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  • il y a 10 heures
Alain Giraud était policier dans la brigade anticriminalité 75N (nuit) le soir du 13 novembre 2015. Avec une poignée de collègues, il était l'un des premiers à entrer dans la salle de concert dbac75Nu Bataclan. Dix ans plus tard, Alain Giraud, désormais à la retraite, fait le récit de cette soirée. Une soirée où son rôle et celui de ses collègues n' a pas été reconnu par l'Histoire.

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Transcription
00:00Il nous dit, les gars, on va au Bataclan.
00:03J'aperçois ce qu'on peut voir.
00:07Cette adjance, les râles, les appels au secours.
00:09Moi, je voyais des téléphones se lever, dans la fosse, se lever.
00:14Moi, je me suis toujours dit que je ne suis pas une victime du terrorisme.
00:18J'ai subi sans subir.
00:20Je suis intervenu en tant que policier.
00:22Donc, c'était notre devoir d'y aller.
00:27Il nous manque cette reconnaissance nationale.
00:30On parlait du commissaire et de Greg.
00:32On parlait de la Béry.
00:34Et de nous, non.
00:44Alors, le 13 novembre, oui, j'allais prendre le service.
00:47À l'époque, j'habitais en Seine-et-Marne.
00:49Donc, je prenais le train, le métro, puis le bus.
00:52Ce soir-là, dans le train, j'étais avec deux, trois collègues.
00:56Personne n'écoutait le match de foot.
00:57Et entre le train, le métro et le bus, il n'y avait pas d'agitation particulière.
01:02Donc, j'arrive à la base et on a un véhicule police qui rentre à vive allure dans la base.
01:08Et j'ai au collègue, il pourrait rouler doucement quand même, il y a des piétons.
01:11Le collègue me répond, oui, mais ça tire sur le 10.
01:13Le tir, c'est des coups de feu.
01:14Alors, je ne dirais pas que c'est monnaie courant, mais bon, des coups de feu.
01:18Donc, on ne prête pas attention, on descend et là, on dit, les gars, on s'équipe rapidement.
01:22Je prends mon gilet pare-balle, mon âme de service.
01:24Je pars sur le 10, mais sans savoir où et pourquoi.
01:28Une sensation bizarre, c'est que lorsque je monte dans la voiture, j'ai comme un dédoublement de personnalité.
01:34C'est-à-dire que je monte dans la voiture, sans que dans la voiture, peut-être que les collègues parlent.
01:38Il y a la radio, mais je n'entends rien.
01:39À un moment, la voiture stoppe, là, on descend du véhicule et on intervient au niveau des barres.
01:44Je vois effectivement les secours, des collègues, une agitation, voilà.
01:48Il y a un phénomène bizarre, c'est qu'il n'y a pas de bruit.
01:52Il y a du bruit, forcément, mais moi, je ne l'entends pas.
01:55Notre autorité, c'est un major, il nous dit, les gars, on va au Bataclan.
01:58Et on arrive à l'angle Voltaire-Oberkampf, on nous stoppe.
02:02Il y a une autorité de la BRI qui dit, en gros, vous ne rentrez pas dans le périmètre,
02:07on attend la BRI pour pouvoir intervenir.
02:09Mais il y a une autorité, je pense, un commissaire de chez nous, il y en avait deux,
02:13ou un officier qui vient, là, les gars, en gros, on a besoin de vous, on y va.
02:16Donc là, on passe outre l'ordre de l'autorité BRI.
02:20Et on y va.
02:21Donc, nous, on se dirige vers l'entrée du Bataclan.
02:24Les gens sortent.
02:25Une de nos missions, c'était de canaliser ce flux
02:27pour qu'ils longent le bâtiment en direction d'Oberkampf
02:31pour éviter qu'il s'éparpille un peu dans la nature.
02:33L'image qui me marque à ce moment-là, c'est leur regard.
02:37C'était la terreur dans leurs yeux.
02:38Je n'étais pas au courant d'où ils venaient.
02:40D'où, oui, mais ce qu'ils avaient vécu, je ne savais pas.
02:43Je suis au niveau, à l'entrée, et on arrive dans le sas.
02:47Et là, ma première vision de mort,
02:51c'était un des videurs qui était sur la gauche,
02:53il était agenouillé, enfin accroupi.
02:56Là, on évacue encore les gens qui sortent par eux-mêmes du Bataclan.
03:04Donc, on fait des allers-retours entre l'entrée du Bataclan et les secours.
03:09Combien j'en fais ? J'en sais rien.
03:11Et sur un de mes retours, je croise une femme
03:14qui va me hanter, me marquer pendant très longtemps.
03:19C'est l'image qui va revenir très souvent
03:22lorsque, le matin, quand j'entre à la maison, je m'endors.
03:25Je crois cette femme, avec ce visage arraché,
03:28donc ça dure, c'est furtif.
03:30Et là, moi, je suis face aux portes du Bataclan.
03:35Notre commissaire nous dit, les gars, en gros,
03:37c'est un peu ces termes, si je me souviens bien,
03:39que de l'autre côté, c'est un carnage.
03:41Ceux qui veulent rentrer, rentrent.
03:43Ceux qui ne veulent pas, ou ne peuvent pas,
03:46il n'en tient pas rigueur.
03:48Lui, il sait très bien que si on rentre dans le Bataclan,
03:52il peut nous envoyer à la mort.
03:53Parce que, lui, il sait.
03:55Moi, je ne sais pas.
03:56Peut-être qu'en ouvrant les portes,
03:58ils étaient derrière.
03:59Et voilà, pour nous, ça aurait été terminé.
04:02Parce que ce n'est pas avec nos gilets pare-balles individuels
04:04qu'on arrête une cartouche de Kalashnikov.
04:07Donc, on rentre et on y va.
04:08Voilà. Donc, au début, notre regard,
04:11c'est des cartouches, des chargeurs, des personnes.
04:15Mais on fait exception de tout ça.
04:17Et là, il y a des questions qui se posent.
04:20Donc, il y a des questions en tant que flics.
04:24Et puis, après, il y a une analyse d'hommes.
04:28Donc, les questions de flics, c'est
04:29où, quand, comment, pourquoi.
04:32Où sont-ils ?
04:34Comment ? S'ils interviennent ?
04:35Qu'est-ce qu'on fait ?
04:36Et mon regard d'homme, moi, c'est, comme il y avait la lumière,
04:39j'aperçois ce qu'on peut voir.
04:44Cette agence, les râles, les appels au secours, les téléphones.
04:50Moi, je voyais des téléphones se lever, dans la fosse, se lever.
04:52Mais le téléphone que je voyais 30 secondes ou une minute avant,
04:57je ne le vois plus se lever.
04:59Après, voilà, on se met en position et on attend.
05:01Si les terroristes devaient réapparaître,
05:05à nous d'ouvrir le feu.
05:06Et à un moment, c'est pareil, il y a comme un ordre qui dit
05:08qu'il faut des mains pour évacuer les blessés.
05:10On descend dans la fosse.
05:11Combien d'allers-retours j'ai fait ?
05:13Je n'en sais rien.
05:13La première personne, j'apprends par les gens,
05:15mais quand on regarde la scène, on est sur la gauche.
05:17Donc, il y a tout à repasser devant.
05:19Et du coup, quand je fais marche arrière,
05:22je fais attention où je mets mes pieds.
05:24Parce qu'on sait qu'il y a des gens.
05:26Puis bon, ça glisse, on fait attention.
05:28Donc après, ces personnes-là, on les dépose au niveau du sas.
05:31Il y a d'autres collègues qui font le sas secours.
05:33Donc là, on revient.
05:35Et une des personnes,
05:36alors c'est un jeune homme d'une trentaine d'années,
05:38un brin, un lunette,
05:40je le dépose pratiquement au niveau du sas.
05:41Cet homme, je ne sais pas s'il a survécu.
05:43Je ne connais pas sa blessure.
05:45Donc, on a des collègues aussi de l'autre côté
05:46qui sauvent un enfant
05:47qui était avec le casque anti-bruit
05:50sous le corps de sa mère et de sa grand-mère.
05:53Un collègue qui voit ça,
05:54il le secoue.
05:55Il me donnait à un autre collègue
05:56qu'il évacue du Bataclan.
05:59Voilà, on a tous vécu
06:01chacun individuellement quelque chose.
06:05Chacun a vécu son Bataclan.
06:07À un moment,
06:08la Béry doit arriver.
06:09Et puis là, le commissaire de la Béry
06:11a autorité sur le commissaire de la BAC.
06:13Et là, il y a un autre qui dit,
06:15en gros, les gars, merci, au revoir, sortez.
06:18Donc là, on se retrouve dehors.
06:20Et là, on entend effectivement
06:21ce qu'on entend tous,
06:23les tirs, les détonations.
06:25Et puis au moment où j'entends
06:27les détonations,
06:29je me dis, ah, ça y est, c'est terminé.
06:30Je n'ai jamais fait de cauchemar
06:36après le Bataclan.
06:38Je n'ai jamais pris de médicaments.
06:39Comme je disais tout à l'heure,
06:40la seule vision que j'avais,
06:42c'était cette femme
06:42avec son visage,
06:45son demi-visage.
06:46Comme j'avais moi
06:47et puis le surmoi.
06:49Est-ce que c'est ça
06:50qui m'a protégé ?
06:52Je pense que oui.
06:53J'ai vu des psys,
06:54des doublments de personnalité
06:56m'a aidé
06:56à ne pas trop être impacté.
06:59Moi, je me suis toujours dit
06:59que je ne suis pas
07:01une victime du terrorisme
07:02parce que je n'ai pas subi.
07:04J'ai subi sans subir.
07:05Je n'étais pas au bar.
07:07Je n'étais pas en train
07:08de m'amuser à écouter
07:09avec des copains,
07:10un groupe de harbes.
07:11Je suis intervenu
07:12en tant que policier.
07:14Donc c'était notre devoir
07:16d'y aller.
07:16On est impacté,
07:17mais je ne suis pas une victime
07:19comme les vraies victimes.
07:26Mon histoire,
07:27je la racontais
07:27à des dizaines de personnes
07:28après le...
07:28après cette nuit-là.
07:31Beaucoup m'ont écouté,
07:32mais combien m'ont cru ?
07:33Entre ce que moi,
07:34je racontais
07:34et ce que les médias
07:36télévisés ou écrits
07:38racontaient,
07:39on parlait du commissaire
07:40et de Greg,
07:41on parlait de la BRI,
07:43et de nous,
07:45non.
07:45On va dire,
07:45dix ans après,
07:46tourne la page,
07:47fais autre chose.
07:48Je dis non,
07:49je ne peux pas aujourd'hui,
07:50je ne veux pas
07:51que notre action
07:52soit minimisée
07:54ou oubliée.
07:55Depuis 2021,
07:56depuis le procès,
07:57depuis que j'ai pris conscience
07:58et connaissance
08:00de plein de choses,
08:01j'ai dit,
08:01ah ouais,
08:01quand même,
08:02il faut imaginer
08:03l'action de cette nuit-là
08:04en trois cassettes.
08:05La première,
08:06c'est le commissaire
08:06et de Greg.
08:07La deuxième cassette,
08:08c'est notre intervention.
08:09Et la troisième cassette,
08:10c'est l'intention de la BRI.
08:11Dans toutes les vidéos,
08:12il y a des séances,
08:13on s'en fout.
08:14Donc on la retire.
08:15Et c'est ce qu'il y a fait.
08:16Donc,
08:17le après-bataclan,
08:18c'est cassettes 1 et 3.
08:19La numéro 2,
08:20on va en mettre de côté.
08:21Sauf que la cassette numéro 2
08:22en 2021,
08:24avec mes collègues,
08:24on la ressort.
08:25Au procès ?
08:26On n'a rien inventé.
08:27On a été cru
08:28parce qu'on a été reconnus
08:29victimes du terrorisme.
08:30Donc c'est déjà
08:31un premier pas
08:32à la reconnaissance.
08:34Aujourd'hui,
08:35on se fait des réflexions.
08:36Enfin,
08:37certains d'entre nous,
08:38on n'a pas été conviés,
08:39nous,
08:39à la commission parlementaire
08:40d'enquête.
08:41On n'a pas été invités
08:42aux cérémonies,
08:43aux invalides,
08:43juste après des attentats.
08:45Mais ça,
08:46c'est la faute à qui ?
08:48Si on n'est pas invités
08:49à ce moment-là,
08:49c'est que, quelque part,
08:51on n'existe pas dans l'histoire.
08:52On n'a pas la réponse
08:53à nos pourquoi.
08:55Moi, j'ai plein de pourquoi.
08:56On n'est pas dit
08:56vraiment ce qu'on a fait.
08:58Alors, c'est vrai
08:58qu'on a secouru des baissés.
09:00Oui,
09:01comme plein de fonctionnaires.
09:03Mais notre attention
09:04dans le Vata-Clan,
09:05on n'est pas 400
09:07ou 500 à l'avoir fait.
09:08On est peut-être
09:0925 ou 30.
09:10Mais les pourquoi,
09:11j'en ai plein.
09:12Des questions,
09:13j'en ai plein.
09:13Est-ce qu'un jour,
09:14j'aurai des réponses ?
09:16On aura des réponses à ça ?
09:18Je parle beaucoup
09:19à mon nom propre,
09:19je parle aussi
09:20pour mes collègues
09:21qui ne peuvent pas s'exprimer.
09:23Il nous manque
09:24cette reconnaissance nationale.
09:26Moi, je pense que ma vie,
09:27je l'ai risquée.
09:28Ce que je souhaite,
09:28c'est un peu prétentieux
09:29pour certains,
09:30mais je milite
09:31pour avoir la Légion d'honneur.
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