À 14 ans, Kenny quitte son foyer d'accueil et débarque seul et sans argent à Paris.
Son premier jour dans la rue, voilà comment il l'a vécu.
Son premier jour dans la rue, voilà comment il l'a vécu.
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00:00Je viens de lire Châtelet, je vais sûrement m'arrêter là-bas, ça me parle.
00:04On m'a déjà dit qu'il y avait une place, qu'il y avait du monde là-bas, donc c'est là-bas que je vais m'arrêter.
00:08Ma première nuit à la rue, à Paris, j'avais 14 ans, c'était en 99.
00:16Je suis parti du Havre et j'ai pris un train pour me retrouver à la gare de Saint-Lazare.
00:20En sortant de cette gare, j'étais complètement paumé, moi et mes 14 ans avec mon sac à dos,
00:25pas de papier, d'identité, juste un change, pas d'argent, le ventre vide, sans le sou.
00:33J'arrive dans une grande ville que je ne connais pas.
00:35Ce soir, il faut que je trouve un endroit où dormir, mais demain matin, quand je vais me lever,
00:39ce n'est toujours pas ce que je vais faire.
00:41Quand je croise les gens dans la rue, je n'ai pas forcément envie qu'ils sachent que je dors dehors,
00:48je n'ai pas envie qu'ils me jugent.
00:49Il pleuvait des cordes, mais des grosses cordes, et donc la première chose que je me suis dit,
00:54c'est que j'étais quasiment déjà trempé à marcher dix minutes, un quart d'heure.
00:58Je me suis dit qu'il faut vite que je trouve un endroit au sec.
01:00Je viens de voir qu'il y a un parking ici, je vais aller voir si je peux trouver un endroit
01:04pour aller dormir là-bas, au moins je serai au sec.
01:06Et puis tant pis, si je me fais virer, il va falloir que je trouve un autre endroit.
01:17Donc là, maintenant, il y a une grille, mais avant, il n'y avait pas de grille, justement.
01:21J'arrive ici, je vois qu'il y a un renfoncement, il y a quelques voitures, je peux être à l'abri.
01:26Ce soir, je vais venir, je vais prendre des cartons secs et je vais venir me poser dans un coin là-bas,
01:31en espérant qu'il n'y ait pas grand monde qui me voit.
01:33Le seul truc qui est dommage, c'est qu'il y a cette petite musique.
01:36Donc la journée, ils la mettent pas trop forte, mais la nuit, c'est une sorte de dispositif anti-SDF,
01:41donc ils mettent la musique très très fort.
01:42Les Vivaldi, les Mozart Vivaldi 4 saisons, les albums de rock et tout,
01:46je les connais par cœur à force de les avoir entendus toute la nuit à des volumes incroyables.
01:50Donc tu dors, mais sans dormir, ça veut dire que tu dors, mais tu es toujours dans un état de conscience.
01:54Donc en fait, tu dors mal.
01:55Après, ce qu'il faut savoir, c'est qu'il y a aussi les gaz d'échappement.
01:58Toute la journée, toute la nuit, ça roule.
02:01Le matin que tu te réveilles, tu as la gueule toute noire, il faut que tu ailles te laver vite fait.
02:04Après, je vais monter, voir dans les étages s'il n'y a pas des toilettes et un lavabo, du coup.
02:09Voilà, pour se laver la tronche le matin avant de partir.
02:14Quand je me réveille de ma première nuit dans ce parking, j'ai une grosse appréhension.
02:18Je ne connais pas le quartier, je ne connais pas les gens qui le fréquentent.
02:21J'ai faim, j'ai eu froid, je suis encore un peu mouillé.
02:26Donc je me dis, je vais sortir et je sors dans le quartier de Châtelet-Léal.
02:30Je commence à tourner un peu dans les rues, voir un peu les places qu'il existe,
02:34voir quels gens fréquentent ce quartier.
02:38Châtelet, c'est tellement un gros pôle d'échange que tu as vraiment tout ce que tu as besoin.
02:42Tous les 100 abris passent un jour par Châtelet-Léal.
02:45C'est obligatoire.
02:49Elle n'a pas changé d'un iota cette place.
02:52Il y a toujours les mêmes traces d'usure du skateboard.
02:55Ils ont défoncé les trucs.
02:57Moi-même, j'ai participé à ça.
02:59Des gothiques, des tuffers, des skaters, un petit peu de kaira, il y avait un peu de tout le monde.
03:02Et tout le monde traînait avec tout le monde.
03:04Et dans ces personnes-là, il y avait des gens à la rue.
03:06Il y a des fois où je restais toute la journée ici.
03:08J'arrivais à 8h, je repartais, il était 22h.
03:10On ne faisait rien de la journée, certes, mais au moins on était ensemble.
03:13Les groupes, c'est ultra important.
03:15Dans un groupe, tu peux avoir de la considération pour toi-même.
03:20Mais le fait que quelqu'un d'autre te considère, c'est vital aussi.
03:23Les personnes que tu rencontres, elles deviennent ta famille.
03:26Une famille, si tu regardes bien, ce n'est pas forcément celle que tu as.
03:30C'est celle que tu fais, celle que tu choisis.
03:33On appelle ça une famille de cœur.
03:35Des frères et des sœurs de cœur.
03:37J'en ai 10 000 sur Terre.
03:40Et en plus, moi, j'ai eu ce problème.
03:43Je n'ai pas eu de famille. J'étais placé à l'aide sociale à l'enfance.
03:45J'avais 3 ans.
03:46Je suis parti du Havre, à la base.
03:48J'étais dans un foyer, je suis sorti de l'aide sociale à l'enfance.
03:50J'étais dans une famille d'accueil dans laquelle ils m'ont enlevé pour me mettre dans un foyer.
03:54Ce foyer-là, je ne m'y plaisais pas du tout.
03:56Je fuguais énormément.
03:58Pour quitter le Havre et toute cette ambiance,
04:02j'ai décidé d'aller à Paris, dans une grande ville.
04:04Aujourd'hui, ça fait plus de 4 ans que je ne suis plus sans domicile fixe.
04:10Et là, ça fait un an, je viens d'avoir un logement.
04:12J'étais sur une liste d'attente de logement social.
04:14J'ai retrouvé un CDI dans un magasin.
04:16Mon immeuble est posé sur ce magasin.
04:18Je travaille au rayon fruits et légumes.
04:20Quand j'ai eu cet appartement, ça m'est encore arrivé de dormir dehors.
04:23Et de laisser cet appartement vide, avec le lit vide,
04:25qui aurait pu servir à quelqu'un.
04:26C'est quand même bizarre.
04:27C'est comme une dépendance, en fait.
04:28La rue, t'en tombes vite accro, quoi.
04:31Et ça me manquait.
04:33Ça me manquait de dormir à proximité des gens,
04:35de me lever, d'être directement dans des foules.
04:38Et puis, mine de rien, je me sentais pas en sécurité chez moi.
04:43C'est une bonne chose que je m'en sois sorti,
04:45mais il y a encore du travail pour améliorer qui je suis.
04:49Je deviens meilleur de jour en jour,
04:51mais j'ai tellement été abîmé qu'il va falloir du temps.
04:54J'ai passé 17 ans dans la rue.
04:56C'est pas en 2 ans, 3 ans, 4 ans, 5 ans,
04:59c'est même peut-être pas en 10 ans que je vais me remettre de tout ça.