Les chroniqueurs du Cercle débattent autour d'un film sortant en salles ou en diffusion sur CANAL+ https://www.canalplus.com/cinema/ Facebook : https://www.facebook.com/canalpluscinema/ Twitter : https://twitter.com/Canalplus Instagram : https://www.instagram.com/canalplus/
00:00Sept ans après le remarqué, Donbass en 1937, un jeune procureur idéaliste découvre l'horreur des geôles staliniennes et tente d'alerter sa hiérarchie.
00:09Mais dans ce monde clos, saturé de portes, de grilles et de matons, chaque pas vers la vérité le mène plus près du gouffre.
00:15Une descente aux enfers kafkaïenne entre Dostoyevsky et Jacques Tati, filmée en format carré encore, Frédéric.
00:21Est-ce que Lily, vous savez ce que c'est que le paradoxe sur le mouvement de Zénon ?
00:24Non.
00:25Eh bien, je vais vous raconter.
00:26C'est l'idée que, en fait...
00:27On dirait une accroche pour draguer les nanas en boîte.
00:29Non, non, mais le truc, c'est que vous devez aller d'un point A à un point B et vous devez franchir une moitié.
00:37Et comme vous devez aller aussi jusqu'à cette moitié, vous devez franchir en fait une moitié.
00:40Et comme vous devez sans cesse franchir des impossibilités de moitié, Zénon, il en avait conclu, tout mouvement est impensible.
00:45Or, c'est exactement ce que va raconter Sergei Glotica pour nous raconter le régime stalinien,
00:50en adaptant des nouvelles, une nouvelle en particulier qui, pendant 40 ans, a été censurée d'un scientifique russe
00:56qui avait été lui-même envoyé au goulag, et pour raconter le chemin d'un procureur.
01:01Alors, qu'est-ce qui se passe au début ?
01:02C'est un jeune procureur qui reçoit une missive, qui vient de la prison, et qui va vouloir enquêter en prison
01:06pour savoir exactement comment les choses se passent.
01:09On est en 1937.
01:10On est en plein, on va dire, au moment, à l'apogée des purges staliniennes.
01:14On massacre, on n'arrête pas d'envoyer des gens au goulag, et il va rencontrer, au terme de ce voyage,
01:20de ce voyage où il va franchir des portes, des portes de prison, pour pouvoir comprendre ce qui est en train de se produire,
01:25rentrer dans ce système, on pense à Kafka, vous avez raison, il va rencontrer le procureur Wyshynski,
01:30qui a été le grand opérateur, on va dire, des purges staliniennes.
01:34Alors moi, je vais vous montrer un exemple, je vais vous montrer un extrait,
01:36et je vais vous montrer ce qui se passe dans cette prison, et comment Los Nilsa réussit à filmer ce système.
01:42Et vous allez voir, évidemment, on sort d'une cellule, pour rentrer dans une autre cellule, qui est simplement le format.
01:48On est au format carré, c'est étouffant.
01:49On est dans des teintes beige, ogre, rouge sang, comme ça, on se sent un petit peu oppressé.
01:54Et regardez, c'est un des plus longs tours de clés et tours d'écrou que j'ai vus au cinéma.
01:59Lourdeur de la porte, ce regard.
02:01D'ailleurs, avec la ligne horizontale qui vient vraiment montrer le regard du procureur qui est en train de regarder le geôlier.
02:08Silence de plomb.
02:12Et là, vous imaginez, on pense qu'il va sortir par la cellule qui est à droite, au fond, et il sort par une autre cellule.
02:18Mais il y a encore une autre cellule, on est dans un labyrinthe.
02:21Et vous allez voir la fin de cette scène, parce qu'en fait, moi, je la trouve bouleversante, la fin de cette scène.
02:24En plus d'être oppressante.
02:30Il se heurte encore à une nouvelle porte, un nouveau mur, un nouvel obstacle.
02:36Et il y a ses regards figés sur lui.
02:41Ce que je trouve très fort dans ce film, on en a vu des films quand même sur des régimes oppressifs,
02:45qu'on en a vu des films sur des régimes totalitaires, notamment sur le régime stalinien.
02:50C'est que tous ces pas qui sont gagnés, tous ces tours de clés qui n'en finissent pas, c'est du temps qui est gagné.
02:56C'est du temps qui est gagné sur l'inéluctable, sur le tragique.
02:59C'est-à-dire que tout le monde sait exactement ce qui va se passer.
03:02Tout le monde sait dans quel système...
03:03Tu me as un peu peur, Frédéric, sur ce film.
03:05Non, non, non, non.
03:05Oui, parce que ce n'est pas du tout que ça, le film.
03:07Non, non.
03:08Moi, ce que je trouve passionnant, c'est que tout le monde sait ce qui va se passer,
03:12et qu'à chaque seconde qui est gagné, c'est d'une certaine façon une façon de s'arracher à un système dans ton sujet.
03:18Je ferme le verrou.
03:19J'aime aussi beaucoup le film, par ailleurs, mais je ne vois pas du tout la même chose, par exemple, dans l'extrait qu'on vient de voir.
03:25Moi, je trouve ça très drôle.
03:27J'ai trouvé ce film très drôle.
03:28C'est bizarre aussi, mais d'accord.
03:29Mais non, je ne veux pas que ce soit si bizarre, parce que c'est un peu fait exprès.
03:32Moi, pour moi, c'est un grand film burlesque, ce film.
03:35Dans un carré, certes, sur une réalité terrible, mais c'est quand même un film dont le mode d'emploi est donné par un méchant,
03:42là, on le voit là, il rigole, qui fait une blague au début.
03:45Il fait une blague, c'est un fonctionnaire de la prison, je crois que c'est le patron.
03:48Il fait une blague à son adjudant.
03:50Il lui dit, tu sais ce que c'est, les blagues que font deux bolcheviques qui se rencontrent ?
03:54Tu faisais quoi, toi, pendant la révolution ?
03:56Ah bah, moi, j'attendais en prison.
04:00Et tu fais quoi depuis ?
04:01Bah, la prison m'attend.
04:02Voilà, c'est ça, sa blague.
04:03Et en fait, cette blague, qui est une boucle, ça ne fait pas rire tout le monde.
04:06Non, mais ce que je veux dire, c'est que c'est la forme du film.
04:08Il appelle son patron encore aussi pour gagner du temps.
04:10Donc, le verrouillage, les bruits, etc., c'est aussi un ressort comique.
04:14Oui, c'est vrai que c'est...
04:15Et c'est aussi la critique.
04:16Je comprends que ce soit des ressorts burlesques, mais moi, je trouve que c'est des ressorts burlesques du sens du tragique.
04:19C'est un humour un peu.
04:20Cette blague, le geôlier, le directeur de la prison, lui demande de la répéter, ça le refait rire.
04:26Et ça, moi, ça m'a rappelé une scène géniale, ce qui est de To Be Or Not To Be,
04:29où on a le même personnage, vraiment, de directeur de camp, qui envoie tout le monde au camp de concentration.
04:34On lui raconte une bonne blague qu'il met en scène lui-même, et ça le fait tellement rire qu'il demande qu'on en rajoute.
04:38Et le plan que Fred a montré juste avant, avec les deux amorces, c'est l'affiche d'Une Affaire de Femmes, de Chabrol.
04:44Et je trouve que là où le film est très accueillant, c'est qu'en fait, il est un peu moins rigoriste que certains des documentaires
04:49ou des films précédents de Los Nitsa, et qu'il est comme ça, un espèce de grand film de genre.
04:53Il est assez drôle.
04:54Moi aussi, je trouve qu'il y a une référence à Tati.
04:56C'est marrant, on vient de parler de deux films carrés, dans lesquels Tati est un peu omniprésent.
05:00Il y a beaucoup de passages.
05:01On ouvre, on ferme des portes, on traverse.
05:02Mais il se ressemble à un côté Tati.
05:04Je te trouve bien silencieux.
05:05Qu'est-ce qui se passe ?
05:06T'as peur de parler ?
05:07On est d'accord.
05:09Avec le côté plan fixe.
05:10Ce que vous n'avez pas dit.
05:12C'est-à-dire que le plan fixe, parce qu'on est immobilisé en prison.
05:15Et ce qui est formidable, c'est qu'il n'y a que le héros qui croit qu'il va faire quelque chose.
05:18C'est-à-dire qu'il n'y a que lui qui croit.
05:20Et toute la mise en scène, et c'est vrai qu'on peut y trouver un humour, même si moi ça me glace,
05:25c'est qu'on a lâché ce type.
05:29Et en fait, c'est presque pour son bien qu'on l'arrête.
05:32C'est pas simplement pour gagner du temps.
05:34C'est que plus il va se débattre, plus le piège se ressentir autour de lui.
05:37Et ce qui est très intéressant dans le film, c'est qu'on voit comment l'espace et le temps l'enferment.
05:43Et ça, il y a quelque chose de tragique.
05:46C'est presque un personnage de Capra.
05:47C'est un personnage de Capra qui va se retrouver au goulag.
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