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  • il y a 2 mois

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00:00Vous écoutez Culture Média sur Europe 1, 10h-11h30 avec Thomas Hull
00:04et avec votre invité ce matin, la romancière Natacha Apana pour son dernier livre
00:08La Nuit au Cœur, publié chez Gallimard.
00:10Et on voulait absolument ce matin accueillir une artiste, une chanteuse
00:14qui entre pleinement en résonance avec votre livre.
00:17Bonjour Suzanne.
00:18Bonjour Thomas.
00:19Et merci beaucoup d'être là.
00:21Alors je vous ai offert juste avant ce livre, La Nuit au Cœur.
00:25Dédicacé.
00:26Dédicacé du coup par Natacha Apana à l'instant.
00:30Je suis un peu déçu, vous m'ayez pas demandé.
00:33Mais c'est vrai parce qu'en lisant ce livre, on a pensé à vous, à votre histoire
00:37et à votre chanson surtout, Je t'accuse que vous aussi, vous avez écrit comme Natacha
00:44dans l'espoir d'être utile et de changer un peu les choses à votre mesure.
00:48Je sais pas si à la base j'ai voulu écrire cette chanson pour être utile.
00:52Alors peut-être utile à moi-même déjà, parce que je pense que j'étais dans une période
00:56de ma vie où j'avais mis un mouchoir sur la violence que j'avais subie et je pense
01:02que c'est les mots qui m'ont aidé à sortir un peu de ce mal-être que je portais depuis
01:07des années.
01:08Et voilà, mon premier refuge, ça a été le piano, les mots.
01:11Ce Je t'accuse qui est sorti un peu comme un crachat.
01:15C'est pas le plus joli mot, mais un truc qui restait trop longtemps en moi en tout
01:19cas.
01:19J'étais entre mes quatre murs à la base quand j'ai écrit cette chanson, donc il
01:23y avait quand même une intimité où j'ai pu sortir ces mots.
01:27J'ai commencé par ce d'abord, il y a eu Gisèle, et puis il y a eu Sophie, Lisa, Kadija
01:31et Marie, et ma copine Claire.
01:33Et puis il y a ce mot aussi qui n'a pas été évident à insérer dans ces noms de
01:39femmes, mais j'ai senti que c'était le moment, en tout cas dans ma vie de femme.
01:42J'avais les outils, justement j'ai la chance d'écrire des chansons, donc c'est mes premiers
01:46outils, Natacha je crois que c'est l'écriture aussi, et merci de témoigner dans un livre,
01:52moi je témoigne en chanson, et le but c'était quand même de me réconforter, et aujourd'hui
01:56je vois que cette chanson réconforte beaucoup d'autres personnes.
02:00Donc voilà, c'est un pansement, cette chanson aussi, c'est un cri de colère, mais pour
02:04toutes les victimes qui tombent dessus, je pense que c'est surtout un pansement.
02:08Je vous propose qu'on l'écoute, ce pansement, ce titre très fort qui parle de toutes ces
02:13femmes violentées, et de ceux qui ont préféré fermer les yeux, voici « Je t'accuse »
02:18par Suzanne.
02:19D'abord y'a eu Gisèle, et puis y'a eu Sophie, Lisa, Kadija et Marie, et ma copine
02:37Claire, et puis y'a moi aussi, et puis toutes celles qui n'ont jamais rien dit, mais t'en
02:43rien à faire, toi, ce sera qu'un monde plus sur la liste, dans un fait divers, dans
02:50un tiroir, des tonnes de vies classées sans suite, mais tu vas rien faire, toi, et c'est
02:59bien ça le problème, justice est-ce qu'on doit te faire nous-mêmes, car je t'accuse
03:09de fermer les yeux alors que t'as tout vu, je t'accuse, c'est pas l'innocent, t'as
03:19rien fait quand t'as su, je t'accuse, main droite à te lever, je t'accuse, et j'assume.
03:31T'étais où ? Sûrement que t'existes pas, pourquoi t'es jamais là, quand on ne croit
03:37plus qu'en toi, demande à tous les gosses que tu ne protèges pas, tous les monstres
03:42ne sont pas que dans les salles de cinéma, mais t'en as rien à faire, toi, ce sera
03:48qu'un monde plus sur la liste, dans un fait divers, dans un tiroir, des tonnes de vies
03:56classées sans suite, mais tu vas rien faire, toi, ou faudrait qu'on t'harcèle
04:03justice, est-ce qu'on doit te faire nous-mêmes, car je t'accuse de fermer les yeux alors
04:15que t'as tout vu, je t'accuse, c'est pas l'innocent, t'as rien fait quand t'as su, je
04:23t'accuse, main droite à te lever, je t'accuse, et j'assume, et j'assume, pour toutes celles
04:39que la violence a condamné au silence, je t'accuse, pour celles qui avaient prévenues
04:46et que t'as jamais entendues, je t'accuse, pour celles qui prennent la plus lourde des
04:53peines, pour les victimes de ton système, je t'accuse, et j'assume.
05:02Tellement fort ce titre, je t'accuse, par Suzanne sur Europe 1, et votre je t'accuse,
05:08Suzanne, il est dirigé vers la justice, vers ses lenteurs, vers ses silences, vous ne
05:13croyez pas en la justice ?
05:14Je pense que ce je t'accuse, il est adressé, oui, peut-être d'abord à la justice
05:18française, MeToo, c'était il y a 8 ans, je crois, et aujourd'hui, on constate que
05:24les femmes ont libéré leur parole, les victimes de violences sexuelles et sexistes
05:27en règle générale, et on voit que les chiffres ne répondent pas, toujours 96% de plaintes
05:34classées sans suite, très peu de condamnations, donc la parole se libère, mais on voit que
05:38ça n'avance pas vraiment, donc je m'adresse à la justice, je pense que dans ce je t'accuse,
05:42je m'adresse forcément à mon agresseur, et je m'adresse aussi à la société, dans
05:46le sens où il y a quand même pas mal de monde qui ferme les yeux, je pense qu'on ferme
05:50un petit peu les yeux là-dessus, et on ne veut pas voir quand on sait, mais on ne veut
05:52pas voir, donc ouais, c'est une façon de taper, d'appuyer un petit peu où ça fait
05:56mal.
05:56Ça fait écho au roman de Natacha, puisque Natacha nous racontait que le tueur de
06:01Chahinez, son mari, avait fait 30 minutes de garde à vue, ce qui est dérisoire et ce
06:06qui va en écho avec votre chanson et les paroles de votre chanson.
06:10Suzanne, mais qu'est-ce qu'on peut faire ? Enfin, aujourd'hui, qu'est-ce qu'on peut
06:12faire tous à notre niveau, en fait ? C'est quoi la solution aujourd'hui ?
06:17À part se révolter, je ne vois pas quoi, en fait. Je pense qu'on est impuissants.
06:21Enfin, nous, on écrit des livres, des chansons, on essaye de témoigner, mais qu'est-ce
06:26qu'on peut faire de plus ? Mis à part, c'est là où j'en viens à dire que c'est
06:29la justice qui doit aider les victimes, ce n'est pas à nous-mêmes de nous aider
06:32toutes seules, quoi. À un moment donné, la justice, elle est là pour ça, elle est
06:36là pour protéger les victimes, faire de la prévention et les reconnaître, au
06:40moins. Là, aujourd'hui, les victimes, elles subissent encore des doubles peines
06:42quand elles vont parler. On en est encore là, aujourd'hui.
06:47Ce qu'il faut expliquer aussi, Suzanne, c'est que vous-même, vous avez été
06:51victimes avant de devenir artiste et comme souvent, votre agresseur, c'était un homme
06:55de confiance. C'est souvent le cas dans ces histoires, c'est souvent un proche.
06:59On ne sait pas, je ne peux pas dire, je pense qu'il y a plein de gens qui vivent ces traumatismes
07:04de façon très différente. Oui, moi, c'était avec un garçon que je connaissais très bien,
07:07à qui je faisais confiance et malheureusement, je n'aurais pas dû. Mais voilà, sur le moment,
07:12je n'ai pas su me protéger et là encore, je m'en veux à moi. C'est encore ce mécanisme
07:17de dire que c'est presque ma faute de m'en vouloir, de ne pas avoir su me défendre
07:22sur le moment. Mais en fait, c'est à lui qu'il faut en vouloir. Enfin, c'est lui qui doit
07:25s'en vouloir d'ailleurs. Donc voilà, je pense qu'il faut remettre un petit peu les choses
07:29au bon endroit.
07:30Mais vous n'avez pas voulu porter plainte ?
07:31Alors, porter plainte, c'est vrai que c'est une vraie question. Malheureusement,
07:35dans ma vie de femme, la première fois que j'ai eu affaire à une violence sexuelle,
07:39ce n'était pas sur moi, c'était sur une amie à moi. J'avais environ 18 ans et cette amie
07:43m'a expliqué qu'elle avait été agressée sexuellement par notre chef. Je suis allée
07:49porter plainte à la police de Saint-Raphaël ce jour-là et on m'a presque rigolé au nez.
07:55J'ai compris que ma parole n'avait aucune importance. Donc j'ai eu le souvenir de sortir
07:59du commissariat et de me dire que ça ne servait à rien. Je vais peut-être aller voir la
08:03directrice de ce complexe dans lequel je travaillais avec cette jeune femme qui venait de se faire
08:07violer. La directrice, je me suis dit que c'est une femme qui va peut-être m'entendre
08:12un peu plus que ces messieurs à la gendarmerie. Et pareil, elle a voulu étouffer un petit
08:16peu le truc parce que ce n'était pas le moment d'en parler. Donc en fait, quand ça
08:20m'est arrivé à moi-même, j'étais conditionnée à me dire que de toute façon personne ne
08:24va m'aider. Encore moins la justice, encore moins des policiers. Donc non, je n'ai même
08:28pas voulu porter plainte.
08:29C'est ce que vous vous êtes dit vous aussi, Natacha Apana ? Est-ce que vous n'avez pas
08:32porté plainte non plus ?
08:33Non, non, je n'ai pas porté plainte. Je n'y ai même pas pensé. Mais je crois que Suzanne
08:38dit quelque chose de très intéressant et important. C'est sur le poids de la parole
08:43et l'importance que cette parole-là prend dans les oreilles des autres. Le mari de Chahinez,
08:48il a fait de la prison, lui. C'est le mari d'Inès Messelem qui a fait 30 minutes de garde
08:54à vue. Je crois que là, vous parlez de l'impuissance, l'impuissance du langage, l'impuissance
09:01de la parole. Je crois que là où on pourrait peut-être faire quelque chose, c'est dans
09:07la multiplicité de ces prises de parole. Plus on parle, plus on raconte, plus on dit
09:13des choses dans leur diversité aussi parce que toutes les histoires ne se ressemblent
09:17pas. Toutes les conditions, les cas sociaux, les couleurs ne se ressemblent pas. Donc plus
09:23on prend la parole, mieux ça sera.
09:26Et c'est ce que vous faites chacune dans votre domaine et votre art. Merci à toutes
09:30les deux. Et puis, on espère que ce livre décrochera le Goncourt pour qu'on en parle encore
09:35plus de ce livre, La Nuit, au cœur. Et quant à votre chanson, elle cumule déjà plus
09:40de 20 millions d'écoutes. Suzanne, c'est un vrai succès. C'est une manière de se faire
09:44finalement un peu justice aussi. Et Suzanne, votre album, il sort vendredi. Votre nouveau
09:49single, c'est « L'endemain de fête ».
09:51Faites votre life, pas celle des autres, pas celle qu'on choisit pour vous.
09:56C'est autre chose, c'est autre chose évidemment. Et vous nous dites que le monde ressemble à
10:01« L'endemain de fête, il n'y a plus de paillettes ». Voilà, Suzanne, cet album, c'est
10:04« Millenium ». Merci à toutes les deux d'être venues ce matin au micro d'Europe.
10:08Merci.
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