"MON PÈRE M'A VI0LÉE ENFANT" : LEUR COMBAT
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00:00Du coup, Anna, t'as quel âge ?
00:01Donc j'ai 32 ans.
00:02Et tu fais quoi comme métier ?
00:02Donc moi, je suis responsable projet en logistique.
00:05Du coup, toi, t'as été victime d'inceste ?
00:07Tout à fait.
00:08Est-ce que tu peux nous raconter un petit peu ton histoire ?
00:10Donc moi, j'ai été victime d'inceste de mes 5 ans à mes 17 ans par mon père.
00:14Mon père qui est décédé aujourd'hui, ce qui m'a permis une reconstruction.
00:17C'est un élément important en tout cas pour moi dans ma reconstruction, qu'il soit décédé.
00:20Ça a été crescendo au début, donc j'étais petite.
00:23Il n'y avait pas vraiment une vraie prise de conscience de ce qui se passait.
00:25C'était mon papa.
00:26Mon papa, c'est bizarre, il fait ma toilette, ses mains qui touchent des endroits qui ne devraient pas toucher.
00:30Maman, quand elle me fait la toilette, elle ne touche pas les mêmes zones et ce n'est pas la même façon de faire.
00:35Donc voilà, je me suis un petit peu projetée.
00:37En tant qu'enfant, on se pose des questions, mais on ne comprend pas forcément ce qui se passe.
00:41Et puis en fait, petit à petit, ça s'est aggravé parce que du coup, il y a eu une montée en puissance des événements.
00:46Donc en fait, ça a commencé par des attouchements.
00:48Puis après, il y a eu des viols par pénétration digitale.
00:50Donc en fait, c'est quand c'est des pénétrations digitales, c'est-à-dire les doigts dans les fesses, les doigts dans le vagin.
00:55D'accord, ok, ok, ok.
00:56Et en fait, progressivement, il y a eu des fellations forcées, il y a eu plein de choses à dire, à dire tout ça.
01:02Mais du coup, après des viols, d'abord des sodomies forcées, puis après des pénétrations vaginales.
01:08Donc ça a été très dur parce que du coup, quand je l'ai grandi, en fait, tu te sexualises, ton corps se sexualise, tu deviens femme.
01:13Tu te projettes aussi dans des relations avec des hommes.
01:15Quand tu as 14, 15 ans, ton cerveau n'est pas le même que quand tu en as 5 et que ton papa te donne le bain et que ses doigts touchent tes parties intimes et que tu te poses des questions.
01:25Là, 14, 15 ans, tu es consciente que rien n'est normal, que c'est grave.
01:28Tu sais ce que c'est qu'une relation sexuelle ?
01:30Et là, tu te dis, mon père me fait ça.
01:32Des douches froides, des coups de poing, des coups de ceinture.
01:35Il y a un contexte de maltraitance extrême.
01:36Quand je parle de maltraitance, moi, je sais que j'ai été tabassée avec une batte de baseball pendant quelques heures.
01:42Ça a été su à l'école.
01:43Il y a eu un semblant d'enquête, mais du coup, qui n'a pas abouti.
01:46Ok.
01:46Tout ça, c'était il y a des années dans un monde où les violences sexuelles, ça n'existe pas.
01:50Ou en tout cas, si ça existe, on ne peut pas en parler.
01:52La maltraitance sur les enfants, c'est pareil.
01:55La maltraitance sur les femmes, pareil.
01:56Moi, enfant, et c'est la difficulté aussi de l'inceste ou en tout cas quand c'est un parent qui t'agresse,
02:00c'est que tu as envie de le protéger parce que ça reste ton papa.
02:03Donc en fait, moi, des coups et des bleus, quand j'en avais, je l'ai caché.
02:07Je ne veux pas que maman soit triste.
02:08Je ne veux pas que maman, elle voit que je ne suis pas bien.
02:10Tu disais tout à l'heure que ton papa était décédé.
02:11En août 2017, cancer foudroyant des poumons.
02:14Bon, je le dis avec un sourire, mais...
02:16Est-ce que tu es heureuse quelque part ?
02:18Ça t'a aidé ?
02:18Franchement, oui, ça m'a soulagée.
02:19Ça t'a soulagée ?
02:20J'ai porté plainte en 2013.
02:21J'ai eu beaucoup de chance dans mon parcours parce que j'ai été crue, soutenue dans mes démarches.
02:24Et quand j'ai soutenu, c'est par ma famille, par le corps médical,
02:27donc les thérapeutes qui m'ont pris en charge, mes amis.
02:30Et presque le plus important, puisque c'est la démarche initiale,
02:32c'est lorsque j'ai déposé ma plainte, j'ai été reçue par la brigade des mineurs de Tours.
02:36Ma parole n'a pas été remise en question.
02:38Dès le début, il t'en fait confiance ?
02:39Oui.
02:39Alors c'est sûr, l'inspecteur, il a ses techniques d'interrogatoire.
02:43Il m'a posé beaucoup de questions, il m'a fait beaucoup répéter.
02:45Avec le recul, maintenant, j'ai bien conscience qu'il avait besoin de valider par répétition, d'être sûr.
02:50Surtout que je me rappelle, dans cette pièce, il y avait plein de coffres avec des jouets, des peluches d'enfants.
02:55Moi, je suis venue, donc j'avais 22 ans, 22, 23.
02:57Mais en fait, je me suis dit, waouh, je suis quand même à la brigade des mineurs,
02:59parce que les faits se sont produits quand j'étais mineure.
03:01La pièce était, on aurait dit une crèche, parce que je pense que c'est fait pour mettre à l'aise les enfants qui viennent parler.
03:06Ça fait bizarre.
03:07Il y a eu un dossier judiciaire, j'ai eu une avocate, il a quand même été placé en détention provisoire.
03:11Il a fait deux ans de détention provisoire.
03:13Donc là, c'était fermé derrière les barreaux ?
03:15Voilà. Il faut reconnaître que s'il est resté deux ans en détention provisoire,
03:19alors qu'il n'y avait pas, en tout cas, eu un procès avec vraiment statut de la condamnation ou pas,
03:24c'est quand même que le dossier était costaud.
03:25Solide, ouais.
03:26Voilà. Chose dans laquelle je ne croyais pas forcément à l'origine,
03:28parce que les faits étaient prescrits pour la maltraitance,
03:32bien que reconnus ultérieurement par mon père.
03:34Les faits de viol et d'agression sexuelle.
03:36On était dans un monde où il n'y a pas de portable, il n'y a pas de caméra.
03:38Il n'y a zéro preuve.
03:39Il n'y a rien.
03:40Ma maman travaillait tout le temps.
03:41C'est elle qui a porté financièrement la famille.
03:43Je la remercie énormément pour ça, parce que le fait qu'on n'ait pas été une famille
03:46en situation de difficultés financières a forcément été un levier positif dans ma reconstruction,
03:52et en tout cas dans ma possibilité d'accéder à des aides et des soins.
03:55Mon père, à l'inverse, ne travaille pas, vit donc totalement aux dépens de ma mère,
03:58et en plus s'avère être un père maltraitant, parce que du coup on a été maltraités.
04:02Tu as des frères et sœurs ?
04:03J'ai des frères et sœurs, dont je ne parle pas parce que leur histoire leur appartient.
04:06Bien sûr, bien sûr.
04:07Ton gosse, il vient te voir, il te dit tout ça.
04:09Ce n'est pas une claque, là ? C'est monstrueux.
04:11Et comment tu te positionnes, toi, en tant que co-parent ?
04:14Tu te dis, mais du coup, je n'ai pas vu, j'aurais dû voir, qu'est-ce que j'aurais dû faire ?
04:17Puis qu'est-ce qu'on fait maintenant ? Parce que du coup...
04:18C'est fait, c'est fait, maintenant.
04:20Exactement. Et ce n'est pas facile.
04:21Ma maman, elle était très émue de mes déclarations.
04:23Elle n'a pas eu l'attitude la plus positive.
04:25C'est-à-dire que la première phrase qu'elle m'a dite, quand je lui ai tout raconté,
04:28c'est « Pourquoi tu ne me l'as pas dit avant ? »
04:29Donc une phrase de culpabilisation envers moi,
04:32qui témoignait en tant que victime auprès de ma maman.
04:34Je sais que maintenant, avec le recul, on en a tellement parlé, on est très complices.
04:37C'est normal. Je comprends qu'elle ait eu cette réaction.
04:39Je pense qu'émotionnellement, c'était tellement dur.
04:42Tellement dur.
04:42Tellement dur à accepter, intégrer.
04:44Ma fille vient, elle me dit tout ça.
04:45Elle t'a cru quand même dès le début ?
04:47Ça n'a pas été si évident, parce que je pense qu'elle était dans une forme de déni,
04:50de déni de violence.
04:51C'était tellement violent qu'elle m'a cru,
04:53parce que sinon, elle n'aurait pas fait tout ce qu'elle a fait derrière pour moi.
04:55Mais je pense qu'elle a été dans la phase choc pendant plusieurs mois.
04:58Quand j'ai porté plainte, les policiers nous ont dit
05:00« Vous faites comme si de rien n'était, on ne va pas l'arrêter tout de suite. »
05:03« On consolide le dossier. Il faut que le dossier soit béton. »
05:05« Vous, vous restez à la maison. »
05:06Vous avez fait comme si rien n'était à la maison ?
05:08Exactement.
05:09Donc, ça, c'était très très dur.
05:11Parce que pendant un an, on s'appelait tous les midis avec ma maman
05:13pour savoir comment ça allait, est-ce que tu tiens le coup ?
05:16Je m'inquiétais pour ma maman, parce que du coup, je me disais
05:18« Elle reste à la maison avec ce monstre. »
05:21Maintenant, c'est su.
05:21Moi, à côté, du coup, j'ai des rendez-vous avec mon avocate.
05:24Je commence ma thérapie.
05:25Moi, je passais mon permis.
05:27J'étais en master.
05:28Enfin, voilà.
05:28Il y avait tout ça à gérer à côté.
05:30Tout ça à gérer à côté.
05:30On se dit « Mais on vit dans quel monde, en fait ? »
05:32Il y avait un décalage entre ma vie.
05:34En tout cas, j'avais l'impression qu'il y avait un décalage
05:35entre ma vie et celle des autres.
05:37Elle m'a crue.
05:38Elle m'a soutenue.
05:39Elle s'est même énormément appropriée la quête de soins pour moi,
05:43la prise en charge financière.
05:44Ma maman, elle a dû porter ce lourd fardeau
05:46qui est la culpabilité et la co-responsabilité.