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00:00Dans Le Tour du Monde ce dimanche, une enquête exceptionnelle à vous proposer.
00:04Elle est signée de notre confrère, le journaliste Arthur Saradin, auteur de cet ouvrage, Le Nom des Ombres.
00:10Vous le voyez s'afficher sur vos écrans, Le Nom des Ombres, sortir de l'enfer concentrationnaire syrien, aux éditions du Seuil.
00:17Bonjour à vous, Arthur. Bienvenue sur le plateau de France 24.
00:20Vous étiez en Syrie, Arthur, au moment de la chute de Bachar el-Assad en décembre 2024.
00:26Vous avez rapidement pu recueillir les témoignages, les récits glaçants que vous compilez dans cet ouvrage.
00:32Témoignages de prisonniers libérés dans les jours qui ont suivi.
00:36Ces témoignages, ils sont bouleversants, ils sont glaçants, ils sont percutants.
00:40Les adjectifs vont manquer pour les qualifier.
00:43En tous les cas, vous donnez la parole à ces hommes, à ces femmes, à ces enfants aussi.
00:48Il faut le rappeler, détenus pendant plusieurs années dans les joules du système Assad, du clan Assad.
00:55Une première question. D'abord, comment et quelle approche vous avez adoptée pour pouvoir la recueillir ?
01:00Cette parole, à ce moment-là, à chaud.
01:02À chaud, en fait, moi je pensais avoir beaucoup plus de difficultés à la recueillir, cette parole.
01:07Habitant au Liban, on a un peu ce syndrome qu'on appelle de l'espionnite, des fois, parmi les personnes qu'on interview.
01:13Cette peur de parler aux journalistes, de se demander pourquoi ils veulent s'intéresser à notre intimité.
01:18Je me suis dit, dans un pays qui a été surveillé, comme la Syrie, où il y avait un agent de la surveillance pour 140 habitants, ça allait être impossible.
01:28Et en fait, après un demi-siècle de dictature, après des années de guerre, et après le poids terrible qu'a été cette République du silence sur les populations civiles,
01:37en fait, il y avait un besoin de parler.
01:38Et des fois, j'avais besoin seulement d'une question pour avoir une réponse d'une heure, une heure et demie, deux heures,
01:43de personnes qui avaient mille raisons de s'exprimer, mais qui, en tout cas, avaient ce besoin irrépressible de prononcer ces mots qui leur avaient été interdits pendant des années par la dictature.
01:52Et ils ont été enfermés dans ces prisons tristement célèbres.
01:55Alors, certaines, on les découvre comme Mazé, Tadmor, Palmyre.
01:58Mais on connaît la branche Palestine, on connaît Hadra ou encore Sednaya, l'abattoir humain, comme elle est qualifiée.
02:05On disait même à certains prisonniers, lorsque vous entrez à Sednaya, c'est pour y mourir.
02:09On a d'ailleurs ces images de cette prison qui continue d'ailleurs de les hanter, ces survivants qui acceptent de se livrer.
02:17Vous racontez, il vous raconte ces conditions de détention, la torture, la faim, les violences physiques et même sexuelles, même si elles restent encore taboues, celles-ci.
02:26Il faut peut-être, et c'est important de le rappeler, tous ces prisonniers n'étaient pas tous des militants ou des opposants politiques au pouvoir Assad ?
02:32Bien sûr, bien sûr que non.
02:33En fait, à un moment, j'écris même un chapitre qui s'appelle, dans ce livre, Le marché de la prédation.
02:39Parce qu'on se rend compte que dans le système concentrationnaire syrien, il y a avant tout un marché.
02:43C'est-à-dire qu'il y a des personnes qui se font arrêter, certes pour des raisons politiques, un post Facebook, une participation aux manifestations,
02:50mais il y a aussi des gens qui se font arrêter, par exemple parce que ce sont des jeunes filles qui ont refusé des avances d'un général,
02:56des personnes qui avaient une voiture un peu onéreuse, qui se font arrêter à un checkpoint, mettre en prison, pour qu'on puisse leur voler leur voiture.
03:02Il y a des arrestations pour tout en Syrie. On peut se faire arrêter parce qu'on est l'homonyme d'une mauvaise personne,
03:08et arrêter à un checkpoint, on se retrouve en prison. On peut se faire arrêter pour tout un tas de raisons,
03:12parce qu'on est à l'hôpital et après une manifestation, des agents du régime viennent faire une rafle dans les services d'urgence,
03:18et pensant qu'un tel ou un tel a été blessé peut-être par un tir, par la répression policière, eh bien on se fait arrêter.
03:24Et on se rend compte que plus d'un million de Syriens depuis le début de la révolution sont passés par ces geôles et par cet univers concentrationnaire syrien,
03:32et qu'aujourd'hui dans la rue, demander à un homme syrien s'il a connu la prison, on est plus ou moins sûr d'avoir un oui à la fin,
03:39et surtout d'avoir ensuite les récits des tortures et de la répression qu'a incarné ce régime pendant des années.
03:45Et on a ces images diffusées derrière vous qui viennent illustrer votre propos au moment de la libération de ces prisonniers,
03:52au moment où on découvre le monde entier, en fait, découvre l'existence de ces prisons.
03:55Alors certaines, on les connaissait, mais on n'imagine pas, Arthur, cette industrie de la mort mise en place pendant 50 ans de clancette.
04:03Comment est-ce que ça a été possible ? Et comment est-ce que des hommes ont pu infliger ça à d'autres hommes, des Syriens à d'autres Syriens ?
04:10Moi, ce qui m'avait le plus frappé, et c'est ce qui d'ailleurs me rappelait peut-être les récits du fascisme,
04:15que moi j'avais pu entendre plus jeune, quand on est à l'école, quand on étudie le nazisme et ce qu'ont été les totalitarismes du XXe siècle,
04:21ce qui m'a d'abord frappé, c'est la bureaucratie.
04:24En fait, des récits des prisons, on en a plein, dans leur individualité.
04:27Des personnes qui, depuis les années 80, témoignent des horreurs de ce qu'ils ont vécu dans cet univers du clan Assad.
04:33Et là, il y a un visage sur ce que vous racontez.
04:35Voilà, ça c'est un reportage de nos équipes, de Julie Dengelov, Sophia Marat, James André,
04:39qu'ils avaient tourné à la branche palestine, qui avait pu recueillir les témoignages de certains.
04:43Exactement.
04:44C'est terrible, c'est des gens brisés qu'on voit derrière.
04:46Il y a des personnes même, je me souviens dans ce reportage qui avait été très marquant,
04:49et quand on voyait ces visages, on voyait des personnes qu'en Syrie, on appelle les déconnectés.
04:53C'est ces personnes qu'on voit à l'image, qui ont tellement connu l'univers concentrationnaire et les tortures,
04:59qu'ils ont perdu la parole, jusqu'à la capacité de reconnaître et de connaître leur propre nom.
05:04Sous l'univers concentrationnaire nazi, on les appelait les musulmaners.
05:09Dans les livres de Primo Levi, ces personnes qui avaient, il disait, perdu la raison, perdu la voie,
05:14et bien le jour de la libération en Syrie, quand on rentrait dans les rues de Damas,
05:18on les voyait errer, près des hôpitaux, à la sortie de ces geôles,
05:21ces personnes qui étaient désorientées et que le régime avait arraché d'une part de leur humanité.
05:27C'est ce qui était très violent et ce qui était très dur aussi à décrire dans le livre.
05:30Parce que comment on témoigne avec quelqu'un qui ne peut plus parler ?
05:33Comment on raconte la vie et l'humanité d'une personne qui n'en porte presque plus
05:37et dont on a simplement le regard et des mouvements et souvent d'ailleurs une inertie ?
05:42C'est ce qu'on voit dans ce reportage d'ailleurs qui a été récompensé à Bayeux.
05:46Il est vraiment exceptionnel.
05:47On y rejoint aussi les récits que vous livrez, vous, dans cet ouvrage.
05:52Vous parliez à l'instant de cette humanité que certains semblent avoir perdue.
05:56Comment est-ce qu'on se reconstruit ?
05:58Est-ce que ces personnes avec lesquelles vous avez pu échanger, Arthur,
06:02elles envisagent l'avenir, elles envisagent la vie d'après ?
06:05Comment est-ce qu'elles peuvent être accompagnées aussi dans ce parcours de reconstruction ?
06:09Ce qui est difficile pour beaucoup, c'est qu'on n'est pas encore dans l'étape de la reconstruction.
06:12On est encore dans la survie après la prison.
06:15Une autre survie parce que la Syrie est encore en ruine.
06:17Donc il faut toujours réussir à manger, retrouver, disons, sa famille dans des conditions
06:22qui sont celles de la Syrie d'aujourd'hui où tout a été détruit.
06:25La Syrie est encore un champ de ruines.
06:27Et puis il faut porter le poids de ce qu'a été cet univers carcéral.
06:31Ces tortures, cette déshumanisation, l'interdiction qui avait été faite aux prisonniers
06:35de parler dans les prisons entre eux, parfois pendant plus d'une décennie.
06:39Et puis, est-ce qu'on se reconstruit vraiment après le crime contre l'humanité ?
06:43Moi je pense que la lutte en fait continue.
06:46L'après-libération, c'est en fait la poursuite de la révolution des Syriens.
06:49Et c'est ces personnes qui continuent à se battre pour savoir ce qu'a été le sort des disparus.
06:54Qui se battent pour avoir une justice transitionnelle après le crime contre l'humanité.
06:58Et qui se battent pour qu'eux aussi, en Occident, dans ces pays qui parfois ont laissé faire,
07:03n'ont pas réagi, ou ont parfois cautionné ou voulu réhabiliter la dictature d'Assad,
07:07eh bien on puisse préserver suffisamment de mémoire pour donner justice et raison à ces personnes
07:12qui sont contraintes pour survivre, de se battre après cette libération
07:16et de porter encore l'héritage empoisonné de ce qu'a été un demi-siècle de la dictature d'Assad.
07:22Et il y a un de vos interlocuteurs, Ihab, qui explique aussi qu'il ne peut pas y avoir de réparation sans justice.
07:29Qu'il y aura justice le jour où on pourra mettre la main sur Bachar el-Assad.
07:33Ça c'est quelque chose qui revient, cette absence de justice aujourd'hui, pour eux, elle est insurmontable ?
07:38Elle est insurmontable, on voit difficilement comment faire une justice transitionnelle aujourd'hui en Syrie,
07:43dans l'état qui est celui du pays.
07:46Le problème c'est que, qu'est-ce que l'injustice laisse dans une société qui est aussi polytraumatisée ?
07:52Malheureusement c'est le risque de vengeance.
07:54Et on le voit aujourd'hui en Syrie, il y a des exécutions punitives contre des hommes du régime.
07:59Il y a des faits de vengeance et on a vu les massacres qui ont été commis il y a quelques mois sur la côte à la Huit
08:05et on le voit encore dans le sud de la Syrie à Sueda.
08:08Donc ce risque de vengeance et ce risque de se faire justice pour soi-même,
08:13il est extrême et il inquiète beaucoup pour l'avenir de la Syrie.
08:16C'est ce que vous racontez aussi à travers l'un de vos personnages, de ce témoignage,
08:22qui explique que s'il pouvait se venger, s'il pouvait lui-même identifier ses bourreaux, il se rendrait justice lui-même.
08:27Qu'est-ce que peuvent faire les autorités aujourd'hui et qu'est-ce qu'on fait de ces prisons qui restent ?
08:33Est-ce que ça on le sait ?
08:34Disons que, moi je dis souvent, on comprendra le chemin mémorial que prendra la Syrie sur le destin de ces prisons.
08:41En réalité, il y a trois chemins.
08:42Le premier chemin, c'est de faire par exemple, comme dans l'Irak de Saddam Hussein, d'en refaire des prisons
08:47et de perpétuer l'état de barbarie.
08:50Le deuxième chemin, c'est d'en faire au contraire des lieux de mémoire,
08:53comme on a pu faire en Europe de l'Est, après le goulag ou les camps de concentration,
08:57et d'en faire des musées.
08:58Et puis le troisième chemin, ce serait celui de l'amnésie, celui, pour moi, qui habite au Liban.
09:02On connaît ce qui s'est passé après la guerre civile, et pour parler de la question carcérale,
09:06ce qui a pu se passer après le franquisme, de détruire les prisons.
09:09Aujourd'hui, en Syrie, on fait un peu les trois.
09:10Des prisons sont détruites, d'autres sont réhabilitées, d'autres vont devenir des musées.
09:14Et le fait majoritaire racontera beaucoup de ce que deviendrait la Syrie dans l'avenir,
09:18notamment vis-à-vis de l'héritage de l'assadisme.
09:21Je m'éloigne un petit peu de cet ouvrage, Le Nom des Ombres.
09:24Je voudrais aussi vous faire réagir, Arthur, sur un texte que vous avez écrit,
09:28vous l'avez publié dans les colonnes de Lorient Le Jour, il y a quelques jours.
09:31Un texte qui a beaucoup fait réagir avec ce titre, Un arabe est mort.
09:35Alors, vous racontez ces deux années de couverture de guerre au Proche-Orient,
09:40après deux années à couvrir la guerre pour plus d'une dizaine de rédactions européennes.
09:43L'auteur, vous, vous vous êtes heurté à une évidence, nos récits se brisent sur la vie arabe.
09:47Qu'est-ce que vous avez voulu transmettre à travers ce texte-là, Arthur ?
09:51Beaucoup de choses. Je pense qu'il faut le comprendre dans son intégralité.
09:54Le lire, ce sera le meilleur moyen de le résumer.
09:57Mais moi, j'avais, je pense, une colère.
10:00En tout cas, il y avait des choses qui m'étaient devenues insupportables
10:02dans la faillite morale qui a été la nôtre.
10:05Et j'en parle collectivement pendant la couverture de ces deux années de conflit.
10:08Quand vous dites la nôtre, nous, journalistes ?
10:10Nous, journalistes.
10:10Moi, il m'est insupportable maintenant de n'avoir que des discours humanitaires ou stratégiques
10:17pour parler de la guerre et d'occulter ce qui peut être la politisation des vie arabes.
10:21J'en ai marre qu'on ait mélangé les genres pendant deux ans
10:24en ayant invité sans cesse des représentants de l'armée israélienne
10:28qui allaient jusqu'à nous menacer et nous insulter sur nos propres plateaux de télévision
10:32au moment où il fallait parler des événements à Gaza, de la guerre au sud Liban.
10:37J'ai été dévasté par l'incapacité de mettre les vies arabes en récit,
10:42de donner corps à, justement, ces vies qui étaient effacées sous les bombes
10:45jusqu'à entendre des discours portés par des éditorialistes
10:48qui participaient à ce mélange des genres avec le journalisme,
10:51qui parlaient de bombes libératrices,
10:53qui nous parlaient de cette guerre qui était seulement prise par le prisme stratégique.
10:57Et je trouve que dans notre considération de ce qu'a été la vie arabe,
11:01nous avons eu plusieurs faillites morales
11:02dont il faudrait peut-être interroger les causes, les structures
11:05et aussi nos responsabilités individuelles.
11:07J'ai essayé de faire un texte, pas forcément pour me fâcher,
11:10mais pour avoir un regard peut-être plus introspectif
11:12sur ce que nous avons fait pendant deux ans
11:14et ce qui a parfois invisibilisé de nombreuses vies
11:17et qui a aussi marqué notre incapacité
11:19aussi à mettre des mots juridiques sur ce qui s'est passé.
11:22C'est ce que j'essaie aussi dans ce livre.
11:23Moi, ce livre, il m'a beaucoup aidé à mettre en perspective
11:25ce qui s'est passé pendant la couverture
11:27de la guerre au Liban ou des massacres à Gaza,
11:30savoir justement comment nommer le crime contre l'humanité,
11:34le crime de guerre et les autres.
11:36Merci beaucoup, Arthur Saradin.
11:37Merci d'être passé par le plateau de France 24,
11:39Le nom des ombres, sortir de l'enfer concentrationnaire syrien.
11:42Cet ouvrage est disponible depuis quelques jours maintenant
11:44en librairie aux éditions du Seuil
11:45et puis on peut vous lire
11:46et je renvoie à cet article publié dans l'Orient le jour,
11:50un arabe est mort.
11:50Merci beaucoup.
11:51Merci beaucoup.
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