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  • il y a 17 heures
Dix ans après les attentats de novembre 2015, la justice a été rendue. Le procès dit du V13 a prononcé son verdict en juin 2022 : tous les accusés ont été reconnus coupables. Un moment important pour les victimes des attentats de 2015 et leurs familles. Dix ans, qu’en est-il de leur vie ? Comment arrivent-ils à se reconstruire ? Nous avons des victimes et leurs proches.

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Transcription
00:00Février 2025, la salle des grands procès vit ses derniers instants.
00:08Dans quelques jours, le démontage de la structure doit commencer.
00:13Cette enceinte restera dans la mémoire collective comme la salle du V13,
00:17le surnom donné au plus grand procès jamais organisé en France.
00:24Elle est présente dans mon esprit depuis 5 ans, cette salle,
00:27depuis que je l'ai vue sortir de terre.
00:30Les lieux ont gardé la mémoire de ce qui s'est passé ici.
00:33Il y a des choses vachement dures, mais aussi des choses assez belles.
00:37Dans cette salle pendant 10 mois, 20 hommes, dont 6 absents,
00:41ont été jugés pour les attentats commis au nom de l'État islamique,
00:45le soir du 13 novembre 2015 à Paris et à Saint-Denis.
00:49Les explosions devant le Stade de France,
00:52les attaques des bars et restaurants le petit Cambodge,
00:54le Carillon, la Bonne-Bière, la Casa Nostra, la Belle Équipe, le comptoir Voltaire
01:01et dans la salle de concert du Bataclan.
01:04Des attentats qui ont fait 133 morts et près de 500 blessés.
01:07Je tenais vraiment à être ici.
01:16Des années que j'y pensais, c'était ce qui me soutenait aussi.
01:21C'était une évidence en fait, il fallait y être parce que ça faisait partie de mon histoire.
01:28Nous sommes revenus dans cette salle, aux côtés de ceux qui ont vécu ce procès,
01:34à la place qu'ils occupaient, David et Babou, survivants des attentats,
01:40Néga Réry, avocate d'un des accusés,
01:44le juge Perriès qui a présidé l'audience,
01:48Véronique et Nadia qui ont chacune perdu leur fille.
01:51Les images sont en train de revenir,
01:57les bruits,
01:59les murmures.
02:00Il y avait une forme d'exaltation
02:02de nous tous, de tous les avocats.
02:05Et je me souviens qu'on avait
02:07une conscience très profonde,
02:08qu'on participait à quelque chose
02:10qui était plus grand que nous tous.
02:13Comment ont-ils vécu
02:15cette audience exceptionnelle à bien des égards ?
02:18Quel rôle a-t-elle joué
02:19dans leur parcours de reconstruction
02:20et comment ont-ils repris leur vie
02:23une fois ce chapitre clos ?
02:25Nous les avons suivis
02:26dans leur retour à la vie ordinaire,
02:29souvent difficiles,
02:31parfois impossibles.
02:44Le 8 septembre 2021
02:46s'ouvre le procès des attentats
02:47du 13 novembre 2015.
02:50plus de 2300 partis civils
02:53et 370 avocats sont attendus,
02:56des chiffres inédits
02:58dans l'histoire judiciaire française.
02:59Une salle a été spécialement construite
03:04au sein même du palais de justice de Paris
03:06pour mettre en scène cet événement historique.
03:09C'est un moment que j'attendais depuis longtemps,
03:13depuis plusieurs semaines,
03:15avec une appréhension,
03:16parce que je savais qu'il y aurait beaucoup de monde,
03:18et puis la salle allait être pleine.
03:21La première fois que je rentre dans la salle des pas perdus,
03:24moi je m'attendais à voir du monde,
03:25mais pas autant en fait.
03:28Il y avait tellement de monde
03:28que les gens avaient créé une espèce de queue,
03:32de fil,
03:32qui serpentaient dans la salle des pas perdus.
03:35À ça, à côté d'eux,
03:36il y avait des avocats,
03:37c'était noir de monde.
03:38À ce moment-là,
03:39je me prends vraiment au visage
03:40le fait que pendant 10 mois,
03:42j'allais assister à quelque chose
03:43d'extrêmement puissant,
03:45mais aussi qui allait rassembler
03:46toute la mémoire du 13 novembre.
03:47Rescapés et endeuillés,
03:51cela fait 6 ans que chacun attend
03:53cette échéance judiciaire
03:55pour comprendre,
03:57trouver des réponses à ce drame
03:58et se délester d'un bagage
04:00bien trop lourd à porter seule.
04:02Je voulais faire entendre,
04:03encore une fois,
04:04le nom de ma fille,
04:06puisque à 23 ans,
04:07c'était fini.
04:10Je voulais dire tout ce parcours aussi
04:11pour la retrouver,
04:13toutes ces journées passées
04:15jusqu'au mardi,
04:16avant de la retrouver,
04:20comme si elle était carrément,
04:22moi je pensais qu'elle allait revenir,
04:24puisqu'il n'y avait rien
04:25qui me disait qu'elle était décédée,
04:27on ne la trouvait pas.
04:29Je voulais témoigner pour parler
04:30en hommage,
04:31en hommage à ma fille,
04:33en mémoire,
04:34mais honnêtement,
04:35je pense que j'avais besoin
04:36de passer quelques messages
04:39sur la violence,
04:41voilà, j'avais besoin de ça.
04:42Moi, je considérais
04:45que je n'avais pas souffert,
04:47et donc du coup,
04:48comme on n'a pas souffert,
04:50on se dit,
04:51qu'est-ce qu'on va venir dire,
04:53il ne faut pas venir se plaindre non plus,
04:55donc je ne voulais pas du tout témoigner,
04:56sauf que ce deuxième jour d'audience,
04:58Abdeslam,
04:59il a pris la parole,
05:00il a dit dans cette salle,
05:01qui pense aux victimes
05:02du Proche et du Moyen-Orient,
05:04en Irak et en Syrie,
05:05et en fait,
05:05moi, ça,
05:06ça m'a heurté,
05:08parce que moi,
05:08je viens d'Iran,
05:10c'est là où je me suis dit
05:10que j'allais parler,
05:11j'ai pensé qu'en fait,
05:12c'était une voie différente.
05:14Moi, j'ai été pris en otage
05:14pendant 2h30
05:15par des terroristes au Bataclan,
05:17on a frôlé la mort
05:19à toutes les étapes
05:19de cette prise d'otage,
05:20et donc,
05:21il y avait ce truc-là
05:22de dire,
05:22ouais,
05:22vous allez payer
05:23pour ce que vous m'avez fait,
05:24en fait.
05:25J'avais une haine
05:25envers ces hommes-là
05:26parce que j'avais souffert,
05:28en fait.
05:30Dans cette salle
05:31où la parole se libère,
05:33chacun prend peu à peu
05:34conscience
05:34de la souffrance
05:35de l'autre,
05:36les récits sont uniques,
05:38mais le drame
05:39est collectif.
05:42Nous,
05:42nous sommes des endeuillés,
05:45et nous avons pris
05:46la mesure aussi
05:47de...
05:49de ceux qui ont été
05:53touchés psychiquement.
05:56Tu vois,
05:57dans la mer,
05:57tu reçois une vague,
05:59elle te met par terre,
06:00tu te dis,
06:00ah,
06:00t'as à peine le temps
06:01de te lever,
06:02hop,
06:03il y en a une autre,
06:03donc ça,
06:04c'était le...
06:05c'était tous les témoignages
06:07au fur et à mesure.
06:08C'était comme ça,
06:09chacun était bouleversé
06:10par rapport à l'autre.
06:12Ça nous a rapprochés,
06:13ça nous a...
06:15Voilà.
06:16Il y avait une forme
06:16de normalité
06:17dans l'horreur
06:18de ce qu'on vivait
06:18au quotidien,
06:19parce que c'était...
06:20Enfin,
06:20on parle quand même
06:21de scènes de crime.
06:22Moi,
06:22je me rappelle
06:22d'enquêteurs
06:23qui parlent
06:23de délabrement de corps,
06:25qui parlent de balles,
06:26qui parlent de poudres,
06:27qui parlent de ceintures
06:28et d'explosives,
06:28etc.
06:29Et nous,
06:30on était là
06:30et on vivait le truc
06:31avec cette fraternité
06:32qui s'exprimait,
06:33mais par tous les pores
06:34de notre peau
06:35et on faisait bloc
06:36ensemble.
06:37On a rencontré
06:38dans cette salle
06:40des partis civils
06:42qui sont devenus
06:43des amis,
06:44qui sont devenus...
06:45Voilà,
06:45qui ont fait partie
06:46de cette famille
06:47d'impactés.
06:51Avec les huit collègues
06:52qui étaient avec moi,
06:53les assesseurs,
06:56en fin de journée,
06:57on débriefait un petit peu.
06:59Ça permettait d'évacuer déjà,
07:01dans un premier temps,
07:02l'énorme tension émotionnelle
07:07qui avait pu passer
07:09à travers ces témoignages.
07:12En janvier,
07:13les interrogatoires
07:14des accusés commencent.
07:16Des membres
07:17des commandos meurtriers,
07:18il n'en reste qu'un,
07:20et cristallisent
07:21toutes les attentions
07:21et les ressentiments.
07:24Si certains restent mutiques,
07:27la plupart de ces hommes
07:28acceptent de s'expliquer
07:29et livrent eux-mêmes
07:31des regrets.
07:35C'était important, en fait,
07:36qu'ils aient leur mot à dire.
07:36Moi, j'avais besoin
07:37d'entendre Salah Abdeslam
07:38dire « oui, j'ai été dans un café
07:40parce que j'ai essayé
07:42et ça ne s'est pas fait. »
07:43Que je le crois ou pas,
07:43ce n'est pas la question.
07:45Le fait est qu'il a parlé.
07:46Et moi, à ce moment-là,
07:47je m'étais rendu compte
07:48que je souffrais plus
07:49de leur silence
07:49que du fait qu'ils parlent.
07:50Moi, j'ai senti
07:51une véritable évolution positive
07:53venant de mon client,
07:55Mohamed Amri.
07:55C'est quelqu'un qui avait
07:56beaucoup de difficultés
07:57à s'exprimer.
07:59Et il avait passé six ans
08:00de détention provisoire,
08:01très souvent à l'isolement.
08:02J'ai vu une évolution,
08:03c'est-à-dire qu'à force,
08:04je crois, de renouer contact
08:08avec l'humanité,
08:10sortir de son isolement,
08:11à force de voir des gens
08:12défiler à cette barre,
08:13à force d'entendre
08:14des gens s'exprimer,
08:16et avec la possibilité
08:18de lui laisser
08:19un espace de parole,
08:20je crois que progressivement,
08:21il a pris confiance
08:22dans son langage.
08:23Et j'ai pu voir
08:27quelqu'un
08:30complètement différent
08:32à l'arrivée,
08:33à la fin de ce procès
08:34que celui qu'il était
08:35au tout début.
08:37Pourtant,
08:38tout n'aura pas été dit.
08:39De nombreuses questions
08:40resteront sans réponse.
08:43Le 29 juin,
08:44le verdict est prononcé.
08:46Les accusés sont condamnés
08:47à des peines allant
08:48de deux ans
08:48de réclusion criminelle,
08:50à la perpétuité incompressible.
08:56Le verdict en soi,
08:57moi, j'étais assez confiante.
08:59c'est une somme
09:02de travail
09:02qui a été effectuée.
09:03Quand ils ont dit
09:04qu'il n'y aurait pas d'appel,
09:06ouf !
09:08Parce qu'on s'est coupé
09:09du monde,
09:09nous, pendant neuf mois.
09:11Nos amis,
09:12on n'a pas vécu,
09:14normalement,
09:14on a vraiment vécu
09:15dans ce petit monde
09:17fermé.
09:18Physiquement,
09:19c'était difficile.
09:21J'ai perdu 8 kilos
09:22cette année-là.
09:24C'est passé,
09:24c'est quelque chose
09:26qui est inscrit
09:27dans la société.
09:296 ans et demi
09:30après l'horreur
09:31des attentats,
09:33les victimes
09:33vont pouvoir enfin
09:34conjuguer au passé
09:35leur statut
09:36de partie civile.
09:37Il reste du mal,
09:45bien sûr.
09:46Il reste de la noirceur,
09:47il reste un stress
09:48post-traumatique,
09:49etc.
09:49Mais la justice
09:50est passée.
09:51Et donc,
09:51moi aussi,
09:51je peux avancer.
09:53Il y avait un soulagement
09:54parce que,
09:54ah, déjà,
09:55c'est fini.
09:56Et après,
09:57une petite appréhension.
09:59Moi,
09:59j'avais été stimulée
10:00intellectuellement
10:00vachement
10:01grâce à ce procès.
10:04et donc,
10:05j'avais peur aussi
10:06de perdre un truc
10:07et de me retrouver
10:08à retourner
10:09dans mon travail normal
10:10et faire des trucs
10:12qui m'intéressent
10:12peut-être moins.
10:13En fait,
10:13il fallait,
10:14je crois,
10:15avant la fin de ce procès,
10:15prévoir autre chose
10:16pour la suite.
10:18Parce qu'effectivement,
10:19il y a presque un vertige
10:21de ce procès
10:22qui est assez fou.
10:25Les parties civiles
10:26qui n'osaient pas venir
10:27au début
10:28et puis finalement
10:28qui ne voulaient plus
10:29quitter cette salle.
10:29et ils l'ont dit
10:31à la fin du procès
10:33qu'ils venaient au village.
10:35C'était quand même
10:36extraordinaire,
10:36cette expression.
10:42Pour certains,
10:43l'après-procès
10:44a créé un vide
10:45parfois abyssal.
10:48Retrouver un autre rythme,
10:50reprendre son travail
10:51et retourner
10:51à sa vie de famille
10:52là où on l'avait laissée,
10:55remplir ses journées
10:56autrement,
10:57pas si simple.
11:00Un peu déboussolé,
11:01David a pu compter
11:02sur un noyau dur
11:03de proches,
11:04sa femme,
11:05mais aussi Stéphane,
11:06rencontré il y a 10 ans.
11:08Il fait partie
11:09du groupe surnommé
11:10Les Potages,
11:10contraction des mots
11:12potes et otages.
11:15Après le procès,
11:15j'ai eu un nouveau besoin
11:18de retrouver Stéph,
11:18les potages, etc.
11:20pour me réinscrire
11:20un peu aussi avec eux
11:21et aussi profiter
11:22de la vie,
11:23tout simplement.
11:23On se comprend
11:24sans avoir besoin
11:25de se raconter
11:26ce qu'on a vécu.
11:28Mais par contre,
11:29on sait qu'on peut
11:29compter les uns
11:30sur les autres.
11:31On a été
11:32prendre otage ensemble.
11:33Notre mission,
11:34c'était de surveiller
11:35l'extérieur
11:36et de prévenir
11:37les terroristes
11:38s'il y avait
11:38la police qui arrive.
11:39Dès que je suis sorti,
11:41oui,
11:41j'ai eu besoin
11:42de retrouver
11:43les personnes
11:44qui étaient
11:45dans ce couloir
11:46parce que j'avais
11:48l'impression
11:49que c'était
11:49tellement improbable
11:50que j'avais besoin
11:52de confronter
11:53ma version.
11:56Ma fraternité
11:56par rapport au 13,
11:57elle a commencé
11:58avec Stéphane.
11:59S'il n'était pas
11:59venu me chercher,
12:00je pense que
12:00je ne suis pas sûr
12:01que j'aurais rejoint
12:03Life for Paris
12:04et même tous les autres
12:05groupes de victimes.
12:07Je ne suis pas certain.
12:07En fait,
12:07Stéph,
12:08il m'a vraiment dit
12:09« Allez, viens là,
12:10on va essayer
12:10d'aller mieux ensemble. »
12:12Et ça a marché.
12:12Après,
12:14c'est très compliqué
12:15de savoir
12:15s'il faut s'éloigner
12:17pour effectivement
12:19passer à autre chose
12:20ou au contraire
12:21se rapprocher
12:23parce que c'est
12:24un cocon rassurant.
12:27Cette histoire singulière,
12:29David et Stéphane
12:30ont eu besoin
12:31de la transmettre.
12:33Ils la racontent désormais
12:34devant des classes
12:35partout en France.
12:38C'était une manière
12:41de trouver du sens
12:45à tout ça.
12:45Aller rencontrer les élèves,
12:46c'était aussi
12:46de parler à la société.
12:48Dire à ces générations futures
12:50qu'on a vécu ça
12:51un soir de 13 novembre
12:52et que c'est possible.
12:55Ce jour-là,
12:57ils ont rendez-vous
12:57à Coutances en Normandie.
13:04Le Bataclan était très rempli.
13:06Il faisait chaud
13:07et il y avait
13:08une très bonne ambiance
13:10jusqu'au moment
13:11où on entend
13:13des déflagrations.
13:14Je vois en fait
13:15toute la fosse,
13:18donc à peu près
13:18environ 600 à 700 personnes
13:20qui sont allongées
13:21face contre terre
13:22et des jets de sang
13:25en fait, comme ça.
13:28Ces élèves n'avaient que
13:297 ou 8 ans
13:30au moment des faits
13:31et plus le temps passe,
13:33moins ils sont nombreux
13:34à se souvenir
13:35de ces attaques.
13:35Comment préserver cette mémoire ?
13:45Un véritable enjeu
13:46pour les victimes
13:47et les collectivités.
13:49Dans cette réserve
13:50à l'adresse tenue secrète
13:51sont conservés
13:53des objets
13:53qui constituent
13:54la mémoire du 13 novembre.
13:56Claire Lartigue
13:57est en charge
13:58de cette collection.
14:00Là, ce que tu as ici,
14:01ce sont des éléments,
14:02mais tu les as déjà vus,
14:03des éléments de mobilier
14:04qui viennent de la belle équipe.
14:06On a récupéré
14:07deux chaises
14:08qui portent
14:09la marque de la violence
14:11avec les impacts
14:12de Kalachnikov.
14:14Sur ces étagères
14:15se mêlent
14:16des scellés judiciaires
14:17et des objets intimes
14:18des victimes.
14:19Ils seront exposés
14:20dans le musée
14:21mémorial du terrorisme
14:22lorsqu'il sera ouvert.
14:25Nadia a fait don
14:26du portrait
14:27de sa fille Lamia,
14:28réalisé par un street artiste.
14:30Je savais qu'il allait
14:33là où il fallait.
14:36Non, je suis contente.
14:39Ouais.
14:42Là, elle est là,
14:44elle est vivante,
14:44elle nous sourit,
14:47elle nous...
14:48Elle est apaisée,
14:51apaisante.
14:54Elle me manque.
14:55Elle me manque.
14:57Elle me manque,
14:58je ne m'attendais pas,
14:59en fait.
15:00C'est vrai que je suis
15:02heureuse de revoir
15:03ce portrait.
15:04Nature,
15:05grandeur nature.
15:08Si, si,
15:08c'est elle.
15:10C'est elle,
15:11c'est elle.
15:12Tu vois,
15:13je suis en train
15:13de...
15:14Son regard,
15:15là,
15:15je suis en train
15:16de la regarder
15:16comme ça
15:17dans les yeux.
15:18Bon, bref.
15:19Bon, bref.
15:21Ah.
15:23La Mia
15:24a jamais figé
15:25dans ses 30 ans
15:26comme une icône.
15:27loin de la violence
15:28avec laquelle
15:29elle a été assassinée
15:30à la terrasse
15:30de la Belle Équipe,
15:32à 150 mètres
15:33de chez sa mère,
15:34Nadia,
15:35d'origine égyptienne.
15:36Je n'ai jamais dit
15:38que c'est injuste.
15:39Jamais,
15:39jamais,
15:40jamais.
15:41Jamais.
15:41Je n'ai pas,
15:42dans ma...
15:42C'est culturel,
15:43je n'ai pas ce...
15:45C'est tellement violent
15:48que j'ai dit,
15:50comme ça,
15:51sa vie devait s'arrêter là.
15:53Mais avec la même violence,
15:54tu vois,
15:54je l'ai dit comme ça.
15:57Ah, mais ça veut dire
15:57que sa vie devait s'arrêter
15:59comme ça.
16:00Voilà.
16:00Mais elle continue ailleurs
16:02parce que moi,
16:03sans être pratiquante,
16:07nous...
16:08Alors, c'est peut-être
16:09aussi culturel
16:10parce qu'on ne sait pas
16:10ce qu'il y a,
16:11mais elle est dans
16:11une autre dimension.
16:12Elle est énergie.
16:13En fait, elle est énergie.
16:14On est tous énergie.
16:16Je crois à ça.
16:17Comment survivre à l'absence ?
16:25Comment surmonter la perte
16:26de son enfant fauché
16:28si brutalement ?
16:30Véronique,
16:31la mère de Claire décédée
16:32à 23 ans,
16:33nous a donné rendez-vous
16:34dans ce square
16:35symbolique pour elle.
16:38Je ne viens pas souvent ici.
16:39Voilà.
16:40C'est assez dur,
16:41mais c'est à côté du lieu,
16:42en face du lieu
16:44où ma fille a été assassinée.
16:47Je suis toujours en colère.
16:52Je suis toujours...
16:53Je suis toujours triste.
16:55Je suis toujours...
16:56Voilà.
16:56Dans des pensées
16:57qui ne sont pas très...
16:58Pas très gais.
17:00Je vois la vie autour,
17:01mais bon, ça...
17:02Voilà.
17:03C'est...
17:03C'est très...
17:06C'est difficilement
17:07supportable, même.
17:10Malgré le procès
17:11qu'elle attendait tant,
17:13pour Véronique,
17:14aucune justice
17:15ne peut réparer
17:16ce qui a été brisé.
17:17C'est inacceptable
17:19de perdre un enfant
17:20dans des conditions...
17:21Voilà.
17:22De perdre un enfant
17:22déjà tout court
17:23et dans ces circonstances
17:25de terreur,
17:28voilà,
17:29de sang,
17:30de tout ce qu'on veut.
17:31C'est ça
17:32qui a fait changer ma vie.
17:37C'est quelque chose
17:38qui nous...
17:39qui nous...
17:39qui nous m'en suspend
17:40de...
17:41qui nous m'en suspend
17:43de...
17:44qui nous m'en suspend
17:45euh...
17:46Ouais,
17:46comme une maladie
17:47qui nous ronge,
17:48mais même au quotidien
17:50et qui...
17:50qui fait que...
17:52On a des...
17:52C'est pas des crises,
17:53mais des moments
17:54où on n'est pas bien,
17:55des moments où...
17:56on est vraiment en distance
17:58par rapport à...
17:59même à la réalité,
18:00c'est-à-dire à la vie quotidienne,
18:02on repousse tout.
18:05Il y a une seule chose
18:06qui nous fait tenir,
18:07c'est aussi
18:08tous les liens
18:08qu'on a...
18:09que j'ai pu avoir
18:10avec d'autres...
18:11d'autres victimes
18:12ou des proches
18:13de victimes
18:13ou...
18:14Voilà,
18:15et puis...
18:16et les associations
18:18qui...
18:18qui soutiennent
18:20et qui sont présentes.
18:31Au printemps 2025,
18:33le tribunal entame sa mue.
18:38La salle des grands procès
18:39est démontée pièce par pièce.
18:42Certaines d'entre elles
18:43parmi les plus emblématiques
18:44comme la barre des témoins,
18:46doivent bientôt rejoindre
18:47les réserves
18:48du futur musée mémorial
18:49du terrorisme.
18:57À 800 mètres de là,
18:58Place Saint-Gervais,
18:59derrière l'hôtel de ville,
19:01c'est un tout autre chantier
19:02qui est en passe
19:03de s'achever.
19:04Celui d'un jardin
19:05à la mémoire
19:06des victimes du 13 novembre.
19:08Il sera composé
19:09de 6 parcelles
19:10pour faire écho
19:12aux 6 lieux ciblés
19:13par les terroristes.
19:16Il reste quelques finitions,
19:20il reste un peu de nettoyage
19:21pour qu'il soit tout propre.
19:24Là, on est au bord
19:25du bloc dit du Bataclan.
19:28Ces noms-là,
19:28c'est les mêmes
19:29que ceux qui figurent
19:29sur la plaque
19:30qui est devant le lieu impacté.
19:32Puis malheureusement,
19:32on voit qu'il y a des noms
19:34qui se sont rajoutés
19:34au fur et à mesure,
19:35notamment par exemple
19:36celui de Guillaume Vallette.
19:37Il y a celui de Fred Deville
19:38qui est à un autre endroit.
19:39On a malheureusement eu
19:41plusieurs suicides
19:42dans les années qu'on suit
19:43de ces gens
19:43qui sont morts après
19:44mais qui sont morts
19:45du 13 novembre quand même
19:46parce que c'est un poison lent.
19:48Puis il y a plein de détails.
19:50Par exemple,
19:50on a voulu que ce soit
19:51un jardin qui soit vivant
19:51avec les oiseaux
19:52et donc on a fait
19:53des petits bassins
19:54sur chacun des blocs de granit
19:55pour que quand il pleut,
19:56ça fasse naturellement
19:58des toutes petites retenues d'eau
19:59où les oiseaux
20:00peuvent venir boire.
20:01L'idée, c'est qu'on ne voulait pas
20:03que ce soit un endroit mort.
20:04Il y a beaucoup de minéralité
20:05pour rappeler quand même
20:06la dureté de ce qui est arrivé.
20:07Et puis, il y a tous
20:08ces petits détails,
20:08il y a ces plantes,
20:09il y a ces espaces
20:10pour les oiseaux
20:10pour rappeler que c'est la vie
20:11qu'on a essayé quand même
20:12de maintenir ici.
20:15Ce jardin,
20:16c'est l'ultime projet
20:17porté par l'association
20:18Life for Paris
20:19et son président Arthur Desnouveaux
20:22lui aussi rescapé des attentats.
20:25Après 10 ans d'existence,
20:27l'association a prévu
20:28de se dissoudre le 13 novembre.
20:32Life for Paris,
20:33ça a été une aventure humaine incroyable.
20:34ça a été des amitiés,
20:37ça a été des mariages,
20:38ça a été des bébés.
20:40Ça a été d'une intensité
20:41complètement folle
20:41et cette becquille-là,
20:42ce qui est beau,
20:43c'est qu'on se l'ait créé nous-mêmes.
20:46Mais c'était important pour nous
20:47de se dire
20:48c'est pas parce qu'on s'est créé
20:50une association de victimes
20:51qu'on veut y passer notre vie.
20:52Et puis maintenant,
20:53on a un lieu,
20:53personne ne nous enlèvera.
20:54Ça fait mémorial,
21:00quelque part,
21:01mais ça ne fait pas que ça
21:02parce que la mémoire,
21:04c'est bien,
21:04c'est ce qui nous permet
21:05quand même de progresser,
21:06d'avancer.
21:07Il faut se souvenir
21:07pour ne pas répéter
21:08les erreurs du passé,
21:09mais ça peut aussi être
21:10un poids très lourd
21:11à porter pour les victimes.
21:12Si c'est toujours à nous
21:13d'aller rappeler
21:14que c'est arrivé
21:14et ainsi de suite,
21:15de rappeler les noms,
21:16de rappeler le nombre,
21:17ça nous enferme.
21:18Ne pas se laisser enfermer
21:25et reprendre la maîtrise
21:27d'une trajectoire de vie
21:28partie en éclats,
21:30quitte à tout envoyer valser,
21:33c'est le chemin emprunté
21:34par de nombreux survivants.
21:38Déménagement,
21:39changement de travail,
21:40séparation,
21:42Babou a coché toutes les cases,
21:45un déclic qui s'est opéré
21:46sur les bancs du palais.
21:48« Effectivement,
21:49la place de victime silencieuse
21:51de partie civile,
21:53moi, elle ne me convenait pas.
21:54Je ne pouvais pas rester silencieuse.
21:56Il fallait en faire quelque chose
21:57et de le faire
21:58d'une façon personnelle
22:00et artistique. »
22:03Pendant le procès,
22:05l'ancienne freelance
22:05en communication
22:06s'est lancée
22:07dans des comptes rendus
22:08d'audience en dessin
22:09qui ont cartonné
22:10sur les réseaux sociaux.
22:12Ils ont donné lieu
22:13à un livre
22:14puis à une série animée.
22:18« Je pense que c'était là en moi
22:22et qu'il fallait un déclencheur
22:24et ça l'a été.
22:27Donc, j'ai continué.
22:29En ce moment,
22:30je travaille,
22:31je finis de faire un livre
22:33sur un rappeur iranien
22:35qui est mon rappeur
22:37et surtout dissident politique. »
22:40Un changement de cap
22:41dix ans après les attentats,
22:45même si les souvenirs
22:46de la terrasse du Carillon
22:47ne sont jamais tout à fait loin.
22:49« Ça a changé ma vie
22:52de manière positive
22:53alors que c'est un événement
22:56horrible. »
23:00« C'est tellement violent
23:01de voir des gens
23:03morts à côté de toi.
23:09En fait, c'est tellement violent
23:10que ça, pour le coup,
23:12je l'ai enfoui.
23:13Parce que c'est pas normal.
23:15Parce qu'au final,
23:18t'es habitué à plein d'images,
23:19mais la réalité,
23:20elle dépasse tellement
23:21ce que tu vois
23:23que ça, pour le coup,
23:26moi, je l'ai enfoui. »
23:29Peut-être que c'est ça aussi
23:30qui m'a permis
23:31de pouvoir en parler,
23:34de surmonter le truc,
23:35parce que j'ai toujours eu
23:37cette impression
23:39de ne pas y avoir été
23:40tout en ligne, tu vois.
23:43Ouais.
23:44« Qu'est-ce que c'est digéré ? »
23:46J'ai envie de dire oui.
23:48Mais est-ce qu'on digère
23:49vraiment des choses comme ça ?
23:51Au final, non.
23:58Il y a les images
23:59que son cerveau choisit d'effacer
24:01et celles intrusives
24:03qui ressurgissent à tout moment
24:05sans crier gare.
24:07C'est le fardeau
24:09de nombreuses victimes
24:10du terrorisme
24:11qui continuent de vivre
24:13avec les séquelles.
24:16Un sujet abordé
24:18dans le second livre
24:19que David vient de finir d'écrire.
24:25« Vivre un truc
24:26comme j'ai vécu il y a 10 ans
24:27qui charrie ensuite
24:28tant de souffrance,
24:30parce que c'est clair
24:31qu'il y a l'attentat en lui-même,
24:32mais si, ça s'arrêtait que là,
24:34en fait.
24:34Mais c'est pas le cas.
24:36Derrière,
24:36il y a tout le stress post-traumatique,
24:38il y a les choses
24:38qu'on abandonne,
24:39les choses qui nous abîment,
24:40des choses qui viennent nous toucher,
24:41là, on ne s'y attend pas.
24:44Des proches,
24:45ma femme aujourd'hui,
24:46qui souffre aussi.
24:49Donc, ça a tout touché.
24:50Quand je vais au cinéma,
24:51je pense toujours à regarder
24:52les issues de secours.
24:54Quand je vais dans les salles de concert,
24:55j'ai continuellement des images
24:57de la fosse du Bataclan.
24:58Quand je me lève le matin,
24:59je repense au coup de feu au Bataclan.
25:01Quand je vais aux toilettes,
25:02je pense au coup de feu au Bataclan.
25:04Et je peux continuer cette liste
25:05pour toujours, en fait.
25:08Pour se réparer,
25:10l'ancien barman n'a pas eu d'autre choix
25:12que de changer de vie.
25:13Moi, c'est un peu ce qui m'a sauvé
25:16dans ces dix ans.
25:16Le fait d'être toujours actif,
25:17le fait d'écrire un premier livre,
25:19le fait de...
25:20J'ai aussi co-réalisé un documentaire,
25:22j'ai écrit des préfaces,
25:24j'ai écrit un deuxième livre,
25:25j'ai participé à un projet de fiction
25:27sur les ex-otages du Bataclan.
25:29À un moment donné,
25:30il y a aussi ce truc-là,
25:31et j'en ai conscience que ça m'a aidé.
25:33Mais ça rajoute un peu...
25:35Ça enlève de l'ordinaire.
25:36Derrière, il y a du morbide,
25:36donc il faut aussi se protéger.
25:39C'est tiré un fil qui s'arrêtera jamais.
25:41Jamais, jamais je comprendrai
25:43pourquoi deux personnes m'ont pris en otage
25:45pendant 2h30.
25:46Jamais.
25:47Donc l'idée, c'est que dans dix ans,
25:49j'abandonne cette idée,
25:51j'abandonne l'envie,
25:52j'abandonne...
25:54cette lampe torche-là
25:56que j'emmène à chaque fois dans l'obscurité
25:57pour comprendre ce qui se passe dedans.
25:59Et ça fera partie de moi,
26:01mais l'idée, c'est que j'arrête de l'invoquer,
26:02en fait.
26:03Et aussi qu'on vienne me chercher pour ça.
26:09Le 13 novembre a fait basculer leur vie
26:1210 années de tranquillité impossible
26:15pour David, Babou, Véronique, Nadia, Stéphane,
26:19Arthur et tant d'autres.
26:21Je n'ai pas envie de faire un bilan
26:27des 10 années.
26:28Je ne veux pas en faire
26:29parce que, voilà,
26:31pour moi,
26:32ma fille est toujours présente,
26:34même si elle me manque beaucoup.
26:38Bilan, ça veut dire s'arrêter
26:39et analyser.
26:42Je ne veux pas.
26:43Je ne veux pas analyser.
26:44Je sais que ma fille est partie.
26:46Je le sais pertinemment,
26:49mais je ne me le figure pas.
26:53J'ai peur que ça soit...
26:55Bon, ben là, ça y est,
26:55ça fait 10 ans,
26:56on a marqué le coup.
26:57Et puis après,
26:59après, voilà,
26:59la société,
27:00elle a envie d'oublier,
27:01mais pour de bon,
27:02cette fois-ci.
27:03Donc, ne revenez pas,
27:04ne revenez pas nous parler de ça.
27:06On n'a vu que quelque chose
27:10qui nous a ramené
27:10à notre individualité,
27:12mais malgré ça,
27:13malgré ça,
27:13on a réussi à inscrire
27:14du collectif et de l'humain.
27:17Ça, c'est le bilan positif.
27:18Le négatif,
27:19ce serait de dire que,
27:2010 ans après,
27:20j'en parle encore.
27:27Quelles traces laisseront
27:28ces attentats dans les mémoires ?
27:30On se souviendra certainement
27:32du courage de ces survivants
27:33qui ont continué d'avancer
27:35malgré leurs blessures
27:36visibles et invisibles
27:37et de cette fraternité,
27:41ces liens indestructibles
27:42qui ont permis
27:43de surmonter les épreuves
27:44pour que chacun puisse renouer
27:46avec le fil de sa vie.
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