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En octobre 1860, 3.000 soldats britanniques, et autant de français, pillent et détruisent méthodiquement le Yuanmíng Yuan, palais d'été de l'empereur Qing Xianfeng. Il s'agit du point culminant de la seconde guerre de l'opium opposant à la Chine les puissances coloniales de la France et du Royaume-Uni.
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00:00Musique
00:30Commençons par raconter une histoire, mais une histoire qui n'a pas eu lieu.
00:43En octobre 1860, des jongues chinoises impressionnantes remontent la Tamise pour châtier l'Empire britannique.
00:51Ils vont mettre la reine Victoria à genoux, ils vont brûler son palais, ils vont bombarder Londres
00:58et désormais, c'en est fini de la suprématie britannique, le XIXe siècle sera chinois et la mondialisation sera la cinisation du monde.
01:10Ça ne s'est pas passé comme ça, c'est même l'inverse qui s'est passé.
01:14Nous sommes bien en 1860, mais ce sont 3000 soldats anglais et autant de français qui débarquent à Tianjin, au sud de la Chine, entre le 31 août et le 8 septembre.
01:25Les troupes avancent, s'emparent du pont de Balikao le 21 septembre 1860 et fondent vers Pékin.
01:34Là, le 6 octobre, un détachement français se dirige vers le Wenwenwen, le jardin de la clarté parfaite, qu'on appelle en Europe le palais d'été.
01:44Ce complexe impérial, qui se trouve à 15 kilomètres au nord-ouest de la cité interdite, est la résidence préférée des empereurs de la dynastie Qin.
01:53Ce 6 octobre, l'empereur et sa cour l'ont désertée et les troupes françaises pillent cette merveille d'architecture édifiée au 18e siècle.
02:03Quelques jours plus tard, le 19 octobre, les 200 bâtiments de ce vaste complexe palatial qui s'étend sur plus de 350 hectares sont méthodiquement détruits par le feu.
02:13Qu'est-ce qui s'est passé en octobre 1860 ? Pour les français, comme pour le corps expéditionnaire anglais, c'est un sac un peu carnavalesque.
02:24On en revient avec des souvenirs, avec un peu grisé par la violence de l'événement, avec sans doute un peu de gloriole et bientôt pas mal de honte.
02:37Mais la honte pour les chinois, elle est terrible, elle est cuisante.
02:45Voilà la véritable histoire, celle qui a eu lieu, celle que raconte ce film de Li Hanxiang en 1983.
02:53Mais comment réaliser l'ampleur d'une telle catastrophe ?
02:57Du Wen Wen, ce symbole fastueux d'un immense empire, le plus vieux et le plus puissant du monde, il ne reste presque plus rien.
03:07Ce jour d'octobre 1860, ce sont deux mondes qui se sont affrontés, irrémédiablement.
03:14Mais la dissymétrie des mémoires de cet événement nous empêche d'en faire une histoire à parts égales.
03:20Pour les Européens, c'est un épisode de la conquête impérialiste du marché chinois.
03:25Pour les Chinois, ce qui a eu lieu ce jour, c'est un coup d'arrêt net dans l'histoire de la Chine.
03:34Le Wen Minwen détruit.
03:37Ce palais à la dimension d'une ville, pas d'une ville en fait, d'un monde.
03:42Ce microcosme de la Chine ancienne, où d'une certaine manière se reflétait ce rêve universaliste de l'Empire.
03:52Ce palais détruit, entièrement détruit.
03:56C'est, pour les Chinois, incompréhensible.
04:00C'est être imprévisible.
04:02En réalité, c'est inimaginable.
04:05Parfois, en histoire, on croit comprendre un événement, mais on en méconnaît l'échelle.
04:11Il faut imaginer que le Wen Minwen, c'est cinq fois la cité interdite.
04:15C'est huit fois le Vatican, c'est vingt fois Versailles, c'est cinquante fois le Louvre.
04:21Mais ce n'est pas seulement une question de superficie, c'est une question d'intensité.
04:27Ce qui était réuni au Wen Minwen, c'était un précipité de richesse et de savoir.
04:32C'était à la fois un musée, une bibliothèque et un palais.
04:35Une récapitulation encyclopédique du monde sous le regard souverain de l'Empereur.
04:42Pour les Chinois, ce qui est ruiné à Pékin, au Wen Minwen, c'est pas seulement un palais.
04:50C'est pas seulement cette extravagante accumulation de richesse et de savoir.
04:56C'est une histoire.
04:57Au fond, ce qui est ruiné, c'est un futur.
05:01Ce qui est ruiné, c'est la possibilité que la Chine avait, sans doute encore à ce moment-là, de devenir maîtresse du monde.
05:11Ce qui est ruiné, c'est une potentialité du temps qui était ouverte et qui se referme.
05:18Et donc la blessure, elle, ne se refermera jamais.
05:21Au XVIIIe siècle, la Chine concentre près de 30% de la richesse mondiale.
05:26Elle a alors tous les atouts économiques et l'ambition politique pour accomplir ce que l'Europe a réalisé,
05:32c'est-à-dire l'occidentalisation du monde, à son seul profit.
05:37Rien ne s'opposait encore à ce que la mondialisation prenne la forme de la cinisation du monde.
05:47Car au fond, de cet épisode, on fait une lecture strictement coloniale.
05:54On va dire que la Chine du XIXe siècle est la proie des convoitises coloniales de l'Europe.
06:01Mais la Chine du XIXe siècle était en elle-même une puissance impérialiste.
06:08Les Européens n'ont aucun privilège sur le monde, pas même celui du colonialisme.
06:13D'autres l'ont été.
06:15Et en particulier l'Empire chinois.
06:18Majoritairement peuplée de Han, la Chine est conquise à partir du XVIIe siècle
06:24par une minorité étrangère venue du nord, les Manchus.
06:28La dynastie Ming est alors remplacée par les Qin.
06:32Les Manchus mènent une politique d'expansion en Asie centrale,
06:36au Tibet, en Mongolie et à Taïwan,
06:39et imposent leur souveraineté à tous les peuples
06:41en tolérant les différentes confessions, langues et cultures.
06:46Et c'est ce rêve universaliste d'un empire à la fois divers et centralisé
06:51que trois empereurs Manchus, Changqi, puis son fils Yongcheng,
06:56et enfin Tianlong, son petit-fils,
06:59expriment en édifiant tout au long du XVIIIe siècle
07:03les palais et les jardins du Wenminwen.
07:05Luminosité parfaite, magnifique printemps, printemps prolongé.
07:14Les noms des trois jardins du Wenminwen disent avec assez d'éloquence
07:18ce désir universaliste de mettre l'histoire à l'arrêt.
07:22C'est comme si, oui, le temps s'était arrêté,
07:25ce qui n'est pas possible, ce qui n'arrive jamais,
07:28pas plus en Chine qu'ailleurs.
07:30Mais ce sont des événements extérieurs et intérieurs
07:34qui vont d'une certaine manière bousculer cette histoire
07:37que les empereurs rêvaient de mettre littéralement à l'arrêt.
07:42Ce sont des crises internes, évidemment,
07:45et ce sont des chocs extérieurs,
07:47c'est-à-dire l'agression coloniale de la France et de l'Angleterre
07:51qui veut ouvrir au canon le marché chinois.
07:55Ce qui va déclencher le feu des canons français et anglais,
08:12c'est une fleur.
08:14Cette fleur qui ressemble au coquelicot, c'est le pavot.
08:17Et le suc qui s'en écoule, c'est de l'opium.
08:20Cette drogue aux vertus thérapeutiques,
08:23ce sont les Britanniques qui la produisent en Inde.
08:26Ils en ont le monopole de la commercialisation.
08:29Ils en sont, pourrait-on dire, les dealers.
08:32Et pourquoi ?
08:33Parce qu'ils ont tout simplement besoin
08:36d'équilibrer leur balance des paiements,
08:39la balance commerciale avec la Chine.
08:41Parce qu'eux aussi sont drogués, ils sont drogués au thé.
08:44Il faut beaucoup de thé, beaucoup de soie,
08:46beaucoup de porcelaine.
08:47Et tout ce qu'ils produisent, eux, ça n'intéresse pas les Chinois.
08:51Pour ne plus avoir à payer comptant tous ces produits dont ils raffolent
08:54et tenter d'enrayer l'hémorragie d'argent métal qu'ils y engloutissent,
08:59les Anglais vont se lancer dans le trafic de cette drogue
09:02qu'ils écoulent illégalement par bateaux entiers dans le port de Canton.
09:07Cette monnaie d'échange, miraculeuse pour les Anglais,
09:10va produire la ruine de l'Empire des Qing.
09:13Cet opium déferle sur la Chine.
09:17Et les mandarins horrifiés l'appellent la boue des barbares.
09:21C'est comme si l'Europe déversait sur la Chine ce qu'elle avait de pire.
09:27Et donc, par conséquent, pour les Chinois,
09:30évidemment, il y a là un scandale.
09:34Et peut-être l'entend-on aujourd'hui encore.
09:36C'est un scandale.
09:37C'est effectivement une manière de s'imposer à un marché extérieur
09:45qui est réellement honteux.
09:48La Chine tente de résister à cette invasion.
09:51Mais le mal est fait.
09:53Les effets délétères de l'opium sur l'économie et la société chinoise sont fulgurants.
09:57En 1839, 20 000 caisses d'opium qui arrivent dans le port de Canton sont confisquées par les Chinois.
10:06C'est l'occasion qui est saisie par l'Angleterre pour déclencher la première guerre de l'opium.
10:12Les combats dureront deux ans,
10:14à l'issue desquels les Britanniques, vainqueurs,
10:17contraignent les Chinois à signer à Nankin un traité de paix inégal.
10:22Cette façon d'ouvrir les portes du marché chinois de force,
10:26c'est ce qu'on va appeler la diplomatie de la canonnière.
10:30Fort de ce premier succès,
10:31les Anglais, 14 ans plus tard,
10:33prenant pour prétexte une sombre affaire de piraterie,
10:37déclenchent à nouveau les hostilités.
10:39La spécificité de la deuxième guerre de l'opium,
10:45c'est qu'elle s'internationalise.
10:47Il y a d'abord les Français,
10:49car prenant prétexte d'un meurtre d'un missionnaire français,
10:53Napoléon III,
10:55s'accorde avec la reine Victoria pour envoyer un corps expéditionnaire,
11:00les Russes, les États-Unis,
11:03veulent participer également à la coalition européenne.
11:07Car ce qu'ont réussi les Anglais en Chine en ouvrant de force
11:11cet immense marché jusqu'alors fermé aux échanges internationaux,
11:15provoque la convoitise d'autres puissances occidentales.
11:18Chacun veut désormais sa part du gâteau.
11:22Donc, la deuxième guerre de l'opium,
11:25on dirait que là, les portes sont ouvertes.
11:27Tout le monde y va.
11:28Tout le monde comprend ce qu'on peut gagner.
11:31Et cette frénésie de puissance et de cynisme,
11:38c'est cela qui va produire la prise du palais d'été de Pékin d'octobre 1860.
11:45Si la destruction du Wenminwen est bien cette catastrophe incommensurable,
11:51comment expliquer la faiblesse de la résistance des Tchins
11:54et de la puissante armée chinoise ?
11:57C'est que l'Empire traverse alors une profonde crise sociale et politique
12:01et qu'il est en proie à de violentes révoltes.
12:04En 1851, un instituteur de canton qui se nommait Rong Tsiokan
12:12prend la tête d'un mouvement politique de contestation
12:17à la fois mystique, moral et révolutionnaire
12:21qu'on appelle la révolte des Taiping.
12:23Il se présente comme le frère cadet du Christ
12:26et il veut imposer un royaume parfait fait d'austérité
12:31mais aussi de réformes politiques et de partage des terres.
12:37Cela va provoquer une effroyable guerre civile.
12:41Pendant 14 ans, les empereurs Tsing
12:44sont d'une certaine manière confrontés à cette épouvantable guerre civile
12:49dont on dit qu'elle va occasionner entre 20 et 30 millions de morts.
12:54Donc le hors-champ de cet événement, c'est ça.
13:00La prise du palais d'été s'inscrit donc dans la révolte des Taiping
13:04et si elle sanctionne la deuxième guerre de l'opium,
13:08elle se déroule elle-même en deux temps.
13:11Le premier moment est français et plutôt improvisé.
13:14Une fois aux portes de Pékin, les soldats tergiversent.
13:18Faut-il prendre la cité interdite,
13:20ce lieu de pouvoir protégé par de hauts murs
13:23et qui grouillent de vie
13:24ou poursuivre quelques kilomètres plus loin
13:27vers la résidence d'été préférée des empereurs
13:30mais dont ils ne savent pas grand-chose ?
13:33Au fond, les Français n'ont pas une idée très claire
13:36de ce qu'ils vont trouver
13:38en ouvrant les portes du Wenminwen.
13:44Ils n'en ont pas de représentation,
13:46ils n'en ont pas d'image,
13:48ils n'ont pas de but de guerre.
13:50Tout va être improvisé, incertain, hasardeux.
13:57Et cette première scène,
14:00elle est extraordinaire parce que c'est une sorte de charivari,
14:05sauvage et grotesque.
14:07Passée la stupeur dans un sentiment mêlé d'effroi et d'admiration,
14:11les Français s'abattent sur cette accumulation extravagante
14:15et indescriptible d'objets et de richesses.
14:19Poussant des ouras, se cognant, trébuchant, se relevant,
14:23ils saisissent à pleine main des colliers de perles,
14:26des rubis et des fourrures
14:27qu'ils cachent dans leurs poches et leurs képis.
14:30D'autres emportent parures impériales,
14:33sceptres, armes et pendules.
14:35Le pillage prend vite un tour carnavalesque.
14:38Certains se déguisent en femme,
14:39d'autres en mandarin.
14:40Et ce qui ne peut être emporté est brisé.
14:45Il y a quelque chose sur lequel notre compréhension occidentale,
14:48européenne, bute.
14:50C'est pourquoi tant de richesses
14:51étaient à ce point offertes
14:55ou d'une certaine manière vulnérables.
14:56Pourquoi personne ne les défend ?
14:59Mais peut-être parce que ce qui les défendait,
15:01ce qui les défendait vraiment, ces richesses,
15:04c'était de la sacralité.
15:06Et cette sacralité,
15:07les Français ne la reconnaissent pas.
15:10Ils ne la respectent pas.
15:13Ils sont effectivement
15:14ce que les Chinois disent qu'ils sont,
15:17c'est-à-dire des barbares incultes.
15:20Le deuxième temps du sac est anglais
15:22et mûrement réfléchi.
15:24Le 18 octobre,
15:25ordre est donné de tout brûler.
15:285 000 soldats s'y attellent,
15:29méthodiquement,
15:30pendant deux jours et deux nuits.
15:32Et tout flambe.
15:34L'aumônier du corps anglais
15:36félicitera les troupes d'avoir fait du bon travail.
15:40Qu'est-ce que c'était que le travail à accomplir ?
15:47C'était un travail d'humiliation.
15:49Il s'agissait de punir, de détruire,
15:52pour faire payer la Chine.
15:54Qu'elle paye,
15:55qu'elle paye son affront.
15:57C'est cela le travail.
15:58C'est un travail sur la mémoire.
16:00Là, en l'occurrence,
16:01oui, c'est un bon travail.
16:02Et c'est un bon travail
16:03parce que, d'une certaine manière,
16:05même en Europe,
16:06il ne rencontre pas d'opposition.
16:09Très peu d'indignation.
16:10Est-ce à dire qu'il ne reste plus rien aujourd'hui
16:14de l'ancien palais d'été ?
16:17Il est pourtant mentionné dans les guides
16:19et sur les cartes de Pékin.
16:21Et le touriste qui souhaite s'y rendre
16:23est conduit ici,
16:25à quelques kilomètres au nord-ouest
16:26de la cité interdite,
16:28au bord de ce lac.
16:29Là, il découvre un complexe palatial,
16:32des jardins impériaux,
16:34des palais, des pagodes,
16:35des temples, des pavillons,
16:36à un bateau de pierres,
16:38des collines, des lacs,
16:39des jardins et des plantations
16:41d'essence et de bois rares.
16:43Mais ce site impérial qu'il visite,
16:45qu'on appelle le nouveau palais d'été,
16:47n'est pas le Wenminwen,
16:49ni d'ailleurs sa reconstruction.
16:52Ce n'est pas un effondrement, 1860.
16:56La Chine, des empereurs,
16:58n'a pas dit son dernier mot.
17:01D'ailleurs, dans les années 1860-1895,
17:05s'ouvre un moment
17:08de réforme et de modernisation
17:11qu'on appelle le mouvement
17:13d'auto-renforcement.
17:15Il s'agit pour les empereurs
17:16de reprendre pied dans leur passé,
17:18dans leur grandeur,
17:19dans leur puissance.
17:21Et la reconstruction du palais d'été,
17:24elle s'inscrit dans cette ambition
17:28et dans ce contexte.
17:30La construction de ce nouveau palais d'été,
17:3315 ans après le sac,
17:34dit quelque chose.
17:35Elle dit que l'histoire
17:36ne s'est pas arrêtée en 1860.
17:39L'heure de la reconstruction a sonné.
17:42Mais la situation économique
17:44de la Chine n'est plus la même.
17:46L'empereur Changxi ne parvient pas
17:48à récolter les fonds nécessaires
17:50à l'édification d'un ensemble
17:51aussi vaste et somptueux
17:53que l'ancien Wenminwen.
17:56La centaine de bâtiments, temples,
17:58pavillons et pagodes
17:59qu'il fait construire
18:00ne représente qu'un tiers
18:02de la superficie du site détruit.
18:05Tel est aujourd'hui le palais d'été
18:07que les Chinois et les touristes
18:09visitent en masse.
18:12Mais éloignons-nous un peu
18:13de ce lieu touristique.
18:15C'est à l'écart des circuits obligés,
18:17en un lieu incertain,
18:18qui tient autant du terrain vague,
18:20du chantier archéologique
18:22et du jardin public,
18:23que nous pouvons prendre la mesure
18:25de l'ampleur de la destruction de 1860.
18:29Ce lieu, ce sont les ruines
18:31du Wenminwen,
18:33laissées comme une plaie
18:34ouverte dans l'histoire.
18:36On ne le visite pas vraiment,
18:38on y déambule.
18:40Ici, les Chinois cheminent
18:42parmi les décombres d'une histoire
18:44avec un sentiment que les Européens
18:47peinent à déchiffrer.
18:49Qu'inspirent ces ruines
18:50à ceux qui viennent s'y promener ?
18:53Recueillement ?
18:55Colère ?
18:56Quel pèlerinage accomplissent-ils
18:58sur le lieu de la destruction
19:00qui est, d'une certaine manière,
19:02un espace en attente ?
19:05Il faut comprendre que les Chinois
19:08n'ont pas la culture des ruines
19:13que les Européens ont développées
19:16depuis le XVIIIe siècle
19:18et qui marquent leur rapport au passé.
19:23Rares sont les endroits
19:24dans la Chine
19:26où des ruines sont visibles.
19:29C'est toujours honteux, une ruine.
19:32Et tout est paradoxal dans cette histoire.
19:35Parce que les seules ruines
19:36que l'on reconnaisse aujourd'hui
19:38sont celles de bâtiments
19:39qui témoignent du goût des empereurs
19:41pour l'occidentalisme.
19:43Et notamment de Tianlong
19:44qui, poursuivant le rêve universaliste
19:47de la dynastie Qing,
19:48fit construire des édifices
19:50inspirés par les plans
19:51du château de Versailles
19:52et de Schaunebrune, en Autriche.
19:59Le Wen Min Wen
20:01était, dit Victor Hugo,
20:03une construction inimaginable.
20:07Ça veut dire que ça ne peut pas faire image.
20:09Ça veut dire qu'on ne peut pas l'imaginer.
20:11Et pourtant, on a quand même une image.
20:15Une image survivante.
20:17Une image malgré tout.
20:22Une image infiniment précise et précieuse
20:25qui est un album de peinture sur soi
20:28datant du XVIIIe siècle,
20:30conservé dans les collections
20:31de la Bibliothèque nationale de France
20:33depuis 1862.
20:35Pierre Saint-Garavelu, historien de l'Asie,
20:39nous en parle.
20:41C'est un album composé de 40 vues
20:43de l'ancien Palais d'été.
20:45Il a été commandé par Tianlong
20:46et réalisé par deux artistes
20:49de sa cour en 1744.
20:52C'est la seule description
20:53aujourd'hui disponible
20:55de l'ancien Palais d'été.
20:57Alors, son objectif est simple.
21:00Il s'agit de représenter l'indescriptible.
21:03C'est-à-dire une représentation en miniature
21:05du monde tout entier
21:06et de faire passer un message politique,
21:10celui de la domination de Tianlong,
21:12en l'occurrence,
21:14sur le reste de l'univers.
21:17C'est aussi, pour l'Empereur,
21:19une façon de représenter
21:21dans cet album
21:22comme dans cet immense Palais
21:25une réplique de la Chine en miniature.
21:27Ces différentes régions
21:28extrêmement variées,
21:30ces montagnes majestueuses,
21:32ces grands fleuves.
21:34Et cet album traduit
21:35une sorte d'hétérotopie,
21:37c'est-à-dire une utopie en actes.
21:40La volonté pour les empereurs Qing
21:42de s'approprier leur empire
21:45et de le contrôler symboliquement.
21:49Et donc, il y a la volonté
21:51chez Tianlong
21:51de pouvoir posséder
21:52dans ses propres appartements privés
21:55une réplique miniature
21:57de ce palais lui-même,
22:01copie miniature du monde entier.
22:04Il n'y a pas que l'album de Tianlong
22:06à se trouver dans des collections étrangères.
22:09Combien d'objets chinois
22:10issus de ce sac
22:11sont-ils dans les musées
22:12et dans les collections privées ?
22:14Un rapport de l'UNESCO
22:15avance le chiffre
22:16d'un million d'objets
22:17répartis dans une cinquantaine
22:19de musées autour du monde.
22:21En 2016,
22:22l'Académie des vestiges culturels chinois
22:25estime, elle,
22:26à 10 millions
22:27les œuvres dispersées
22:28dans les collections
22:29publiques et privées.
22:31En réalité,
22:33on n'en sait rien.
22:34Mais ce que l'on sait,
22:36c'est que ce mouvement
22:38d'ampleur considérable,
22:41il pose aujourd'hui
22:42la question brûlante
22:43de la restitution.
22:46Il ne s'agit pas simplement
22:47de restituer
22:48des objets volés.
22:51Il s'agit aussi
22:52de réparer
22:53des récits brisés.
22:55Or, dès lors
22:55qu'un objet
22:56est arraché
22:57à son lieu
22:58et à son usage,
23:01il était inestimable,
23:03il obtient une valeur.
23:05Qu'un objet
23:06ait une valeur,
23:08ça a un nom,
23:08ça s'appelle
23:09le marché de l'art.
23:10Les premières ventes
23:12sont organisées
23:12sur place à Pékin.
23:14Mais très vite,
23:15c'est par bateau entier
23:16que les objets vont arriver
23:18en Europe.
23:19Dès 1861,
23:21à Londres
23:21et à Paris,
23:22les foules se pressent
23:23aux ventes aux enchères
23:25de ce qu'on appelle
23:26alors des chinoiseries.
23:28En vendant ces objets,
23:29d'une certaine manière,
23:30on continue
23:31à humilier,
23:32à rabaisser,
23:33à désacraliser
23:35le pouvoir impérial.
23:36C'est,
23:37en quelque sorte,
23:38la continuation
23:39de la punition
23:40par d'autres moyens.
23:41Et pendant ce temps-là
23:46dans le monde,
23:48on fredonne
23:48le nouvel ère
23:49de la modernité.
23:50Écoutez,
23:51c'est le premier
23:52enregistrement sonore
23:53de l'humanité,
23:54au clair de la Lune,
23:55par Scott de Martinville.
23:58Plus loin que la Lune,
23:59on annonce
23:59à l'Académie des sciences
24:00de Paris
24:01la découverte
24:02d'une nouvelle planète,
24:03Vulcain.
24:04Fausse nouvelle,
24:05elle n'existe pas.
24:06Le républicain
24:07anti-esclavagiste
24:08Abraham Lincoln,
24:10lui,
24:10existe bel et bien.
24:12Le 8 novembre 1860,
24:14il est élu
24:1516e président
24:16des Etats-Unis.
24:17Mais c'est en Afrique australe
24:19que se trouve
24:20le premier souverain
24:21à abolir
24:22la peine de mort.
24:23Il s'agit de Mochocho,
24:24roi du Soto.
24:26C'est aussi l'année
24:26où le chimiste allemand
24:28Albert Niemann
24:29invente la cocaïne,
24:31provoquant
24:31un nouvel esclavage
24:33et de nombreux morts
24:34de par le monde,
24:35bien davantage encore
24:36que l'opium.
24:39Certains intellectuels
24:40s'interrogent aujourd'hui,
24:41sur non pas la responsabilité
24:44de la Chine,
24:45c'est pas comme ça
24:46qu'il faut parler peut-être,
24:48mais le fait que la Chine
24:49est actrice
24:50de sa propre histoire.
24:51Qui a détruit
24:53le Yuan Min Yuan ?
24:54C'est une question
24:55que posait
24:56une pièce de théâtre
24:58en 2006.
24:59Elle a fait scandale.
25:00Évidemment qu'elle a fait scandale,
25:01parce que si certains intellectuels
25:04chinois veulent avoir
25:06un rapport critique
25:07à leur passé,
25:09évidemment le régime,
25:10le régime autoritaire
25:12de Xi Jinping,
25:15fait de ce rappel
25:17systématique au passé,
25:19de cette rhétorique
25:21de l'humiliation,
25:23une arme permanente
25:24de la propagande
25:26vis-à-vis de la Chine,
25:28vis-à-vis surtout
25:30de l'Europe.
25:31Pas pour dire à l'Europe
25:33« Vous nous avez empêché
25:36d'être les maîtres du monde »,
25:38mais pour dire à l'Europe
25:40« Nous serons ce que vous n'êtes plus,
25:42ce que vous ne savez plus être ».
25:44Et ça, c'est évidemment
25:45l'enjeu mémoriel essentiel
25:49pour qui veut comprendre
25:51la portée de l'événement.
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