Société : Interview de Julien Pearce après les attentats de 2015 à Paris, retenu à l'intérieur du Bataclan, a vu deux personnes être abattues devant ses yeux (Fr,2016)

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Société : Interview de Julien Pearce, retenu à l'intérieur du Bataclan, a vu deux personnes être abattues devant ses yeux (Fr,2016)

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00:00Je vais raconter en quelques mots ce que tu faisais au Bataille.

00:15On était avec des amis et moi voir un concert de rock.

00:21La salle était pleine, il y avait pas mal de monde.

00:25Et le concert avait débuté 40-45 minutes plus tôt, quand on a entendu des détonations

00:35qui ressemblaient à des pétards dans un premier temps, des détonations qui venaient de derrière nous.

00:43Nous, par chance, on était très proche de la scène, sur le côté droit.

00:48Et quand je me suis retourné pour voir ce qui se passait, puisque la lumière c'était

00:56tout d'un coup allumé, on avait vu les musiciens jeter leurs instruments et courir pour se

01:02réfugier de l'autre côté de la scène.

01:04Quand je me suis retourné, j'ai vu au moins trois hommes armés de fusils d'assaut de

01:15Kalachnikov.

01:16Ils étaient comment ces hommes ?

01:18Ils étaient visage découvert, ils étaient habillés en noir pour la plupart, ils étaient

01:26très jeunes.

01:28Celui que j'ai pu dévisager avait mon âge ou peut-être moins.

01:34Il avait une petite barbe naissante, comme la mienne.

01:37T'as quel âge ?

01:38C'est 27 ans.

01:38Il avait une sorte de béret sur la tête, enfin de bonnet sur la tête.

01:48Et il tirait en rafale, à l'aveugle.

01:53Il faisait un mouvement circulaire avec son arme, dans un premier temps.

01:56Tous faisaient ça.

01:59Donc immédiatement, c'est tous, toute la foule, c'est mise à plat ventre, c'est mise face

02:05contre terre.

02:08On s'est vite retrouvés avec une ou deux personnes sur nous, à se faire piétiner parce que beaucoup

02:13de gens voulaient coûte que coûte rejoindre la Seine, se mettre à l'abri.

02:21Et ces personnes-là, enfin j'ai vu deux de ces personnes qui se sont relevées trop tôt,

02:27malheureusement, et qui se sont fait prendre pour cible et ont été abattues sous mes yeux.

02:34Et donc, on est resté blottis pendant plusieurs minutes, cachés d'une certaine manière contre

02:45le sol, se mettre les mains sur la tête pour se protéger d'une manière ou d'une autre.

02:51Des rafales qui n'arrêtaient pas.

02:53Quand il y avait une Kalachnikov qui se taisait, il y en avait une autre qui recommençait.

02:57Et quand j'ai compris que ce n'était pas juste une petite attaque, quand j'ai compris

03:07qu'ils étaient là pour rester, parce qu'ils rechargaient leurs armes méthodiquement,

03:12ils prenaient le temps de le faire sans aucune hâte.

03:19Quand j'ai compris ça, beaucoup de gens l'ont compris d'ailleurs.

03:22Alors, autour de moi, on s'est regardé et on a su qu'il fallait qu'on dégarpisse.

03:28Parce qu'autrement, tôt ou tard, ils allaient venir jusqu'à nous et nous abattre de sang-froid,

03:33comme on pouvait déjà le constater, 10 ou 15 mètres plus loin.

03:36Donc on a profité d'un instant de répit, entre guillemets.

03:45L'instant où deux des assaillants, ceux qui étaient de notre côté,

03:50ont rechargé en même temps leurs armes pour se prendre les uns les autres,

03:55se relever tous et essayer de monter sur la scène,

03:59de grimper cette barrière qui nous séparait de cette scène.

04:03Et on a réussi.

04:08Alors on a dû piétiner des jambes, malheureusement.

04:10Mais pour la plupart, on a réussi.

04:13Donc on s'est retrouvés de l'autre côté de cette scène,

04:15où il n'y avait aucune issue de ce côté-là.

04:18On s'est retrouvés dans une petite pièce sombre qui était à droite de la scène,

04:23qui était en fait un local technique,

04:26où il y avait déjà une quinzaine, une dizaine de personnes

04:30qui étaient réfugiées, qui étaient en panique, évidemment.

04:35Et il n'y avait aucune issue.

04:37C'était une pièce dans le noir, où il y avait des balais,

04:39où il y avait des extincteurs.

04:40Je me souviens que j'en ai pris un instinctivement,

04:42comme une arme potentielle.

04:45Mais bon.

04:45Et donc on a patienté là pendant quelques instants,

04:51le plus silencieusement possible, quelques minutes.

04:56Et je passais avec une autre personne de temps en temps

04:58la tête à travers la porte pour voir ce qui se déroulait dans la fosse.

05:02Et c'était la même scène que depuis le début.

05:06C'est-à-dire des hommes implacables et froids qui tiraient à l'aveugle,

05:12qui abattaient les personnes qui gémissaient à leurs pieds.

05:17Est-ce qu'ils parlaient ces deux ?

05:18Je n'étais pas entendu parler.

05:20Il y avait trop de bruit, il y avait trop de hurlements,

05:22il y avait trop de coups de feu pour entendre de là où je me trouvais,

05:27quoi que ce soit.

05:27En tout cas, ils n'ont pas hurlé à un moment.

05:34Je ne les ai pas entendus hurler quoi que ce soit

05:36à un moment où ils auraient pu être audibles de tous.

05:41Je ne les ai pas entendus hurler à l'Akbar

05:42ou quelconque revendication de quelconque cause que ce soit.

05:48Tu as mis combien de temps pour sortir de ça ?

05:52Une bonne dizaine de minutes, je pense.

05:55Une fois qu'on était dans ce local,

05:57une salariée de la salle de concert nous a dit

06:03que la seule issue de secours se trouvait de l'autre côté de la scène.

06:06Donc en gros, il fallait qu'on traverse cette scène,

06:09qu'on court le plus vite possible,

06:12en espérant que les terroristes ne nous tireraient pas comme des lapins,

06:17pour atteindre cette issue de secours qui était de l'autre côté.

06:19Et c'est ce qu'on a fait.

06:21Donc on a patienté le bon moment.

06:25On a patienté l'instant où ils arrêtaient de tirer,

06:29ils rechargeaient leurs armes pour cette dizaine de personnes,

06:33moi inclus, on court sur cette scène pour s'échapper de cet enfer.

06:40Et c'est à cet instant que j'ai pu découvrir en fait l'ampleur de l'horreur qui était à mes pieds.

06:50Cette fosse où il y avait des marres de sang et des dizaines de cadavres,

06:57de corps empilés, criblés de balles.

07:03Et sur la scène, il y avait une jeune fille qui était blessée,

07:07qui avait réussi à monter avec l'un de ses amis

07:10et qui avait reçu deux balles dans la cuisse et dans la fesse,

07:16qui avait besoin d'aide.

07:20Donc je me suis remis à plat ventre et je l'ai tiré vers moi.

07:25Je l'ai pris sur mon épaule et je l'ai sorti de cet endroit horrible.

07:33Et comme beaucoup d'autres l'ont fait d'ailleurs,

07:36avec toutes les personnes qu'on a pu croiser,

07:38ce n'était pas un acte héroïque,

07:41c'était juste la seule chose qui convenait de faire à cet instant-là.

07:45Et une fois qu'on est arrivé dans la rue,

07:48il y avait déjà une dizaine de personnes allongées sur le sol

07:51qui étaient très grièvement blessées par balles

07:55à de multiples reprises pour certaines.

08:00Il n'y avait pas de secours.

08:02Mais l'endroit était trop dangereux

08:04parce qu'on entendait le son des Kalashnikov reprendre de plus belle.

08:08Et on ne savait pas si c'était pour nous,

08:10on ne savait pas s'ils allaient venir après nous.

08:12Donc on a couru.

08:14Il était quelle heure ?

08:15Il était 22h.

08:17Par là.

08:18Je n'ai pas regardé ma montre,

08:19mais ils étaient aux alentours de 22h.

08:22Vous avez été combien à sortir ensemble ?

08:25Une dizaine, une quinzaine.

08:26Sûrement.

08:27D'autres ont pu suivre derrière, j'espère en tout cas.

08:29Et on a couru.

08:32Qu'est-ce que tu t'es dit une fois dehors ?

08:35J'ai pensé à mes amis, que je ne voyais pas.

08:37Que j'avais perdu de vue,

08:42qui n'était pas avec moi.

08:45Et je pensais au pire.

08:49Donc une fois que j'ai déposé cette jeune fille

08:51qui était blessée dans un taxi avec un de ses amis

08:53pour aller dans le premier hôpital,

08:55j'ai tenté de retourner au Bataclan

08:58pour essayer de trouver mes amis,

09:00voir si eux sortaient aussi.

09:03Ils ne sont jamais sortis.

09:05Enfin, en tout cas, pas aussi rapidement.

09:07En fait, ils s'étaient cachés.

09:09Ils avaient réussi à se cacher

09:10à l'étage, dans des toilettes,

09:13avec d'autres personnes.

09:15Et ils ont attendu.

09:17Ils ont attendu que leur aide intervienne.

09:20Et ils sont sains et saufs.

09:22Et toi, tu as attendu sur le trottoir jusqu'à quelle heure ?

09:25Comment ça s'est passé après ?

09:28Une fois que je ne pouvais plus accéder,

09:30que je ne pouvais plus me rendre utile d'une certaine manière,

09:35j'ai appelé ma rédaction très rapidement

09:39et j'ai commencé à travailler,

09:41à faire mon travail.

09:44Tu n'as pas vu le médecin ?

09:45Tu n'es pas à la cellule psychologique ?

09:47Pas encore.

09:49Qu'est-ce que tu ressens maintenant ?

09:53De l'épuisement physique et moral.

09:55Et beaucoup de tristesse.

10:02Beaucoup, beaucoup de tristesse.

10:05Qu'est-ce que tes amis ont bien ?

10:07Ils sont comme moi, ils sont choqués.

10:12Ils ne réalisent pas encore, comme moi,

10:14ce qu'on vient de vivre,

10:15ce qui vient de se passer.

10:16qu'on a eu énormément de chance

10:21et qu'on se demande pourquoi nous,

10:23on a eu cette chance et pas tous les autres.

10:24Et qu'au moment où je vous parle,

10:31mes proches pourraient être en train d'apprendre

10:33que leur fils ou leur fille

10:35fait partie des victimes.

10:38Ça, c'est insoutenable

10:39de se mettre à penser

10:41que toutes les personnes

10:43qui étaient à quelques centimètres de nous,

10:44qui se sont fait abattre à quelques centimètres de nous,

10:46et bien leurs proches

10:48ou sont en train de vivre l'aura.

10:54C'est ça.

10:56C'est ça qui est difficile.

10:58C'est pas tant le fait d'être vivant,

11:00c'est de se demander pourquoi on l'est encore.

11:02Et ces hommes, tu dis,

11:10ils l'ont fait avec sang froid.

11:12C'était...

11:12C'était méthodique,

11:14c'était chirurgical.

11:16Ils savaient exactement où ils étaient,

11:19de ce que j'ai pu en voir,

11:20ils savaient exactement ce qu'ils faisaient.

11:25Ils maniaient très bien leurs armes,

11:28de ce que j'ai pu en voir.

11:32Ils étaient froids,

11:34ils étaient implacables,

11:35ils n'ont aucune hésitation.

11:40Même quand des personnes

11:41vous supplient de les épargner,

11:45il n'y avait aucune hésitation.

11:49Ils étaient en mission.

11:51Une mission aveugle, mais...

11:55Une mission.

11:57Une mission.

11:58Tes amis sont où actuellement ?

12:00Ils se reposent.

12:02Je vais aller faire pareil.

12:05J'espère, oui.

12:08Je vais y aller.

12:09Je vais aller me reposer,

12:10je vais aller rejoindre mes proches,

12:14les appeler, les rassurer,

12:16et ensuite, j'irai à l'hôpital

12:17pour parler de ça ailleurs

12:23que devant une caméra

12:23ou derrière un micro.

12:25pour ne pas rester les bras croisés

12:43pour ne pas rester les bras croisés autour de personnes qui étaient terrifiées,

12:56clôtrées dans un haut de l'immeuble,

13:00n'osant pas sortir,

13:01entourées de flics et autres.

13:03Donc, il fallait au moins que je servais aussi.

13:10Et puis surtout, je pensais à mes potes qui étaient encore à l'intérieur de tout ça.

13:13Donc, tout ça, voilà.

13:16Enfin, il n'y a pas une seconde

13:19pour penser ce qui venait de se passer.

13:22Vous étiez un groupe de combien d'amis ?

13:24Quatre.

13:24Mon meilleur ami

13:25et deux membres de sa famille.

13:27Et voilà, c'était une soirée rock

13:31classique, mais très sympa.

13:36Un truc qu'on avait planifié

13:37il y a plusieurs mois.

13:39Enfin, voilà, c'est une soirée

13:40d'un groupe qu'on aime bien,

13:43dans une salle qu'on aimait bien.

13:45Voilà,

13:46tout se passait très bien.

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