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00:00– Bonjour Aurélie Sylvestre. – Bonjour.
00:08– Et bienvenue sur ce plateau. Vous signez « Dépliez le cœur » qui est sorti au Seuil.
00:13À vos côtés, David Fritz-Göppinger, bonjour. – Bonjour.
00:16– Vous signez « Il fallait vivre » qui est sorti aux éditions Le Duc.
00:19Votre histoire a inspiré la série « Des vivants » qui est visible en ce moment sur France Télévisions,
00:24réalisée par Jean-Xavier Delestrade. Et puis bonjour Arthur Desnouveaux. – Bonjour.
00:28Président de l'association de victimes des attentats de novembre 2015 à Saint-Denis,
00:33sur les terrasses parisiennes et au Bataclan. L'association s'appelle « Life for Paris ».
00:37Vous publiez « Vivre après le Bataclan » qui est sorti aux éditions du Cerf.
00:42Vous vous connaissez bien, tous les trois, vous avez été frappés par le même mal.
00:46Il y a dix ans, ce 13 novembre 2015, Arthur et David, vous étiez allé voir un concert au Bataclan.
00:52Vous avez survécu à l'horreur. Arthur, vous étiez dans la fosse dont vous avez pu vous extraire.
00:57David, vous avez été pris en otage par deux terroristes au premier étage du Bataclan.
01:02Vous avez été sauvé par les hommes de la BRI.
01:04Aurélie, vous n'étiez pas au Bataclan ce soir-là, mais votre compagnon, oui, il s'appelait Mathieu.
01:08Il avait 38 ans. À l'époque, le petit garçon que vous avez eu ensemble avait trois ans.
01:13Et vous étiez enceinte de votre deuxième enfant, une petite fille qui est née quelques mois.
01:17Après les attentats, on imagine sans doute mal la difficulté qui est la vôtre de vous exprimer en ce mois de novembre.
01:23Qui plus est en cette date anniversaire ? Alors, merci beaucoup de votre confiance.
01:27Cette émission a été enregistrée il y a quelques jours dans les conditions du direct.
01:33Précisément, où en êtes-vous après ces dix ans, Aurélie ?
01:37C'est une très, très vaste question. Vous me posez la question très proche du 13 novembre.
01:43C'est difficile de répondre à cette question à ce moment-là parce qu'on est dans un moment de notre histoire qui est inflammé.
01:49Et en fait, on n'est pas tout à fait dans notre assiette à ce moment-là.
01:52Donc, voilà. Moi, je vais globalement bien, mais en ce moment, c'est un peu compliqué, évidemment.
01:58David ?
01:59Oui, pareil. Je pense que c'est le bon mot, inflammé.
02:02On est dans un truc de mémoire qu'on ne contrôle pas, qu'on ne maîtrise pas vraiment.
02:07Arthur, il y a l'état global et puis il y a ce mois de novembre.
02:12Oui, j'ai l'impression que c'est une apnée à partir. Alors moi, je mets ça, je m'en suis rendu compte là, au changement d'heure.
02:18Juste parce que la lumière et tout ça se resynchronise au changement d'heure et ça ressemble au 13 novembre.
02:24En tout cas, moi, c'est ce que j'ai vécu, cette espèce d'humidité, ainsi de suite.
02:27Et j'ai l'impression d'entrer dans ce que j'appelle le tunnel.
02:30Il y a le tunnel qui approche les commémorations et qui est, je pense, une forme de blindage aussi, en fait.
02:36Et tous les trois, je crois qu'on le partage, on en parle quand même pas mal.
02:40Mais finalement, en parler, ça évite d'avoir le temps de trop y penser.
02:44Et moi, c'est le 14 que le contre-coup arrive.
02:46Je pense que les cinq ou six premières années, le 14, j'étais invariablement malade.
02:50Et donc voilà, ça va bien.
02:52Mais l'emprise que ça a sur un bout de nos vies, sur notre santé, est quand même effrayante dix ans après.
02:59Aurélie et David, vos deux livres font écho à ce qu'ont été ces dix ans,
03:03mais aussi, surtout, à ce qu'a été le procès des attentats de novembre 2015.
03:08À quel besoin l'écriture de ces livres correspond, Aurélie ?
03:12Moi, le procès des attentats a tout changé dans ma vie,
03:16parce que j'y suis allée en ne connaissant rien des faits
03:20et en ne connaissant rien du collectif qu'il y avait eu directement après les attentats,
03:25parce que moi, je suis très restée chez moi avec mes enfants.
03:27En étant convaincue, vous n'alliez pas y rester, d'ailleurs.
03:29Vous ne vouliez pas vraiment y aller au départ.
03:30Oui, au départ, je ne voulais pas aller au procès.
03:32Et puis, le premier jour, en fait, j'ai compris que j'allais être happée
03:34par l'envie peut-être d'en savoir plus sur les circonstances
03:38qui avaient fait que Mathieu n'était pas que mort, mais qu'il avait été assassiné.
03:42Et chemin faisant, j'ai découvert le collectif,
03:44la puissance d'être ensemble, de pouvoir partager nos récits.
03:47Donc, le procès des attentats a tout changé dans ma vie.
03:50Et j'ai imaginé à la fin du procès
03:52que les choses allaient se remettre en place dans mon esprit, dans ma tête,
03:56que ça allait se ranger, en fait.
03:57Et ça n'a pas été le cas.
03:58Et donc, l'écriture a été, pour moi, l'occasion de me poser,
04:03de réfléchir et de mettre des liens,
04:05de faire des suites un peu logiques,
04:07et puis de raconter aussi tout ça.
04:09Mais c'était une façon de ranger, pour moi.
04:11L'écriture a été un moyen de comprendre.
04:12David, ce procès, vous l'avez aussi raconté pour la radio.
04:17Vous avez pris en photo aussi énormément de parties civiles dans ce procès.
04:22Et puis, ce besoin de le raconter, à votre façon aussi,
04:25de vous en faire vôtre.
04:27Oui, oui, oui.
04:28En fait, moi, je vais au procès sans rien attendre.
04:31C'est-à-dire que j'y vais.
04:32C'est pas que je n'ai pas confiance en la justice ou quoi,
04:33mais j'y vais vraiment comme n'importe qui,
04:38un procès, quoi.
04:39Et donc, j'y vais armé d'un projet que j'ai monté avec France Info
04:42et Gaëlle Joly, qui est journaliste au service PJ de France Info Radio,
04:45qui a eu l'idée, en fait, de tenir un journal de bord
04:47tout au long de l'audience,
04:49avec des photos et des écrits de mon quotidien,
04:54de choses que je traverse, etc.
04:55Et en fait, ça s'est lentement transformé
04:57dans un truc un peu commémoratif.
04:59Donc, je proposais aux parties civiles qui venaient à la barre déposer,
05:02de les prendre en photo, de parler d'elles, etc.
05:04Et toujours en ayant comme ligne de vue
05:07le fait de témoigner de ce qui se passait à l'intérieur pour l'extérieur, quoi.
05:12Mais ça, c'est ce que j'ai vécu dans le procès in situ.
05:14Et j'en suis sorti un peu frustré en me disant
05:16que j'ai beaucoup parlé des autres,
05:18j'ai beaucoup parlé de moi,
05:20mais sans vraiment aller au fond des choses.
05:22Et c'est pour ça que j'ai eu envie d'écrire ce livre ensuite.
05:24Il n'y a pas de façon d'être victime,
05:27dit François Mélin-Mollins,
05:28dans la préface de votre livre, David.
05:30Et c'est peut-être le sujet que j'aimerais aborder avec vous
05:33pendant cette émission,
05:35avec ce statut de victime que vous portez,
05:39malgré vous, bien sûr, depuis dix ans.
05:40Il y a toute une série d'injonctions
05:42que vous avez subies
05:44au cours de ces dix dernières années.
05:46J'aimerais qu'on en parcourt quelques-unes.
05:49Parmi celles qui me viennent à la lecture
05:51de tous vos livres et de vos témoignages
05:53ces dix dernières années,
05:53il y a une espèce d'injonction à la dignité,
05:57comme si c'était moralement supérieur
05:59au fait de se sentir en colère
06:01ou de ressentir de la haine.
06:03Qu'est-ce qu'on en fait de cette injonction-là ?
06:04C'est vraiment une injonction
06:05qu'on entend beaucoup, notamment au procès.
06:07Les partis civils ont été dignes,
06:09ont trouvé les familles très dignes.
06:11Bon, ce modo, c'est qu'elles n'ont pas eu
06:12une parole qui est dépassée du cadre.
06:15Et ça, moi, j'ai toujours trouvé ça difficile.
06:19Je trouve ça difficile depuis que je m'y suis confronté.
06:21C'est-à-dire que, pour moi,
06:23dans la vie d'après,
06:23il faut retrouver la même palette d'émotions
06:25que celle qu'on avait avant.
06:26Et donc, avoir de temps en temps la colère,
06:30si on en avait avant,
06:31avoir de la joie,
06:31avoir ainsi de suite.
06:33Et donc, être aussi un peu indigne.
06:35Enfin, je ne sais pas
06:36s'il y a des êtres humains
06:37qui arrivent à être dignes tout le temps,
06:38mais ça doit être très fatigant.
06:39Moi, ce n'est pas mon cas.
06:40Et donc, au procès, par exemple,
06:42je sais qu'à titre personnel,
06:44des fois, j'ai été un peu outrancier
06:45dans mes commentaires,
06:46toutes ces choses-là.
06:47Je ne me renie pas.
06:49Je ne sais pas
06:49que j'en sois particulièrement fier.
06:51Mais je crois qu'on ne peut pas
06:52à la fois dire aux victimes,
06:53on souhaite que vous alliez mieux
06:54et que vous réussissiez
06:55à renouer avec une vie normale
06:57et votre dignité
06:58est ce qui nous éclaire tous.
07:00Non, je crois que si on a
07:01quelque chose à éclairer,
07:03c'est notre normalité.
07:04Et que ça, c'est déjà fabuleux
07:05quand on arrive à la toucher du doigt.
07:07Le droit à l'indignité,
07:08ça vous parle ?
07:09Oui, je pense qu'en tant que victime,
07:11on essaie aussi de saisir
07:12la chance d'exister
07:14à travers nos ambivalences
07:15et dire qu'on peut être victime
07:17sans être victime.
07:17Je pense que ce truc
07:18de revenir à soi
07:19et à la fois d'écrire des livres
07:21et de créer une narration personnelle,
07:23c'est aussi l'occasion
07:24de dire au monde
07:24qu'on n'est pas seulement
07:27des êtres dignes, forts, beaux, etc.
07:30Et de pouvoir dire qu'on souffre
07:31ou à l'inverse,
07:31qu'on se sent plus fort.
07:33Enfin voilà.
07:34Je pense que la vie est complexe.
07:36Donc en tout cas,
07:38c'est l'idée que je m'en fais
07:39dix ans après
07:40et dont il faut témoigner
07:41et continuer à témoigner.
07:42Et retrouver la complexité,
07:43c'est aussi renouer
07:44avec la vie d'avant,
07:45celle que vous étiez avant,
07:47novembre de l'année.
07:47Non, ça c'est fini.
07:48Non, ça vraiment,
07:50je pense qu'on est tous les trois
07:51d'accord là-dessus.
07:51La vie d'avant,
07:52telle qu'elle était,
07:53on ne la connaîtra plus jamais.
07:54Et donc tout l'enjeu pour nous,
07:56c'est de réaménager l'existence,
07:58ce qui reste,
07:59et créer autre chose aussi.
08:00Mais imaginer qu'on revient,
08:02ce n'est pas possible.
08:03Non, mais ce que je veux dire,
08:04c'est retrouver l'ambivalence
08:05qu'on peut avoir.
08:08Pas une vie déséquilibrée, en fait.
08:10Pas une vie où on se dit
08:11parce que ça m'est arrivé.
08:13C'est je vis et ça m'est arrivé,
08:15donc qu'est-ce que j'en fais ?
08:16Autre injonction dont j'ai l'impression
08:19que vous faites l'écho dans vos livres,
08:20c'est l'injonction à l'incarnation.
08:22Et d'une certaine façon,
08:23ce plateau en est l'illustration.
08:26Vous êtes devenu à nouveau,
08:27malgré vous,
08:28les visages de cette horreur
08:29que vous avez d'abord vécu, vous,
08:31et qu'on a vécu collectivement
08:33il y a dix ans.
08:34Il vous faut porter
08:35le fait d'être ces visages-là.
08:38Aurélie,
08:39il y a quelque chose qui s'est joué
08:41autour de votre situation.
08:42Vous étiez enceinte
08:44et d'une certaine façon,
08:45on est tous entrés
08:46dans votre intimité.
08:50Comment vous avez fait ça ?
08:52Comment vous avez...
08:54J'ai bien fait comme j'ai pu.
08:56Mais oui, c'est d'abord...
08:59Au tout début, effectivement,
09:00j'ai été un petit peu médiatisée,
09:02un peu malgré moi,
09:03et c'est devenu quelque chose
09:04qui m'a un peu gênée.
09:05Et ensuite, moi,
09:06le procès m'a permis
09:07de me rendre compte
09:08en allant témoigner,
09:08parce que mon témoignage
09:11a été publié
09:12à une grande viralité,
09:13je me suis rendu compte
09:14que j'étais un témoin.
09:15Et alors,
09:15je m'en suis emparée
09:16en me disant
09:16je l'accepte dans cette part-là
09:18qui est celle que je veux bien donner.
09:20C'est-à-dire, voilà,
09:21j'écris un livre
09:21et ensuite, je viens parler.
09:23Mais je n'ai pas de mission,
09:25aucune.
09:27David,
09:28les images de vous
09:29suspendues à la balustrade
09:31du Bataclan
09:31ont fait le tour du monde
09:33et vous le racontez aussi.
09:34D'une certaine façon,
09:36cette image-là
09:36est arrivée
09:37avant même votre témoignage.
09:39Dès le lendemain,
09:40en fait,
09:40moi je rentre le 14 novembre,
09:42je rentre chez mes parents en banlieue
09:43et en fait,
09:44lorsque je raconte ça
09:44à mes parents,
09:45mes parents me disent
09:46mais attends,
09:46on t'a vu à la télé, quoi.
09:48Donc, ça,
09:49j'en ai beaucoup voulu
09:51aux journalistes du monde,
09:53Daniel Abseni,
09:53qui d'ailleurs
09:53sort un documentaire
09:54à ce sujet en ce moment,
09:56d'avoir enregistré
09:57ces images.
09:58Mais en fait,
10:00j'en ai voulu
10:01pendant un temps
10:02et puis après,
10:02c'est passé
10:02parce que j'ai compris
10:03que aujourd'hui,
10:04ces images-là,
10:05elles témoignent de quelque chose
10:06d'assez cru
10:07et assez réel
10:08de ce qui s'est passé
10:08dans ce passage
10:09Saint-Père-Hamelot.
10:11Mais je pense
10:11que cette exposition médiatique,
10:13moi je l'ai...
10:14Faire des interviews
10:15dans les temps
10:16qui ont suivi les attentats,
10:17c'était aussi aller
10:18à rebours,
10:18en fait,
10:19à l'encontre
10:19de cette image de moi
10:20qui était suspendue
10:21à la fenêtre.
10:22Donc déjà,
10:22ce que j'ai fait,
10:22c'était,
10:23je l'ai revendiqué,
10:23cette image,
10:24j'ai dit,
10:24bon,
10:24c'est moi en fait,
10:25c'est moi et non seulement ça,
10:26à côté de moi,
10:26c'est Sébastien
10:27et en dessous,
10:28c'est cette jeune femme enceinte.
10:29Donc,
10:29il y a ce truc de dire,
10:31ouais,
10:31je suis à la fois
10:32le sujet de cette vidéo
10:34mais je peux essayer
10:35de redevenir sujet
10:36en en parlant
10:37et en expliquant
10:38que derrière cet homme
10:40qui décide d'enregistrer
10:41avec son téléphone,
10:42il y a quelqu'un
10:43qui a peur,
10:43il y a quelqu'un
10:43qui est humain en fait
10:45et qui à ce moment-là
10:46est presque en train
10:47de mourir en fait.
10:48Ce sentiment parfois
10:49d'avoir été dépossédé
10:50de vos propres histoires,
10:51la grande histoire
10:52ayant,
10:53étant venue percuter
10:54vos histoires personnelles ?
10:56Ouais,
10:56moi ça a quand même
10:57été plus progressif
10:58parce qu'en fait,
10:58j'ai passé
10:59les premières années
10:59à parler plutôt
11:00en tant que dirigeant
11:01d'association.
11:02Et ensuite,
11:02je fais le choix conscient
11:03au moment du procès
11:04pour que ce ne soit pas
11:04le procès des terroristes
11:06dont je ne dirais pas
11:07le nom aujourd'hui
11:07mais que ce soit aussi
11:09le procès de certaines victimes
11:10bien identifiées
11:11de m'exposer plus
11:12et d'accepter
11:12de donner à ma vie privée.
11:14Mais pour le coup,
11:14moi je connais aussi
11:15le sentiment
11:15parce que la première fois
11:16que je parle à Aurélie,
11:18ce que je connais d'Aurélie,
11:19c'est son témoignage
11:20parce que moi aussi
11:21j'ai été frappé
11:22par sa viralité
11:22et qu'on avait beau
11:23être dans la même salle d'audience
11:24et s'adresser un signe de tête
11:26parce qu'on savait
11:26chacun qui en était.
11:28On ne s'était jamais parlé
11:28et on se retrouve
11:29à une soirée
11:30début décembre
11:31à la fin
11:32des journées d'audience
11:34avant la trêve.
11:37Et évidemment,
11:37moi aussi,
11:38je suis saisi du vertige
11:39de mais en fait,
11:40il y a bien une personne derrière
11:41et c'est vachement plus compliqué
11:42que ce qu'elle a dit.
11:43David, lui,
11:44je l'ai connu
11:44avant qu'il y ait...
11:46En fait,
11:46j'ai un peu raté
11:47cette première phase
11:48parce que j'étais sous le choc
11:48puis après,
11:49moi je l'ai connu
11:49en tant que...
11:50c'est David quoi.
11:52Et puis après,
11:52il est redevenu grand
11:53donc c'est...
11:55T'étais pas tout petit.
11:57Mais donc,
11:58c'est étrange.
11:59En fait,
12:00de toute façon,
12:01moi j'ai l'impression
12:01que coexistent
12:03Arthur Desnouveaux
12:03personnes publiques
12:04et Arthur Desnouveaux
12:06personnes privées.
12:07Et vous posez la question
12:07du droit à l'oubli
12:08à titre personnel,
12:10à titre individuel ?
12:11Du droit et de la possibilité
12:12parce que je pense
12:13qu'on a tous quand même
12:15cette peur
12:16que notre expérience
12:16ne serve à rien
12:17et qu'on soit oublié.
12:19Et moi,
12:19en tout cas,
12:19en tant que dirigeant d'assaut,
12:20j'ai toujours eu l'idée
12:21qu'il fallait des institutions
12:22qu'il fallait un musée,
12:23qu'il fallait des grandes associations
12:24qui puissent venir nous chercher
12:26pour témoigner.
12:26Musée dont l'ouverture
12:27a été finalement spécialisée.
12:29Voilà.
12:29Normalement,
12:30c'est bon,
12:30c'est dans le 13e,
12:31dans une caserne,
12:31ça devrait être bien.
12:32Mais qu'en tout cas,
12:33eux puissent venir nous chercher
12:34et dire,
12:34tiens,
12:34est-ce que ça vous intéresse
12:35d'aller témoigner dans une école ?
12:37Mais j'avais toujours
12:38cette vision ambivalente
12:39des rescapés de la Shoah
12:41que je voyais témoigner.
12:42Je me demandais,
12:42est-ce que c'est eux
12:42qui en permanence
12:43vont demander
12:45je veux témoigner
12:46pour pas qu'on m'oublie ?
12:47Et donc,
12:47il y a le droit,
12:48il y a la possibilité.
12:49C'est un truc
12:49autour duquel je tourne
12:51parce que oui,
12:52j'aimerais bien oublier,
12:53mais si je le fais,
12:53je ne suis pas fidèle à moi-même.
12:55Bon,
12:5510 ans,
12:55c'est court en fait aussi.
12:57Vous voudriez qu'on vous oublie
12:58individuellement
12:59mais pas collectivement,
13:00évidemment ?
13:02Non,
13:03mais après,
13:03moi,
13:04je veux nuancer
13:05dans la mesure où,
13:06moi,
13:07je sais qu'il y a des moments
13:08où je suis très exposée
13:08et la plupart du temps,
13:09je ne le suis pas du tout
13:10en fait
13:10et que dans aucun des états,
13:12il y a une normalité
13:13en fait.
13:14C'est-à-dire que
13:14quand on est en période
13:16inflammatoire comme là
13:17où on est un peu partout,
13:18on raconte notre histoire,
13:19notre histoire est tout à coup
13:20tellement intéressante
13:21qu'on va d'un plateau
13:22à un autre
13:23et puis en fait,
13:23le 14 novembre,
13:24je serai à nouveau
13:25cette Aurélie,
13:26juste Aurélie
13:27qui a une vie normale
13:28mais pas tout à fait
13:29parce que je suis un peu à côté
13:30parce que j'ai encore
13:31cette histoire
13:32et on passe de l'un à l'autre
13:33de zéro à cent
13:35en une seconde quoi
13:36et c'est ça
13:36qui est,
13:37je trouve,
13:37pas facile à vivre
13:38dans nos trucs
13:39et sur l'histoire
13:40du droit à l'oubli.
13:41Moi,
13:41j'ai aussi deux enfants
13:44pour répondre à cette question-là,
13:46c'est difficile
13:46parce que j'aimerais à la fois
13:47oui,
13:49avoir un peu la paix
13:50et en même temps,
13:51je me dis que voilà,
13:52leur père a été assassiné,
13:53il faut quand même
13:54faire attention
13:55à ce dont on va se souvenir.
13:58Sur ce truc de droit à l'oubli,
14:00je pense qu'Arthur
14:01le dit bien aussi,
14:02c'est qu'en disant,
14:03c'est court en effet,
14:04mais on a réussi à construire,
14:04la société civile
14:06a réussi à construire
14:06toutes sortes de ressources
14:08dont elle pourra elle-même
14:10se servir pour interroger
14:12ce qui s'est passé
14:12durant ces dix années
14:13et même le 13 novembre.
14:14Je pense que ce musée mémorial,
14:15il en parle,
14:17les associations de victimes
14:17et leurs reliquats
14:18vont en parler,
14:20les différentes études scientifiques
14:21vont en parler aussi,
14:22donc à un moment donné,
14:23il y a quand même ce truc
14:23de dire,
14:24moi individuellement,
14:25je souhaiterais qu'on m'oublie,
14:26je souhaiterais qu'on oublie
14:28l'individu
14:28et qu'on se rappelle
14:29de l'histoire dans sa globalité,
14:30mais en même temps,
14:31on a tous participé,
14:33nous en tant que victime,
14:34en tout cas celles
14:34qui ont ressenti le besoin
14:36à des choses,
14:37à des ressources
14:37très puissantes,
14:39très représentatives
14:40de ce que le terrorisme
14:42nous a fait à nous
14:44en tant qu'individu
14:45et aussi à nous
14:45en tant que société.
14:46Donc je pense que ces dix ans,
14:47c'est aussi peut-être
14:48ce point de départ
14:49de dire,
14:49bon,
14:50les victimes,
14:50en tout cas peut-être
14:51nous,
14:51moi en tout cas
14:52en tant qu'individu,
14:52l'idée,
14:53je veux être oublié
14:53en même temps,
14:54de ce que j'ai donné
14:55de ma personne
14:56durant ces dix années,
14:57il va en rester des choses.
14:59On parlait du procès,
15:00il y a les archives nationales
15:02qui sont venues récolter
15:02tout un tas de choses
15:03sur les travaux,
15:04des parties civiles
15:05sur les procès,
15:05dont les miens bien sûr,
15:06la presse aussi participe,
15:09etc.
15:09Donc je pense que c'est,
15:10là on est vraiment
15:11à l'aube de peut-être
15:12quelque chose
15:13de plus global,
15:14peut-être plus,
15:15ouais,
15:15plus collectif.
15:16– Question de savoir
15:17ce qu'on en fera
15:18de tout ça,
15:19on y reviendra
15:19dans un instant.
15:20Dernière injonction
15:21qui frappe
15:21quand on lit vos récits
15:23et qu'on écoute
15:23vos témoignages,
15:25cette injonction
15:26à la résilience,
15:27je crois que vous partagez
15:28tous les trois
15:29une espèce de haine absolue
15:31pour ce mot.
15:33Arthur,
15:33vous écrivez notamment
15:34que c'est un mot
15:35qui empêche
15:36de réfléchir.
15:39– Je pense,
15:40là je tire en premier
15:41mais je vais lui laisser
15:42achever la bête après.
15:44– C'est insupportable.
15:45– Il y a quand même
15:46la vraie résilience,
15:47celle que les psychologues connaissent,
15:48que Boris Cyrulnik
15:49a développée dans des livres,
15:50qui est fine.
15:51Et puis il y a
15:52le bloubi-boulga
15:52qu'on en a fait,
15:53où on a quand même
15:54l'impression
15:54qu'on doit tous
15:56pouvoir être capables
15:57d'aller piocher
15:57en soi-même
15:58pour revenir
15:59là où on en était.
16:00Ça c'est faux.
16:01On va s'aider des autres
16:03pour revenir à un état
16:04qui n'est pas du tout le même.
16:06Et ça c'est très différent
16:07de l'acception publique
16:09de la résilience
16:10et ça devient
16:11une injonction
16:12qui est hyper difficile
16:13parce qu'en plus
16:13vous n'y arrivez jamais
16:15et donc vous êtes
16:16une mauvaise victime.
16:17Et ça c'est vraiment
16:18très dur.
16:19Mais oui,
16:20la résilience
16:20a un peu ma haine.
16:22– Ça gomme
16:22ce que c'est
16:24que le choc traumatique
16:25en réalité,
16:25la résilience.
16:27Effectivement ce truc de,
16:29je ne sais plus
16:30qui vous dit ça
16:30dans le livre
16:30mais comme si vous étiez
16:32une balle.
16:33– Oui,
16:33une balle qui a rebondi.
16:34– Voilà.
16:35– Et en fait,
16:35il y a l'idée
16:36qu'il faut faire quelque chose
16:37de ce qu'on nous a fait
16:38et le rendre un peu chouette
16:40parce que ça doit
16:41irradier autour.
16:43– Bah non,
16:44en fait,
16:45c'est pas,
16:46si c'est vu comme ça,
16:47c'est pas toujours possible
16:48et c'est même pas toujours
16:49souhaitable en fait.
16:51– On en vient à l'idée
16:52de la bonne victime,
16:53celle qui serait digne
16:54et celle qui aurait
16:54épuisé et réussi
16:56à construire,
16:56à avancer.
16:57– C'est quelque chose
17:00que nous,
17:01dans l'injonction,
17:02il y a aussi
17:03un peu d'amour.
17:04Je veux dire,
17:04moi,
17:04quand je vois les gens
17:05autour de moi
17:06qui me parlent de ça,
17:07c'est parce qu'ils ont
17:08cette envie
17:08qu'on puisse leur dire
17:10non mais ça va en fait,
17:12voilà,
17:13si tu ne me rends plus fort,
17:15bah non,
17:16en fait,
17:16pas toujours.
17:18– Ouais,
17:18et puis on en revient
17:19toujours à cette ambivalence
17:20et la complexité quoi.
17:21En fait,
17:21être vivant,
17:22c'est être souffrir,
17:23être heureux,
17:24aimer,
17:25pas aimer,
17:26etc.
17:26et donc cette injonction
17:28à la résilience,
17:29elle est plus une manière
17:30qu'à la société
17:31peut-être de se rassurer
17:32elle-même,
17:32de dire que bon,
17:33on peut vivre un attentat,
17:34on peut vivre une prise d'otage,
17:35on peut perdre quelqu'un
17:36qu'on aime
17:36et continuer à vivre
17:38et sourire et se marrer
17:39et je pense que le truc
17:40qu'il faut comprendre,
17:41c'est que ce n'est pas
17:41parce qu'on rit,
17:43ce n'est pas parce qu'on danse,
17:44ce n'est pas parce qu'on va
17:44avoir des concerts
17:45ou qu'on vit,
17:46que déjà on oublie
17:47nous-mêmes ce qui nous est arrivé
17:48et je veux même rajouter
17:49quelque chose,
17:50ce n'est pas parce qu'on vient
17:51sur des plateaux
17:52en parler
17:53que le soir
17:54quand les lumières s'éteignent
17:55notre traumatisme revient
17:57etc.
17:58et qu'on n'en souffre pas.
17:59La résilience,
18:00pour moi le gros problème
18:01de la résilience
18:01ce n'est pas tant le thème
18:02comme a dit Arthur
18:03qui a été développé
18:04par Boris Cyrulnik,
18:05c'est plus ce que la société
18:06en attend
18:07et à travers ça
18:08ce que la société
18:08attend des victimes.
18:10On le voit
18:11dans les procès
18:11pour les viols de Mazan
18:13à quel point
18:14Gisèle Pellicot
18:14a été retrouvé
18:15vraiment sur la scène
18:17vraiment centrale
18:18de la victimité
18:19et moi ça m'a l'air
18:21parce que je me dis
18:21mais en fait
18:22qu'est-ce qui va se passer
18:23quand le temps va passer
18:24et que Gisèle Pellicot
18:26va revenir
18:26à être une femme
18:27tout simplement.
18:29Et nous en tant que victimes
18:30du terrorisme
18:30d'un attentat
18:31qui est public
18:32dont tout le monde
18:32a connaissance etc.
18:35c'est très dur
18:35parce qu'en effet
18:36on a le droit
18:37d'user de ce droit
18:38à l'oublier
18:39et en même temps
18:39la société attend
18:40des choses de nous
18:41on a besoin
18:41on ressent en tout cas
18:42que des gens
18:43souhaitent être rassurés
18:44d'autres peut-être
18:45en connaître plus etc.
18:46Donc c'est très très complexe.
18:48Ce n'est pas à vous
18:49par ailleurs.
18:49Non ce n'est pas à nous
18:50exactement.
18:51Je pense que cette résilience-là
18:52pour certaines victimes
18:54comme dit Arthur
18:54c'est très dur.
18:56Est-ce que le terrorisme
18:58vous condamne
18:58à être victime
18:59toute votre vie ?
19:00C'est l'une des questions
19:01que vous posez
19:01David dans le livre.
19:03Vous vous demandez
19:03si le procès
19:04des attentats
19:05ne fait pas de vous
19:06des victimes
19:07à la retraite
19:08d'une certaine façon.
19:10Vous vous interrogez
19:10sur ce que vous êtes ?
19:11Oui en fait
19:12ce qui est drôle
19:13c'est que c'est une discussion
19:14qu'on a eue avec Arthur
19:15au mois d'avril 2022
19:16où il vient me voir
19:17et il me dit
19:18mais qu'est-ce qui va rester
19:19de tout ça ?
19:21Et c'est vrai
19:21en fait d'emblée
19:22dès le mois d'avril
19:23on a commencé tout de suite
19:24à se demander
19:25ce qu'on ferait ensuite
19:25et on a très vite compris
19:28que ce qui est ensuite
19:29c'était les 10 ans
19:30donc là on est aux 10 ans
19:31et c'est une question
19:32qui est quasiment abyssale
19:33au mois d'avril
19:34quand Arthur vient me chercher
19:35il me dit ça
19:35il me dit mais mec
19:36qu'est-ce qui va rester
19:36de tout ça en fait ?
19:37Qu'est-ce qui va rester
19:38de tout ça ?
19:38Et donc l'idée
19:40d'être victime à la retraite
19:41c'est aussi de dire
19:41bon bah alors déjà
19:43être victime
19:43c'est pas une identité
19:44c'est pas une profession
19:44je voudrais moi
19:47avoir 80 ans
19:48et me retourner
19:48et me dire
19:49ouais bah t'as construit
19:49tout ça de toute ta vie
19:50mais en fait t'as parlé
19:51que d'un seul sujet
19:51et c'est le 13 novembre
19:52ou le terrorisme à la limite
19:53et je trouve pas ça
19:54vraiment normal
19:55et pas vraiment sain non plus
19:56pour reprendre un terme
19:57qu'Arthur utilise beaucoup
19:58Arthur l'association
20:01que vous dirigez
20:03depuis plusieurs années
20:05va être dissoute
20:06ce jeudi 13 novembre
20:08quoi ?
20:10Il y a l'aspect
20:11pratico-pratique
20:12on s'était donné des statuts
20:13avec des objectifs
20:15ces objectifs
20:15on les a remplis
20:16et on savait
20:17dès la fin du procès
20:17qu'on les remplirait
20:18au 13 novembre 2025
20:19en inaugurant un jardin
20:20donc il y avait l'idée
20:21qu'après ça
20:22soit on s'en redonnait
20:23une série
20:24soit on allait un peu dériver
20:25et donc on a voulu
20:27ni l'un ni l'autre
20:28et on s'est dit
20:29qu'on allait s'arrêter
20:30l'autre manière
20:30de voir les choses
20:31c'est qu'on était
20:31en quelque sorte
20:33une entreprise
20:34de salut
20:36et un passage
20:37de je suis victime
20:38à j'ai été victime
20:40et on s'est dit
20:40que c'était le bon moment
20:41pour arrêter
20:42et un peu
20:43essayer de faire
20:43cette conjugaison
20:44au passé
20:44il y a un peu
20:46de magie
20:46et d'entourloupe
20:47derrière
20:47c'est-à-dire que
20:48si on peut faire ça
20:49c'est pas parce que
20:50tout le monde
20:50a tout réglé
20:51c'est parce que
20:51collectivement
20:52on a réussi à faire ça
20:53et puis qu'il y a
20:54des avocats
20:54qui aident ceux
20:55qui ne sont pas
20:55encore indemnisés
20:56il y a des médecins
20:57qui aident ceux
20:57qui ne sont pas
20:58encore soignés
20:58et il y a des associations
21:00d'aide aux victimes
21:01par exemple
21:01je pense à l'association
21:02française des victimes
21:03de terrorisme
21:04dont Aurélie fait partie
21:05qui va permettre
21:06à certains
21:07d'aller chercher
21:12d'association de victimes
21:13c'est-à-dire
21:13on se regroupe
21:13parce qu'on est victime
21:14c'était contradictoire
21:16de rester comme ça
21:17de rester en vie
21:18aussi longtemps que possible
21:19et de dire
21:19j'aimerais bien
21:20ne plus être victime
21:21en fait on a eu
21:23une discussion aussi
21:24tous les trois
21:24je ne sais pas
21:25si vous vous en souvenez
21:26à un moment
21:26où on avait écrit
21:27un texte ensemble
21:27et moi j'ai un rapport
21:29avec le mot victime
21:30qui est particulier
21:31qui est d'abord
21:32je l'ai complètement rejeté
21:33en me disant
21:34c'est très doloriste
21:37et c'est très anesthésiant
21:38donc je me suis dit
21:39non je ne vais pas
21:39leur faire ce plaisir-là
21:40d'être une victime
21:41et puis le procès commence
21:43et on me donne un badge
21:44et de fait je dois
21:45mettre autour de mon cou
21:46quelque chose
21:46qui dit que je suis victime
21:47et en fait effectivement
21:49à un moment donné
21:50on a eu tous les trois
21:51cette discussion
21:51où Arthur et David disaient
21:53on est à la retraite
21:55on a été victime
21:56et c'est là
21:57où j'ai été obligée
21:58de sortir du bois
21:59et ça m'a vraiment fait mal
22:00mais c'était vraiment
22:02du l'heureux
22:02je me souviens
22:03de ce moment-là
22:04où j'ai dit
22:04en fait les gars
22:05tant mieux pour vous
22:06mais moi
22:07en l'occurrence
22:09j'élève deux enfants
22:10qui sont orphelins
22:11deux pères
22:11parce que leur père
22:12a été assassiné
22:13je ne peux pas
22:14rendre mon tablier
22:16en fait
22:17il se trouve que
22:17à jamais il ne rentrera pas
22:19à jamais mes enfants
22:20grandiront sans lui
22:20donc malheureusement
22:22je ne serai jamais
22:23à la retraite
22:24vous êtes victime
22:25et vous n'avez
22:26pas été victime
22:28oui
22:29il y a des mots
22:32qui sont utiles
22:33nulle part
22:34mais ce qui est
22:36le grand enseignement
22:37de ça
22:38c'est que c'est quand même
22:39un sujet
22:39vous vous en doutez
22:40qui intimement
22:40est hyper dur
22:42pour nous trois
22:42et bien qu'est-ce qu'on a fait
22:44on s'est posé
22:44on en a parlé
22:45et ça fonctionne en fait
22:47et qu'Aurélie
22:48ait cette vision-là
22:49moi je la comprends
22:51mille fois
22:51je crois qu'elle comprend
22:52aussi la nôtre
22:54et c'est un des grands
22:55enseignements aussi
22:56de tout ça
22:56c'est qu'on n'est pas obligé
22:57d'être d'accord
22:58pour se respecter
23:00se parler
23:00et même quand nos destins
23:02sont aussi proches
23:03il y a des points de vue
23:04divergents
23:04qui en fait font naître
23:05quelque chose de fort
23:06et ça je crois que c'est
23:07un truc qui nous a toujours
23:08animé tous les trois
23:09quand même
23:10c'est que plus on était
23:12capable d'en parler
23:12intelligemment
23:13et d'entendre les autres
23:14et plus on avançait
23:15et c'était ça
23:15le petit pas de plus
23:16c'est ça aussi
23:17de cette horreur
23:19sont nées des communautés
23:21y compris d'ailleurs
23:23le soir des attentats
23:24mais sur le long terme
23:25aussi
23:26vous avez David
23:27et la série
23:27sur France Télé
23:29en est l'objet
23:29vous êtes rapproché
23:31du groupe d'otages
23:31avec lesquels
23:32vous étiez pris
23:33par les terroristes
23:35et vous êtes devenu
23:35une bande d'amis
23:36le procès
23:37vous le racontez très bien
23:38Aurélie
23:38dans un livre
23:39qui est un travail
23:41d'honnêteté intellectuelle
23:42je le dis ici
23:43très singulier
23:45et très marquant
23:46vous avez créé
23:47une communauté aussi
23:48au moment de ce procès
23:49et ce rapport au groupe
23:49il est intéressant
23:50et vous l'évoquiez tout à l'heure
23:51vous avez d'abord
23:52traversé les premières années
23:53dans une forme de solitude
23:54que vous revendiquiez
23:55et puis
23:56vous avez vécu
23:58cette grande catharsis
23:59en groupe
24:00est-ce que le groupe
24:02d'une certaine façon
24:03il peut être piégeux
24:05parce que comment on reste au monde
24:06quand il nous est arrivé
24:07quelque chose comme ça
24:08il y a le risque
24:09du repli sur soi
24:10d'être avec des gens
24:11qui ont vécu
24:12la même chose
24:12et qui peuvent comprendre
24:13peut-être Aurélie
24:15ou David là-dessus ?
24:17je ne sais pas
24:17en tout cas
24:18je n'ai pas revendiqué
24:19ma solitude
24:19de fait
24:20je l'ai vécu
24:20parce que je n'avais rien d'autre
24:22parce que je n'avais pas le choix
24:23et je ne me suis pas rendu compte
24:24je pense que j'aurais été
24:24bien plus sereine
24:26et heureuse
24:26si j'avais pris contact
24:28avec Life
24:29voilà
24:29mais je ne sais pas
24:32tu veux répondre
24:32David ?
24:33en fait
24:33ce qui est intéressant
24:34dans votre question
24:35c'est que
24:36le 13 novembre
24:37c'est collectif
24:38on l'a compris maintenant
24:39le procès
24:40c'était aussi l'occasion
24:41de traverser
24:42certaines frontières
24:43pas seulement
24:44celle des victimes
24:44peut-être celle des avocats
24:46celui de la justice
24:47de manière générale
24:48et je pense que
24:49dans l'après
24:49on a tous eu
24:50peut-être moi et Aurélie
24:51mais Arthur et moi
24:52en tout cas
24:52on a eu besoin de se voir
24:54on a eu besoin de se parler
24:55on a eu besoin
24:55de confronter
24:56notre narration
24:58de l'événement traumatique
24:59de l'attentat
25:00donc moi dans le cas
25:01des potages
25:02c'était nécessaire
25:03enfin moi je me voyais
25:03vraiment mal
25:04aller voir ma mère
25:04c'est le nom du groupe
25:05c'est le nom du groupe
25:06donc potes et otages
25:07je me voyais vraiment mal
25:08aller voir ma mère
25:08ou mes potes
25:09et leur dire
25:09ouais en fait
25:10ça fait ça
25:10quand quelqu'un
25:11est tué devant toi
25:12en revanche
25:13quelqu'un qui avait vu
25:14ou qui avait entendu
25:15ou qui avait ne serait-ce
25:16qu'effleuré
25:16la mort ce soir-là
25:18peut-être été plus susceptible
25:19de comprendre en réalité
25:20et donc
25:21quand
25:22le temps passe
25:23après le 13 novembre
25:24déjà moi je rejoins
25:25les rangs de Life for Paris
25:26très vite
25:27au début
25:27Life for Paris
25:27c'est un groupe Facebook
25:28c'est pas l'association
25:29qu'on connaît aujourd'hui
25:30qu'Arthur représente
25:31c'est un groupe Facebook
25:33qui s'appelle
25:34Life for Paris
25:34et c'est Maureen Roussel
25:36qui à l'époque
25:36a dit
25:37rejoignez-nous
25:38si vous avez le besoin
25:39de parler
25:39nous on était au Bataclan
25:40et tout commence comme ça
25:42et je pense que ce truc-là
25:43c'est vraiment
25:43l'échec de la mission
25:44du terrorisme
25:45nous on se rassemble
25:47on vit
25:49en fait
25:50et d'ailleurs
25:51la série le montre
25:51par ailleurs
25:52et donc ce truc-là
25:54ricoche jusqu'au procès
25:55et au procès
25:56la communauté
25:56était déjà bien en place
25:58que ce soit
25:59l'Effort Paris
26:0013-11-15
26:00fraternité vérité
26:01la FVT aussi
26:02était présente au procès
26:03et donc forcément
26:04quand V13
26:05se déroule
26:07d'une part
26:09il y a cette communauté
26:10extrêmement soudée
26:11qui est là
26:11et comme dit Arthur
26:13c'est hyper logique
26:14pour nous
26:15d'aller voir l'autre
26:16et puis on se fait
26:17des signes de tête
26:17et puis en fait
26:18on fait partie
26:18d'un club
26:19qui est notre club
26:21qui est un club
26:21un peu boiteux
26:22qui a mal
26:23mais qui vit
26:24et qui est encore là
26:25et donc voilà
26:27je pense que ce procès-là
26:28il représente
26:30tellement de choses
26:31dans ces 10 ans
26:32il y a aussi
26:33tout ce qu'on a mobilisé
26:34en tant que victime
26:35etc
26:35donc non c'est bien
26:37Aurélie vous vouliez dire quelque chose ?
26:39Non mais je pense qu'en fait
26:40on vit tous ce truc
26:42d'être un peu à côté
26:43avec ce qu'on a vécu
26:45et donc de retrouver des gens
26:46avec qui
26:46cet à côté n'existe pas
26:48ça nous permet d'être complètement
26:50en fait ça gomme
26:51cet aspect-là de nos vies
26:52et donc on reprend
26:53une sorte de normalité
26:54qui nous permet ensuite
26:55de sortir de la bulle
26:56mais c'est vrai
26:57qu'il y a des moments
26:57dans la vie
26:58comme le procès
27:00on a quitté la rive
27:01de la vie normale
27:02des gens normaux
27:03mais on le savait
27:04que ça ne durait qu'un temps
27:05parce qu'on a l'expérience
27:06des 10 ans
27:06on sait que ça arrive
27:07par moment
27:08mais c'est des vraies ressources
27:10en fait
27:10c'est se dire
27:11ben voilà
27:11maintenant on sait
27:12que parfois on quitte la rive
27:14et que la plupart des gens
27:15les gens qui nous aiment vraiment
27:17nous attendent à l'arrivée
27:18quoi
27:18si j'y réfléchis
27:20c'est vraiment une très bonne question
27:21avec la vue de président d'association
27:24mais qui est vraiment juste
27:25plutôt animateur de collectif
27:26il y a plein de sous-groupes
27:28dans les groupes
27:29typiquement on a un groupe
27:32avec Aurélie
27:33enfin moi j'ai 18 groupes
27:34WhatsApp à Idévit
27:34et si je regarde
27:35chacun de ces groupes
27:37à un moment
27:37il y en a au moins un
27:38qui est allé le raconter
27:39ou dans la presse
27:40ou dans un livre
27:40et donc il y a quand même aussi
27:42ce besoin de jeter une bouée
27:43à l'extérieur
27:44et de dire
27:44hé je vais vous raconter
27:45comme ça
27:46je vais peut-être pouvoir
27:47vous en parler aussi
27:48et raccrocher le truc
27:49et ça je pense que
27:50c'est aussi quelque chose
27:51qu'on fait un peu inconsciemment
27:52mais ces expériences hyper fortes
27:54individuelles
27:55mais aussi collectives
27:56on les a beaucoup racontées
27:57et ça nous aide quand même
27:59enfin moi je vois
28:00quand je fais un livre
28:00évidemment je suis ravi
28:02que plein de gens le lisent
28:04je suis ravi que mes proches
28:05le lisent
28:06parce que ça nous resynchronise
28:07un petit peu
28:08et donc je pense que
28:08on est vigilant
28:10sans s'en rendre compte
28:11à ne pas rester enfermé
28:12dans ces sous-groupes
28:13et à en raconter assez
28:14pour que les gens
28:15puissent raccrocher
28:15les wagons
28:15et c'est d'ailleurs là-dessus
28:16que la série des vivants
28:17elle est forte
28:18c'est que moi
28:19des gens qui m'en ont jamais parlé
28:20m'ont dit
28:20ah bah dis donc
28:21j'ai regardé
28:21et j'imaginais pas
28:23qu'il y avait tout ça
28:23qui se passait
28:24après l'attentat
28:24et ça en fait
28:26ça m'aide beaucoup
28:26parce que
28:27je pense qu'il y aura
28:28de la maladresse
28:29il y a des gens
28:29qui vont me dire
28:29oui j'ai vu des vivants
28:30c'est bon je sais
28:31très bien
28:31je vais prendre sur moi
28:32je vais pas essayer
28:33d'aller expliquer
28:33le micro détail
28:34qui va pas
28:34c'est pas le problème
28:35mais au moins
28:36on aura vécu
28:36quelque chose ensemble
28:45le procès
28:47n'a pas résolu
28:49toutes les questions
28:50mais je crois que c'est vous
28:52David
28:52qui dites ça
28:53à un moment
28:54est-ce qu'on n'a pas clôturé
28:57sur les questions
28:57est-ce qu'on
28:58qu'est-ce qu'il reste
28:59est-ce qu'on a accepté
29:01d'avoir renoncé
29:02à des questions
29:03qui sont sans réponse
29:04ou
29:04parce que la réponse
29:06importe finalement
29:07je pense qu'il y a
29:08tout un tas de choses
29:09qu'on ne comprendra jamais
29:09et en réalité
29:11ça fait aussi partie
29:12de ce qu'on doit laisser
29:14derrière nous
29:14ou pas
29:14si on y arrive
29:15il faut aussi faire
29:16le deuil des questions
29:17ouais il faut faire
29:18le deuil des questions
29:18il faut faire le deuil
29:19d'explications
29:21peut-être
29:21j'en sais rien
29:22de plein de choses
29:23et en réalité
29:25voilà
29:26dix ans
29:26là ça fait dix ans
29:28qu'on a essayé
29:30de me tuer
29:30et ça fait dix ans
29:31que je continue
29:32à me demander
29:33tous les matins
29:33en me réveillant
29:34pourquoi on a essayé
29:34de me tuer
29:35et je pense qu'en réalité
29:37rien ne peut justifier
29:38rien dans tout ça
29:39donc il faut continuer
29:40à avancer
29:41en faisant fi
29:42de ces questionnements
29:44qui sont devenus
29:45quasi philosophiques
29:45aujourd'hui
29:46voilà
29:46comment on répond
29:48aux questions
29:49qu'on peut vous poser
29:50que vos enfants
29:52notamment vous posent
29:53quand on a soi-même
29:54pas la réponse
29:54à la question
29:55oui c'est complexe
29:58on fait comme on peut
30:01je ne sais pas très bien
30:02comment répondre
30:03à votre question
30:03moi c'est vrai
30:04que je suis arrivée
30:05sans trop de questions
30:05au procès
30:06parce que je ne savais rien
30:07je suis ressortie
30:08avec beaucoup de questions
30:09pour le coup
30:09c'est un peu dommage
30:11mais après voilà
30:13c'est ce qu'on essaye
30:14de faire aussi
30:15c'est de transformer
30:16ce qu'on a vécu
30:17et d'essayer de répondre
30:18on sait qu'une partie
30:20des réponses
30:20sont en nous
30:21en fait
30:21et après voilà
30:23on peut avoir
30:24des engagements associatifs
30:25qui permettent
30:26de donner du sens
30:27enfin voilà
30:28moi je sais que maintenant
30:29je vais en prison
30:29c'est aussi
30:30pour essayer
30:31de continuer
30:34à réfléchir
30:35et de voilà
30:35interroger tout ça
30:37pourquoi vous allez en prison ?
30:40ah celle-là
30:40elle n'a pas la réponse
30:41elle se pose la question
30:44vous allez chercher quoi
30:45apporter quoi ?
30:47bah alors
30:48c'est des sujets
30:50qui sont compliqués
30:51donc j'y vais
30:52avec précaution
30:53mais tout vient
30:54du point de départ
30:55du procès
30:57où je témoigne
30:57et je deviens
30:58un témoin
30:58et comme je deviens
30:59un témoin
30:59je m'empare
31:00de mon histoire
31:01et je me dis
31:01alors si elle peut
31:03servir à quelqu'un
31:04pourquoi pas
31:05donc je vais en classe
31:06et ensuite
31:06en cheminant
31:07et aussi parce que
31:09ça a dit cette phrase
31:10qui me rend dingue
31:11mais que j'affronte
31:13et qu'on est lié
31:14donc voilà
31:15je crois que
31:16en fait nos histoires
31:17elles peuvent être utiles
31:20en fait
31:20et c'est
31:21voilà
31:22en disant
31:23en fait
31:23on a atteint
31:24enfin acquis
31:25des compétences
31:26qu'on peut utiliser
31:27maintenant
31:27pour aller
31:28questionner
31:29interroger
31:30et voilà
31:31moi quand je vais en prison
31:32j'y vais pas
31:33avec de grandes idées
31:33j'y vais pas en me disant
31:34que je vais sauver
31:36l'humanité
31:36absolument pas
31:37j'y vais en me disant
31:38tiens si j'ai l'occasion
31:38de poser des questions
31:39ou de comprendre
31:40bah ma foi
31:41pourquoi pas
31:42vous avez évoqué
31:43à l'instant
31:43l'une des phrases
31:44effectivement
31:44à mon sens
31:46l'une des plus fortes
31:46du livre
31:47le moment où
31:48Salah Abdeslam
31:48dit au cours du procès
31:49qu'en fait
31:50lui
31:50et vous tous
31:51vous êtes liés
31:52et ça provoque
31:54chez vous
31:54peut-être
31:56quelque chose
31:58d'hyper fort
31:59en fait
32:02il y a ce lien
32:04en fait
32:04là je sors
32:06d'un plateau
32:06je sais pas si j'ai le droit
32:07de le raconter
32:08mais voilà
32:08il y avait François Hollande
32:10et en fait
32:10en partant
32:11il me serre la main
32:12et il me dit
32:12on est lié
32:13et là je fais
32:14oh mince mince
32:16pas par son bilan
32:17de fait
32:19c'est étrange
32:21qu'est-ce qu'on fait de ça
32:22mais c'est vrai
32:23moi j'ai beaucoup réfléchi à ça
32:23ah merci
32:24et je sais pas
32:26mais moi quand il l'a dit
32:27ça m'a aussi bouleversé
32:28on s'est dit en effet
32:29on est lié
32:30puis moi j'en ai conclu
32:31qu'on était lié par un événement
32:32mais pas lié directement
32:33on est lié au même coeur
32:35qui est le 13 novembre
32:36je suis pas lié à lui directement
32:37et je sens pouvoir
32:40me distancier de lui
32:41quand même
32:41que le lien est plus indirect
32:44que ce qu'il a voulu
32:45nous faire croire
32:45moi j'ai toujours eu le sentiment
32:46et j'aime pas parler
32:48de quelqu'un qui est en prison
32:49et qui peut pas répondre
32:49mais j'ai toujours eu le sentiment
32:51qu'il cherchait à se pardonner
32:52lui-même
32:52de cette mie là-dedans
32:53quand même
32:53et qu'il essayait
32:55de pas être seul
32:56justement
32:57et qu'il voulait un peu
32:57nous embarquer avec lui
32:58et que j'avais pas envie
33:00de tomber complètement
33:01là-dedans
33:01parce que quand je l'entendais parler
33:03j'avais plus l'impression
33:04qu'il parlait depuis une idéologie
33:05que depuis lui-même
33:06mais ce qui est clair
33:08c'est qu'on est pas loin
33:09quand même
33:10et ça
33:11c'est un truc
33:12qui n'est pas réglé
33:13après 10 ans
33:13et je pense que
33:16on se donne tous aussi
33:17le temps long
33:17pour voir
33:18ce qu'on a appris
33:18on est quand même devenu
33:19philosophe là-dessus
33:19mais on est pas loin
33:20on est d'autant plus
33:22pas loin
33:23qu'ils ont grandi
33:24très près de chez nous
33:25en France
33:26dans des écoles
33:26de la République
33:27comme nous
33:28et donc voilà
33:29le lien c'est aussi
33:30la question de se dire
33:30pourquoi des mecs
33:31de notre âge
33:32qui ont grandi à peu près
33:33comme nous
33:34sont venus tuer
33:35d'autres gens
33:35qui étaient nous
33:36voilà
33:37c'est cette question là
33:38que ça pose toujours
33:39après on n'a pas
33:41la réponse à cette question
33:41et on a peu travaillé
33:43honnêtement
33:43dans la sphère publique
33:44en tout cas
33:44et ça c'est je pense
33:46un questionnement
33:46qui nous traverse
33:47tous les trois
33:48on a tous énormément lu
33:49sur comment est-ce qu'on
33:50prend un jeune
33:51qui est susceptible
33:51d'eux
33:52et on le radicalise
33:53ok
33:53mais pourquoi il est susceptible
33:54d'eux en fait
33:55alors qu'on a eu
33:56une éducation
33:57pas forcément si différente
33:58et là on a pêché
33:59collectivement
34:00parce que ce travail
34:01à nouveau
34:02on vous a quasiment demandé
34:04à vous de le faire
34:04entre autres
34:06en fait nous on l'a fait
34:07parce que la question existait
34:08et qu'on n'a pas trouvé
34:09les réponses toutes faites
34:10nous on se saisit
34:11des trucs qui sont encore
34:12par terre
34:12et c'est un peu ça
34:14et moi j'ai redécouvert
34:17c'est marrant
34:18donc j'écris le livre
34:19où j'en parle pas mal
34:20et l'autre jour
34:20je fais un débat
34:22avec le président Perriès
34:23qui a présidé le procès
34:24et qui dit
34:25ben oui mais souviens-toi
34:26juste après l'attentat
34:27Manuel Valls dit
34:28essayer de comprendre
34:30c'est déjà excuser
34:31moi j'avoue qu'à l'époque
34:32j'avais complètement raté
34:34cette phrase
34:34mais j'ai l'impression
34:35qu'on est resté là-dedans
34:36c'est-à-dire dans cette idée
34:37que essayer d'aller trop loin
34:39là-dedans
34:40ce serait leur trouver des excuses
34:41alors que c'est tout l'inverse
34:42c'est trouver des arguments
34:43en faveur de la démocratie
34:44ça ça nous anime
34:45je suis d'accord avec Arthur
34:46c'est ça
34:47en fait je pense qu'il y a
34:48une grosse différence
34:48entre essayer de comprendre
34:49moi ce qui m'est arrivé
34:50déjà mécaniquement
34:52comment les trucs
34:53ont été préparés
34:53par qui
34:54où, quand
34:54etc
34:55une phrase que j'ai entendue
34:57durant l'attentat
34:58qui m'a quand même menté
34:59pendant longtemps
34:59qui est un peu
35:00on est là à cause de François Hollande
35:02je lui ai posé la question
35:03à François Hollande
35:04je lui ai dit
35:05quand est-ce que tu as commencé
35:06en fait
35:07et donc il a commencé
35:10un mois avant
35:10et la préparation des attentats
35:11a commencé un an et demi avant
35:12pardon je précise
35:14pour ceux qui nous regardent
35:14vous lui demandez
35:15les terroristes vous disent
35:17au cours de la prise d'otage
35:18on est là à cause de François Hollande
35:19et donc je rencontre François Hollande
35:21des années après
35:22je lui ai dit
35:22alors que
35:23quand est-ce que
35:23de quand
35:24enfin c'est
35:24quid quoi en fait
35:25donc là il me répond
35:27tout ça ça a été confirmé
35:28ensuite au procès
35:29on parlait tout à l'heure
35:30des questions qui restent
35:30ça c'est une question
35:31qui a été
35:31voilà qui a été cochée
35:33quoi on va dire
35:33et en effet Arthur a raison
35:35donc il y a déjà
35:36comprendre comment on fait
35:37ensuite
35:37comprendre tout ce qui nous est arrivé
35:39à nous même
35:40si on parle de mécanique
35:42voilà qu'est-ce qui a été touché
35:43et ensuite
35:45le pardon
35:47c'est autre chose
35:48c'est autre chose
35:49je voulais en parler
35:51de cette injonction
35:52une des
35:53une des mille injonctions
35:54qui vous sont tombées dessus
35:56l'injonction au pardon
35:57est-ce que vous l'avez subie
35:58est-ce que vous l'avez sentie
35:59qu'en avez-vous fait
36:00moi j'ai senti
36:02qu'il y aurait un appétit
36:03en tout cas
36:03si on pouvait aller dire
36:04j'ai pardonné
36:05alors là tous les plateaux télé
36:06nous étaient ouverts
36:07je sais pas si c'était une injonction
36:08qu'une envie des gens
36:10de se dire qu'on pouvait
36:11et moi je dois dire
36:13ça dit beaucoup de l'impuissance absolue
36:14de la société
36:15bien sûr
36:16et moi je m'étais pas trop posé la question
36:18en fait je me suis rendu compte de ça
36:19j'étais pas dans une logique
36:21de pardon pas pardon
36:22j'ai pas non plus été élevé
36:23dans une foi qui faisait ça
36:24mais en écrivant le livre
36:25je me suis surpris à écrire
36:26qu'en fait
36:27je savais pas pardonner
36:28à des gens
36:29qui se cachaient trop
36:30derrière une idéologie
36:31qui me considéraient finalement
36:32quasiment comme un meuble
36:33c'est-à-dire
36:34j'ai fait quelque chose
36:35de très grand
36:35et ouais bon bah désolé
36:37il y a du dégât
36:38on a abîmé le mur
36:39le plafond
36:40et puis aussi
36:41David, Arthur et Aurélie
36:42ouais ok
36:43non
36:43et je me suis rendu compte
36:45qu'en fait
36:45ce qui moi me paraît très dur
36:48aujourd'hui
36:48c'est que c'est pas des gens
36:49qu'on a eu en face de nous
36:50ces terroristes
36:51c'est une idéologie avant tout
36:52et qui les a
36:54complètement remplacés
36:55en fait
36:55et je crois que le grand travail
36:57qu'eux ont à faire
36:58s'ils veulent revenir
36:59et pouvoir se réinsérer
37:00dans la société
37:01et je sais que c'est dur à entendre
37:03mais moi j'ai pas perdu espoir
37:04que les terroristes
37:04puissent se réinsérer
37:05je sais pas comment
37:06je sais pas
37:06c'est qu'il faut que l'idéologie
37:08laisse la place
37:09à une personnalité
37:10et pour les plus endurcis
37:12au procès
37:12on l'a pas vu
37:13alors que pour leurs complices
37:15les moins endurcis
37:15on la voyait très bien surgir
37:17et la différence
37:17elle se jouait là
37:18et notamment
37:18et c'est vrai que même au procès
37:20il y a un psychiatre
37:21qui est venu
37:21qui s'appelle
37:21Agnès Aguirre
37:22qui a expertisé
37:24beaucoup beaucoup
37:24de radicalisés
37:25d'ididistes et tout
37:26et c'est vrai qu'au sujet
37:27de Salab d'Islam
37:28il disait à ce moment là
37:28que Salab d'Islam
37:29était davantage drapé
37:31dans ce qu'il réverbérait
37:32publiquement
37:33c'est-à-dire
37:34un des membres
37:36du commando
37:36du 13 novembre
37:37etc
37:37le fait qu'il ait
37:38ou pas actionné
37:39sa ceinture explosive
37:40en fait il était derrière
37:41cette protection idéologique
37:44qu'évoque Arthur
37:45en fait
37:45où il se dit
37:45moi au début du procès
37:47il dit
37:47j'ai délaissé toute profession
37:49pour être soldat d'État islamique
37:50à la fin du procès
37:51c'est limite
37:52s'il fait son mea culpa
37:53et en fait il explique
37:54comment il est arrivé
37:55à ce procès etc
37:56et il y a autre chose
37:57que je tiens à dire
37:58à rajouter
37:58c'est que si on parle
37:59de cette transition
38:00au procès
38:00de ces postures
38:02dans lesquelles
38:03ces accusés étaient
38:03au moment des derniers mots
38:06des accusés
38:06sur 14 accusés
38:07il y en a environ
38:08une douzaine
38:08qui font référence
38:10aux propos des victimes
38:11et on voit bien
38:13qu'il y a une transition
38:13aussi de leur côté
38:14et que
38:15comme dit Arthur
38:16que
38:16moi à ce moment là
38:18je me dis
38:18ok il y a quand même
38:18un espoir
38:19que déjà nous
38:19nos témoignages
38:20les ont touchés
38:21et peut-être
38:22un espoir d'évolution
38:23Salah Abdeslam
38:24voilà il a terminé
38:25en racontant
38:26ses conditions
38:27de détention en Belgique
38:27etc etc
38:28ça nous permet de comprendre
38:29pas pardonner
38:30Aurélie
38:31moi je suis très claire
38:33sur le pardon
38:34c'est à dire que
38:37il est impossible
38:39en fait
38:40et je suis très tranquille
38:41avec ça
38:42c'est à dire que
38:43je pardonnerai
38:44jamais en fait
38:45et j'arrive en prison
38:47je ne l'ai pas fait
38:47mille fois
38:48mais à chaque fois
38:49en disant
38:49voilà je veux absolument
38:50en revanche voilà
38:51ici ça va être ma naïveté
38:52il n'y aura pas de pardon
38:54en fait je veux juste
38:54être sûre qu'on puisse discuter
38:55qu'on échange
38:56etc
38:56il est impossible
38:58c'est comme tout à l'heure
38:58le statut de victime
38:59c'est à dire que
39:00il y a des gens
39:01qui ont assassiné
39:01le père de mes enfants
39:02en fait
39:02je ne pardonnerai jamais
39:04c'est impossible en fait
39:05en disant
39:07la France a changé
39:09il y a dix ans
39:09nous étions Charlie
39:10nous étions flics
39:11nous étions juifs
39:12nous étions le Bataclan
39:13les terrasses
39:14que sommes-nous aujourd'hui
39:15Arthur Desnouveaux
39:17divisé
39:18on est très très divisé
39:20plus que ce qu'on l'était
39:22je pense
39:23mais c'était peut-être
39:24une illusion
39:24à cause de la douleur
39:25mais en tout cas
39:27je peux vous dire
39:28que quand on est victime
39:29alors je ne sais pas
39:30pour Aurélie et David
39:31ils vous diront
39:32mais qu'on en parle publiquement
39:33on a le droit
39:34à à peu près
39:34tous les commentaires
39:35beaucoup
39:36beaucoup
39:36beaucoup de bienveillance
39:37et je remercie
39:38tous les gens qui écrivent
39:39pour dire
39:39et la maladresse
39:40qui va avec
39:40et une forme de maladresse
39:42mais avec le recul
39:43et en allant mieux
39:44ça va
39:44en revanche
39:45j'ai aussi beaucoup
39:46de syndrome de Stockholm
39:47alors je vais le dire
39:49ce sont des attentats islamistes
39:50non ça m'évitera
39:51de me prendre 55 commentaires
39:52disant que je n'ai pas dit
39:53islamiste et djihadiste
39:54je le sais
39:54mais ce n'est pas le sens du propos
39:56et donc beaucoup de récupérations
39:58autour de ce qui nous est arrivé
39:59des récupérations
40:00qui servent des propos
40:01de plus en plus divisifs
40:02j'en reviens
40:03à ce que nous
40:03on a réussi
40:05tous les trois évidemment
40:06mais aussi
40:06Life for Paris
40:07moi j'ai des gens
40:08de toutes les cultures
40:09de toutes les confessions
40:11de tous les âges
40:12de tous les milieux sociaux
40:13de toutes les pensées politiques
40:15de dizaines de nationalités
40:16de dizaines de nationalités
40:17et on arrive à se parler
40:19on ne se force jamais
40:20à être d'accord
40:21mais agree to disagree
40:23comme disent les anglais
40:24et ça j'ai l'impression
40:25qu'on l'a complètement perdu
40:27dans le débat public français
40:28je l'ai ré-entrevu
40:29au moment des JO
40:30et c'était un beau moment
40:31d'unité nationale
40:32mais j'ai l'impression
40:33que là on a déjà
40:34juste du mal à se parler
40:35alors avant d'être d'accord
40:36c'est compliqué
40:37David ?
40:39moi en fait
40:39quand je vois
40:39que Charlie Kirk
40:40se fait assassiner
40:41moi je ne souhaite à personne
40:42d'être assassiné
40:43pour ses idées
40:43on est d'accord
40:44et qu'il y a des gens
40:46d'extrême droite
40:47qui récupèrent
40:48le Je suis Charlie
40:49pour manifester
40:50au nom de Charlie Kirk
40:51je me dis
40:51ouais peut-être
40:52qu'on a foiré
40:52un truc sur le chemin
40:53certes les deux
40:56défendent une sorte
40:57de liberté d'expression
40:58Charlie Kirk
40:59il se prônait
41:00d'une liberté
41:01d'expression extrême
41:02bon voilà
41:02mais je me dis
41:04que il y a quand même
41:05vous parliez de Charlie
41:07tout à l'heure
41:07je ne comprends pas
41:09en fait
41:09dix ans après
41:10comment on peut
41:11à ce point
41:12tomber dans
41:13une haine de l'autre
41:14une xénophobie latente
41:16moi je suis français
41:17depuis 2017
41:18et je suis fier
41:20d'être français
41:20en fait
41:20je suis fier d'être chilien
41:22aussi parce que
41:22je suis né au Chili
41:23et en même temps
41:24je ne comprends pas
41:25comment on peut détester
41:26l'autre à ce point
41:26l'autre c'est l'étranger
41:27je ne comprends pas
41:29d'autant que la menace
41:30n'est pas moins forte
41:31aujourd'hui
41:32ou alors elle est
41:33sans doute différente
41:34mais elle existe toujours
41:34les événements des derniers jours
41:36nous l'ont encore montré
41:38on évoquait
41:39le cas de Salab
41:40des slaves en prison
41:41l'affaire de cette clé USB
41:42ces trois jeunes femmes
41:43qui ont été arrêtées
41:44avant peut-être
41:45de commettre le pire
41:46on n'a pas résolu
41:48cette question
41:48de pourquoi tant de gens
41:49dans ce pays
41:50sont toujours prêts
41:51à passer à l'acte
41:53non ça on ne l'a pas
41:54du tout résolu
41:54c'est sûr
41:55et en plus
41:56la menace
41:56devient différente
41:59c'est à dire qu'elle n'est
41:59plus organisée
42:00de quelque part
42:01elle est absolument partout
42:02auprès de gens
42:03qui sont parfois très jeunes
42:04donc tout ça
42:05est très effrayant
42:06ouais
42:08alors on a un peu
42:10changé le thermomètre
42:11c'est à dire que maintenant
42:12les services
42:13arrêtent des gens
42:15avant que le projet
42:16soit extrêmement
42:16donc il faut être prudent
42:17quand on compare les chiffres
42:18mais en tout cas
42:19le problème est toujours là
42:20c'est une évidence
42:22et ça n'est pris
42:25que sous l'angle sécuritaire
42:26nous ce qu'on s'est pris
42:28quand même
42:28c'est un crime politique
42:29qui a des répercussions
42:31intimes
42:31mais la question
42:33qui pose
42:33c'est
42:33comment est-ce qu'on vit
42:35ensemble dans une société
42:36démocratique
42:36et est-ce qu'on va toujours
42:37se prendre ça
42:38moi je dis toujours
42:39il y a un seul truc
42:40qui relie toutes les victimes
42:42de terrorisme
42:42sans aucune exception
42:43c'est qu'on aimerait être
42:43les dernières
42:44on aimerait que nos témoignages
42:46servent à ce que ça
42:46s'arrête net
42:47et l'énorme tristesse
42:50c'est que c'est évidemment
42:51pas le cas
42:51et de voir ces menaces
42:53qui prospèrent
42:53ça c'est ce qu'il y a
42:54de plus dur
42:55je pense
42:57pour autant
42:58je vais conclure
42:59cette émission
42:59avec une phrase
43:00que vous citez
43:00Arthur
43:01mais qui est
43:01une phrase
43:02que vous aimez
43:02beaucoup
43:03je crois
43:03pardon David
43:04qui est une phrase
43:04que vous aimez
43:05beaucoup Arthur
43:06le terrorisme
43:06rapproche celles
43:07et ceux
43:07qui lui survivent
43:08il nourrit donc
43:09d'une certaine façon
43:10son propre échec
43:11vous en êtes
43:12tous les trois
43:12à l'illustration
43:13merci infiniment
43:13d'avoir accepté
43:14de participer
43:15à cette discussion
43:16cette émission
43:17est dédiée
43:17aux 132 victimes
43:19de novembre 2015
43:20et à tous leurs proches
43:22bien sûr
43:22à revoir
43:23en replay
43:24réécouter en podcast
43:25l'info continue
43:26sur France 24
43:26à revoir
43:28Sous-titrage Société Radio-Canada
43:29Sous-titrage Société Radio-Canada
43:31Sous-titrage Société Radio-Canada
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