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00:00Philippe Chadry, je l'ai dit, vous étiez à l'époque directeur de l'antiterrorisme.
00:07Quel souvenir personnel gardez-vous de cette soirée ?
00:10Un souvenir indélébile, évidemment, comme beaucoup de Français.
00:13Un souvenir aussi de chaos, de grande confusion.
00:17Mais il se trouve qu'à ce moment-là, j'étais en responsabilité de la sous-direction antiterroriste
00:20et nous avons été saisis des faits qui étaient commis à Saint-Denis et à Paris.
00:24En tant que chef, justement, de l'antiterrorisme, vous étiez préparé à une telle éventualité ?
00:29Évidemment, parce qu'il faut recontextualiser, les attentats du 13 novembre n'arrivent pas par hasard.
00:34On a une menace qui est extrêmement prégnante.
00:37Charlie Hebdo en janvier et l'hyper-cachère.
00:39On a Charlie Hebdo, on a l'hyper-cachère.
00:42Et puis on a cette situation inédite en France où de nombreux Français ou ressortissants français
00:47partent sur zone pour combattre dans les rangs de l'État islamique.
00:51Et on sait que l'État islamique, à ce moment-là, prépare des attentats majeurs sur le territoire français, notamment.
00:57La France était prête à affronter des attaques coordonnées en plusieurs lieux de la capitale et quasi simultanément ?
01:04Absolument, puisque la direction centrale de la police judiciaire avait, juste après les attentats de Londres et de Madrid, 2004-2005, prévu un plan.
01:14Nous avions un dispositif attentat qui permettait de faire face à des attentats multiples, à des attentats majeurs.
01:19Et ce dispositif avait été déjà mis en place lors des attentats de janvier à Paris.
01:24La nuit des attentats, la BAC, la brigade anticriminalité et la BRI, la brigade de recherche et d'intervention,
01:32arrivent au Bataclan environ une demi-heure après que les trois assaillants ont ouvert le feu sur la foule,
01:38faisant presque immédiatement 80 morts.
01:41S'en suit une prise d'otage, des exécutions et finalement l'assaut de la BRI.
01:47C'est qui tout double ? Il y a 1500 spectateurs à l'époque dans l'enceinte du Bataclan.
01:51Absolument, mais lorsque la BRI intervient, nous sommes déjà saisis des faits, donc nous sommes déjà dans l'enquête.
01:58Et la BRI va effectivement libérer les otages.
02:01Nous avons évidemment une pensée pour nos collègues qui vont devoir intervenir dans des conditions très difficiles,
02:06mais le dispositif attentat est déjà engagé.
02:09Et nous commençons à développer l'enquête, à rappeler les équipes, qui pour la plupart d'ailleurs reviendront spontanément,
02:19et qui se mettent au travail.
02:19Les enquêteurs commencent à se mettre au travail dans des déjà, alors qu'on a une prise d'otage en cours.
02:23Et on ne sait même pas à ce moment-là combien de scènes de crimes nous avons à traiter.
02:27Ça verra qu'on aura huit scènes de crimes à traiter.
02:28Donc en fait, on s'organise, avec une situation inédite d'une prise d'otage toujours en cours.
02:34On s'organise pour recueillir des informations, des indices, mais pour faire face aussi à un poste médical avancé,
02:39à se mettre en place devant le Bataclan pour prendre en charge les blessés,
02:42ceux qui ont réussi à prendre la fuite d'abord puis les autres.
02:45Un véritable hôpital de campagne avec des pratiques de médecine de guerre.
02:49Ça donne un retour d'expérience pour les attaques qui auront lieu ultérieurement en France.
02:52On pense notamment à Nice, le 14 juillet 2016, et 86 morts à l'époque.
02:58Évidemment, nous avons été également saisis de l'attentat de Nice, comme vous l'avez mentionné.
03:04Effectivement, ce sont des scènes qui sont très difficiles, c'est-à-dire que pour les secours évidemment,
03:07mais pour les enquêteurs également, ce sont des scènes que l'on n'oublie pas.
03:11C'est extrêmement compliqué d'intervenir dans une situation dégradée.
03:16Les secours doivent évidemment faire leur travail, et puis ensuite, c'est la place aux constatations.
03:20Les constatations sont extrêmement importantes.
03:22Parce qu'elles permettent de recueillir des indices, des preuves, et surtout, évidemment, d'identifier les victimes.
03:28Bien sûr, combien de victimes ?
03:29Et surtout, répondre à la fameuse question, c'est, y a-t-il des terroristes encore dans la nature ?
03:35Oui. Alors justement, ces victimes, les survivants, ils sont en état ce soir-là de donner des informations ?
03:42Eh bien, tout dépend, parce qu'effectivement, les victimes sont aussi des témoins pour nous.
03:46Donc effectivement, il y a des victimes qu'on va entendre parce qu'elles sont légèrement blessées,
03:50et puis celles qu'on ne peut pas entendre, on ne les entend pas.
03:53Évidemment, elles sont ventilées dans l'ensemble des hôpitaux parisiens et de la région parisienne.
03:59Donc c'est aussi une tâche qui nous incombe, c'est-à-dire de dénombrer les victimes,
04:05le nombre de personnes décédées, le nombre de personnes blessées, où sont-elles,
04:08et de recueillir leurs témoignages.
04:09Il y a la question aussi de préserver l'intégrité de la scène de crime, pour pouvoir recueillir ces indices.
04:14Bien sûr, une scène de crime, comme celle du Bataclan, par exemple, est extrêmement compliquée à traiter,
04:20donc elle se fait selon un process qui est établi.
04:22Les enquêteurs ont l'habitude, les techniques de police scientifique également.
04:26En fait, nous sectorisons la scène de crime pour faire en sorte qu'une scène de crime énorme et complexe
04:34devienne finalement beaucoup plus simple à traiter pour les enquêteurs.
04:36Un hommage particulier a été rendu aujourd'hui lors de ces cérémonies aux primo-intervenants.
04:41On pense bien entendu aux urgentistes qui se sont rendus sur place immédiatement, aux nombreux soignants,
04:46et puis également aux membres de la BRI qui sont intervenus.
04:49On les a vus d'ailleurs aujourd'hui visages masqués pour ne pas qu'on puisse les identifier et éventuellement leur nuire.
04:55Beaucoup d'entre eux, bien qu'aguerris, ont été marqués psychologiquement par ce qu'ils ont vu cette nuit-là.
05:00C'est le cas aussi des membres de la SDAT qui ont été amenés à intervenir sur ces scènes de crime ?
05:04Oui, effectivement. On a des enquêteurs qui ont dû subir un choc psychologique énorme,
05:09même s'ils sont des fonctionnaires aguerris qui sont dans les services antiterroristes,
05:12qui sont volontaires, tout comme nos collègues de la BRI,
05:16qui sont volontaires et qui sont aguerris et qui sont en capacité de faire face à des scènes de crime compliquées.
05:22Mais pour certains d'entre eux, c'est effectivement des scènes difficilement supportables.
05:26Ça a été également sur l'attentat de Nice, vous l'avez rappelé.
05:29Du 14 juillet 2016.
05:32Alors la nuit des attaques, sept des neuf membres du commando sont abattus, se font exploser.
05:37Il ne faudra que trois jours aux enquêteurs pour retrouver les deux membres encore en fuite et les neutralisés à l'époque.
05:44Shaqib Akrou et Abdelhamid Abaoud, cerveau présumé des attentats, tués dans leur cache à Saint-Denis.
05:51Comment la piste a-t-elle été remontée aussi rapidement ?
05:55Le dispositif attentat se dote d'outils.
05:58Et on a notamment un appel à témoins, un appel d'urgence, un numéro d'urgence, c'est le 197.
06:03Et nous avons, dès le lundi suivant, à 14h56, recueilli le témoignage d'une personne qui, de manière assez confuse,
06:11va nous expliquer que la personne qu'elle loge a pour mission d'héberger un certain Abdelhamid Abaoud.
06:19Effectivement, c'est ce qui va nous mettre sur la piste.
06:22Et à ce moment-là, même si un tas d'éléments d'enquête sont déjà, un premier terroriste du Bataclan a été identifié.
06:28Nous recueillons des hadistes.
06:29Nous savons que Salah Abdeslam, l'un des acteurs du 13 novembre, a regagné la Belgique.
06:35Il n'a pas pris part, mais manifestement à l'opération.
06:38Absolument.
06:39Nous sommes évidemment en lien avec nos collègues belges.
06:42Nous nous envoyons immédiatement une équipe en Belgique.
06:43Et puis, nous avons ce témoignage, le 15 novembre, à 14h56, d'un témoin que nous allons entendre, comme on dit, sur procès verbal, en fin de journée,
06:52et qui va nous mettre sur cette piste d'Abdelhamid Abaoud.
06:55Et donc, trois jours plus tard.
06:58Évidemment, on connaît l'histoire.
06:59Elle a été plusieurs fois racontée.
07:01Mais effectivement, avec une mise en place de dispositifs de surveillance de filature, de surveillance technique, de mise en place de caméras de surveillance.
07:10Et d'un moment, le 17, quelques jours après les faits, qui nous permet de prendre en compte Asna Haïd Boula Sen,
07:19qui avait pour mission de trouver un logement à Abdelhamid Abaoud.
07:23Donc, prise en compte d'une filature.
07:25Et on arrive rue du Corbillon, à Saint-Denis.
07:26– Dès le lendemain des attaques, le 14 novembre, le groupe Etat islamique Daesh revendique cet attentat, ces attaques multiples en France.
07:34Vous êtes surpris à l'époque.
07:36On se souvient que les attaques contre Charlie Hebdo, à l'époque, c'est Al-Qaïda dans la péninsule arabique.
07:41– Là, c'est l'Etat islamique.
07:42– Oui.
07:43– Et au Maghreb islamique, oui.
07:45– Là, on a une revendication des frères Klein.
07:47Les frères Klein, on les connaît, ce sont des Toulousains.
07:49Ils apparaissaient déjà dans l'entourage de Mohamed Merah.
07:52Tout le monde s'en souvient.
07:53Et effectivement, on a les frères Klein qui vont revendiquer, dès le 14, ces actions terroristes,
08:00avec des choses qui nous interpellent, puisqu'ils vont parler de 8 terroristes.
08:05On n'en a que 7.
08:06On sait que Salah Abdeslam est dans la nature.
08:09Et on sait aussi, par l'exploitation des témoignages, des vidéosurveillances, de l'enquête,
08:14que deux autres terroristes sont probablement également, terroristes qui faisaient partie
08:19du commando des terrasses, sont probablement également en fuite.
08:22Et ce sera effectivement Abaoud et Chaki Bakrou.
08:26– Alors, Salah Abdeslam lui sera interpellé début 2016.
08:29Il entre-temps fut en Belgique, vous l'avez dit, jugé et condamné à la réclusion criminelle
08:33à perpétuité incompressible.
08:35Vous avez suivi son procès fin 2021, début 2022.
08:37– Oui, oui, Abdeslam, comme d'autres, il a eu son procès en Belgique, mais aussi en France,
08:43puisque les attentats du 13 novembre, en quête hors normes, ont donné lieu également
08:48à un procès hors normes, puisque 14 personnes vont comparaître devant une cour d'assises
08:53spécialement composée à Paris.
08:54– Qu'avez-vous retenu de ce procès ? Beaucoup ont déploré son mutisme.
08:57– C'est un choix qu'il a fait. Je ne sais pas dans quel état d'esprit il était.
09:05C'est quelqu'un qui était très radicalisé, visiblement qui n'a pas renié son djihadisme,
09:13son islamisme radical. Après, dans quelle situation il était au moment du procès ?
09:18Je ne peux pas vous répondre.
09:19– Oui, en fin d'année dernière encore, celle qui était sa compagne lui a fourni,
09:22remis une clé USB sur laquelle figurait de la propagande djihadiste,
09:25qu'il a consultée à plusieurs reprises sur un ordinateur.
09:28C'est ce que l'on sait aujourd'hui.
09:29Depuis le centre pénitentiaire de Vanda Le Vieil, dans le Pas-de-Calais, où il est incarcéré,
09:33il se dit prêt aujourd'hui, par la voix de son avocate,
09:35à participer à une expérience de justice restaurative avec des victimes d'autres attentats.
09:40Que pensez-vous de cette initiative ?
09:41– Je n'en pense rien. Je pense qu'il a été condamné de multiples reprises.
09:45Il fait partie du commando du 13 novembre.
09:48Après, ça c'est…
09:49– Vous jugez utile ce type d'initiative, pas forcément d'ailleurs de la part de Salah Abdeslam,
09:54mais en matière de terrorisme, beaucoup trouvent cela très discutable,
09:57contre la nature même des crimes.
09:58– Peut-être, moi je pense que les crimes sont absolument odieux.
10:02– La justice restaurative met en relation finalement des victimes et des fauteurs,
10:05pas des mêmes actes, mais de même nature.
10:07– À titre personnel, j'ai quand même un doute sur l'intérêt de ce genre de process.
10:13– La direction générale de la sécurité intérieure l'affirme,
10:16depuis 2015, près de 80 projets d'attentats ont été déjoués en France,
10:209 pour l'année dernière, 6 depuis le début de cette année.
10:23Où en est la menace djihadiste ici en France ?
10:25– La menace après 2015 a changé de nature, d'une menace exogène,
10:28nous sommes passés à une menace endogène,
10:30c'est-à-dire que ce sont des gens qui sont sur notre territoire national,
10:33qui n'ont pas subi, qui ne sont pas allés sur zone,
10:37qui n'ont pas subi d'entraînement sur zone.
10:39Donc on constate, qu'est-ce qu'on constate ?
10:41Il y a un rajeunissement de ces terroristes,
10:44des attentats qui sont beaucoup plus simples,
10:46qui n'ont rien à voir avec les attentats coordonnés
10:49qui ont été ceux de novembre,
10:51certains individus qui ont un profil psychologique qui pose question,
10:56et puis une jeunesse, on a affaire à des gens très très jeunes
11:00qui commettent ces attentats avec des modes opératoires très simples.
11:03– Sommes-nous mieux armés, l'arsenal législatif
11:05lui a été considérablement renforcé
11:07avec l'association de malfaiteurs terroristes,
11:09désormais considérée comme un crime passible de 30 ans de réclusion,
11:12l'inscription dans le droit commun,
11:14aussi un des mesures héritées de l'état d'urgence,
11:16comme les perquisitions administratives,
11:18sans décision judiciaire préalable,
11:19mais sous l'autorité d'un jeu administratif,
11:21l'assignation à résidence,
11:23la fermeture sur décision administrative de sites internet
11:26ou de lieux de cul faisant l'apologie du terrorisme,
11:28tout cela, cela concourt à mieux protéger la France aujourd'hui.
11:31– Évidemment, lorsque nous avions cette vague de départs
11:34de Français en Syrie et en Irak,
11:36de combattants pour aller combattre,
11:38nous n'avions pas ces mesures administratives
11:39pour les empêcher de partir.
11:40Donc nous avions une entrave judiciaire
11:43qui est évidemment plus complexe à mettre en œuvre,
11:46puisqu'il faut réunir des éléments de preuve
11:48pour établir que telle ou telle personne
11:49a l'intention de se rendre en Syrie ou en Irak,
11:51a l'intention d'intégrer un groupe terroriste,
11:54en l'occurrence l'État islamique,
11:55puisque 80% des Français, des ressortissants français
11:57ont intégré l'État islamique.
11:58– Mais ce n'est pas une barrière infranchissable ?
12:00– Non, ce n'est pas une barrière infranchissable.
12:01Et puis la situation bouge, vous avez vu…
12:03– Il a évolué encore la loi d'après vous ?
12:04– Non, je pense qu'on a un arsenal législatif
12:06qui est quand même robuste
12:08et qui nous aide évidemment au quotidien
12:11et qui aide aussi les services de renseignement
12:12à prévenir les attentats, bien sûr.
12:15– Merci beaucoup Philippe Chadris d'avoir été avec nous.
12:16– Merci à vous.
12:17– Votre témoignage du 13 novembre 2015.
12:19– Merci à vous.
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