Narcotrafic, désert médical...Beaucoup de maires ont réussissent là où l'État échoue. "On demande qu'on nous laisse faire parce que les maires sont ceux qui sont conscients des particularités des territoires", estime David Gehant, maire de Forcalquier.
00:00Absolument, alors Roselyne et Christophe, d'ailleurs je vais faire une précision, des grands maires de petites villes, je crois que c'est comme ça qu'ils veulent être appelés,
00:06j'ai la chance d'être avec Stéphanie Maubé qui est la maire de l'Essay dans la Manche, un peu moins de 3000 habitants, et David Géant, le maire de Fort-Calquier dans les Alpes de Haute-Provence.
00:16On va parler de ce que vous faites dans votre ville parce que vous avez trouvé des solutions extrêmement concrètes, mais d'abord je ne peux pas ne pas vous faire réagir à ce qui s'est passé à Mercurole.
00:23J'ai pensé à vous parce qu'on est à Mercurole dans la Drôme, un petit village de 3000 habitants, et tout à coup une fusillade sur fond de trafic de drogue,
00:31une jeune fille de 19 ans qui est décédée, une autre grièvement blessée, vous avez peur que ce fléau du narcotrafic arrive aussi dans vos propres villes, il n'y a pas que les grandes villes qui sont touchées ?
00:42Bien sûr, on le sent arriver, on le voit arriver, on n'est pas encore dans du fléau et de l'ultra-violence dans notre ruralité, mais le narcotrafic il existe, il impacte, il touche nos adolescents,
00:51puisque ce sont eux qui sont les premiers embrigadés, tous nos ados qui sont un peu en déshérence, en rupture scolaire, etc., on sait qu'ils sont exactement dans l'œil du cyclone et que leur vie, dès maintenant, va en être chamboulée.
01:04Et David Géant, vous êtes dans le sud de la France, vous voyez aussi ce fléau arriver, qu'est-ce que vous faites concrètement d'ailleurs pour tenter d'y faire face ?
01:11Je crois que ce drame démontre une chose, c'est que plus personne n'est à l'abri nulle part, et que sur les territoires ruraux aussi, nous sommes concernés désormais, nous nous tâchons d'agir avec les moyens qui sont les nôtres,
01:19au travers du développement de la vidéoprotection, avec des renforts de police municipale, et puis en armant la police municipale, qui ne l'était pas non plus,
01:28en espérant que ce soit dissuasif et qu'on n'en arrive jamais dans ses extrémités.
01:31Alors Christophe le disait, on va parler de... parce qu'au niveau national, on parle souvent de désertification médicale, ça ne parle pas vraiment aux gens.
01:38Concrètement, chez vous, à Fort-Calquier, monsieur le maire, vous avez créé une maison de santé, et alors ce qui m'a frappé, c'est que vous vous êtes dit,
01:44je ne vais pas attendre que l'État me donne de l'argent, je vais me débrouiller tout seul, c'est bien ça ?
01:49C'est exactement ça, pire que ça, l'agence régionale de santé nous a expliqué à l'époque que ce n'était pas possible,
01:54et donc nous l'avons fait, avec nos propres moyens, un centre de soins non programmé qui accueille les patients 7 jours sur 7.
02:00Ça coûte combien ? C'est 2 millions d'euros ?
02:012 millions d'euros, subventionnés à 80% par la région et par l'Europe, sans un sou de l'État, alors que c'est pour ça une mission régalienne de base.
02:09Et du coup, vous traitez 15 000 patients, il y a de nouveau des médecins, y compris pour les petits bobos de tous les jours, des points de suture,
02:15en tout cas, les gens peuvent voir un médecin tous les jours ?
02:18Tous les jours, 7 jours sur 7, pour de la suture, pour des plâtres, pour de la radio, pour de l'échographie, mais aussi pour de la consultation.
02:25Et j'ai vu, Stéphanie Maubé, que dans votre propre ville, je disais un peu moins de 3 000 habitants,
02:29il y a 15-20% de vos administrés qui n'ont pas de médecin traitant, pas de médecin généraliste.
02:35Non, non, c'est un vrai fléau, surtout avec une démographie vieillissante, comme dans tous les milieux ruraux,
02:41et puis beaucoup de maladies chroniques dans mon territoire.
02:44Donc ça pose effectivement des questions de santé publique à long terme, à moyen terme,
02:48puisque des problématiques non résolues, non soignées, elles s'aggravent.
02:53Donc on a une surmortalité liée à beaucoup de maladies chroniques, liées aux addictions,
02:57liées à des troubles du comportement.
02:59Les médecins sont évidemment des clés de bien vivre dans nos territoires, et on en manque.
03:03Et qu'est-ce qu'on peut faire à l'échelle d'une ville comme la vôtre, je le disais, un peu moins de 3 000 habitants ?
03:08Une maison de santé, par exemple, comme à Fort-Calquier, ce serait une hypothèse ?
03:11Alors on en a, on a trois pôles de santé autour de ma commune, mais il faut les remplir.
03:16L'équipement peut être très beau, mais si aucun médecin ne vient le remplir, ça ne sert à rien.
03:21Donc nous, ce qu'on peut faire en tant que maire, et en tant qu'élu des communautés de communes,
03:26puisque ce sont elles qui ont cette compétence,
03:28c'est veiller à une bonne entente entre les médecins, veiller à l'attractivité de notre territoire,
03:34et puis aller vers des profils de médecins dont on sait qu'ils vont être réceptifs à l'art de vivre que l'on propose.
03:41Dans mon coin, on est sur du loisir nature, sur de la mer, de la chasse, de la pêche,
03:45donc il faut aller chercher ceux qui s'épanouiront dans notre territoire.
03:49Et je comprends mieux en vous écoutant la raison pour laquelle vous demandez, vous, au niveau de vos communes,
03:54plus d'autonomie, pas seulement plus d'argent, mais qu'on vous laisse un peu plus la bride sur le cou
03:58pour organiser vos propres solutions qu'en haut, à Paris, on n'arrive pas à mettre en place.
04:03Mais aujourd'hui, c'est la contrainte que nous avons, c'est-à-dire qu'on ne demande même pas d'argent supplémentaire,
04:06on demande juste qu'on nous laisse faire, parce que les maires sont ceux qui sont conscients des particularités du territoire,
04:12et ce sont aussi les élus qui sont capables aujourd'hui d'apporter des solutions pour une raison simple.
04:16Nous sommes en proximité directe, nous sommes les élus de l'action, et donc nous sommes les élus de la confiance,
04:21et on demande aujourd'hui à ce qu'on nous fasse simplement confiance, comme le font d'ailleurs nos administrés.
04:25Y compris pour des sujets où on a l'habitude de se retourner vers l'État, je pense à la crise du logement,
04:31je pense au vieillissement de la population.
04:33Qu'est-ce qu'un maire d'une petite ville comme les vôtres peut faire concrètement pour répondre à ces situations,
04:38ces crises qui sont nationales, qui sont vraies sur l'ensemble du territoire ?
04:42Eh bien, les solutions, elles ne sont pas forcément coûteuses.
04:45Alors, elles ne sont pas miraculeuses non plus, mais ce qu'on peut faire, nous, à notre échelle,
04:48c'est beaucoup, beaucoup communiquer, mettre les gens en relation,
04:51et puis essayer de simplifier la compréhension des problématiques.
04:57Le logement, si on est directement... On a les leviers, que ce soit sur la capacité de construire,
05:03les plans locaux d'urbanisme, le zéro artificialisation nette, à essayer de rendre compréhensible,
05:08essayer de convaincre certaines vieilles bâtisses qu'il faut les dégager et puis construire densifiées, en fait, dans nos bourgs.
05:17C'est des leviers qui vont pouvoir se déployer sur du moyen et long terme.
05:22On ne fait rien dans un claquement de doigts.
05:24Et rien que ça expliquer à nos administrés que l'action publique, elle s'apprécie sur le temps moyen et long,
05:29ça, ça fait partie de nos prérogatives.
05:31— Mais je pense, par exemple, à l'accompagnement de la pauvreté, la solidarité au niveau d'une commune.
05:36J'ai vu, par exemple, qu'à Fort-Calquier, vous avez fait la cantine à 1 euro pour les familles en difficulté,
05:41le frigo solidaire. J'ai même vu que vous aviez créé une mutuelle, une mutuelle communale,
05:46pour ceux, j'imagine, qui n'en ont pas, c'est ça ?
05:48— Être maire, c'est le système D avant tout. Et on l'évoque depuis tout à l'heure.
05:52Toutes les missions qui ont été évoquées, la sécurité, le logement, la solidarité et la santé,
05:56ce sont des missions régaliennes. Sauf qu'aujourd'hui, elles ne sont plus remplies par l'État.
05:59Et donc il faut bien qu'on le fasse. Le frigo solidaire, c'est un bon exemple.
06:02On récupère ce qui n'a pas été consommé dans les cantines scolaires pour le redistribuer aux administrés.
06:07Plus de 8 000 repas ont été servis depuis le début du mandat. C'est simple, c'est efficace, c'est pas coûteux.
06:12Et on a des résultats concrets. Et c'est ce que les gens attendent aujourd'hui.
06:14Ils veulent percevoir l'action publique. Et c'est ce qui fait le désamour avec les élus nationaux, d'ailleurs.
06:19— Alors encore deux questions à tous les deux. Comment fait-on ?
06:22Il y a des élections municipales dans 100 jours, très précisément.
06:25Comment fait-on pour faire campagne, pour préparer un programme, un projet, alors que vous ne savez même pas quel sera votre budget ?
06:32Puisque les dotations en collectivité, on ne les connaît pas. Et qu'à Paris, on n'arrive pas à voter un budget.
06:37Comment vous faites, concrètement ?
06:38— J'ai envie de dire que les projets ne reposent pas forcément sur la capacité à dépenser beaucoup d'argent.
06:44À l'échelle de nos petites communes, c'est souvent mettre de l'huile dans les rouages qui va changer les choses.
06:50C'est plutôt l'inventivité, la créativité, le fait de mener une conduite de changement,
06:56d'encourager à la fois nos élus municipaux et nos habitants à réfléchir différemment sur le vivre ensemble,
07:03sur la démographie qui évolue, le changement climatique qui va évidemment impacter notre cadre de vie.
07:11Il y a tout ça. Et c'est pas forcément coûteux pour moi.
07:13Donc c'est pas qu'une histoire de gros sous, c'est une histoire de simplicité du message.
07:16— Alors Christophe Delay, qui est à Paris, en plateau à BFM, a une question pour vous, mesdames et messieurs.
07:23— Alors moi, je suis enthousiaste de vous entendre, parce que vous manifestez beaucoup d'énergie,
07:27beaucoup d'envie. Ce qu'on comprend, c'est que vous allez rempiler, Stéphanie et David.
07:32Comment ne pas être lassé quand on voit tous ces maires, ces hommes et ces femmes qui n'en peuvent plus
07:37et qui décident de raccrocher ? Qu'est-ce qui vous pousse ? Qu'est-ce qui vous guide ?
07:41— Une forme de masochisme, d'abord, évidemment.
07:45Lorsqu'on s'engage localement, il y en a.
07:47Et puis l'amour et l'attachement au territoire, pour dire les choses simplement.
07:51Moi, contrairement à ce qu'on peut entendre, je suis très optimiste pour la suite.
07:55Je reste persuadé que nos territoires ruraux ont des perspectives incroyables,
07:59que les maires sont très courageux et que tout est difficile, mais que rien n'est impossible.
08:03Et on le voit bien, à Fort-Calquier, on a pu répondre sur la question de la sécurité,
08:07sur la question de la santé, du patrimoine, du développement du sport, de la culture.
08:11Et donc, lorsqu'on s'en donne les moyens, on arrive à obtenir des résultats,
08:16même si, en effet, tout est plus compliqué qu'il y a quelques années.
08:19Il faut rester très positif et très optimiste.
08:21— Stéphanie Maubé.
08:22— J'ai envie de dire parce qu'on est jeunes et pleins d'énergie.
08:25Ce sera peut-être plus le cas dans 20 ou 30 ans.
08:27Et aussi peut-être parce qu'on a compris que la multiplicité des mandats
08:31vient renforcer et consolider le mandat de maire.
08:33Être simplement maire, sincèrement, c'est pas suffisant.
08:36On va pouvoir consolider notre action et puis aller activer d'autres leviers
08:41en étant aussi à d'autres niveaux de la politique.
08:43— J'ai une dernière question. Piège, oui ou non ?
08:45La taxe foncière, chez vous, parce qu'on parle de l'enfer fiscal français,
08:48les Français ont marre des impôts, est-ce qu'elle va augmenter
08:50dans chacune de vos deux communes ?
08:52— Elle n'augmentera pas. Et la dette a baissé de 33% depuis 2020.
08:55— C'est pas prévu qu'elle augmente chez nous non plus.
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