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  • il y a 2 jours
Le 23 juillet 2024, deux semaines après le second tour des élections législatives, le Nouveau Front populaire, majoritaire à l'Assemblée nationale, propose Lucie Castets comme candidate au poste de Première ministre.

Inconnue du grand public jusqu'à cette date, Lucie Castets s'était pourtant fait remarquer dans les cercles politiques de gauche pour son engagement en faveur des services publics et son parcours de militante au sein du Parti socialiste.

Propulsée de l'ombre à la lumière, elle revient auprès du journaliste Yves Thréard sur les étapes de cette ascension : de l'appel d'Olivier Faure à sa lettre adressée au président Emmanuel Macron, exprimant sa volonté de gouverner dans le dialogue avec l'ensemble des forces politiques - à l'exception du Rassemblement National.

Lucie Castets retrace dans cet entretien la construction de sa candidature son ambition d'incarner la figure d'une gauche unie et responsable.

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Transcription
00:00Musique
00:00Bonjour Lucie Casté.
00:23Bonjour.
00:24Bienvenue dans cette émission.
00:25Merci.
00:26Alors on va parler d'un événement qui vous a fait éclore dans l'actualité.
00:32On est le 23 juillet 2024.
00:35On est quelques semaines après la dissolution de l'Assemblée nationale.
00:38On est 15 jours après des élections législatives
00:41qui ont donné à la France une majorité de gauche,
00:45mais pas une majorité absolue.
00:46Il s'agit qu'Emmanuel Macron trouve un Premier ministre pour gouverner le pays.
00:50Et la gauche, les quatre parties d'une coalition qui forment le nouveau Front populaire,
00:58le Parti communiste, la France insoumise, le Parti socialiste, les écologistes,
01:02eh bien décident de vous désigner, Lucie Casté, comme possible Premier ministre
01:08et de proposer votre nom.
01:11Comment vous avez vécu cet instant ?
01:13Déjà, ce qui est important de savoir, c'est que cette proposition m'a été faite
01:19quelques 24 heures avant l'annonce à la France.
01:22Donc j'ai eu très peu de temps pour digérer cette information.
01:26Et puis surtout, c'est un coup de fil d'Olivier Faure, le lundi midi,
01:30donc la veille, le 22, qui met un petit peu de temps en plus à me dire
01:35« On a pensé à toi ».
01:36Quand je vois son nom s'afficher sur mon téléphone, je me demande pourquoi il m'appelle.
01:40Vous connaissiez bien ?
01:41Non, je ne le connaissais pas bien. Il se trouve que j'avais animé un débat un an plus tôt
01:44à la Charité sur Loire avec les quatre chefs de partis,
01:49les quatre représentants des partis, et donc j'avais enregistré leur numéro
01:52parce que j'avais dû les briefer sur la nature du débat,
01:54sur la façon dont le débat allait s'organiser un an plus tôt,
01:57mais je n'avais pas eu de contact particulier pendant un an.
01:59Et vous savez comment ils ont procédé pour vous sélectionner ?
02:03Est-ce qu'il y avait plusieurs noms ?
02:04Est-ce qu'il y avait plusieurs choix ?
02:06Je crois qu'ils se sont d'abord évidemment posé la question de désigner l'une ou l'un des leurs
02:10comme le candidat pour être Premier ministre.
02:14Évidemment, pour des raisons que vous comprenez très bien, des raisons politiques,
02:17ils n'ont pas réussi à s'accorder sur le fait de désigner un membre ou une membre de leur force politique.
02:23Et donc ils ont élargi la réflexion à des représentants de la société civile.
02:28Et il se trouve que je suis apparue à ce moment-là.
02:30Et pourquoi vous êtes apparue ? Pourquoi, selon vous, est-ce que vous avez su ?
02:33Pourquoi ils vous avaient choisi, vous ?
02:35Ce qu'ils m'ont dit, c'est qu'ils m'avaient choisi en raison de mon engagement pour les services publics.
02:40Et puis ce que je pense, enfin ce qui m'est ensuite, ce qui m'a été rapporté,
02:43c'est que mon nom a été remonté par divers canaux,
02:47notamment par des gens avec qui j'avais travaillé sur des sujets économiques,
02:51avec qui j'avais réfléchi dans différents groupes de réflexion
02:54et différents engagements associatifs.
02:58Alors il faut savoir que vous, vous étiez à l'époque directrice des achats à la ville de Paris,
03:03que vous aviez un passé militant quand même,
03:06puisque vous étiez connue comme une personnalité de gauche,
03:09que vous avez un temps d'ailleurs appartenu au Parti Socialiste,
03:12que vous avez fait des grandes études quand même,
03:14Sciences Po, l'École nationale d'administration,
03:17et vous n'étiez pas une inconnue quand même pour la plupart de vos interlocuteurs à gauche.
03:22Pour les partis, je n'étais probablement pas une inconnue,
03:24pour certains chefs de partis peut-être.
03:26Ce qui est sûr, c'est que j'ai été une compagne de route de la gauche depuis un moment,
03:31notamment depuis la création du collectif Nos Services Publics,
03:34dans lequel j'étais active et pour lequel j'étais porte-parole.
03:37Et donc à l'occasion de la présentation de ces travaux,
03:41on a été amené à rencontrer plein de représentants des partis de gauche
03:44et aussi d'autres partis.
03:46Nous, on parle à tous ceux qui veulent nous entendre sur les sujets de services publics.
03:49Et donc c'est comme ça que j'ai été amenée à côtoyer les représentants des partis de la gauche.
03:54Qui avez-vous appelé quand vous avez appris cette nomination ?
03:59J'ai d'abord appelé, j'ai envoyé, en fait j'étais en conversation par SMS avec ma compagne,
04:06parce que quand le nom d'Olivier Faure est apparu sur mon portable,
04:10on était en train de s'envoyer des SMS de la vie courante.
04:14Et moi j'étais en même temps en train de monter sur mon vélo
04:16pour aller rejoindre un ami pour déjeuner, et je lui ai dit Olivier Faure m'appelle.
04:20Et là elle me dit, il veut peut-être te proposer d'être première ministre.
04:23Et donc moi j'ai répondu quelque chose comme haha,
04:25parce que ça me paraissait absolument inenvisageable.
04:28Alors, la réponse, votre réponse à Olivier Faure, ça a été oui immédiatement,
04:33ou alors vous avez posé des conditions ?
04:36Est-ce que lui vous a posé des conditions ? Comment ça s'est passé ?
04:38C'était pas oui immédiatement, on a eu une discussion, moi même au départ j'étais extrêmement surprise de la proposition,
04:45et je crois que je lui ai dit quelque chose comme, ah mais vous en êtes vraiment là,
04:48et je pense pas que c'était un défaut d'amour propre de ma part,
04:50mais plus, bah oui, enfin j'étais quand même très largement inconnue du grand public,
04:55et c'était une grande surprise pour moi,
04:56enfin quand j'ai vu encore une fois son nom s'afficher,
04:59j'ai pas du tout pensé que c'était ça qui s'apprêtait à me proposer.
05:01Il m'a dit, est-ce que tu es d'accord pour que je teste ton nom auprès des autres forces politiques du Nouveau Front Populaire ?
05:06Ce à quoi j'ai répondu, oui, mais ne leur dis pas que tu m'as parlé,
05:09comme ça, ça me laisse le temps de réfléchir, c'est quand même une proposition vertigineuse,
05:14je suis pas sûre d'être à la hauteur de ça, et donc laisse-moi un peu de temps.
05:18Et alors ?
05:18Et ensuite, j'ai été déjeuner avec cette amie,
05:21c'est un copain, donc je le connais pas très très bien,
05:25je lui ai pas raconté, mais évidemment, pendant ce temps-là, mon esprit allait bon train,
05:31et ensuite, j'avais un après-midi extrêmement chargé au travail,
05:34donc j'ai tenu mes réunions et tout ça,
05:36et puis à ce moment-là, je savais pas si les autres partis considéraient que mon nom était acceptable ou pas,
05:40donc je n'avais aucune idée de la manière dont c'était en train d'être traité par les partis politiques.
05:46Le lendemain matin, j'ai pas eu de nouvelles particulières,
05:48j'ai eu une confirmation par SMS que mon nom avait été suggéré aux autres forces politiques,
05:53et c'est seulement ensuite, à l'heure du déjeuner,
05:56où j'enregistre, à l'époque, j'enregistrais un podcast
05:59qui s'appelle « On a pas tout essayé »,
06:02qui est un podcast de politique, de discussion avec des chercheurs,
06:05avec des intellectuels plutôt de gauche sur des sujets de fond,
06:08on s'apprête à enregistrer le dernier épisode de la saison,
06:10je mets le casque sur les oreilles,
06:12et là, mon téléphone sonne dans le studio,
06:14et c'est Manuel Bompard.
06:15Et donc, je décroche et je lui dis « Pardon, mais je dois te rappeler dans une heure,
06:19parce que je m'apprête à enregistrer un podcast ».
06:20Je pense qu'il est un peu étonné, il doit se dire…
06:23Elle prend ça à la légère ?
06:24Oui, je sais pas s'il se dit « Elle prend ça à la légère »
06:26ou s'il se dit « Au moins, elle pose un peu le décor ».
06:31Et puis, une heure après, comme convenu, je le rappelle,
06:33et à ce moment-là, c'est pas tellement que je pose des conditions,
06:35c'est que lui me dit « Est-ce qu'il y a des éléments dans nos positions
06:38qui t'ont semblé problématiques ? »
06:41Il y en avait ?
06:42Oui, là, on est amené, évidemment, à parler du 7 octobre,
06:44on parle de tout le monde.
06:45Alors, le 7 octobre, attention, c'est l'attaque du Hamas
06:49contre Israël, contre des Israéliens,
06:53et une façon d'aborder le sujet de la part de la France insoumise,
06:58qui ne reconnaît pas le Hamas comme un mouvement terroriste,
07:02et qui a un discours un peu différent du reste du personnel politique
07:05sur cet événement.
07:07Et ça, vous, ça vous gêne ?
07:09Oui, oui, je lui dis que moi, j'ai trouvé que leur façon,
07:12leur positionnement à ce moment-là ne me convenait pas,
07:15et donc, c'est un des exemples que je lui donne.
07:18Et puis, je parle aussi dans les faits récents de la posture de Jean-Luc Mélenchon
07:21qui disait « Tout le programme, rien que le programme »,
07:23en lui disant « Ça ne va pas faciliter la tâche de toute la gauche,
07:28alors qu'on est informé, on est très au courant du fait qu'on a une majorité relative
07:31et non absolue ».
07:32Et donc, en lui disant « Je ne vois pas comment, en pratique,
07:35on parvient à gouverner ce pays-là en disant que tout le programme
07:37devrait être mis en œuvre à très court terme ».
07:40Ce dont, je pense, il convient.
07:41C'est une question de stratégie politique.
07:43Bien sûr.
07:44Et donc, on parle de ça, voilà.
07:46Et ensuite, on raccroche.
07:47La conversation est très cordiale.
07:49Et ensuite, je vais à l'hôtel de ville parce que j'ai des réunions.
07:51Donc, à ce moment-là, je suis directrice des finances de la ville de Paris.
07:55Et avant que je rentre en réunion, Jean-Luc Mélenchon m'appelle.
07:58Ah.
07:59Et on a à peu près la même conversation.
08:01Encore plus détaillée.
08:02Oui.
08:04Et voilà.
08:05Et donc, on reparle des points que j'ai soulevés comme étant problématiques.
08:10Mais la discussion est aussi très cordiale.
08:12Moi, je dis ce que j'en pense.
08:15À aucun moment…
08:16En fait, moi, je n'ai pas du tout fait acte de candidature.
08:18Donc, je ne suis pas dans une posture où j'essaie de convaincre mon interlocuteur.
08:21Je dis simplement ce que je pense.
08:23Et ensuite, je les laisse à des sens.
08:25Et finalement, ça convient alors ?
08:26Finalement, ça a l'air de convenir.
08:28Il ne vous impose aucun élément de langage ?
08:31Aucun.
08:31Aucun ?
08:31Aucun.
08:32Vous êtes libre ?
08:33Je suis libre.
08:34Je suis libre.
08:35Vous savez ce que vous faites.
08:36Explicitement.
08:36Bien sûr.
08:37En revanche, ce qui est très peu su et ce que beaucoup de journalistes ont cru,
08:41enfin, ils ont cru que le soir même, il y avait une armée de communicants qui débarquaient chez moi,
08:45que je recevais des dizaines de pages d'élément de langage.
08:47Rien de tout ça.
08:48En fait, je pense que les partis étaient soulagés d'avoir trouvé un nom.
08:51Quand il est annoncé, ensuite, il ne se passe rien du côté des partis.
08:56J'ai juste des gens qui...
08:57Il se passe quelque chose du côté de la présidence de la République.
09:00Tout à fait.
09:00Puisque Emmanuel Macron dit le soir, je ne nomme pas un Premier ministre dans la foulée tout de suite
09:07parce qu'il y a les Jeux olympiques.
09:09Les Jeux olympiques commencent peu après.
09:12Et je nommerai un Premier ministre qu'après les Jeux olympiques.
09:16Les médias, comment réagissent les médias ?
09:18Est-ce que vous êtes surpris par la réaction des médias à l'énoncé de votre nom ?
09:23Non, je ne suis pas surprise.
09:25De toute façon, moi, j'ai été prise dans un tel tourbillon médiatique.
09:30Je n'ai pas analysé et pesé chaque mot qui a été formulé par la presse.
09:34Je pense que la réaction était assez hétérogène aussi en fonction de l'origine politique,
09:40de la couleur politique des médias concernés.
09:44Je n'ai pas senti...
09:45J'ai senti une grande curiosité, mais pas d'hostilité marquée.
09:49Le 12 août, vous envoyez une lettre vous-même.
09:54Alors vous allez me dire et nous dire comment vous l'avez rédigée et écrite
09:58en disant, voilà, moi je suis prête à travailler avec tout le monde,
10:02tous les partis qui constituent l'échiquier politique,
10:05sauf une formation qui s'appelle le Rassemblement National.
10:10Est-ce que le fait de ne pas vouloir dialoguer
10:13ou avoir langue avec le Rassemblement National
10:16n'était pas un handicap d'emblée en sachant que vous vous coupiez
10:21d'une force politique qui était quand même majeure
10:24et qui est majeure aujourd'hui dans le paysage politique français ?
10:26Je me permets un tout petit détour sur ce courrier puisque vous l'abordez.
10:29Déjà ce qui est intéressant, quand vous me disiez
10:31est-ce que les partis vous ont posé des conditions ?
10:33Et j'appondais que non.
10:35Et en réalité, par exemple, ce courrier, c'est moi qui l'ai proposé aux partis.
10:38Au début, ils n'étaient pas très favorables au fait de signer avec moi
10:41parce qu'ils trouvaient que la configuration était étonnante,
10:43d'avoir autant de gens qui signaient et tout ça.
10:44Moi, je leur disais que ça me semblait extrêmement important
10:46qu'on le signe de manière collective.
10:48C'est moi qui ai pris l'initiative de rédiger ce courrier,
10:51qui l'aurait fait valider.
10:53Puis j'ai essayé de les embarquer tous dans ce signal
10:56d'être prêts à faire des compromis,
10:59à construire des compromis au Parlement.
11:01Et je pense que c'est très important.
11:03Et je trouve que ça n'a, par exemple, pas été suffisamment commenté
11:05puisqu'on a dit tout l'été, vous êtes dans une posture,
11:07le programme est avec le programme,
11:09notamment en renvoyant aux propos de la France insoumise
11:11et en particulier de Jean-Luc Mélenchon,
11:13alors que Mathilde Panot, présidente du groupe à l'Assemblée nationale,
11:16a signé ce courrier.
11:17Elle n'a pas signé à reculons,
11:19en tout cas, ce n'est pas l'impression que j'en ai eue.
11:21Et ce courrier disait, je ferai des compromis,
11:23nous ferons des compromis,
11:23nous bâtirons des compromis texte par texte à l'Assemblée nationale.
11:26Ensuite, sur la question du rassemblement national.
11:28Non négociable.
11:29Non négociable.
11:30Moi, je pense que c'est très important de marquer ce point
11:33et je ne regrette pas du tout cette posture qu'on a eue à ce moment-là
11:36et que j'ai eue personnellement à ce moment-là.
11:38Ce qui est important de savoir, c'est qu'à mon sens,
11:40un des grands messages des élections législatives
11:43à la suite de la dissolution par Emmanuel Macron,
11:46c'était qu'il y a un barrage républicain par les électeurs
11:49qui décident de répondre à cet appel au barrage républicain
11:53en se tournant vers parfois des candidats
11:56qui ne sont pas de la couleur politique
11:58qui choisiraient s'ils étaient totalement libres
12:01pour faire barrage au rassemblement national.
12:03Et donc, ça me semblait important de tenir compte de cette posture.
12:06Et puis, par ailleurs, moi, je ne partage rien
12:08avec le rassemblement national.
12:10Je ne partage aucune de leurs propositions
12:11et je pense qu'ils ont un programme dangereux pour la France.
12:14Et donc, je pense que c'était très important
12:15de marquer cette posture républicaine-là
12:18vis-à-vis du rassemblement national.
12:19Et dernier point sur ce sujet,
12:21je pense que c'est important de dire aussi
12:22qu'on ne s'adresse pas au rassemblement national.
12:25Néanmoins, les propositions qu'on formule,
12:27y compris celles qu'on formulait cet été
12:29en grande partie tournées vers le fait
12:32de rebâtir nos services publics,
12:33s'adressent aux électeurs du rassemblement national
12:35dont certains n'épousent pas les thèses racistes
12:38du rassemblement national,
12:39mais votent rassemblement national
12:41parce qu'ils ont un sentiment légitime, à mon sens,
12:43d'abandon par la puissance publique
12:45et qu'ils aimeraient voir leur service public être restauré,
12:49voir l'État à leur chevet, à leur côté,
12:51leur permettre d'avoir une vie digne
12:53dans des conditions acceptables.
12:55Et je pense que, dans ce cas,
12:56on aurait été tout à fait en mesure
12:58de s'adresser à l'électorat du rassemblement national.
13:00Alors précisément, Lucie Castel,
13:02il y a un point essentiel qu'il faut savoir,
13:03c'est que vous êtes une spécialiste
13:06de l'organisation des services publics,
13:09vous avez beaucoup étudié ce sujet,
13:10vous avez même écrit depuis un essai sur ce thème.
13:15et vous avez une thèse fondatrice qui dit
13:19la détérioration des services publics dans notre pays,
13:23que chacun constate,
13:24eh bien, c'est un des motifs de progression
13:27du rassemblement national.
13:29Oui, souvent, on s'appuie sur des travaux
13:33qui montrent que les idées racistes progressent
13:36dans notre société.
13:37Je pense que c'est en partie vrai,
13:39mais je pense que ce n'est pas le seul moteur
13:40du vote en faveur du rassemblement national
13:43et la détérioration des services publics est un moteur.
13:47Le sentiment d'abandon par la puissance publique
13:49d'une grande partie de la population,
13:51notamment la population qui est en périphérie,
13:54soit en périphérie urbaine, soit dans des zones rurales,
13:56une partie de cette population-là peut sentir un abandon
13:59et donc se tourner vers un parti
14:01dont on perçoit un discours
14:03qui est à mon sens totalement fallacieux,
14:05mais qui serait un discours de restauration
14:08de la grandeur de l'État, de restauration des services publics.
14:11Alors, totalement fallacieux, d'une part,
14:12parce que le programme économique du rassemblement national
14:14ne permettrait en aucun cas de financer les services publics
14:18et d'autre part, parce que les services publics
14:20que le rassemblement national nous propose
14:21sont des services publics à rebours
14:23de l'esprit fondateur des services publics,
14:25c'est-à-dire des services publics universels,
14:27accessibles à tout le monde, dans les mêmes conditions,
14:29quelle que soit son origine sociale, géographique, etc.
14:32Deux autres thèmes importants
14:34dans votre corpus idéologique, si je puis dire.
14:36Le féminisme, enfin l'égalité entre hommes et femmes,
14:41c'est un point sur lequel vous insistez beaucoup.
14:43L'écologie aussi est très présente
14:45dans ce que vous défendez.
14:49Alors, le temps passe,
14:50comme le train dans lequel nous sommes,
14:52et on arrive fin août,
14:54et fin août, il y a un rendez-vous important,
14:55c'est le rendez-vous avec le président de la République
14:59qui a décidé de recevoir toutes les formations politiques.
15:03Et donc, vous êtes à la tête d'une représentation
15:08du nouveau front populaire.
15:11Qu'est-ce qui se passe dans ce rendez-vous ?
15:14Alors, on a préparé cet entretien tous ensemble.
15:17Vous êtes combien ?
15:17Douze.
15:18On est douze.
15:19Comme les douze apôtres.
15:20Il y a les chefs de partis et les présidents de groupes au Parlement,
15:26donc Assemblée nationale et Sénat.
15:27On a préparé cet entretien,
15:29et nous sommes convenus que j'introduis la discussion
15:32une fois que le président de la République me donne la parole,
15:35et qu'ensuite, c'est plutôt moi qui répond aux questions du président,
15:39et que, dans un second temps,
15:41les représentants des partis peuvent adresser des questions
15:43au président de la République.
15:43C'est comme ça que ça se passe.
15:46D'abord, le président de la République fait une courte introduction
15:48en expliquant dans quel contexte lui se situe,
15:51et quel est le sens de sa démarche de recevoir tous les représentants politiques.
15:55Il vous fait bonne figure, quand même ?
15:57Oui, oui, il fait tout à fait bonne figure,
15:58mais comme le président de la République sait le faire,
15:59il est extrêmement affable, aimable, courtois,
16:02et il introduit très brièvement.
16:05Et puis ensuite, moi, je prends la parole pour lui dire aussi
16:07dans quel état d'esprit on se situe,
16:09dans quel état d'esprit je suis, moi,
16:11en disant que je suis très respectueuse des institutions,
16:14mais qu'à ce titre-là, précisément,
16:17nous considérons collectivement que le président de la République
16:20se doit de se tourner vers la gauche pour désigner un Premier ministre
16:23ou une Première ministre, en l'occurrence,
16:25et donc je lui dis dans quel état d'esprit,
16:28s'il choisit de respecter la logique institutionnelle,
16:31je me situerais vis-à-vis du président de la République.
16:34Alors, vous, Lucie Casté, vous êtes la moins connue de tous,
16:38vous êtes à côté de chefs de partis,
16:41de chefs de groupes à l'Assemblée nationale ou au Sénat,
16:44face au président de la République,
16:46vous devez être très impressionnée, non ?
16:48Ça doit être particulier, non ?
16:50C'est très particulier.
16:52Bien sûr, je suis impressionnée, mais en même temps, ça fait…
16:56Ça coule facilement ?
16:58Oui, ça coule très facilement sur le moment.
17:00J'ai bien préparé, bon, j'ai peu dormi,
17:02parce que la veille, j'étais aux universités d'été à Tours d'Europe Écologie Les Verts,
17:07donc je dormais à l'hôtel à Tours et je repassais par Paris
17:10et ensuite je repartais aux universités d'été des communistes,
17:14donc vraiment, saut de puce à Paris en passant par l'Élysée.
17:19J'ai bien préparé, je sais ce que je veux dire au président,
17:22je me sens d'une certaine façon soutenue aussi
17:25par ce que j'ai vu depuis un mois
17:27et par ce que j'ai entendu depuis un mois de la part des gens qui ont voté.
17:30Le groupe est soudé ?
17:31Le groupe est très soudé, le groupe est très soudé
17:34et puis nos messages sont très clairs
17:35et moi ça me semble important à ce moment-là
17:38d'une certaine façon d'être à la hauteur
17:40de la mission qui m'a été confiée
17:42par tous les gens qui sont assis autour de moi
17:44et donc je me sens forte de ça
17:46et forte du mandat que les électeurs ont donné à la gauche
17:48à ce moment-là
17:50et donc c'est un peu le devoir de responsabilité
17:53qui me tient debout.
17:54Là vous vous sentez investi, là ?
17:56Oui, voilà, et donc j'ai le sentiment
17:58qu'il faut que je sois à la hauteur de ça
17:59et donc c'est ça qui parle face au président de la République.
18:02Sauf que le président de la République, peu après,
18:04une fois qu'il a reçu toutes les formations
18:06et bien décide, enfin dit, ça ne sera pas vous
18:10Madame Lucie Casté
18:11parce que vous serez immédiatement censurée.
18:14Oui, mais ne nous détrompons pas
18:16quand j'arrive à l'Elysée, je ne me dis pas
18:18je vais à mon entretien d'embauche
18:20et je suis sûre d'avoir le travail
18:23à l'issue de cet entretien, je ne me dis pas ça du tout
18:25je me dis que je dois être à la hauteur
18:27de ce que les Françaises et les Français
18:29qui ont voté pour la gauche ont espéré
18:31et le message d'espoir qu'ils ont envoyé en votant comme ça
18:35pendant ces élections, alors que ce n'étaient pas du tout
18:37les pronostics, rappelons-nous à ce moment-là
18:39des sondages notamment, donc je me dois d'être
18:41à la hauteur de ça et je me dois aussi
18:43de tenir une ligne face au président de la République
18:45ça ne veut pas dire
18:47que je me berçais d'illusions
18:49sur sa posture, mais je pense qu'il fallait être à la hauteur
18:51de ce moment-là, aussi pour donner aucun prétexte
18:53au président de la République, pour écarter
18:55la gauche sur un prétexte de faiblesse
18:57de ce que la gauche aurait montré. Alors, sauf que
18:59donc quand il dit, il annonce
19:02que ça ne sera pas la gauche
19:03et ça ne sera pas Lucie Casté
19:05j'ai eu le sentiment, et tout le monde a eu le sentiment
19:07je pense, vous, vous avez continué
19:09quand même à y croire, parce qu'en vous disant
19:11de toute manière, il ne va pas réussir à trouver
19:13qui que ce soit, si vous permettez l'expression
19:16et donc il va être obligé de revenir vers nous
19:17Alors, encore une fois, je n'étais pas du tout
19:20je ne me faisais aucune illusion
19:22sur la propension d'Emmanuel Macron
19:24à désigner quelqu'un à gauche, notamment parce que j'avais conscience du fait
19:28qu'il restait plusieurs semaines avant la reprise des travaux au Parlement
19:31et je savais qu'il était effrayé par le fait qu'on allait
19:34faire passer des textes par la voie réglementaire
19:37notamment des textes sur la politique économique
19:39qui allaient remettre en question le programme qu'il avait mis en œuvre
19:42depuis des années
19:43et c'était notre intention, qui était tout à fait transparente par ailleurs
19:46et donc il me semblait qu'il était très peu probable qu'il prenne cette voie-là
19:49néanmoins, il y avait tout de même des indicateurs
19:51qui me laissait penser qu'il n'était pas totalement exclu
19:54qui se tourne vers la gauche, notamment parce que des gens de son entourage me disaient
19:58proches ou moins proches...
20:00Vous aviez des relations avec le cabinet ?
20:03J'avais des relations, soit des messages interposés, soit des relations directes
20:09et on me faisait savoir que certains de ces personnes de son entourage lui disaient
20:14tu devrais désigner Lucie Casté comme première ministre
20:18pour lever l'hypothèque parce qu'effectivement la censure arrivera probablement rapidement
20:22et donc faites ça parce que, ou faites ça monsieur le Président de la République
20:26parce que ça permettra de montrer que vous avez respecté la logique institutionnelle
20:30et ça enlèvera cet argument à la gauche qui disait à juste titre à mon sens
20:36le Président de la République n'écoute pas la décision...
20:39Parce que la logique c'est effectivement de nommer un Premier ministre
20:42parmi le groupe le plus puissant, plus fort du Parlement
20:46même s'il n'y a pas de majorité absolue, c'est clair.
20:49Alors, bon, donc finalement ça sera pas vous, hein ?
20:52Exactement.
20:53Ça aurait changé toute votre vie de devenir Premier ministre ?
20:57C'est pas définitif, vous pouvez l'être encore.
20:59Sans aucun doute, mais ça a déjà changé ma vie, ce qui s'est passé...
21:01Ça a changé votre vie ?
21:02Ce qui s'est passé à l'été, bah oui, je suis passée de l'ombre à la lumière
21:06et puis je suis passée d'une carrière administrative
21:09avec un engagement associatif important, mais quand même secondaire
21:14par rapport à ma carrière professionnelle, a basculé dans un univers politique.
21:20Alors, c'est peut-être...
21:21Vous n'émargez pas dans un parti politique, pour autant.
21:23Non, pas du tout. Non, non, non, et j'ai pas vocation à le faire, mon rôle...
21:25Mais vous êtes de gauche.
21:26Aujourd'hui, je suis de gauche, j'ai des convictions de gauche.
21:28Alors, vous aviez l'occasion de rentrer à l'Assemblée nationale,
21:30si vous aviez été élue, parce qu'il y a eu une législative partielle
21:33dans le département de l'ISER, vous avez été un moment pressenti,
21:37on s'est dit que vous alliez concourir, et puis, finalement, vous avez refusé,
21:42et vous avez refusé parce que vous avez refusé, si vous aviez été élue,
21:46de siéger avec la France insoumise.
21:50Oui. Il se trouve que cette circonscription avait été attribuée
21:55dans l'accord électoral pour les législatives
21:57entre les différents partis de gauche attribuées à la France insoumise.
22:00Le député élu, à ce moment-là, était donc un député insoumis.
22:03Ce député a démissionné parce qu'il a été mis en cause
22:06dans des affaires, il me semble, de viol et d'agression sexuelle.
22:10Et donc, il fallait... Il y avait une législative partielle
22:12à la suite de sa démission.
22:14Il ne m'a pas semblé possible de siéger avec les insoumis
22:19parce que mon travail de cet été, une partie de mon travail,
22:23était d'incarner le nouveau Front populaire,
22:26donc l'ensemble de cette union-là.
22:28Et il se trouve que la France insoumise, mais au même titre
22:31peut-être que le Parti socialiste, faisait figure de forces politiques
22:34polaires dans ce groupe politique, dans cet ensemble.
22:39Et donc, ça me semblait compliqué de donner un point à l'un ou à l'autre
22:44en siégeant dans un des groupes.
22:46Vous auriez voulu quoi ? Être indépendante ?
22:48Oui, on avait envisagé plusieurs solutions.
22:49C'était une discussion qu'on avait avec les partis.
22:51On envisageait soit de faire une appartenance tournante,
22:55ce qui ne s'est jamais vu, mais ça pouvait être intéressant,
22:58et un peu dans la continuité de ma posture de l'été,
23:00d'aller de groupe en groupe, par exemple tous les 6 mois ou tous les ans,
23:04ou alors de siéger dans le groupe qui était le plus composite,
23:07c'est-à-dire qui représente des forces politiques les plus variées à gauche,
23:11c'est-à-dire le groupe écologiste et social.
23:14Et il se trouve que les insoumis n'ont pas souhaité renoncer
23:17à l'attribution antérieure à mon arrivée sur la scène politique
23:22de cette circonscription de l'Isère à leur groupe,
23:26et donc on n'a pas trouvé d'accord, et donc j'ai choisi de ne pas me présenter.
23:31Aujourd'hui, votre vie, elle est dans la politique ?
23:34Ma vie, elle est à la fois dans la politique, parce que je continue à essayer de vrai
23:39dans la construction d'une offre politique d'union de la gauche,
23:43parce que je pense que les électeurs de gauche attendent majoritairement ça,
23:46et que c'est la seule manière de pouvoir prétendre gagner les élections présidentielles,
23:51et puis je pense surtout que c'est absolument fondamental de faire une offre programmatique solide,
23:56qui permettent de répondre aux difficultés et aux crises que nous sommes en train de traverser.
24:01Vous êtes toujours sur le terrain ?
24:03Oui, oui, oui, bien sûr, et toujours bien sûr très engagée sur les questions de services publics,
24:07qui sont, vous le savez, une question qui me tient énormément à cœur.
24:11On dit actuellement en France, depuis quelques années, on dit que les Français penchent volontiers à droite.
24:19Or vous, vous dites que justement, c'est pas du tout ça, la France est un pays d'électeurs de gauche qui s'ignorent.
24:26Exactement.
24:27Comment vous expliquez cette affirmation ?
24:30Je l'explique pas toute seule.
24:32Je m'appuie sur des travaux, notamment d'un ouvrage de Vincent Tibéry,
24:36qui a écrit un ouvrage qui s'appelle « La droitisation de la France, mythe et réalité »,
24:40qui montre, et c'est aussi là-dessus que j'ai écrit, je fonde mon ouvrage,
24:45qui montre qu'en réalité, il y a eu progressivement un basculement
24:50dans ce qui explique le moteur du vote des Françaises et des Français,
24:55que progressivement, on est allé d'enjeux économiques et sociaux
24:58à une détermination du vote par des questions plus culturelles au sens large,
25:02identitaires, culturelles, etc.
25:04En lien avec la place croissante que prennent les questions identitaires et culturelles dans le débat public.
25:10Et quand on dit identitaires et culturelles, c'est au sens très large, comme je le disais,
25:13ça peut être, par exemple, les questions d'Abaïa, les questions de laïcité, de voile, d'immigration, etc.
25:18Et donc, ce que je dis moi, c'est que si, sans évidemment abandonner la question de la lutte contre le racisme,
25:24de la lutte en faveur de l'égalité de toutes et de toutes, etc.,
25:29si on fait de la question économique et sociale un déterminant plus flagrant et plus majeur du vote des Françaises et des Français,
25:36alors il est clair que la majorité des Françaises et des Français ont plutôt intérêt à voter pour la gauche,
25:42qui propose des politiques économiques.
25:45C'est son terrain de jeu initial, d'ailleurs.
25:47Exactement, oui, exactement.
25:48Et je trouve que c'est très intéressant de voir que la gauche a un peu renoncé progressivement à s'intéresser à ce terrain-là
25:54et à proposer des choses ambitieuses en matière économique et financière.
25:57Donc la gauche a un avenir ?
25:58Bien sûr, bien sûr, mais en fait...
26:00Avec vous ?
26:01Ça, je ne sais pas, mais en tout cas, moi, je pense que...
26:03Vous voulez jouer un rôle ?
26:04Bah oui, je veux jouer un rôle, notamment pour proposer des alternatives programmatiques,
26:09parce que je pense, vous dites, la gauche a un avenir.
26:11Moi, je pense même, je dirais justement, que la gauche est l'avenir.
26:14Merci, Lucie Castel.
26:15Merci à vous.
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