Air Liberté vs Air France : la bataille oubliée du ciel français (épisode 1)

Les Echos

Dans les années 1990, un outsider, Air Liberté, défie le quasi-monopole d’Air France, alors que le ciel français s’ouvre à la concurrence. La nouvelle compagnie aérienne va se heurter à de nombreux obstacles jusqu’à devenir une véritable affaire d’État. Récit en vidéo, épisode 1.

Transcript

00:00Mars 1988, une toute nouvelle compagnie aérienne française fait décoller son premier avion.

00:05Personne ne se doute de ce qui est en train d'arriver, pas même Air France, qui a pourtant de quoi être inquiète.

00:10Car derrière cet appareil qui s'envole, il y a un homme en colère, l'autre fille Bellassine,

00:15qui en a ras-le-bol de la toute-puissance de la compagnie nationale dans le ciel français.

00:19Son ambition, créer la première compagnie low-cost européenne, avec un nom qui en dit long, Air Liberté.

00:25Mais tout ne va pas se passer comme prévu.

00:27C'était quand même une compagnie, c'était un peu fait avec les moyens du bord.

00:30Très vite, une série d'obstacles vient percuter le projet.

00:33Air France et l'administration sont comme ça et pas vraiment décidées à lâcher leurs privilèges.

00:38La survie d'Air Liberté est une bataille permanente jusqu'à devenir une affaire d'État.

00:43Que s'est-il passé ? J'ai retracé toute l'histoire de la compagnie

00:46et je suis même allée à Bruxelles pour retrouver le fondateur d'Air Liberté

00:49qui m'a reçu dans son hôtel particulier.

00:51J'ai gagné toutes les batailles et j'ai perdu la guerre.

00:54Bienvenue dans ce nouveau business drama.

00:58Air Liberté versus Air France, la bataille oubliée du ciel français.

01:05Dans les années 80, l'autre fille Bellassine dirige un club de vacances

01:09que tout le monde a sûrement oublié ici, Aquarius.

01:11C'est le club med en moins cher.

01:13Chaque année, ses resorts accueillent des centaines de vacanciers

01:16venus se faire dorer la pilule autour de la Méditerranée.

01:19Mais il a du mal à trouver des vols pour les acheminer à des bonnes dates,

01:22aux bons horaires et aux bons tarifs.

01:24Car à l'époque, le transport aérien n'a rien à voir avec ce qu'il est aujourd'hui.

01:28Il ressemble plutôt au modèle de la SNCF jusqu'en 2020

01:31et l'ouverture à la concurrence du rail français,

01:33une entreprise en situation de quasi-monopole.

01:36Et ce quasi-monopole, il est incarné par Air France

01:39qui, en 1989, assure 97% du trafic aérien français.

01:43L'entreprise publique s'occupe des vols long-courrier et des vols intérieurs

01:47après avoir fusionné avec Air Inter, une autre entreprise publique.

01:50Et les vols ponctuels, non réguliers, appelés les Charter,

01:54sont assurés par sa filiale Air Charter.

01:56Et c'est par la petite porte des Charter

01:58que l'autre fille Bellassine décide de s'engouffrer.

02:00C'est d'ailleurs le seul créneau ouvert à la concurrence.

02:02L'une des raisons pour lesquelles on avait créé cette compagnie,

02:06c'était que la qualité du Charter était très mauvaise

02:08parce que c'était le reliquat des heures disponibles chez Air Inter ou Air France.

02:14Quand j'ai rencontré l'autre fille Bellassine,

02:16il m'a sorti les maquettes des avions Air Liberté de l'époque

02:18et il en était très fier.

02:20Et il avait beaucoup de choses à me raconter.

02:22Air Charter, qui était leur filiale, n'avait pratiquement pas d'avion.

02:25Elle utilisait des avions disponibles d'Air Inter surtout,

02:28qui étaient extrêmement densifiés,

02:30à des horaires et à des tarifs qui les arrangeaient.

02:33Et l'autre fille avait vu juste.

02:34En un an, la compagnie transporte 720 000 passagers

02:38et réalise 210 millions de francs de chiffre d'affaires,

02:41soit 58,8 millions d'euros aujourd'hui.

02:44Pour se lancer, 5 actionnaires investissent 13 millions de francs,

02:473,8 millions d'euros aujourd'hui, dont la banque Rivaut.

02:50Et retenez bien ce nom, car on y reviendra.

02:52L'appétit est venu en mangeant,

02:54parce qu'on a bien gagné notre vie au début,

02:57on a augmenté notre taille comme compagnie de Charter.

02:59On est passé de deux avions à une dizaine d'avions.

03:02Cette expansion n'est pas du goût de tout le monde dans le milieu.

03:05Et elle manque même de lui coûter la vie.

03:07Un soir de novembre 1990,

03:09Lodfi se fait tirer dessus par un inconnu,

03:12devant chez lui à Paris, à trois reprises.

03:15Enfin un inconnu,

03:16Bellassine a son idée de l'auteur de cette tentative d'assassinat

03:19dont il échappe miraculeusement.

03:21Pour lui, c'est une vengeance

03:22de ceux à qui il a racheté la compagnie aérienne Corsair

03:24pour récupérer ses créneaux de vol.

03:26Une enquête est menée en Corse,

03:28mais elle ne permettra jamais de connaître la vérité.

03:30Lodfi n'est pas au bout de ses peines,

03:32mais il continue la bataille du ciel.

03:33En 1991, Lodfi trouve un allié au plus haut niveau,

03:37l'Europe.

03:38C'est la fin du monopole d'Air France sur les lignes intérieures.

03:41Après les Charter,

03:42Air Liberté va complètement transformer son modèle

03:45et s'attaquer aux lignes régulières

03:46et surtout aux lignes intérieures françaises.

03:49Et c'est là que les choses vont se corser.

03:50Je crée Air Liberté contre l'avis de tous mes amis.

03:53Ils m'ont prévenu que les dés sont pipés,

03:55que tous ceux qui ont essayé

03:56ont été laminés par Air France

03:57avec le concours actif de l'administration.

04:03Depuis l'aéroport d'Orly,

04:05Air Liberté part à l'assaut du monopole d'Air France.

04:08Paris-Toulouse, Paris-Nice, Paris-Montpellier,

04:10ils s'attaquent à toutes les lignes.

04:12Et c'est maintenant que je vous présente

04:13un nouvel intervenant,

04:14vétéran du suivi de l'industrie aéronautique aux échos,

04:17Denis Finsilbert.

04:18Alors que je venais de naître,

04:24Denis écrivait déjà sur Air Liberté.

04:26Il y avait de la place à prendre

04:27parce que le train n'était pas encore ultra concurrentiel

04:30pour les liaisons qui sont, disons,

04:33à plus de 3 heures de train.

04:35Donc il y avait une grande partie de la France,

04:36en gros toute la partie ouest, la partie sud,

04:39qui était un peu ouverte aux nouveaux entrants.

04:42En 5 ans, l'entreprise passe de 600 à 1400 salariés.

04:46Et pour se faire une place,

04:47elle sort l'arme fatale, la guerre des prix.

04:50Air Liberté va offrir en première mondiale

04:52un tarif d'une carte orange du ciel,

04:55si on peut dire,

04:56qui permet à un passager

04:57qui l'a acheté une carte en une fois

05:00et qui a payé 25 000 francs par an

05:02de voyager autant qu'il veut.

05:04Ils ont attaqué sur les prix,

05:05donc ils ont vendu les sièges

05:07en dessous du prix de revient,

05:09clairement,

05:09donc c'était du dumping,

05:10pour remplir les avions.

05:13Mais Air France contre-attaque immédiatement.

05:15Baisse des tarifs,

05:16vol supplémentaire,

05:17très vite,

05:18plus personne ne gagne d'argent.

05:20Sauf qu'à ce jeu-là,

05:21Air France est plus musclé

05:22et plus endurante.

05:24Finalement,

05:25la marge de manœuvre

05:27qu'avait Air Liberté en face

05:28n'était pas si énorme que ça,

05:30parce que les salaires des navigants,

05:32ils sont ce qu'ils sont,

05:32les pilotes,

05:33ça coûtait déjà très cher,

05:34alors ils étaient moins payés qu'Air Inter,

05:36mais quand même,

05:37les équipages,

05:39les frais d'escale,

05:40Kérosène,

05:41ils le payent au même prix.

05:42Donc finalement,

05:43les coûts fixes d'Air Liberté

05:46étaient déjà assez élevés.

05:48C'est pour ça que c'était plutôt

05:50du low-faire que du low-cost.

05:51En plus,

05:52Air France ne joue pas vraiment

05:53à armes égales.

05:54Elle met des bâtons

05:54dans les ailes de ses concurrents

05:56et elle a un allié de taille

05:57dans cette bataille,

05:58l'administration

05:59avec la Direction Générale

06:01de l'Aviation Civile.

06:02Ça prendrait des heures

06:03de raconter toutes les avanies

06:05que nous avons subies

06:07de la part de la DGAC.

06:08Air Liberté a par exemple

06:09beaucoup de mal à obtenir

06:10des créneaux d'atterrissage

06:12et de décollage.

06:13Or dans l'aviation,

06:14ces créneaux,

06:14qui n'existent qu'en quantité limitée,

06:16c'est le nerf de la guerre.

06:17Il y avait un organisme

06:18qui s'appelait

06:18le Conseil Super de l'Aviation Marchand

06:20qui était censé distribuer

06:22les droits de trafic,

06:23ceux qui n'étaient pas utilisés

06:24pour les redonner

06:26aux nouveaux entrants.

06:27Mais en fait,

06:28c'était un jeu

06:28un peu du chat et de la souris

06:29et tout le monde soupçonnait

06:31Air France d'être derrière

06:32ces attributions.

06:34Chaque fois qu'on demandait

06:35une ordonnée pour un charter,

06:37on nous l'a donnée.

06:38Chaque fois qu'on demandait

06:39une ordonnée pour un vol régulier,

06:40on nous l'a refusé.

06:40Le même vol.

06:42Or, il n'avait pas le droit.

06:43Si c'était libre,

06:44c'était libre.

06:44Donc on avait mis

06:46des horaires de charter

06:47qui correspondaient

06:47à ce qu'on voulait faire

06:48comme vol régulier.

06:50Nous renvoie un accord

06:52pour tous ces vols-là.

06:53Et à ce moment-là,

06:54j'ai dit, on change,

06:55on utilise les créneaux

06:56qu'on a pour faire ça,

06:58ça, ça, ça et ça.

06:59Et si Air France

07:00pouvait se permettre

07:00de telles manœuvres,

07:01c'est parce que...

07:02Les dirigeants d'Air France,

07:04les uns après les autres,

07:05étaient très proches du pouvoir.

07:06L'ancien président d'Air France,

07:08Jacques Friedman,

07:09était un très bon copain

07:09de Jacques Chirac.

07:10Le président qui lui a succédé

07:12chez Air France,

07:13Bernard Attali,

07:14était le frère

07:14d'un des conseillers principaux

07:17de François Mitterrand à l'Elysée.

07:19Il y avait, disons,

07:20une collusion

07:20entre l'administration

07:22avec un grand A

07:23et la compagnie nationale

07:24avec un grand C.

07:25Alors que les gens

07:26d'Air Liberté,

07:27on ne les retrouvait jamais

07:28ni dans les ministères

07:29ni dans le groupe Air France.

07:30Pour obtenir des créneaux,

07:31Air Liberté sort les grands moyens.

07:33Elle rachète une compagnie aérienne,

07:35Eural Air,

07:35qui en possède 5000.

07:37Avec, elle projette

07:38d'ouvrir 23 nouvelles lignes en France.

07:40Mais cette ambition

07:41ne se concrétisera jamais.

07:42Car pour financer sa croissance,

07:44Air Liberté s'endette énormément,

07:46notamment auprès de son créancier

07:48et principal actionnaire,

07:49la banque Rivo.

07:50Je vous avais bien dit

07:51que ce nom reviendrait.

07:52En 1996,

07:54les comptes de la compagnie

07:55passent dans le rouge.

07:56Cette même année,

07:57Vincent Bolloré,

07:58actionnaire du groupe Rivo,

07:59veut prendre les commandes

08:00de la banque.

08:01Pour faire tomber

08:01son président de l'époque,

08:02Édouard de Ribes,

08:03il met en lumière

08:04l'un des investissements

08:05les plus dangereux

08:06de l'établissement.

08:07Sa participation de 32%

08:09au capital d'Air Liberté

08:10à hauteur de 450 millions de francs,

08:13soit 107 millions d'euros aujourd'hui.

08:15Mais aussi ses 350 millions de créances,

08:17soit 83 millions d'euros,

08:19de la compagnie aérienne,

08:20alors en très grande

08:21difficulté financière.

08:23Rivo demande à Air Liberté

08:24de rembourser ses crédits,

08:25mais la compagnie

08:26en est incapable.

08:27Elle dépose le bilan

08:28le 26 septembre 1996.

08:30C'était quand même une compagnie,

08:33c'était un peu fait

08:33avec les moyens du bord.

08:35La seule raison

08:36pour laquelle les gens

08:36les prenaient,

08:37c'était parce que c'était

08:37un peu moins cher qu'Air Renter.

08:39C'est la fin d'Air Liberté

08:40version 1,

08:41la fin de l'aventure

08:42pour Lotfi Bellassine.

08:43C'est un gâchis.

08:44La France a raté

08:45avec Air Liberté

08:46la possibilité d'avoir

08:49une grande low cost européenne.

08:51Et c'est aussi

08:52les premières turbulences

08:53pour un projet cher

08:54au gouvernement français

08:55depuis l'ouverture du ciel

08:56à la concurrence,

08:57créer un second

08:58pôle aérien français,

08:59une compagnie capable

09:00de rivaliser avec Air France

09:01sans trop la bousculer.

09:03Air Liberté

09:03incarnait cet espoir.

09:05Avec son crash,

09:06le rêve d'un concurrent national

09:07prend un sérieux coup

09:08dans l'aile.

09:09Mais l'histoire d'Air Liberté

09:10ne s'arrête pas là.

09:11La compagnie va redécoller

09:12puis traverser

09:13les pires turbulences

09:15de son histoire.

09:16Mais ça,

09:16c'est pour le prochain épisode.

09:17Je vous raconterai

09:18avec les témoins de l'époque

09:19que l'on a retrouvé

09:20comment la survie d'Air Liberté

09:22s'est transformée

09:22en véritable affaire d'État

09:24au début des années 2000

09:25avant de finir

09:26devant les tribunaux.

09:27Rendez-vous la semaine prochaine

09:28et d'ici là,

09:29dites-nous en commentaire

09:30si vous avez déjà volé

09:31avec Air Liberté

09:32et abonnez-vous !

09:33Sous-titrage Société Radio-Canada

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