Passer au playerPasser au contenu principal
  • il y a 4 mois

Catégorie

🗞
News
Transcription
00:00Si j'ai choisi de vous raconter ce dossier, c'est que, vous le verrez comme moi,
00:15l'histoire qu'il raconte fait partie de celles qui n'ont aucune raison d'arriver.
00:22Aucune raison si chacun des acteurs de ce drame avait fait simplement ce qu'il convenait de faire.
00:30Il y a de tout dans ces quelques pages.
00:33La stupidité, le conformisme, l'incompréhension, la lâcheté, le crime et l'horreur.
00:44Il y a de tout sur quelques photos.
00:47Des visages indifférents, des airs fautifs de bonne alloi, des bruts, des victimes, et surtout un document gênant.
00:58Il serait difficile de vous le décrire, difficile de rendre ce qu'il représente.
01:05C'est le symbole du sordide.
01:08Et l'on voudrait croire que cela n'existe pas, que cela n'existe plus nulle part.
01:14On voudrait croire que cette photo est un document du Moyen-Âge, si c'était possible.
01:18Une de ces images qui représentaient, dans les livres d'histoire, les tortures de l'Inquisition.
01:25Mais cette photo n'a que 25 ans.
01:29Oui, 25 ans à peine.
01:31Et notre dossier d'aujourd'hui est un dossier français du XXe siècle.
01:35Alors, même si sa conclusion est exceptionnelle, et justement parce qu'elle l'est,
01:42je dois vous raconter le dossier de Julia,
01:45parce qu'il y a des choses bêtes,
01:47tragiquement bêtes,
01:49qui se terminent affreusement mal,
01:54et qu'il vaut mieux le savoir.
01:55La nuit de décembre, en cet endroit de France, est glaciale.
02:17Moins 25 degrés.
02:19La petite ville engourdie par ce froid sibérien a fermé tôt les boutiques et les volets.
02:25Seule, dans son appartement, Julia tourne en rond.
02:30Son mari vient de claquer la porte.
02:31Il a dit,
02:33« Cette fois-ci, je ne reviendrai plus.
02:35Tu as dépassé les bornes.
02:37J'en ai marre de toi et de tes scènes.
02:39Si tu veux mourir alcoolique, ça te regarde, moi je m'en vais. »
02:44Julia sait bien qu'elle a dépassé les bornes.
02:47Et les voisins le savent aussi, beaucoup mieux qu'elle d'ailleurs.
02:52Que s'est-il passé hier ?
02:54Elle a bu.
02:56Elle est sortie pour boire.
02:58Depuis longtemps, son mari a vidé les placards de tout ce qui peut se boire.
03:02Depuis longtemps, il a prévenu l'épicier, le café du coin, le marchand de vin,
03:05interdisant que l'on vende ou que l'on serve de l'alcool à sa femme.
03:09Trois fois, ils ont changé d'appartement et de quartier.
03:12À chaque fois, Julia avait promis.
03:16« Je ne boirai plus, je te le jure. »
03:20Cette fois-ci, elle avait presque tenu parole.
03:23Trois mois sans boire, pour pouvoir récupérer sa fille, que la famille avait jugé bon d'éloigner.
03:30Trois mois de lutte contre elle-même.
03:34Trois mois de lucidité et de honte.
03:37Trois mois passés dans une sorte de vide désespérée à se répéter « Je suis une loque. »
03:42« J'ai tout gâché. Je vais tout perdre. Ma fille, mon mari. »
03:47Trois mois d'angoisse, du matin au soir, avec des crises terribles,
03:52un verre de quelque chose, n'importe quoi, un seul, pour me donner du courage.
03:57Le courage de quoi ?
04:01Julia, 37 ans, ne sait pas quelle sorte de courage il faut qu'elle ait.
04:07Le courage de supporter une vie médiocre.
04:09À 20 ans, elle ne se posait pas la question.
04:15Elle était serveuse dans un petit bistrot de la Côte d'Azur.
04:19Les gens étaient gays, il y avait du soleil, elle était jolie.
04:21Trop jolie pour être serveuse.
04:24De plaisanterie en petits apéritifs, un beau matin,
04:28elle s'était retrouvée avec un paquet de langes dans les bras
04:31qu'il avait fallu déclarer toute seule à la mairie.
04:36Et la course folle avait commencé.
04:37Une nourrice, une voisine complaisante pour garder l'enfant de 11h du matin à minuit.
04:44À minuit, le service du restaurant terminé, Julia dans sa chambre,
04:47qui fait sa lessive, son ménage.
04:49Une courte nuit.
04:50Et de 8h à 11h du matin, le bébé.
04:53Deux heures quotidiennes, courtes et déconcertantes,
04:56avec cette petite chose gigotante.
04:58À peine le temps de comprendre pourquoi ça pleure,
05:01d'enfourner un biberon toujours trop chaud ou trop tiède,
05:04sous l'œil ironique de la voisine.
05:06À peine le temps de s'attendrir ou de s'affoler.
05:09C'est déjà fini.
05:11Pendant des mois, tous les matins,
05:14Julia a regardé partir son bébé à l'étage du dessous,
05:17moyennant finances,
05:18presque la moitié de son salaire.
05:20L'autre moitié pour le loyer,
05:23les dimanches entiers de lessive.
05:27C'était ça, la vie de Julia.
05:31À cette époque, un petit verre de temps en temps,
05:33avec les clients sympathiques,
05:35lui redonnait du courage.
05:37Oh, il n'y avait pas de mal à ça.
05:38On ne devient pas alcoolique pour si peu.
05:41D'ailleurs, on n'est pas ivre, on est gai.
05:44Pendant ce temps, le bébé se met à marcher.
05:47Bientôt, il ira à l'école.
05:50La vie sera plus facile.
05:55Julia tourne en rond
05:56dans l'appartement désert ce 29 décembre.
06:01Elle est loin de la côte d'Azur et de ses 20 ans.
06:04Il y a trois pièces ici. C'est grand.
06:07C'est vide.
06:08Vide la chambre de l'enfant.
06:10Vide celle du mari.
06:13Il fait froid dans le nord.
06:15Plus froid encore parce que Noël est passé,
06:17que l'année se termine
06:18et qu'une fois encore, Julia a tout gâché.
06:21Le jour où elle a rencontré Jean,
06:23il lui avait dit
06:2440 ans, solide, travailleur, sérieux jusqu'à l'ennui.
06:28Il voyait la vie comme une maison bien rangée
06:30avec de l'ordre partout et des principes.
06:32Le premier principe, c'était le mariage.
06:34Un homme comme lui rencontrant une femme comme elle
06:36devait se sentir démangé
06:38par l'envie de remettre les choses en place.
06:41À Julia, il fallait un mari.
06:43À sa fille, il fallait un père.
06:45Julia ne devait plus travailler dans un bar.
06:47Elle ne devait plus boire et danser
06:49avec n'importe qui.
06:50Lui, Jean,
06:51allait arranger tout cela.
06:54Il était bon, courageux,
06:55raisonnable,
06:56avec l'oréole du sauveteur
06:58ou celle du redresseur de tort.
07:01Et la guerre lente avait commencé.
07:04Je te sauve.
07:05Tu me dois tout.
07:07Tu es belle,
07:07mais je suis généreux.
07:09Tu es inconséquente,
07:10mais je pense à tout.
07:12Il avait toujours raison, d'ailleurs.
07:13Il disait
07:13« Ma femme ne supporte pas l'alcool.
07:16Je la surveille.
07:17Un verre de trop,
07:18et elle fait n'importe quoi. »
07:20Et comme cela ne suffisait pas,
07:23il s'était mis à surveiller les comptes,
07:25à faire lui-même le marché,
07:26à interdire le vin et les apéritifs.
07:29Pour qu'elle ne soit pas tentée,
07:30on ne sortait pas,
07:31on ne recevait pas.
07:33Et Julia avait beau dire
07:34« Mais je suis assez grande
07:35pour savoir ce que je veux. »
07:37Il ne cédait pas.
07:40Au point que certains soirs,
07:42l'envie de boire n'importe quoi
07:43devenait une véritable obsession pour elle.
07:48Il ne lui resta plus bientôt
07:49que le mensonge.
07:52Dix minutes pour faire une course,
07:54le temps de deux verres d'alcool
07:55à la brasserie voisine.
07:57Et puis,
07:58on cache les bouteilles
07:59pour boire tranquille à la maison
08:00dès que le mari a le dos tourné.
08:03Chaque fois qu'il s'en apercevait,
08:04Jean, de sermoneur,
08:06devenait coléreux, méchant.
08:07« Mais pourquoi bois-tu ? »
08:09« Tu n'es pas heureuse ici avec moi ? »
08:12« Tout ça, ça ne te suffit pas. »
08:15Un alcoolique
08:16n'a jamais su répondre
08:18à une question pareille.
08:20« Rien n'est plus horrible
08:21qu'une femme saoule. »
08:23« Tu me fais honte. »
08:25« Tu fais honte à ta fille. »
08:27« Tout le monde se moque de toi. »
08:30Mais plus on méprise un alcoolique
08:32et plus il boit.
08:35Malgré toute sa bonne volonté,
08:38Jean n'employait pas
08:39la bonne thérapeutique.
08:40« Rien n'est plus difficile
08:42que de vouloir sauver quelqu'un
08:43qui veut se noyer. »
08:45De petits scandales en petits scandales,
08:48Julia était devenue
08:49la honte de la famille
08:50et Jean, son mari,
08:51une victime.
08:53Une victime à qui
08:54il ne restait plus,
08:55du moins le croyait-il,
08:57qu'un seul moyen de lutter.
08:59Le chantage.
09:01« Si tu ne changes pas,
09:02je te quitte. »
09:04« Et comme cela ne suffisait pas,
09:07ta fille partira avec moi. »
09:10C'était il y a trois mois
09:11au bout de dix ans
09:12de lutte sourde,
09:13épuisante, inefficace.
09:16C'était le point
09:17de non-retour.
09:21Après une scène
09:22plus violente que les autres,
09:24Julia avait arraché
09:25des mains de son mari
09:26un flacon d'eau de vie
09:27qu'il avait découvert
09:28dans la salle de bain.
09:29Elle s'était mise
09:30à voir furieusement,
09:31insultant la terre entière,
09:32cassant tout,
09:33terrorisant l'enfant
09:34au nez et à la barbe
09:35des voisins.
09:37Ce soir-là,
09:39tout le quartier
09:39avait décidé que
09:40Julia était folle,
09:42une folle hystérique
09:43et dangereuse.
09:45Julia aussi
09:46avait eu peur
09:47le lendemain.
09:48Peur parce qu'elle
09:49ne se souvenait de rien,
09:51parce que la chambre
09:52de sa fille était vide
09:53et qu'elle se sentait
09:55vraiment malade.
09:56Malade doux,
09:57de quoi ?
09:58Elle n'en savait rien.
10:00Mais cette grande peur
10:01avait duré trois mois
10:02de sobriété totale,
10:04acharnée,
10:06désespérée.
10:07véritable droguée,
10:11privée trop brutalement
10:12de sa drogue.
10:14Elle avait tenu bon
10:15toute seule ou presque,
10:17à grands coups d'aspirine,
10:18de tabac,
10:19de sommifère,
10:20de crise de larmes.
10:21Elle avait tenu bon
10:25jusqu'à Noël.
10:31À Noël,
10:31tout le quartier
10:32avait pu dire
10:32« Oh, c'était sûr
10:34qu'elle ne tiendrait pas le coup.
10:36Ces gens-là
10:37recommencent toujours.
10:39Son mari devrait
10:40la faire enfermer.
10:41Elle est folle.
10:42Elle s'est promenée
10:43dans la rue
10:43en chemise de nuit
10:44complètement ivre.
10:46Elle hurlait tellement
10:47qu'on a failli
10:47appeler la police. »
10:51Et le lendemain matin,
10:52au réveil,
10:54Julia s'est fait peur
10:54en se regardant
10:55dans la glace.
10:57Cinquante ans.
10:59Elle avait l'air
11:00d'avoir cinquante ans.
11:02Les yeux fripés,
11:02le teint grisâtre,
11:03les cheveux ternés
11:04emmêlés.
11:05Une vraie loque.
11:09Elle avait cru
11:10pouvoir tout rattraper
11:10en faisant le ménage
11:11avec toute l'énergie
11:12du désespoir
11:13et on a lanché
11:14le coiffeur.
11:16Le soir,
11:17elle avait retrouvé
11:17la maison presque vide,
11:18plus de meubles,
11:19plus de vaisselle,
11:20rien qu'un lit,
11:21une table,
11:21deux chaises.
11:23Dans la penderie,
11:24ses affaires à elle
11:25et un grand désert
11:27de porte-manteaux vide.
11:30Vide la chambre
11:31de l'enfant,
11:31vide le salon,
11:32la salle à manger,
11:33vide,
11:33vide,
11:34vide,
11:35aussi vide
11:35que la ville entière
11:36ce lendemain de fête.
11:40Personne ne sait vraiment
11:41ce que fait Julia
11:42entre le 25 décembre
11:43et le 30 décembre
11:441953.
11:47L'enquête extraordinaire
11:48ne commencera qu'au premier jour
11:49de l'année suivante
11:50dans l'horreur totale.
11:53Et là encore,
11:54on s'occupera surtout
11:56de l'horreur
11:56et beaucoup moins
11:58de Julia elle-même.
12:00Vous le verrez.
12:02Tout ce qu'on sait
12:03tient un peu de choses.
12:05Elle n'est pas sortie
12:05de chez elle,
12:06donc elle n'a
12:07ni mangé ni bu
12:08pendant cinq jours.
12:09C'est le 30 décembre
12:12qu'elle réapparaît.
12:14Apparemment normale,
12:16elle fait de l'autostop
12:17pour aller en ville.
12:20L'horreur est déjà là
12:20qui guette.
12:22L'horreur imprévisible,
12:23peut-être pas.
12:25Julia,
12:2637 ans,
12:28alcoolique désespérée,
12:29entre seule,
12:30dans un scandale
12:31qui ne la concerne même plus,
12:33qui va la dépasser totalement,
12:35même si elle doit en mourir.
12:36Les récits extraordinaires
12:44de Pierre Belmar,
12:46un podcast européen.
12:47Le 30 décembre,
12:48près d'une petite ville
12:49du nord de la France,
12:51il y a 25 ans de cela,
12:54une femme fait de l'autostop.
12:56Il fait extrêmement froid.
12:58Un chauffeur de camion
12:59s'arrête et accepte
13:00d'emmener la femme
13:00au cœur de la ville.
13:03Elle ne parle pas
13:03ou presque pas
13:04pendant le trajet.
13:05Elle n'a l'air
13:06ni préoccupée,
13:07ni malade,
13:07ni surexcitée.
13:10Il faudrait la connaître
13:10intimement
13:11pour estimer ce calme
13:12anormal.
13:14Le chauffeur du camion,
13:15quant à lui,
13:17n'a aucune raison
13:17de se douter
13:18qu'il transporte
13:19une passagère
13:19en pleine crise
13:20de dépression nerveuse.
13:23Julia remercie
13:24le camionneur
13:25et descend sur
13:27la place principale.
13:28Quelques temps plus tard,
13:29elle entre dans un café
13:30et demande
13:32un verre d'alcool blanc.
13:33elle le boit debout
13:35au bar
13:36assez rapidement
13:37puis en commande
13:40un second.
13:42Oh, cela étonne à peine
13:43et le patron du bar
13:44se contente de penser
13:45qu'il fait bien froid
13:46et que ça réchauffe.
13:47C'est en servant Julia
13:50pour la troisième fois
13:51qu'il la remarque vraiment.
13:54D'autant plus
13:55qu'elle a réclamé
13:55une double ration.
13:57On remarque forcément
13:58une femme qui boit sec
13:59seule à un bar
14:00qui ne parle à personne
14:01et a l'air
14:03de n'attendre personne.
14:06Julia reste là
14:07une bonne heure.
14:10Avant son départ,
14:10elle commandera encore
14:11une consommation
14:12mais un bouillon de viande
14:13cette fois
14:14qu'elle touchera à peine.
14:17elle paye
14:18et sort.
14:21Beaucoup plus tard
14:22dans l'après-midi,
14:24un autre café l'accueille.
14:26Peut-être
14:27en a-t-elle visité
14:28d'autres entre-temps,
14:29c'est même certain,
14:30mais aucun témoignage
14:32ne le confirmera.
14:33Il est environ 17 heures,
14:36Julia s'assoit
14:36à une table
14:37et demande très fort
14:39une limalade.
14:40on la serre,
14:43elle boit
14:45et tout à coup,
14:49c'est la crise.
14:51Pour les clients du bar,
14:52c'est une véritable furie
14:53qui se déchaîne.
14:54Julia se met à crier
14:55des mots sans suite
14:56et à gesticuler
14:58sur sa chaise.
14:59Elle entame
15:00un monologue incompréhensible,
15:01s'en prend à tout le monde
15:02et hurle
15:03quand le patron du bar
15:04essaie de la calmer.
15:06Les clients s'en mêlent.
15:07Deux d'entre eux
15:07l'obligent à s'asseoir.
15:08Elle résiste.
15:09se bat, renverse tout.
15:10On la met dehors.
15:11Elle revient comme une folle
15:12se cognant dans les glaces,
15:13ameutant les passants.
15:16À bout de ressources,
15:17le propriétaire du café
15:18appelle police secours.
15:19Quelques minutes plus tard,
15:20du moins encadré,
15:21hurlant de plus belle,
15:23Julia est bousculée
15:24à l'intérieur d'une ambulance
15:25qui fonce
15:26à l'hôpital le plus proche
15:27et trois policiers
15:28la traînent de force
15:28à l'entrée des urgences.
15:32L'hôpital est silencieux.
15:33Julia est la seule urgence
15:36de cette journée
15:37du 30 décembre.
15:39Deux infirmiers
15:40la maîtrisent avec difficulté.
15:42Les formalités d'admission
15:43sont vite remplies
15:44par les policiers.
15:45C'est une folle.
15:46Elle a dû s'échapper
15:47d'un hôpital psychiatrique.
15:48Elle faisait du scandale
15:49dans un bar.
15:50Le patron nous a demandé
15:51d'intervenir.
15:52Voilà son sac et ses papiers.
15:53Attention,
15:54elle est dangereuse.
15:57On peut penser effectivement
15:58que Julia est dangereuse.
16:00Elle s'est tellement débattue
16:01que ses vêtements sont en loque.
16:03Elle a perdu ses chaussures,
16:04son visage est griffé.
16:05et il est impossible
16:06de lui passer la fameuse
16:08chemiselle de force.
16:09Chaque fois que les infirmiers
16:10la croient calmer,
16:11elle leur échappe en hurlant.
16:13Oh, ils ont l'habitude.
16:14Elle a beau pleurer,
16:15supplier,
16:16dire qu'elle n'est pas folle,
16:17qu'elle veut partir,
16:19on réussit à la traîner
16:20comme un sac
16:21par les jambes et les bras
16:22jusqu'à la section
16:23des agités.
16:24Et là,
16:27tout va très vite.
16:32C'est une cellule entièrement vide
16:34aux murs lisses et sales,
16:36une seule porte de bois
16:37avec un judas
16:38protégé par un grillage.
16:41Dans le coin,
16:41une sorte de baflant
16:42sur lequel est posé
16:43un matelas douteux.
16:46Fixé par des anneaux,
16:47deux sur le mur,
16:48deux autres sur le bas côté
16:49du lit,
16:51des sangles de cuir
16:52rembourrées.
16:54On force Julia
16:55à s'allonger
16:56sur le matelas.
16:57Ils sont quatre infirmiers
16:58à maintenir,
16:59bras et jambes tendus.
17:01Un cinquième
17:01ajuste les sangles,
17:03une à chaque poignée,
17:04une à chaque cheville.
17:07Une fois solidement attachée,
17:10la jeune femme
17:10ne hurlera plus longtemps,
17:13elle se fatiguera.
17:15L'infirmière-chef
17:16venue inspecter la malade
17:18ne pousse pas plus loin
17:19les soins.
17:21On ne ferme pas
17:23la porte à clés.
17:25Inutile
17:25puisque Julia
17:27est attachée
17:27et seule
17:28dans la cellule.
17:31Cela
17:31facilitera
17:33la surveillance de nuit.
17:36Deux heures plus tard,
17:38la jeune femme
17:39semble calmée.
17:40Elle gémit à peine.
17:42Et l'infirmière-chef
17:43conclut
17:43probablement une ivrognièce.
17:48On la fera examiner
17:49demain
17:49quand elle aura fini
17:50de cuiver 120.
17:50inutile de prévenir
17:52le médecin.
17:55Et personne
17:56ne s'occupe plus
17:58de Julia
17:59enchaînée
18:00sur son lit,
18:01si l'on peut appeler ça
18:02un lit.
18:05Le lendemain,
18:07à 5 heures,
18:0831 décembre,
18:10une surveillante
18:10fait sa ronde
18:11dans le pavillon
18:12des agités.
18:14Par le Judas,
18:15elle aperçoit Julia
18:15immobile sur son lit.
18:16la surveillante
18:19pousse la porte,
18:21se penche
18:21sur le corps
18:21ligoté.
18:23Julia
18:24ne bouge pas.
18:26Son visage
18:27est curieusement
18:28crispé.
18:31Elle est morte.
18:36Maintenant,
18:37on peut la détacher.
18:39Préparer le désordre
18:40de ses vêtements,
18:41laver ses écorchures
18:42et prévenir
18:42l'infirmière-chef,
18:44dont le diagnostic
18:45est rapide.
18:47Congestion pulmonaire,
18:48certainement,
18:48c'est l'alcool
18:49et le froid.
18:52Le vêtement-chef,
18:53enfin prévenu,
18:55n'est pas de cet avis
18:55et il refuse
18:58tout net
18:58le permis d'inhumer
18:59en réclamant
19:01une autopsie.
19:03Pourquoi une autopsie ?
19:06Julia est morte
19:06dans un hôpital.
19:09Elle y a été amenée
19:10vivante
19:11par la police.
19:12Elle n'était pas malade.
19:14Qu'en pense la police ?
19:16Eh bien,
19:16la police pense
19:16que Julia était
19:17ivre ou folle.
19:19Le propriétaire
19:20du café
19:20où elle faisait
19:21du scandale
19:21le pense aussi.
19:23Pourtant,
19:24elle n'a bu
19:24qu'une limonade
19:25chez lui.
19:26Par contre,
19:26elle a bu ailleurs.
19:28L'analyse sanguine
19:29ne révèle que
19:300,22 g d'alcool.
19:33C'est insuffisant
19:34pour conclure
19:35à une ivresse mortelle.
19:38Quant à la démence
19:38pure et simple,
19:40une rapide enquête
19:40confirme
19:41qu'elle est impossible.
19:43Revenu trop tard,
19:45le mari effondré
19:46raconte.
19:48D'après lui,
19:48c'est une dépression nerveuse
19:50provoquée par leur rupture
19:51et par le manque
19:52d'alcool.
19:54Meurt-on
19:54d'une dépression nerveuse ?
19:58Rarement.
19:59D'autre part,
20:00Julia n'utilisait
20:00aucun médicament,
20:02n'était suivi
20:02par aucun médecin,
20:03c'est bien dommage,
20:04et de la vie
20:05de son entourage,
20:05jouissait d'une santé
20:06singulière,
20:08son goût pour l'alcool
20:08mis à part.
20:10Alors pourquoi
20:11une autopsie
20:12demande le parquet ?
20:14Parce que le médecin-chef
20:15a remarqué
20:16des traces de griffure
20:17sur la gorge
20:19de Julia.
20:22Bien que les infirmiers
20:23affirment que la jeune femme
20:24en se débattant
20:24a très bien pu
20:25se griffer elle-même,
20:26l'autopsie est faite.
20:28Première chose étrange,
20:30elle révèle
20:30une fracture du crâne,
20:31et là encore,
20:32on pourrait admettre
20:33à la rigueur
20:33que la jeune femme
20:34a subi un choc grave
20:35au moment de son admission
20:36à l'hôpital,
20:37mais pour mourir
20:38d'une fracture du crâne,
20:40il faut qu'il y ait eu
20:41hémorragie,
20:42en général,
20:43dans le quart d'heure
20:44qui suit le choc.
20:45Or,
20:45l'infirmière-chef
20:46affirme
20:47que deux heures
20:48après son admission,
20:50Julia ne saignait pas.
20:52Donc,
20:54c'est à l'intérieur
20:54de sa cellule
20:55qu'elle aurait subi
20:56un choc.
20:58Et disons franchement,
21:00ainsi que le pense
21:00la police,
21:02s'est attachée
21:03sur un matelas
21:03à moitié inconsciente,
21:05que Julia a été assommée.
21:08Cette hypothèse
21:09à peine formulée
21:10à voix basse
21:10par les enquêteurs
21:11fait murmurer la ville.
21:14Et les murmures
21:14s'amplifient
21:15au point de devenir scandale.
21:18La foule anonyme accuse.
21:20Les choses que l'ont taisées
21:21jusqu'alors,
21:21les négligences graves parfois,
21:23reviennent à la surface.
21:25Seulement,
21:26de l'avis des médecins
21:26et des policiers,
21:28Julia n'est pas morte
21:28des suites
21:29d'une négligence
21:30ou même d'une fracture du crâne.
21:31elle a certainement
21:34été étranglée
21:34doucement.
21:37C'est un crime.
21:39Un crime d'autant plus
21:40sordide et affreux
21:41que cette femme
21:42était incapable
21:44de se défendre.
21:46On l'a enfermée
21:47chez les agités,
21:48attachée,
21:49sans se préoccuper
21:50de savoir
21:50si elle était folle ou non,
21:52sans faire venir
21:52de médecins
21:53pour l'examiner.
21:55Elle en est morte.
21:57Et si quelqu'un
21:57a tué,
21:59tout le monde,
21:59finalement,
22:00en est responsable.
22:03C'est dans une atmosphère
22:04de méfiance
22:05que pendant une semaine,
22:07les cinq policiers
22:08chargés de l'enquête
22:08vont s'installer
22:09à demeure dans l'hôpital.
22:11Ils se mêlent
22:12au personnel,
22:13aux malades.
22:14Ce n'est pas
22:14une enquête habituelle.
22:16Chacun sait
22:17que l'assassin est là
22:17au milieu de tous.
22:19Tout le monde s'épit,
22:19on se croise avec gêne.
22:22Quant à l'assassin,
22:23quel qu'il soit,
22:25il ne peut plus
22:25s'échapper.
22:27Sa fuite
22:27le désignerait.
22:28Car le crime
22:30est sans mobile apparent.
22:31On sait simplement
22:32qu'il est l'œuvre
22:33d'un obsédé sexuel.
22:33Mais n'importe qui
22:35a pu pénétrer
22:35dans la cellule
22:36dont la porte
22:37n'était pas fermée.
22:40C'est une malade
22:41interrogée
22:42par le commissaire Lacombe
22:42qui va donner
22:43la première indication.
22:45J'ai vu un infirmier
22:46qui regardait
22:47par le Judas
22:47vers 10 heures du soir.
22:51L'infirmier
22:51ne n'y pas
22:52voir regarder
22:52par le Judas.
22:54Il passait par là
22:55et on a profité
22:55pour jeter un coup d'œil
22:56et vérifier si tout était normal.
22:59Cet homme est marié,
23:00jeune,
23:00l'air détaché,
23:01qu'il n'a pas l'air
23:02d'un assassin
23:02et encore moins
23:03d'un obsédé.
23:05Pourtant,
23:05la malade insiste
23:06et renforce son témoignage
23:07d'un détail important.
23:10Quelques minutes
23:10après que
23:11je l'ai vu regarder
23:12par le Judas,
23:13la lumière du couloir
23:14s'est éteinte.
23:16D'habitude,
23:17elle reste allumée
23:17toute la nuit.
23:20Pour être sûr
23:20de ce détail,
23:21on interroge
23:22l'infirmière de nuit
23:23chargée de faire des rondes
23:24toutes les deux heures.
23:26Malheureusement,
23:28l'infirmière de nuit
23:29n'a pas fait
23:30de rondes.
23:32Personne
23:32n'a surveillé personne
23:34depuis l'admission
23:35de Julia.
23:38C'est donc
23:39sans conviction
23:39que le commissaire
23:40entreprend
23:40l'interrogatoire
23:41de l'infirmier.
23:43Et,
23:44vous l'avez deviné,
23:45il a tort.
23:47Car deux heures après,
23:49alors que rien de formel
23:51n'accuse cet homme
23:51à part un témoignage fragile,
23:55il avoue.
23:57Cet homme de trente ans,
23:58jeune marié,
24:00avoue.
24:03Julia était belle,
24:04même attachée
24:04sur un lit de fou.
24:07Il n'a pas résisté
24:08et il l'a étranglée
24:10pour qu'elle ne crie pas.
24:13Et comme elle se débatait,
24:15il l'a assommée.
24:16C'est l'horreur.
24:24La cour d'assises,
24:25un an plus tard,
24:25aura du mal
24:26à faire la part
24:27des responsabilités
24:29administratives.
24:32Quant à l'accusé,
24:34il sauvera sa tête
24:35défendue par
24:36M. Henri Torres,
24:37dont un journaliste
24:38reconnaîtra le talent
24:39en regrettant
24:40qu'il soit mis au service
24:41une cause semblable.
24:43Mais le talent
24:44d'un avocat
24:45ne suffit pas toujours.
24:48Et le journaliste
24:49reconnaît aussi
24:49que le témoignage
24:50de l'épouse
24:52de l'accusé
24:52fut d'un grand poids
24:55dans la balance.
24:56Cette femme
24:57eut le courage
24:57de dire,
24:58même si c'était faux,
25:00nous avions
25:00deux tempéraments différents
25:02et je lui ai souvent
25:03refusé
25:04ce qu'un mari
25:06est en droit
25:06d'attendre.
25:09Le mari de Julia,
25:10lui,
25:11n'avait rien à dire.
25:13Vous venez d'écouter
25:32les récits extraordinaires
25:34de Pierre Bellemare,
25:35un podcast
25:36issu des archives
25:37d'Europe 1.
25:39Réalisation et composition
25:40musicale,
25:41Julien Tarot.
25:42Productions
25:43Estelle Laffont.
25:45Patrimoine sonore
25:46Sylvaine Denis,
25:48Laetitia Casanova,
25:49Antoine Reclus.
25:51Remerciements
25:51à Roselyne Bellemare.
25:53Les récits extraordinaires
25:55sont disponibles
25:55sur le site
25:56et l'appli Europe 1.
25:58Écoutez aussi
25:59le prochain épisode
26:00en vous abonnant
26:01gratuitement
26:02sur votre plateforme
26:03d'écoute préférée.
26:04à Roselyne Bellemare.
26:05Sous-titrage Société Radio-Canada
26:07Sous-titrage Société Radio-Canada
26:08Sous-titrage Société Radio-Canada
Écris le tout premier commentaire
Ajoute ton commentaire

Recommandations