séparation entre les pouvoirs et tout ça.
37:06Il n'a pas pris le pouvoir, il n'a pas usurpé le pouvoir.
37:09La loi, la loi, la constitution.
37:11Mais on s'en fout de la loi, de la constitution.
37:13Parfois, il faut s'en foutre, parfois, il faut changer les lois.
37:16Quand il faut les changer, il faut les changer.
37:17Ce n'est pas la Bible ou le Coran ou je ne sais pas quoi.
37:29Euphorie, célébration, youyou, klaxon, applaudissement.
37:34Tout le monde est super content que Qaisaïd a décidé de prendre le pouvoir,
37:39de virer les corrompus du Parlement et du gouvernement
37:45et surtout de virer Nahva du pouvoir.
37:47Pour eux, c'est simple, il est intègre.
37:50Eux, ils sont corrompus.
37:51Fin de l'histoire.
37:52Dès le 25 juillet, on a dit aux Tunisiens, faites attention.
38:14C'est un coup d'État.
38:19On va vers le fascisme.
38:21On est passé d'un système politique, démocratique, libéral,
38:26avec tous ces défauts, un système fasciste.
38:29Accusé de dérive autoritaire après son coup de force,
38:41Qaisaïd reçoit cinq jours plus tard
38:43des journalistes du New York Times
38:45dans une tentative de reprendre la main
38:47sur le récit médiatique international.
38:49L'entretien prend la forme d'un monologue
39:01sans place pour la contradiction.
39:03Une déclaration rassurante
39:26qui contraste pourtant fortement
39:28avec les choix politiques que Qaisaïd va faire par la suite.
39:33Le 6 février 2022,
39:35il prend pour cible une institution clé du système judiciaire.
39:38Le 6 février 2022,
39:39il prend pour cible une institution clé du système judiciaire.
40:03C'est un coup d'étonnant.
40:09pour les régions et les régions,
40:10que le pays s'est arrêté
40:13sur les régions et les régions.
40:15Nous pensons que c'est une très faite.
40:17C'est une grande durée
40:19sur la loi de la loi,
40:20une durée sur la démocratie,
40:23une durée sur les régions
40:25des régions et des régions.
40:26C'est une durée
40:28pour mettre la main en tout cas
40:30sur les dégâts, les dégâts et les dégâts.
40:36Avec la crise des Salles, rien ne va.
40:38Rien n'est sacré, rien. Rien n'est intouchable.
40:43Il a tout démoli d'un coup.
40:49Le président va plus loin en faisant adopter par référendum
40:53une nouvelle constitution qui concentre tous les pouvoirs entre ses mains.
40:58Sans prévoir aucun moyen de le démettre, il devient donc intouchable.
41:03Les institutions sont vidées de leur substance, réduites à de simples fonctions.
41:07Placées sous l'autorité directe de Kay Sayed.
41:12Quand on dit que des députés ne sont plus des élus,
41:15ils sont des fonctionnaires de l'État.
41:17Ça veut dire qu'ils sont au service du pouvoir exécutif.
41:24Pareil pour le pouvoir judiciaire.
41:28Donc il n'y a plus de pouvoir judiciaire dans le pays, d'après la Constitution.
41:33Mais est-ce que ça veut dire que Kay Sayed s'est arrogé tous les pouvoirs ?
41:37Comment on peut appeler cela ?
41:41C'est lui qui maîtrise tous les pouvoirs.
41:43C'était trop beau pour être vrai,
41:45de croire que le modèle de Ben Ali ne va pas se reproduire.
41:50Nous avons perdu les acquis politiques que nous avons obtenus après la Révolution.
41:59Nous les avons perdus après le 25 juillet.
42:01Aujourd'hui, le pays sombre dans le chaos.
42:04Il n'y a plus d'État, plus de droits, plus de libertés.
42:09Malgré tout, Sayed garde la confiance du peuple.
42:12Dans le pays, l'adhésion est réelle, portée par l'espoir d'un changement en profondeur,
42:18incarné par une figure forte, capable d'imposer une vision nouvelle.
42:22Quand la séparation des pouvoirs est mise à mal, la justice devient une arme.
42:39Alors plus rien n'empêche les arrestations arbitraires,
42:42sans garantie réelle d'un procès équitable.
42:44On est tous en danger d'emprisonnement.
42:50Tous.
42:52Dans un pays qui se respecte.
42:58Toute personne est innocente
43:02jusqu'à ce que la justice condamne ou ne condamne pas.
43:08L'histoire fait que je suis la première femme politique détenue
43:15après la révolution.
43:20Arrêtée le 22 février 2023,
43:23Shaïmaïssa est placée en détention provisoire
43:26pour complot contre la sûreté de l'État.
43:29Elle devient un symbole de la dérive autoritaire du régime.
43:35Devant le juge, j'étais forte d'une manière incroyable.
43:38Je lui parlais de la révolution, des martyrs,
43:43de nos rêves, de la Tunisie qu'on veut.
43:56Et je lui dis que vous et moi, on est des citoyens
43:59et qu'on a des droits, des acquis.
44:01Et que vous, maintenant, vous êtes là pour être un garant
44:06de la bonne pratique de la loi.
44:12Ce juge, il vous dit quoi ?
44:13Lui, il faisait comme ça, il veut cacher son visage.
44:18Après, j'ai vu les larmes dans ses yeux.
44:21Et on a tous, les avocats et moi et mes amis,
44:26on a chanté l'hymne national.
44:36Et au bout de quelques secondes,
44:38les policiers sont venus,
44:39ils m'ont pris.
44:47Cette arrestation marque une étape
44:49dans la montée en puissance
44:50de la répression politique en Tunisie.
44:53Shaïmaïssa n'est pas un cas isolé.
44:54Dans les mois suivants,
45:00des journalistes, opposants et citoyens
45:02sont visés à leur tour.
45:05La répression s'appuie sur un outil juridique clé,
45:08le décret loi 54,
45:09promulgué en septembre 2022
45:11pour lutter contre les fausses informations.
45:14Il est rapidement utilisé
45:15pour cibler toute voie critique,
45:17museler la liberté d'expression
45:18et étouffer le débat démocratique.
45:21À Tunis,
45:22seuls quelques opposants
45:23osent manifester pour dénoncer
45:25ces arrestations.
45:26À partir du moment
45:27où je dois faire attention
45:30à ce que je dis
45:31pour ne pas être jeté en prison,
45:34pour un mot,
45:35je suis dans un parti d'opposition.
45:37Mon rôle,
45:39c'est m'opposer au pouvoir en place.
45:41Et je ne m'oppose pas au pouvoir en place
45:44en le caressant dans le sens du poil.
45:46Et à partir du moment
45:47où on aimait
45:48des décret lois
45:50liberticides,
45:53je suis désolé,
45:56on ne peut pas parler de démocratie.
45:59Vous ne pouvez pas faire
46:01du journalisme politique
46:02aujourd'hui en Tunisie.
46:05Sauf si vous acceptez
46:06de faire des compromis,
46:08de dire des
46:09semi-vérités,
46:12voire de ne pas dire
46:13de vérité du tout,
46:14de faire de la propagande,
46:15de la lèche,
46:16de...
46:16Enfin, je ne sais pas.
46:17mais critiquer
46:18le pouvoir,
46:21c'est le journaliste
46:22qui se met en danger
46:23et qui met en danger
46:24toute l'institution
46:25dont il fait partie.
46:28Maintenant,
46:29ce qui paie le prix,
46:30c'est le peuple ordinaire.
46:32Les tiktokers
46:33qui sont en prison
46:33pour un gros mot,
46:35les blogueurs,
46:37les tagueurs,
46:38tout le monde
46:38est concerné aujourd'hui.
46:40Tout le monde.
46:41Personne n'est à l'abri.
46:41On est tous
46:42en liberté provisoire.
46:45Est-ce que vous pensez
46:46qu'il y a
46:47la liberté d'expression
46:48aujourd'hui en Tunisie ?
46:50Oui, bien sûr.
46:51Bien sûr,
46:51nous sommes d'accord
46:52avec la liberté d'expression.
46:54Mais pas avec la liberté
46:56d'insulter,
46:58de dire de gros mots
46:59devant tout le monde.
47:01Nous,
47:02on est en pleine répression.
47:04Une répression,
47:05croyez-moi,
47:06elle est encore
47:07moins violente
47:08que celle
47:08qu'on a connue
47:09sur Ben Ali.
47:10Mais croyez-moi
47:11qu'elle est plus absurde
47:12et plus arbitraire
47:13et que tout peut arriver
47:15et je n'exclus rien.
47:21La mécanique répressive
47:23gagne un nouveau terrain.
47:25Les migrants originaires
47:26d'Afrique subsaharienne
47:27deviennent à leur tour
47:28des cibles.
47:28par ces mots,
47:39Kay Sayed construit
47:40la figure d'un ennemi
47:41venu de l'extérieur.
47:43Un procédé classique
47:44pour canaliser les frustrations
47:46et consolider son pouvoir.
47:47« Ah, tu ne bouges plus.
47:49Tu bouges, je te frappe. »
47:52« Tranquille, mon frère. »
47:53« Je ne sais pas,
47:54je ne sais pas,
47:55je ne sais pas,
47:55je ne sais pas,
47:56je ne sais pas.
47:57Je ne sais pas,
47:57je ne sais pas.
47:57Je ne sais pas.
47:58Je ne sais pas.
47:59Je ne sais pas.
48:01Une stratégie
48:02qui ouvre la voie
48:03à une campagne
48:03de stigmatisation,
48:05de violence,
48:06de rafle
48:06et d'expulsion.
48:07Si on reste sans rien faire,
48:13il y aura un grand remplacement
48:14parce que le taux de fertilité,
48:16nous sommes en dessous
48:17de la norme.
48:17Donc le nombre
48:18du peuple tunisien
48:19ne va plus augmenter.
48:20Au contraire,
48:21il va aller petit à petit
48:22en baissant.
48:24Et les Africains subsahariens,
48:27ils peuvent avoir
48:286, 7, 8 enfants par femme.
48:30Donc en deux générations,
48:33ils peuvent devenir
48:33plus nombreux
48:34que les Tunisiens
48:35à deux souches.
48:37Au-delà des frontières
48:44du pays,
48:44on entend guerre de voie
48:45pour protester.
48:47Respect de la souveraineté
48:48tunisienne,
48:50absence d'alternatives
48:51politiques crédibles.
48:53Personne n'a le droit
48:54de s'ingérer
48:56dans les affaires
48:57de la Tunisie.
48:58Personne.
49:00Il y a compris,
49:00il l'a dit
49:00sur les droits de l'homme,
49:01la liberté de la presse,
49:02etc.
49:03Nous ne sommes pas
49:03des enfants.
49:04Nous n'avons
49:05de leçons
49:06à prendre
49:07de personnes.
49:11En novembre 2022,
49:13Emmanuel Macron
49:14rencontre
49:15Kay Sayed
49:15à Djerba,
49:16en marge
49:17du sommet
49:17de la francophonie.
49:19Alors que la concentration
49:20des pouvoirs
49:21et le recul démocratique
49:22en Tunisie
49:23suscitent des inquiétudes,
49:25le président français
49:26adopte une posture prudente.
49:29Moi, je considère
49:29que ce n'est pas
49:30le président
49:30de la République française
49:31qui doit expliquer
49:33au président tunisien
49:35ce qu'il doit faire
49:35dans son pays.
49:37Je pense qu'il est très important
49:38et je sais que le président
49:38il est vigilant,
49:39nous en avons parlé tout à l'heure,
49:41qu'il y ait un apaisement
49:42sur le sujet
49:42des libertés politiques,
49:44la libre expression
49:45des médias.
49:46Une prise de distance
49:49diplomatique
49:49qui masque en réalité
49:51un choix politique.
49:53Préserver la coopération
49:54avec Tunis,
49:55notamment sur les questions
49:56migratoires,
49:58quitte à fermer les yeux
49:58sur l'effondrement
49:59de l'état de droit.
50:02Kay Sayed a réussi
50:04à être le policier
50:05des frontières
50:07sud de l'Union européenne.
50:10C'est pourquoi
50:10elle lui présente toujours
50:12le soutien politique,
50:13mais essentiellement
50:14le soutien financier
50:15En juillet 2023,
50:19un accord migratoire
50:20est signé.
50:21Objectif affiché,
50:22freiner les départs
50:23irréguliers vers l'Europe.
50:25En échange,
50:26Bruxelles promet
50:27105 millions d'euros d'aide
50:28dont une partie est destinée
50:30à équiper les gardes-côtes
50:31tunisiens
50:31et à sécuriser les frontières.
50:37L'Union européenne
50:38fait donc preuve
50:39d'une sorte de pragmatisme
50:41et parfois même
50:43d'une sorte d'opportunisme.
50:45Elle continue
50:48d'allouer des fonds
50:48et de développer
50:49des programmes
50:50pour soutenir le pouvoir.
50:54Il semble
50:54que l'image
50:55d'une autorité forte
50:56séduit l'Union européenne.
50:59Il y a une sorte
50:59d'approbation
51:00de sa part,
51:01même si cela se fait
51:02au détriment
51:02de la démocratie
51:03et au dépens
51:04des libertés
51:05et des droits
51:05de l'homme.
51:06En parallèle
51:11de cet accord migratoire,
51:13un autre affrontement
51:14majeur se joue
51:14entre Kay Sayed
51:15et le Fonds monétaire
51:16international.
51:18Alors que la Tunisie
51:19traverse une crise
51:20économique profonde,
51:22le président refuse
51:23les conditions
51:23imposées par le FMI.
51:26Un prêt destiné
51:26à éviter la faillite
51:27de l'État
51:27en échange
51:29de réformes drastiques.
51:40Mais en refusant
51:41de négocier,
51:42le président tunisien
51:43se ferme l'accès
51:44aux financements internationaux,
51:46ce qui aggrave
51:47les difficultés économiques.
51:49Il faut faire la queue
51:50pour acheter des produits
51:52de plus en plus rares.
51:55C'est le cas du pain.
51:57Les boulangeries
51:58travaillent pratiquement
52:00à la moitié
52:01de leur capacité.
52:02L'après-midi,
52:03les boulangeries
52:04sont fermées.
52:05C'est quelque chose
52:05d'inédit.
52:10Le lait,
52:11il est introuvable.
52:13Le lait entier,
52:14le sucre,
52:15il arrive
52:16d'une manière sporadique.
52:19Etc, etc.
52:21On veut du pain.
52:23On veut du café.
52:24On veut de la farine.
52:25On veut du sucre.
52:28On veut un salaire
52:29qui nous permet
52:30de vivre tout le mois.
52:31On veut un hôpital
52:32où on peut se soigner.
52:34La voie
52:35que nous avons empruntée
52:38actuellement
52:38est une voie
52:40sans issue.
52:43Pour ne pas dire
52:44que c'est une voie
52:44qui mène à la catastrophe.
52:47Je dis bien
52:47à la catastrophe.
52:48dans ce contexte
53:12de crise aiguë,
53:14Kaïs Saïed
53:14aborde malgré tout
53:15le scrutin de 2024
53:17en position de force.
53:20Sans véritable enjeu
53:21ni débat,
53:22l'élection s'est jouée
53:22d'avance.
53:24Le taux de participation
53:25atteint à peine
53:2628,8%.
53:27Un record d'abstention
53:29depuis la révolution
53:29tunisienne.
53:30Tous les candidats concurrentiels
53:35étaient poursuivis,
53:37emprisonnés
53:38ou qui ont pris la fuite
53:39et quittaient le pays.
53:41C'est le 90%
53:42du taux d'élection
53:43du président de la République.
53:46Inacceptable
53:46du point de vue
53:47de l'histoire.
53:4890%
53:49font partie
53:50d'un temps révolu.
53:51Élu pour un second mandat,
54:05Kaïs Saïed
54:06prolonge et consolide
54:07ce qui n'était censé
54:08être qu'une réponse
54:09provisoire
54:10aux blocages institutionnels.
54:12Un système
54:12de pouvoir personnel
54:13sans partage
54:15et sans garde-fou.
54:21qu'il n'y a pas
54:22de nombre de ceux
54:23qui sont les écrits
54:24et les écrits
54:26qui sont les écrits
54:27et qui sont les écrits
54:29dans le cadre
54:29de l'administration
54:30et les écrits.
54:36Kaïs Saïed
54:37ne se contente plus
54:37de gouverner.
54:39Il juge désormais
54:40à voix haute,
54:41publiquement,
54:42en tenant pour coupable
54:43ceux qui sont accusés,
54:45sans attendre
54:45qu'un tribunal
54:46se prononce.
54:48Je suis allée
54:49aux prisons,
54:49je suis restée
54:50cinq mois.
54:51Parmi les personnes
54:52arrêtées,
54:53Chaïmaïssa
54:54est l'une des seules
54:55à avoir été libérée
54:56après une détention
54:56provisoire.
54:58Ils ont ouvert la porte.
55:00Et quand ils ont
55:01ouvert la porte,
55:02s'est trouvé tout le monde.
55:03Il y avait ma famille,
55:23il y avait les journalistes,
55:24il y avait mes amis,
55:25il y avait tout le monde.
55:25C'était vraiment
55:35un moment inoubliable,
55:36un moment qui me donne
55:37de la force.
55:39Mais là,
55:40vraiment,
55:40après les élections,
55:41je pense que moi,
55:42je serais condamnée
55:44comme mes amis,
55:45tout simplement.
55:45six mois plus tard,
55:51s'ouvre le grand procès
55:52pour complot
55:53contre la sûreté
55:53de l'État.
55:56Aujourd'hui,
55:57nous assistons
55:57à un procès inique
55:58visant plusieurs personnalités
56:00éminentes en Tunisie,
56:01reconnues pour leur pacifisme
56:03et leur respect de la loi.
56:04Lors de ce procès inédit
56:09depuis la révolution,
56:10une quarantaine de personnes
56:12ont été condamnées
56:13à des peines de 4 à 66 ans
56:15de prison
56:15pour complot
56:16contre le président
56:17Kay Sayed
56:18et appartenance
56:19à un groupe terroriste.
56:24En première instance,
56:26Shai Maïssa,
56:28Ahmed Nejib Shebbi
56:29et le frère de l'avocate,
56:32Dalila Benbarek Psadek.
56:34qui nous ont livré
56:35ce récit juste avant
56:36le verdict
56:37et copent chacun
56:38de 18 ans de prison.
56:41Le mari de Moni Abrami,
56:43ancien dirigeant
56:43du parti islamiste Enarda,
56:45est condamné à 13 ans.
56:48Tous ont fait appel
56:49et attendent aujourd'hui
56:51leur jugement définitif.
56:53Il y a une limite à tout.
56:56On arrivera à un moment
56:57d'explosion,
56:59d'implosion.
57:00Ce sera le chaos
57:01et j'espère ne pas le voir.
57:03J'espère parce que
57:05le chaos c'est la violence
57:06et la violence
57:07c'est la destruction
57:08de tout.
57:09C'est comme le feu.
57:10Il commence quelque part
57:11et il ne s'arrêtera pas.
57:33Sous-titrage Société Radio-Canada
57:39Sous-titrage Société Radio-Canada
58:09Sous-titrage Société Radio-Canada
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