Corinne Masiero, actrice, victime d’inceste

Brut

Corinne Masiero, enfant, a été victime d’inceste. Pour Brut, la comédienne raconte son traumatisme.

Transcript

00:00Je suis à poil dehors la nuit.

00:02Il y a le clair de lune, on est à poil, qu'est-ce que je fous là ?

00:06C'est un moment où moi j'étais encore à la maternelle.

00:09Comment j'ai pu attirer là ? C'est un truc de ouf.

00:11Ce dont tu te souviens, c'est qu'il y a ton conjoint à côté de toi.

00:14Ouais. Je sais qu'on n'est pas seul.

00:16Je sais qu'il y en a d'autres et il me touche.

00:19Je ne sais pas quel âge il avait, mais c'était un mec formé, c'était un adulte.

00:23Il avait un corps d'adulte en tout cas.

00:24Et j'ai cette sensation d'interdit.

00:27Faut pas faire de bruit, ça je me souviens très bien.

00:29Faut pas réveiller les gens qui dorment dans la baraque.

00:33Il y a un sentiment de dégoût aussi, de fort dégoût.

00:37Ce qu'on a vécu, ça va être violent à écouter,

00:39mais la moindre des choses, c'est de l'écouter.

00:45J'étais confiné ici et puis comme tout le monde,

00:48au bout d'un moment, tu te dis « qu'est-ce que je fous ? »

00:50Je suis allé à la cave, je suis allé partout,

00:52j'ai rangé les papelards, les machins, les patins, les couffins.

00:56Et puis je suis tombé sur une très très vieille photo.

01:00C'est une photo noir et blanc qui avait été prise quand j'étais petit à la mer,

01:04où je suis avec des cousins, des cousines, des frangins, des frangines.

01:08Et où il y a un de mes agresseurs,

01:12en tout cas celui familial, on va l'appeler comme ça,

01:15qui me tient comme ça.

01:16Et là j'ai ressenti un truc vraiment nauséeux, un grand malaise.

01:20Et là ça a été, c'est revenu et j'ai eu des flashs.

01:26Cette sensation, je me souviens, où il me tenait et il me frottait.

01:31Forcément comme j'étais sur lui comme ça,

01:33il y avait mon pubis qui était contre lui.

01:35Et je me rappelle, je me dis « mais qu'est-ce qu'il fout ? »

01:38Il frottait ça sur son dos.

01:39Et puis avec lui, un mouvement de bassin, etc.

01:42Parce que malheureusement…

01:43Il y a ce moment-là, tu étais entouré de gens, tu étais entouré de patins.

01:45C'est ça qui est vraiment dingue, c'est qu'on se dit souvent

01:49« mais comment les autres ne l'ont pas vu ? »

01:56Dans ma famille, c'était « fais gaffe quand tu vas à l'école,

01:59quand quelqu'un s'arrête, tu montes dans la bagnole, tu réponds pas. »

02:03Donc on t'a mis en garde tout de suite qu'à l'extérieur,

02:06il pouvait y avoir un danger pour toi en tant que petite fille.

02:08Oui, oui.

02:09Mais pas à l'intérieur.

02:11La plupart des agressions sexuelles, c'est à l'intérieur des familles.

02:14C'est ça qui est difficile, qui amène aussi ce truc.

02:17Parce qu'on se dit « mais en fait, je ne suis même pas une merde, je suis un objet.

02:21Une merde, je suis un objet. »

02:22Mais en fait, je ne suis même pas une merde, je suis un objet.

02:25Une merde, c'est organique, c'est vivant.

02:27Là, c'est un objet.

02:28On te prend comme on veut, on te fait faire ce qu'on veut.

02:31Et au bout d'un moment, tu finis par le croire.

02:33Pourquoi je me suis retrouvé dans des situations

02:36où j'étais la proie d'autres gens ?

02:39Pourquoi je me suis retrouvé à me prostituer ?

02:42La prostitution, c'est partout, c'est dans le métro,

02:46c'est dans une soirée, c'est dans une discothèque.

02:49Ce n'est pas forcément en échange d'un bifton.

02:52C'est en échange d'aller dormir chez quelqu'un parce que tu es à la rue.

02:55C'est en échange d'une bouffe.

02:57C'est inscrit dans ton âme, dans ta chair et dans ton cerveau

03:01que tu ne sers qu'au bon vouloir de certains.

03:05Et tu te demandes pourquoi.

03:06Donc tu te dis « je suis folle, je suis une mauvaise personne. »

03:10Culpabilité, honte, culpabilité, honte.

03:17C'est violent quand on se rappelle.

03:19C'est violent parce que ça remue plein de choses.

03:22Et puis surtout, on ne sait pas où on est.

03:23Dès un seul coup, c'est comme si on te fout un gros projot dans la gueule

03:27qui éclaire des morceaux de mémoire, des morceaux de souvenirs.

03:30Donc c'est très violent, mais le pire est derrière.

03:35Je ne sais pas comment l'expliquer, mais il y a un truc qui fait que...

03:40Tu peux respirer.

03:41Ouais.

03:41Et ce que je sais, c'est qu'il ne faut jamais forcer quelqu'un à parler.

03:44Ça, c'est la règle numéro un.

03:47Parce que c'est une deuxième agression.

03:49La victime, elle fait comme elle peut.

03:51On subit toutes et tous ce voile, cette chape de plomb.

03:58Parce que des moments, c'est tellement horrible, ce qu'on ressent.

04:03Ça débouche sur de l'autodestruction, sur des suicides, sur la toxicomanie.

04:12Une personne sur deux victime d'inceste fait une tentative de suicide.

04:17Et tout ça, en plus, c'est des chiffres déclarés.

04:20Ce qui veut dire qu'avec l'OMERTA et tout le bordel, c'est beaucoup plus.

04:24C'est beaucoup plus.

04:26Au gré d'un mot, d'une photo, d'un film, d'un documentaire,

04:31comme celui que vous allez voir d'Andréa, ou d'une discussion,

04:34il y a un truc qui apparaît et le voile, il commence à craquer.

04:38Pour soulever ce voile et pouvoir en parler,

04:40il n'y a que la personne victime qui sait, qui sent comment il faut faire,

04:45comment il faut en parler.

04:46Je reçois plein de messages de gens que je ne connais pas sur les réseaux sociaux

04:50qui disent merci de mettre des mots sur mes mots.

04:53Ouvrez votre gueule, vous n'êtes pas tout seul.

04:55Moi, je suis là, on est des milliers, des millions dans ce cas-là.

05:00Et ça, c'est une force aussi.

05:01Notre force à nous, les victimes, c'est d'être nombreuses et nombreux.

05:06Et avec ça, on peut faire bouger les choses, mais force douze.

05:09S'il y a des gens, des enfants, des ados qui t'écoutent en ce moment

05:12et qui sont victimes de ça, tu leur dirais quoi ?

05:15Surtout s'ils ne sont pas encore en mesure de parler.

05:17Ne vous emballez pas, chialez ce que vous pouvez, hurlez ce que vous pouvez.

05:23Évidemment que le but, c'est d'ouvrir sa gueule et c'est très dur.

05:25Ne culpabilisez pas, surtout.

05:28Ce n'est pas à vous de culpabiliser, ce n'est pas à vous.

05:30La honte, elle n'est pas sur vous.

05:31La honte, elle est sur celui qui vous a agressé.

05:33Moi, je te crois.

05:34Moi, je te crois.

05:35Moi, ancienne victime, je te crois.

05:37Tout le monde, là, on te croit.

05:39Donc, prends cette force-là avec toi et va vers un mieux.

05:42Demande de l'aide, parle-en.

05:44Je parle aussi aux gamins et aux gamines

05:46qui entendent un copain, une copine dire un truc

05:49ou qui voient un comportement bizarre.

05:51Il vaut mieux alerter et qu'il ne se soit rien passé.

05:54Ça, ce n'est pas grave.

05:55Mais je t'en supplie, ne fais pas ça.

05:57Ne fais pas ça.

05:58Ça, c'est ça qui tue les victimes.

06:00C'est ça et c'est ça.

06:02Alors, ouvre ta gueule.

06:04Ouvre ta gueule.

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