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À l'occasion de la panthéonisation de Robert Badinter ce jeudi, nous recevons Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux de 2020 à 2024, Aurélien Veil, avocat et petit-fils de Simone Veil et Christiane Taubira, garde des Sceaux de 2012 à 2016. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-jeudi-09-octobre-2025-7017617
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00:00La grande matinale.
00:01Et avec Benjamin Duhamel, nous vous proposons ce matin un grand entretien spécial en ce 9 octobre 2025
00:10qui verra Robert Badinter entrer au Panthéon.
00:14Avocat, ancien garde des Sceaux, ayant aboli la peine de mort mais aussi ce qu'on appelait à l'époque le délit d'homosexualité,
00:23défenseur infatigable de l'universalisme républicain.
00:27Il fut un grand homme et oui, évidemment, la patrie peut lui être reconnaissante.
00:33Pour évoquer cette figure, nos invités Benjamin.
00:35Christiane Taubira, bonjour. Merci d'être avec nous en direct de Guyane.
00:40Vous avez été garde des Sceaux entre 2012 et 2016.
00:45Dans ce studio, un autre ancien garde des Sceaux, Eric Dupont-Moretti, bonjour.
00:48Bonjour.
00:49Merci d'être avec nous. Vous avez été place Vendôme entre 2020 et 2024.
00:52Et vous publiez « Juré craché » chez Michel Laffont. Enfin, Aurélien Veil, bonjour.
00:57Bonjour.
00:58Merci d'être avec nous, avocat.
00:59Petit-fils de Simone Veil, vous signez la post-phase d'un recueil de textes posthumes de Robert Badinter
01:04paru aux éditions Le Cherche-Midi et intitulé « Sur l'épreuve de l'antisémitisme ».
01:08Soyez les bienvenus au micro d'Inter.
01:10Même question à tous les trois pour commencer.
01:14Une question simple.
01:15Quel sentiment vous traverse ce matin, à quelques heures, de l'entrée de Robert Badinter au Panthéon ?
01:23Eric Dupont-Moretti.
01:26D'abord, c'est un grand jour pour notre pays, pour la République.
01:32C'est la France universaliste, humaniste.
01:36C'est presque devenu un gros mot, l'humanisme, aujourd'hui.
01:38C'est un homme qui n'a pas une goutte de sang français qui coule dans les veines
01:45et qui devient garde des Sceaux, vous le savez bien sûr, président du Conseil constitutionnel.
01:53À l'origine de l'abolition de la peine de mort, vous l'avez dit,
01:57de la dépénalisation de l'homosexualité, de la suppression des juridictions d'exception,
02:03d'une loi sur l'indemnisation des victimes,
02:09la possibilité également de filmer les procès historiques.
02:13Il y a un certain nombre d'autres choses encore.
02:15Et j'insiste particulièrement sur l'amélioration des conditions de détention des détenus
02:20et l'amélioration des conditions de travail du personnel pénitentiaire.
02:25Et on va détailler tout au long de ce grand entretien, effectivement, son héritage
02:29et les ponts que l'on peut faire entre ces combats d'hier et la situation d'aujourd'hui.
02:34Christiane Taubira, même question qu'à Éric Dupond-Moretti.
02:37Quel est votre état d'esprit aujourd'hui, alors que Robert Beninter s'apprête à entrer au Panthéon,
02:43à être honoré par le président de la République ?
02:46Alors, bonjour M. Demorand et M. Diamel, M. le ministre.
02:49Bonjour.
02:50Bonjour, madame.
02:51Bonjour, madame.
02:52Alors, c'est d'abord de l'émotion, c'est d'abord de l'émotion parce qu'il est extrêmement difficile
02:57d'emprisonner, dans quelques mots, dans quelques phrases, l'immensité de la personnalité de Robert Beninter,
03:04sa pugnacité, son opiniâtreté, sa volonté d'airain, c'est-à-dire cette capacité,
03:10malgré parfois une opinion publique hostile ou en tout cas défavorable,
03:14malgré un contexte général difficile, à s'arrimer, à rester obstinément
03:21attaché à des valeurs, à des principes, à une éthique, à une série de valeurs
03:26et de principes qui constituent une éthique.
03:29Et c'est cette éthique qui sert de matrice à toute son action.
03:33M. le ministre vient de rappeler, évidemment, le summum, d'une certaine façon,
03:38ce combat, cette constance contre la peine de mort, ce courage moral,
03:44cette vélocité verbale et en même temps, parce que je pense qu'on écoute les discours,
03:52en même temps, cette espèce d'émotion qui les trangle et qui n'asphyxie pas sa détermination.
04:00Et puis, c'est un homme extrêmement attachant.
04:04C'est la première personnalité que j'ai appelée lorsque je suis arrivée place Vendôme.
04:09Il n'a jamais été économe de ses conseils.
04:11Il a accepté de venir ouvrir les journées du 30e anniversaire du travail d'Intérieur Général.
04:17Et effectivement, il a ouvert, il a vraiment ouvert dans la loi,
04:22des droits pour les victimes, l'installation des victimes dans les processus judiciaires.
04:31On va revenir vers vous, Christiane Taubira, dans quelques instants,
04:35mais je veux absolument poser à Aurélien Veil la question de ce qu'incarne pour lui
04:42la panthéonisation de Robert Badinter.
04:44Il y a sept ans, votre grand-mère Simone Veil rentrait, elle aussi, au Panthéon.
04:49Vous savez donc intimement ce qui se joue dans ce grand moment cérémoniel et républicain.
04:56Ma grand-mère, comme Robert Badinter, exerçait tous deux des fonctions,
05:03l'un comme magistrat, l'autre comme avocat,
05:06dans la défense de la dignité humaine et des libertés fondamentales.
05:09Ce sont ces combats qu'il faut aujourd'hui conserver à l'esprit,
05:14au regard notamment des échéances électorales.
05:17Je crois également, ça a été rappelé par les deux gardes des Sceaux qui m'ont précédé,
05:24qu'il faut rappeler l'engagement de Robert Badinter en faveur des victimes.
05:28Tout le monde pense à l'abolition de la peine de mort.
05:30Il y a un débat qui porte sur la question de justice,
05:34l'importance aussi qu'il a accordée aux victimes,
05:36et quelque chose qu'il faut avoir en tête,
05:38tout comme l'importance qu'il a accordée à la lutte contre l'antisémitisme.
05:41– Éric Dubon-Moretti, sur un souvenir que vous avez avec Robert Badinter,
05:47vous vous racontez dans votre livre,
05:49quand vous êtes nommé garde des Sceaux,
05:51qui vous le voyez, qu'il vient vous voir,
05:53peut-être vous donner quelques conseils, vous nous le direz,
05:54et il vient avec un livre qui a un titre pour le moins éloquent
05:57sur l'expérience que tout garde des Sceaux peut avoir place Vendôme.
06:02– Des épines et des roses.
06:04Et il me rappelle qu'il a connu beaucoup d'épines.
06:07Après l'abolition de la peine de mort,
06:09la police, certains policiers,
06:13il faut être nuancé par les temps qui courent,
06:15et M. Jean-Marie Le Pen,
06:17viennent sous les fenêtres de la chancellerie
06:20hurler « Badinter, assassin ».
06:24Et quand Christiane Taubira dit qu'il a tracé son chemin
06:27sans se soucier de l'opinion publique,
06:31c'est une absolue réalité.
06:33Ça a été un homme d'un grand courage.
06:36Badinter, assassin.
06:37Et d'ailleurs, dans la continuité,
06:40lorsque nous avons organisé à la chancellerie
06:42une cérémonie en hommage à ce qu'il avait été,
06:46on a fait sa place Vendôme,
06:48eh bien, le Rassemblement National n'était pas là.
06:52Voilà.
06:53Le père, c'était Badinter, assassin.
06:56La fille, c'est une absence et un grand silence.
06:59– Elisabeth Badinter, l'épouse de Robert Badinter,
07:02dit dans le point que son époux fut un temps
07:05le ministre le plus haï de la Vème République.
07:09Elle mentionne les policiers qui manifestaient en 1983
07:13sous les fenêtres du ministère.
07:16Et le surnom qui était donné à Badinter,
07:19le ministre des voyous.
07:22– Oui, oui.
07:22– C'est...
07:23– Je ne sais pas, c'est un titre honorifique,
07:28si j'ose dire,
07:28parce que moi, j'ai été le ministre des détenus.
07:31Mais ça vient du même courant politique.
07:34Bon.
07:34– Vous voyez, ce sont des gens qui pensent
07:36que la politique pénale, c'est cogné, cogné, cogné.
07:40Et Robert Badinter, il a mis en exergue
07:44le travail de grand criminologue.
07:46Il a expliqué, par exemple,
07:47qu'un homme, avant de commettre une infraction,
07:50ne prenait pas le code pénal sous le bras.
07:53C'est toute la question de l'exemplarité.
07:55Il a beaucoup travaillé là-dessus.
07:56Il a beaucoup dit.
07:58Et aujourd'hui, son héritage, voyez-vous,
08:00est délicaté son.
08:01C'est splendide, c'est merveilleux, c'est extraordinaire.
08:04Qu'on l'honore aujourd'hui,
08:05qu'il entre au Panthéon.
08:06Mais il ne faut pas oublier son message
08:09et son héritage,
08:10parce que c'est ça qui compte le plus.
08:12– Alors, sur les prisons
08:13dont vous avez parlé, Éric Dupond-Moretti,
08:16j'aimerais vous faire écouter
08:18une archive de Robert Badinter.
08:21C'était le 3 mars 2009,
08:23dans la matinale de France Inter.
08:25Et voilà ce qu'il disait des prisons.
08:27– Ça m'avait tellement mis hors de moi
08:29quand j'étais garde des Sceaux.
08:30À chaque progrès,
08:31à chaque humanisation des conditions de détention,
08:34c'était une protestation générale.
08:35Je me rappelle,
08:36quand j'ai installé la télévision dans les cellules,
08:39ça a été un tollé,
08:39alors il ne manque plus que le champagne,
08:41c'est les trois étoiles.
08:42Ce mythe qui perd.
08:44Il y a une loi des reins
08:45qui pèse sur les prisons.
08:47Et elle est la suivante.
08:48C'est que, dans une société déterminée,
08:50on ne peut pas faire progresser
08:52le niveau de vie à l'intérieur des prisons
08:54au-dessus du niveau de vie
08:56du travailleur
08:58ou de la personne
08:58qui connaît la condition
08:59la plus défavorisée.
09:01Or, les prisons,
09:02dans une démocratie,
09:03on ne le supporte pas.
09:04La loi des reins des prisons,
09:06Christiane Taubira,
09:08comment recevez-vous ces mots
09:10de Robert Badinter ?
09:13Alors, c'est une citation que je connaissais,
09:16que j'avais déjà entendue,
09:17et à partir de laquelle,
09:20j'ai eu des échanges avec lui.
09:21Alors, je reviens rapidement
09:23à l'anecdote rappelée
09:24par M. le ministre du Pond-Mauréty.
09:27Lorsque les policiers
09:28ont manifestement
09:30sous mes fenêtres
09:31lorsque j'étais place Vendôme,
09:33Robert Badinter m'a appelé, justement.
09:35Il m'a appelé,
09:35il se trouve que j'avais déjà lu
09:36Les Épignes et les Roses,
09:37donc je connaissais
09:38cette expérience de ta part.
09:41Et il m'a raconté
09:44comment les vitres
09:45de côté place Vendôme,
09:47comment les vitres
09:48de la chancellerie vibraient.
09:50Et il m'a dit
09:50que c'est après cette manifestation
09:52qu'il y a eu des travaux
09:54de double vitrage
09:55à Vendôme.
09:59Mais en plus...
10:01Allez-y, Christiane.
10:02Sur le fond,
10:04il m'a aussi raconté,
10:06mais il le dit
10:06dans Les Épignes et les Roses,
10:08raconté la réaction
10:10du président François Mitterrand.
10:12Alors, sur la question
10:14des présidents,
10:14évidemment,
10:15c'est une question essentielle.
10:16Et c'est un...
10:19Moi, je pense que
10:19ce qui est remarquable
10:21dans cette observation
10:22de Robert Badinter,
10:24c'est sa lucidité.
10:26C'est sa lucidité.
10:28C'est-à-dire qu'il n'avance pas
10:30obstinément contre vents et marées,
10:32il avance obstinément
10:34parce qu'il tient une éthique,
10:36il tient des principes,
10:38il est guidé par des valeurs,
10:40mais il sait dans quel contexte
10:42il le fait.
10:42et il le fait en respectant
10:44l'opinion publique.
10:46Le respecter l'opinion publique,
10:47ça ne veut pas dire
10:48y adhérer,
10:49ça veut dire accepter
10:50le principe
10:51qu'en démocratie,
10:52il y a cette variété
10:54d'opinions,
10:55de sensibilités
10:56et que voilà,
10:58on peut même parler
10:59sans réfléchir.
11:00En démocratie,
11:01ce n'est pas recommandé,
11:02mais cela arrive.
11:03Il est conscient de tout ça
11:04lorsqu'il prend des décisions
11:06et il avance.
11:07Je vais peut-être profiter
11:08de la présence,
11:09il n'y a pas de raison
11:10même s'il n'était pas là
11:11de M. Veil,
11:12pour rappeler que Simone Veil
11:14a été extrêmement active
11:18et clairvoyante
11:19sur la peine de mort
11:22dans la réalité de l'exécution
11:24lorsqu'elle était directrice
11:25de l'administration pénitentiaire
11:27et elle a fait tout ce qu'elle pouvait
11:29pour permettre à des détenus
11:31pendant la guerre d'Algérie
11:32d'échapper à l'exécution.
11:34Et elle a eu une politique
11:35pénitentiaire aussi,
11:36très, très courageuse.
11:38Elle n'a pas eu
11:39les circonstances
11:40de l'action
11:41d'un garde des Sceaux
11:42de la dimension
11:43de Robert Badinter,
11:45mais elle a été
11:46extrêmement courageuse
11:47et elle a permis
11:48de faire progresser
11:49la condition pénitentiaire.
11:51Notamment des femmes détenues.
11:52Oui.
11:53Juste,
11:54Éric Dupond-Moretti,
11:56pour prolonger le propos
11:57de Christiane Taubira
11:58sur la lucidité
11:59de Robert Badinter,
12:00une lucidité qui,
12:02quand on voit
12:03les politiques pénales
12:04qui sont menées
12:05aujourd'hui,
12:06les débats qu'il y a
12:07sur un laxisme
12:09présumé de la justice,
12:11au fond,
12:11c'est une époque
12:12qui paraît totalement révolue.
12:13Je vais citer là encore
12:14ce que vous écrivez
12:15dans votre livre.
12:15J'ai le sentiment douloureux
12:16que si les choses
12:16continuent dans ce sens,
12:17il ne restera rien
12:18de l'héritage
12:19de Robert Badinter.
12:20Aujourd'hui,
12:20ceux qui célèbrent
12:21l'ancien garde de Dessau,
12:22le père de l'abolition
12:23de la peine de mort,
12:24quoi, pratiquent
12:25une politique inverse
12:26de ce qu'il prenait
12:28à l'époque ?
12:28A l'évidence,
12:30on est dans une période
12:32de droitisation
12:33extrême des esprits.
12:36Donc, on vous raconte
12:37deux choses.
12:38La première,
12:39pour régler les questions
12:40de délinquance,
12:41il faut cogner.
12:42Et cogner,
12:42et cogner.
12:44Les pays où ça cogne le plus
12:45ne sont pas les pays
12:46qui sont les plus sécurs.
12:48On va se dire les choses.
12:50Encore une fois,
12:51il y a toutes les questions
12:52d'exemplarité.
12:52Puis la deuxième chose
12:53qu'on vous raconte,
12:54à des fins politiques,
12:55je devrais dire politiciennes,
12:57c'est que la justice est laxiste.
12:58Tous les chiffres
12:59démontrent le contraire.
13:00Tous.
13:01La justice correctionnelle,
13:02la justice criminelle
13:04sont de plus en plus sévères
13:05et ce,
13:06depuis de nombreuses années.
13:07Et c'est,
13:07je prends ma part
13:08de responsabilité,
13:09mon échec
13:10que de ne pas avoir
13:11convaincu nos compatriotes
13:12de cela.
13:13J'ai essayé de le dire
13:14sous toutes les formes.
13:15Mais,
13:16vous savez,
13:17on est dans une époque
13:19qui ne connaît plus
13:20la nuance.
13:21On a des chaînes
13:22d'opinion continue
13:23qui,
13:23de 6h du matin
13:24à 6h du matin,
13:26nous racontent
13:26que la justice est laxiste.
13:28Mais non,
13:29mais ça conditionne
13:30les esprits,
13:31pardon de le dire.
13:33Enfermer les gens,
13:34formidable,
13:35parce qu'on met
13:36la société
13:37à l'abri
13:38de gens dangereux.
13:38Oui,
13:39mais il y a le volet
13:40réinsertion.
13:41Excusez-moi,
13:42enfermer les gens,
13:43jeter la clé,
13:44ce n'est pas la solution
13:45parce que,
13:46dans 15 ans,
13:46dans 20 ans,
13:47ces gens,
13:47ils vont sortir.
13:48Comment sortent-ils ?
13:50Et ça,
13:50c'était déjà
13:51une préoccupation
13:51de Robert Badinter.
13:53Oui,
13:53et puis il y a la question
13:54des conditions
13:55de détention.
13:56Évidemment.
13:57Les prisons de la République,
13:59une honte pour la République
14:00selon un rapport
14:01ancien déjà.
14:02Condition souvent indigne,
14:05même si des choses
14:07ont été faites.
14:08Bien sûr,
14:08moi je veux quand même
14:09le souligner,
14:10en termes d'amélioration
14:11des conditions
14:12de détention,
14:13de réhabilitation
14:13des établissements
14:14pénitentiaires.
14:15Mais il y a toute une frange
14:16de notre société
14:17aujourd'hui
14:18qui ne parle
14:19que de cogner,
14:21au fond,
14:22et que de répression.
14:23C'est une solution
14:24bien sûr,
14:26mais ça n'est
14:26évidemment pas la seule.
14:28Je voudrais qu'on dise
14:29un mot aussi,
14:29et on parlera dans un instant
14:30du combat de Robert Badinter
14:31contre l'antisémitisme,
14:33de l'avocat qu'il était,
14:34puisqu'il s'avère
14:35que dans ce studio
14:35nous avons par ailleurs
14:36deux avocats,
14:37Éric Dupond-Moretti,
14:38ancien,
14:39peut-être futur,
14:40l'avocat
14:41qui était Robert Badinter,
14:43sa voix,
14:44son éloquence
14:45incandescente,
14:47on se souvient
14:48de ses plaidoiries célèbres,
14:49procès Buffet-Bontemps,
14:50le procès pour défendre
14:52Patrick Henry.
14:53Cette phrase qui est restée
14:54« couper cette tome en deux
14:56ne résout rien ».
14:57Voilà ce que Robert Badinter
14:58avait dit
14:58en s'adressant
14:59au juré.
15:02Aurélien Veil,
15:02Éric Dupond-Moretti,
15:04c'est un modèle
15:05absolu
15:06pour tout avocat pénaliste,
15:07Robert Badinter ?
15:09Alors c'est un modèle
15:10absolu,
15:10pas seulement pour les avocats
15:11pénalistes,
15:12parce qu'il a été fondateur
15:13du barreau d'affaires.
15:14C'était un avocat
15:15innovant
15:16avec le cabinet
15:17Badinter-Bredin
15:19qui existe toujours
15:20comme Bredin-Pratt.
15:21Donc il avait
15:22une multiplicité
15:23de facettes.
15:25Les plus médiatiques
15:26sont ses facettes pénales,
15:27mais c'était aussi
15:28un spécialiste
15:29de propriété littéraire
15:30artistique
15:30qui explique
15:31sa proximité
15:33avec le monde
15:34des médias
15:36et le monde
15:36du spectacle
15:38pendant des années.
15:40Et puis aussi
15:41un homme conscient
15:42des réalités économiques.
15:43Éric Dupond-Moretti,
15:44sur le modèle
15:45de ces plaideries,
15:46vous vous en êtes inspiré
15:47vous-même ?
15:48On se souvient
15:49d'un certain nombre
15:49des vôtres,
15:50du moins qui ont été racontés.
15:51C'est une sorte
15:51de modèle indépassable
15:52Robert Badinter ?
15:53Oui, oui, bien sûr.
15:54Bien sûr, d'abord
15:55c'est une voix grave
15:57et au rang des choses
15:58que vous pourriez rediffuser
15:59aujourd'hui,
16:00il y a son intervention
16:01dans le cadre
16:02du procès Faurisson,
16:04l'ami de Soral,
16:06de Dieudonné,
16:07de Le Pen,
16:07de toute la clique,
16:09les négationnistes,
16:11ils se lèvent,
16:12ils prononcent des mots
16:13absolument sublimes.
16:14Donc c'est une voix,
16:16c'est un physique,
16:17c'est une éloquence
16:18tout à fait particulière.
16:20Et moi,
16:20je voudrais vous livrer
16:21une petite anecdote.
16:22J'ai rencontré
16:22à plusieurs reprises,
16:23évidemment.
16:24Il a été très bienveillant,
16:26très chaleureux
16:27avec moi
16:28et il m'avait dit
16:29à un moment,
16:31vous savez,
16:32il y a les épines
16:32et les roses,
16:33mais il m'avait dit
16:34également
16:34le cœur se brise
16:37ou il se bronze.
16:40C'est-à-dire qu'il y a un moment
16:41où vous en prenez
16:41tellement que
16:42ça craque
16:44ou au fond,
16:46vous résistez.
16:48Christiane Taubira,
16:49un autre des grands combats
16:51de Robert Badinter,
16:52c'est la dépénalisation
16:53de l'homosexualité.
16:55C'est sous son impulsion,
16:58avec Gisèle Halimic,
16:59l'Assemblée nationale
17:00a voté la fin
17:00du délit d'homosexualité,
17:03comme on le disait encore
17:05en juillet 1982.
17:07ça ouvre la voie
17:08à d'autres grands textes
17:10en faveur des droits
17:11des LGBT,
17:12notamment le mariage
17:13pour tous
17:14en 2013.
17:16Vous voyez,
17:17Christiane Taubira,
17:18un lien direct
17:19entre 82
17:20et 2013 ?
17:22Il y a de toute façon
17:24une continuité
17:26dans les grandes réformes.
17:27Pour ma part,
17:28quelles que soient
17:28les circonstances
17:29dans lesquelles
17:30j'ai été amenée
17:31à agir
17:31dans l'État
17:33ou au sein
17:33de l'Assemblée nationale,
17:35j'ai toujours interrogé
17:37la lignée
17:38de combat
17:39et de valeurs
17:40à laquelle j'appartenais,
17:42à laquelle je me raccrochais,
17:43à laquelle je me raccordais
17:44et qui devaient servir
17:46de repère
17:46aux uns et aux autres
17:47aussi
17:47pour comprendre
17:48la cohérence
17:49de l'action
17:49que je conduisais
17:50quitte à la désapprouver.
17:53Donc,
17:53incontestablement,
17:54toutes les luttes
17:54qui ont eu lieu
17:55pour desserrer
17:56les taux
17:57qui étranglaient
17:58les droits
17:59des personnes
18:00homosexuelles,
18:02toutes ces actions-là,
18:04il fallait beaucoup
18:04de courage
18:05en 1982.
18:06Effectivement,
18:07Gisèle Halimi
18:07à l'Assemblée nationale,
18:08Raymond Forny
18:09à l'Assemblée nationale
18:10auraient été
18:11des piliers
18:12qui ont apporté
18:14leur appui
18:15à l'action
18:16et au combat
18:16significatif,
18:18là encore,
18:18de Robert Badinter.
18:19Badinter ne faisait
18:20que grand,
18:21il faisait que grand.
18:22Heureusement,
18:23d'ailleurs,
18:23je veux dire
18:24qu'en 1981,
18:26lorsqu'il arrive
18:27Place Vendôme,
18:28on a vraiment
18:28besoin de grand,
18:30on a besoin de grand.
18:31Les libertés publiques,
18:32les libertés individuelles
18:33sont relativement étranglées,
18:35en tout cas,
18:35bien rétrécies.
18:37La condition pénitentiaire
18:38est une condition
18:39très arriérée
18:41en termes
18:41de valeurs,
18:42de principes,
18:44de valeurs républicaines,
18:46de respect de la dignité,
18:46des droits des personnes,
18:48de la dignité
18:49vraiment profondément.
18:51Donc,
18:51voilà,
18:52il a fait grand
18:53parce qu'il était
18:55déjà taillé
18:56pour le costume
18:57et surtout,
18:58comme cela a été rappelé,
18:59il avait déjà mené
19:00les batailles,
19:01il avait déjà
19:01pris des initiatives,
19:03il avait déjà
19:03construit des choses
19:05dans sa vie
19:06d'avocat.
19:08Donc,
19:08oui,
19:09il y a
19:09une continuité,
19:10il faut y ajouter
19:11évidemment les luttes
19:12de terrain,
19:12des personnes
19:13directement concernées,
19:14il faut y ajouter
19:15toutes les voies
19:16qui à un moment
19:16ou à un autre
19:17se sont élevées
19:18pour l'égalité
19:19des droits.
19:20Et je citais
19:211982,
19:242013
19:25pour le mariage
19:26pour tous,
19:27c'est une histoire
19:27qui continue aussi
19:28avec vous,
19:29Éric Dupond-Moretti.
19:31Oui,
19:31parce que j'ai porté
19:31un texte
19:32qui a été voté
19:33et qui permet
19:33l'indemnisation
19:34des homosexuels
19:35condamnés,
19:36évidemment avant
19:37l'abrogation
19:38du délit
19:38d'homosexualité.
19:40Aurélien Veil,
19:40je voudrais qu'on parle
19:41du combat
19:41de Robert Badinter
19:42contre l'antisémitisme.
19:44Robert Badinter
19:44naît dans une famille
19:45juive originaire
19:46de Bessarabie,
19:47marquée par la guerre,
19:49ses parents
19:50qui ont fui à Lyon
19:50pour échapper
19:51aux arrestations,
19:52le père de Robert Badinter
19:53qui a été arrêté
19:54par la Gestapo à Lyon,
19:55mort déporté
19:56à Auschwitz.
19:58Et ce traumatisme
19:59dans ces dernières années
20:00de voir revenir
20:02l'antisémitisme,
20:04le premier texte
20:05qui figure
20:05dans le livre
20:07que vous poste
20:07facez Aurélien Veil,
20:08voilà ce que disait
20:09Robert Badinter,
20:09jamais vous m'entendez
20:10jamais je n'aurais cru
20:11que j'entendrais à nouveau
20:12crier dans les rues de Paris
20:13mort aux Juifs
20:15et cependant
20:16c'est arrivé.
20:18Il a vu,
20:20il était traumatisé
20:21de voir progresser,
20:23émerger de nouveau
20:23dans des proportions
20:24hallucinantes
20:26l'antisémitisme
20:26en France ?
20:27Il était évidemment
20:29en tant que survivant
20:30de la Shoah
20:30ce qu'on oublie
20:30puisque lui-même
20:31a failli être arrêté
20:32en 1943
20:33à Lyon, rue Saint-Catherine
20:34lors de la RAF
20:35pendant laquelle
20:36son père est arrêté.
20:37Il est lui-même
20:38donc survivant
20:39et il voit progresser
20:40l'antisémitisme
20:41avec d'abord
20:42l'assassinat
20:43d'Ilan Halimi
20:44puis les attentats
20:46de Toulouse
20:46ensuite
20:47jour de colère
20:49où on crie
20:49mort aux Juifs
20:50dans les rues de Paris
20:51et enfin
20:52l'hypercachère
20:53dont il a le sentiment
20:55comme beaucoup d'autres
20:56ce qu'il exprime
20:57lors de cette conférence
20:58que l'on ne mesure pas
21:00la portée antisémite.
21:02On pense que
21:02la réaction collective
21:04semble faire
21:05comme si c'était
21:06un hasard
21:07mais pour lui
21:08comme après Toulouse
21:10c'est le silence
21:11sur la spécificité
21:12de la haine anti-juive
21:13qui motive sa réaction.
21:15Et Eric Dubon-Borretti
21:15le père de Robert Badinter
21:17mort effectivement
21:18à Sobibor
21:19et ce moment
21:20de dramaturgie incroyable
21:22il est garde des Sceaux
21:23il y a le procès
21:25de Klaus Barbie
21:26Klaus Barbie
21:27responsable
21:28de la rafle
21:29du père
21:30de Robert Badinter
21:31il ne se constitue pas
21:32partie civile
21:33pour ne pas être accusé
21:34qu'il y ait une imixtion
21:36dans le procès
21:36mais il demande
21:37une chose
21:38Eric Dubon-Borretti
21:39une chose
21:39c'est que Klaus Barbie
21:41soit incarcéré
21:42à la prison Montluc
21:43à Lyon
21:44prison
21:44où Klaus Barbie
21:45avait fait torturer
21:46des résistants
21:48ceux qui s'apprêtaient
21:49à être déportés
21:50c'est là aussi
21:51cette
21:51en quelque sorte
21:53ça incarne Robert Badinter
21:54c'est la justice
21:55la justice avant tout
21:57et pas le ressentiment
21:58pas la vengeance
21:58oui
22:00il est allé très loin
22:02parce qu'il a écrit
22:03chronique de l'antisémitisme
22:04ordinaire
22:05qui évoque la façon
22:06dont le barreau
22:07et le barreau
22:08c'était pas rien
22:09pour lui
22:09c'est mal comporté
22:11il aurait pu
22:12dans un esprit
22:13corporatiste
22:15parler de tout le monde
22:16sauf du barreau
22:17mais il a dit
22:18de façon très claire
22:19que le barreau
22:20c'était mal tenu
22:21bien sûr
22:22et ça faisait
22:23il fallait
22:24pardon
22:24oser l'écrire
22:25et puis
22:28on a évoqué
22:29un certain nombre
22:30de choses
22:30qui ont été faites
22:31on a oublié
22:32mais il y en a tellement
22:33des choses
22:33à rappeler
22:34le travail d'intérêt général
22:36pour éviter
22:37l'incarcération
22:38on a oublié
22:39également
22:39l'ouverture
22:40à la justice européenne
22:41si les citoyens français
22:42peuvent aujourd'hui
22:43saisir la cour européenne
22:44de Strasbourg
22:46et certains de nos politiques
22:47l'ont fait
22:48ou envisagent de le faire
22:49si j'ai bien compris
22:50c'est grâce à Robert Badinter
22:52qui avait un regard
22:54cruel
22:56mais assez lucide
22:58sur la politique
22:59ça ne l'a pas empêché
23:00d'être ministre
23:02évidemment
23:02ni sénateur
23:03pendant 16 ans
23:04voilà ce qu'il disait
23:06je n'aime pas
23:06le monde politique
23:08je n'aime pas
23:09la politique
23:10il y a des femmes
23:11et des hommes
23:12de grande qualité
23:13mais aussi
23:14beaucoup de médiocrité
23:16fin de citation
23:17ça évoque quelque chose
23:19Eric Dubon
23:21on sait que
23:22dans l'actualité récente
23:24on retrouve l'illustration
23:26des propos de Robert Badinter
23:28oui à l'évidence
23:29et Christiane Taubira
23:30sur ce point
23:32et sur
23:32là encore l'impression
23:33quand on réécoute
23:34les archives
23:35de Robert Badinter
23:36ses discours
23:36d'un décalage
23:38assez frappant
23:39avec les débats
23:41aujourd'hui
23:41la façon dont il se déroule
23:42à l'Assemblée Nationale
23:44moi la différence
23:47c'est que
23:48j'aime la politique
23:49j'aime profondément
23:50la politique
23:50parce que je crois
23:51que c'est par la politique
23:52qu'on change les choses
23:53c'est par la politique
23:54qu'on fait du bien aux gens
23:55c'est par la politique
23:56qu'on garantit
23:56les libertés individuelles
23:57et les libertés politiques
23:58ça ne m'empêche pas
23:59de comprendre ce propos
24:00de Robert Badinter
24:01mais j'aime la politique
24:02il faut lui redonner
24:04ce qu'on peut appeler
24:04les lettres de noblesse
24:06parce que c'est par les lois
24:07qu'on change la vie des gens
24:08c'est
24:09voilà
24:10donc
24:10bon
24:11pour moi évidemment
24:12ce qui se passe actuellement
24:16ne peut pas servir
24:17de référence
24:18ce qui se passe actuellement
24:20ne peut pas servir
24:21en tout cas
24:21ne peut servir
24:22que de contre-exemple
24:23notamment
24:24pour que des étudiantes
24:25et des étudiants
24:26sachent
24:27comment on peut dévoyer
24:28de belles fonctions
24:29comment on peut
24:30maltraiter les institutions
24:31comment on peut maltraiter
24:33les citoyennes
24:34et les citoyens
24:34parce que quand même
24:35dans le fond
24:36c'est cela
24:36lorsqu'on fait des lois
24:38lorsque Robert Badinter
24:39prend des dispositions
24:40pour améliorer
24:40la condition
24:41carcérale
24:42lorsque je m'inspire
24:44de lui
24:44dans ma loi
24:45dans ma réforme pénale
24:47du 15 août 2014
24:49qui a été précédée
24:50par une conférence
24:51de consensus
24:52dans laquelle
24:53le détail
24:53a travaillé très sérieusement
24:55aujourd'hui
24:56vous avez des poches
24:57de résistance
24:57sur la question
24:58de la détention
24:59je pense à la
25:00contrôleur général
25:02des lieux
25:02de prédation de liberté
25:03je pense à la défense
25:05des droits
25:06Claire Hédon
25:07vous avez des poches
25:08de résistance
25:08des personnes
25:09qui tiennent bon
25:10qui tiennent le cap
25:11qui continuent
25:12à s'élever
25:12qui continuent à rappeler
25:13ce que sont les valeurs
25:15républicaines
25:16ce que sont les principes
25:17ce que notre dignité
25:18exige
25:19donc effectivement
25:20nous sommes dans une parenthèse
25:21je veux croire
25:21que ce n'est qu'une parenthèse
25:23où on a l'impression
25:24que la politique
25:25est médiocre
25:25qu'elle est mesquine
25:27qu'elle est nourrie
25:28de rivalités
25:29qu'elle abaisse
25:30la conscience humaine
25:31mais la politique
25:32avec sa majuscule
25:33demeure
25:34ce qu'il y a
25:35de plus grand
25:36parce que c'est
25:37l'engagement
25:37avec la conscience
25:39de risquer de se tromper
25:40c'est l'engagement
25:41de...
25:41Merci Christiane Taubira
25:42Merci Christiane Taubira
25:44Et juste un mot
25:45pour dire que
25:46la cérémonie aura lieu
25:47ce soir au Panthéon
25:48et que le public
25:50peut se rassembler
25:51rue Soufflot
25:52dans le 5ème arrondissement
25:53à partir de 17h30
25:55pour rendre ce dernier hommage
25:56à Robert Beninter
25:57qui rentrera donc au Panthéon
25:58Merci Christiane Taubira
26:00Merci Eric Dupond-Moretti
26:02d'être venu ce matin
26:04au micro d'Inter
26:05juré craché
26:06chez Michel Laffont
26:07le titre de votre dernier livre
26:09Merci enfin
26:10Aurélien Veil
26:12publié aux éditions
26:14du Cherche Midi
26:15ce livre sur l'épreuve
26:18de l'antisémitisme
26:20que vous avez post-facé
26:23c'est un recueil de textes
26:24posthumes de Robert Beninter
26:26Merci à tous les trois
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