Eric Serfass, le procureur de la République de Clermont-Ferrand, était l'invité de ICI Pays d'Auvergne ce mercredi matin pour évoquer la lutte contre le narcotrafic dans la ville du Puy-de-Dôme où les règlements de comptes se multiplient ces derniers mois. -> https://www.francebleu.fr/emissions/l-invite-de-ici-matin-pays-d-auvergne/il-n-y-a-pas-de-solution-miracle-pour-eric-serfass-le-procureur-de-la-republique-de-clermont-ferrand-6324464
00:00Clermont connaît une vague de violence liée au narcotrafic, vague qui a démarré il y a un an.
00:05Est-ce qu'on peut déjà rapidement faire un point sur le nombre de victimes ?
00:09Nous sommes à cinq personnes qui sont décédées, qui ont été tuées sur des points de deal ou à proximité.
00:15C'est un chiffre extrêmement important par rapport à notre zone, où Clermont-Ferrand est particulièrement mal représenté, si je puis dire.
00:24Et avec un nombre de blessés, soit légers, soit graves, par exemple des jambisations, c'est-à-dire des personnes qui tirent dans les jambes des trafiquants pour les intimider ou pour les menacer ou pour les soumettre.
00:36Voilà un nombre très important que je ne chiffre pas exactement, mais qui est de plusieurs dizaines sur un an.
00:42Donc une situation Clermont-Ferrand qui est effectivement particulière, avec depuis plusieurs années un narcotrafic qui existe, qui avait ces dernières années généré des tirs que la population avait perçus.
00:57Mais jamais un excès de violence comme ça.
00:59Voilà, mais en 2023-2024, des tirs assez nombreux, mais pas de morts.
01:02En 2025, effectivement, des manifestations d'hyperviolence avec des homicides volontaires et des homicides volontaires particulièrement démonstratifs et atroces.
01:10L'ancien ministre Bruno Retailleau, lui, est venu en septembre sur place.
01:14Est-ce que ça a changé la situation ? Et qu'est-ce qui a changé depuis sa venue ?
01:18Alors, la venue d'un ministre de l'Intérieur ou d'un ministre d'État ou d'un ministre, de toute façon, sur un lieu où le narcotrafic se manifeste,
01:27c'est un signe de volonté de prise de conscience et d'engagement de l'État.
01:32Donc je pense que c'est vraiment utile.
01:33Ensuite, concrètement, ça change par l'engagement d'un certain nombre de forces qui sont là pour surveiller et contrôler et neutraliser des points de vente,
01:44ce qu'on appelle donc les points de deal, sur certains quartiers de la ville.
01:47On pense au CRS, par exemple, mobiliser à Charas.
01:50Tout à fait, effectivement.
01:51Donc il y a un certain nombre de policiers qui sont là en permanence ou quasi permanence pour faire obstacle au fait que le point de vente, le point de deal puisse se reconstituer.
02:01Et donc, effectivement, c'est assez efficace.
02:04Ça ne résout pas tout en ce sens que ça permet, effectivement, de mettre fin à un point de vente à un moment donné.
02:09Mais on ne peut pas mettre des policiers 24 heures sur 24 partout dans les quartiers.
02:14Donc il y a aussi l'action judiciaire et l'action de fond qui est essentielle pour lutter contre le narcotrafic.
02:19Oui, j'allais vous le dire parce que c'est vrai que c'est une expression du préfet ici qui dit souvent mettre du bleu dans les rues.
02:25Est-ce que c'est ça l'avenir pour un habitant dans ces quartiers, moi je pense à l'avenue Charas, de vivre H24 avec des policiers en bas de chez soi ?
02:33C'est rassurant un temps, mais c'est aussi anxiogène de se dire, en fait, ma sécurité à moi, elle ne tient qu'à la présence de policiers en permanence, H24, au pied de ma fenêtre, au pied de mon immeuble.
02:42L'expression de ces derniers jours, point de bascule, est assez importante.
02:46Je pense qu'il faut réaliser et il faut prendre conscience de savoir si le narcotrafic, aujourd'hui la lutte contre le narcotrafic, doit devenir une cause nationale ou pas.
02:55En tout cas, le président de la République parle de moyens, de stratégies qu'il faut enclencher de façon similaire à la lutte contre le terrorisme.
03:03Il a de nouveau parlé de la loi narcotrafic, c'est une loi dont on a beaucoup parlé ici.
03:09Qu'est-ce qu'elle change concrètement ? Pour les auditeurs qui nous écoutent, qu'est-ce que ça vous permet, par exemple, à vous, procureurs, d'enclencher comme mécanisme judiciaire ?
03:18Alors, effectivement, il y a une loi du 13 juin 2025 qui a porté des modifications assez substantielles dans le champ judiciaire, dans le champ administratif, également pour les pouvoirs prévocatifs de l'autorité préfectorale.
03:30Pour ce qui est de l'autorité judiciaire, il y a des changements assez importants.
03:32L'un des changements qui a reçu un certain écho dans les médias, c'est la création d'un parquet national anticriminalité organisée.
03:42Actuellement, il existe une juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée, qui est sous l'autorité de la procureure de Paris.
03:48Et à compter du 5 janvier 2026, il va y avoir un parquet national autonome, au même titre que le parquet national antiterroriste ou le parquet national financier,
03:58avec une structure dédiée, avec, on l'espère, plus de moyens, à la fois nationaux et à la fois de coordination des autres juridictions dans la lutte contre le narcotrafic.
04:07Je rappelle que vous avez d'ailleurs travaillé pour cette juridiction spécialisée contre le crime organisé.
04:12Ça marque visiblement une lutte, une cause nationale, ce changement et cette création d'un nouveau parquet.
04:20Oui, ça le marque, ça le manifeste.
04:22Mais je pense que si on doit parler de cause nationale, ça signifie que d'abord, il faut être raisonnable.
04:27C'est-à-dire qu'il n'y a pas une solution, miracle, baguette magique, pour dire le narcotrafic, demain, c'est fini.
04:33Il faut se servir de tous les leviers, de la lutte contre la consommation et de l'accompagnement des personnes qui sont addictes,
04:43jusqu'à la répression de fonds contre les organisations criminelles et la répression contre les points de deal avec les vendeurs et les guetteurs
04:52qui sont là pour faciliter le narcotrafic.
04:54Donc, il faut utiliser tous les leviers.
04:56Aujourd'hui, la toxicité, elle n'est pas uniquement concernant les consommateurs de drogue.
05:01La toxicité, elle s'adresse à toute la société.
05:04Et aujourd'hui, il y a un pouvoir financier des organisations criminelles qui est immense.
05:09Je rappelle qu'on estime le chiffre d'affaires du narcotrafic en France par an à 6 à 7 milliards d'euros.
05:16700 consommateurs par jour sur le point de vue de l'avenue Charles.
05:18Je remonte sur ce que vous dites.
05:19Ce sera ma dernière question.
05:21Il y a un point qu'on a vu cet été, un aspect du trafic de drogue qu'on a découvert à la faveur de cette polémique
05:26des trafiquants qui payaient des jeux pour enfants, qui payaient des loyers.
05:30Ça veut dire qu'en fait, c'est devenu un État dans l'État.
05:33Est-ce qu'on en est déjà là ou pas encore à Clermont-Ferrand ?
05:36Je crois qu'à Clermont-Ferrand, effectivement, on en est là comme dans beaucoup de villes moyennes.
05:40Il y a des trafiquants qui commencent à payer des loyers, à entre guillemets fournir des services publics que l'État ne fournit plus.
05:46En tout cas, ce qu'on sait qu'à Clermont-Ferrand, il y a des organisations criminelles ou des personnes qui sont impliquées dans des organisations criminelles
05:52qui vont faciliter des services sociaux et des services rendus à certaines populations pour se faire admettre et pour se faire accepter dans les quartiers.
05:59Et ça, c'est le début de la corruption.
06:01Et c'est le début aussi d'un dysfonctionnement de la société qu'on ne peut pas accepter, contre lequel on doit lutter.
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