Ce sont les "bifurqueurs" : ils ont fait des grandes écoles comme Polytechnique, Sciences Po, AgroParisTech ou l’INSA et étaient destinés à de grandes carrières très bien rémunérées. Pourtant, ils ont décidé d’y renoncer pour trouver une voie plus en adéquation avec leurs valeurs écologiques et sociales. Notre journaliste Florian Thomas a retrouvé l’un d’entre-eux, Timothé, aujourd’hui ouvrier dans la rénovation du patrimoine.
00:00Il est urgent de sortir des rails sur lesquels nous installent insidieusement notre diplôme et notre réseau.
00:06De renoncer à notre petit confort, un confort certes rassurant, mais délétère.
00:11Il y a eu pas mal d'échos à certaines écoles qui ont fait des discours assez poignants sur leur choix de ne pas continuer dans la voie qui leur est destinée.
00:18Moi je l'ai fait à un moment où je n'ai pas choisi de le médiatiser, ce n'était pas le but, mais je vois bien ce dont il parle.
00:26Le système dans lequel vous nous faites rentrer n'est plus en adéquation avec les enjeux actuels, que ce soit climatiques, sociaux, économiques.
00:33On a un peu un monde qui part en couille, ça fait longtemps, mais les gens n'ont plus envie de se tuer à la tâche dans un monde qui part en couille.
00:41Moi je suis rentré à l'INSA Lyon, c'est une école d'ingénieurs, en 2015 et je suis sorti en 2021.
00:47Suite à ça j'ai fait un CAP en restauration du patrimoine pour devenir ouvrier, donc une réorientation totale.
00:53Je ne m'identifiais pas particulièrement aux missions qui m'étaient confiées et aux entreprises qui voulaient me recruter.
01:01J'ai plus trouvé mon compte dans l'artisanat.
01:05On pose la marche Guillaume ?
01:07Allez, ça c'est bon, j'ai envie d'une autre.
01:09Le but de base, je pense que c'est de trouver quelque chose qui me plaisait, en accord avec mes valeurs.
01:17C'est à la fin faire un truc que j'aime faire et œuvrer dans un sens qui me correspond.
01:23En l'occurrence c'était à l'époque l'écologie, maintenant il y a d'autres enjeux qui se sont ajoutés.
01:31Ce qui est génial avec le plâtre, c'est que c'est un matériau qui est hyper naturel.
01:36A l'école, pendant les 3 ans où j'étais spécialisé, moi j'étais en génie civil,
01:40on avait béton, béton pré-contraint, béton armé, et ça c'était une matière à part entière.
01:49Et on n'avait que des cours sur le ciment, le béton, et on avait une matière un jour sur le bois et autre.
01:56Donc ça c'était assez décevant et frustrant.
01:58Quand en parallèle on était un peu tous à se poser des questions sur comment faire autrement.
02:06Alors qu'aujourd'hui, moi ce que j'ai cherché à faire c'est de travailler avec des matériaux naturels.
02:10Le plâtre, la terre, la pierre, le bois, ça fait beaucoup plus sens à utiliser.
02:19Il y avait un truc qui me déplaisait dans les grosses boîtes, c'est surtout cet aspect rentabilité avant tout.
02:26Et la rentabilité il y en a tout le temps dans le système économique dans lequel on est.
02:29Mais il est peut-être moins visible, nous on fait les choses pour bien les faire et pas pour gagner de l'argent.
02:33Il faut qu'on gagne de l'argent pour perdurer et pour pouvoir se payer.
02:37Mais ce n'est pas le but premier et ça se ressent vraiment dans comment on travaille.
02:40Entre faire ce que tu fais aujourd'hui et la carrière d'ingénieur que tu aurais pu avoir au bout de 10 ans de carrière,
02:47il y a une énorme gaffe de salaire j'imagine.
02:50Tu n'as pas peur de le regretter un jour ?
02:51C'est marrant parce que c'est vraiment la question que tout le monde te pose.
02:54Je pense que ça c'est aussi un truc générationnel.
02:57On se pose beaucoup plus la question de comment on veut être heureux.
03:01Et on a un peu compris que l'argent ce n'est plus une fin en soi.
03:06Ce n'est pas un moyen d'être heureux l'argent en fait.
03:08C'est juste un moyen d'acheter des courses mais ce n'est pas la solution à tout.
03:14Oui c'est mieux d'avoir de l'argent et ce serait cool si les métiers comme ça étaient mieux payés.
03:19Mais non, ce n'est pas un truc qui m'a démotivé.
03:22Comment ils ont réagi tes proches ?
03:24J'ai eu la chance d'être assez bien accompagné dans mon choix.
03:28Forcément mes parents ont préféré que je sois ingénieur c'est sûr.
03:30Mais ils ont été quand même très contents pour moi, ce qui leur importait c'était que je sois heureux.
03:34J'ai eu de la chance d'avoir des parents comme ça pour ça.
03:36Et moi je me suis réorienté juste après mes études.
03:39Donc je n'ai pas pu me créer ce rythme de vie où j'avais un salaire d'ingénieur et un rythme de vie qui va avec.
03:47Donc je n'ai pas finalement fait de sacrifice.
03:49Je ne suis pas passé d'un salaire haut à un salaire bas.
03:52Tu veux qu'on les remplisse ?
03:53Dans les potes que j'ai gardés d'école, il y en a encore beaucoup qui sont ingénieurs.
03:58Il y en a beaucoup qui se posent des questions et qui répondent par différents moyens.
04:01Pour moi ça a été de changer de métier.
04:02Il y en a qui séparent des engagements divers et variés.
04:05Que ce soit associatif, que ce soit de travailler en tant qu'ingénieur dans des boîtes qui ont plus de sens à leurs yeux.
04:11Ou alors c'est juste faire avec, faire des compromis.
04:14On n'a pas toujours envie de faire tel ou tel sacrifice.
04:16Moi ça a été celui-là et je pense que chacun a ses propres valeurs et sa propre démarche par rapport à comment être en accord avec soi-même.
04:25J'adore faire de mes mains.
04:26Il y a tellement de métiers qui ne veulent plus rien dire que je pense que je ne pourrais pas retourner dans un bureau.
04:37Je pense qu'il y a un truc où, de plus en plus, on a tellement dit qu'il fallait faire des études sup'
04:42qu'on a tous fait des études sup', même ceux qui n'en avaient pas envie.
04:46Donc ça c'est un peu un truc générationnel parce que si tu es bon à l'école,
04:50on va te décourager d'aller faire un métier manuel parce que ce serait du gâchis de ne pas le faire.
04:55Et ça, c'est absurde.
04:57C'est absurde parce que du coup on fait des gens qui vont perdre du temps parfois.
05:00On valorise pas assez les métiers manuels dès le début en fait.
05:04On dit c'est dommage si tu fais un CAP, tu vois.
05:06Bah non, c'est juste si t'as envie de faire ça, fais-le même si t'as des bonnes notes en maths.
05:09En gros ce à quoi j'étais formé, c'était soit bureau d'études, soit conduite de projets, soit conduite de travaux.
05:19S'il y avait du terrain, c'était juste pour dire aux gens quoi faire.
05:21Et le fait c'est que t'arrives, tu sors de 5 années d'école,
05:25qui t'ont appris plein de trucs mais pas le terrain.
05:27Et donc tu viens sur un terrain et tu dois dire à des gens, je pense qu'il faut faire comme ça.
05:32Sauf que quand t'es censé leur dire quoi faire et que les gens ça fait 20 ans ils sont là,
05:36bah moi j'avais envie de savoir faire avant de faire faire aux gens quoi, tu vois.
05:42On a monté le premier escalier entre le premier étage et le deuxième étage.
05:47Là on est entre le rez-de-chaussée et le premier étage.
05:50Là on est déjà, en fait on peut travailler pour le poser quoi.
05:54Et comment c'est possible parce que ça a l'air hyper fort ?
05:56C'est qu'on va avoir une voûte sur laquelle va s'appuyer notre escalier,
06:00les pierres avec la marche et la contre-marche,
06:03pour ensuite aller reporter les charges dans la base et dans le mur.
06:06On se rend compte que les matériaux naturels et les affaires traditionnelles,
06:10s'ils ont perduré autant d'années, c'est parce que ça fonctionne et que ça tient encore aujourd'hui.
06:15Dans les 50 dernières années, depuis l'après-guerre,
06:18on a fait avec la mondialisation, avec le système économique tel qu'il est,
06:22et donc c'est des choses qui sont beaucoup moins durables
06:24parce qu'on se rend compte qu'on est déjà en train de rénover des bâtiments qui ont 50 ans,
06:27alors qu'on a encore des bâtiments existants qui ont des centaines d'années.
06:31C'est en ce sens que je trouve que le retour aux techniques traditionnelles et aux matériaux naturels,
06:35il est hyper pertinent parce que nous on veut de nouveau faire bien les choses quoi.
06:40Ça va faire 4 ans que j'ai fini l'école d'ingé et que j'ai commencé mon CAP,
06:45et le bilan que je dresse, c'est que je suis super content d'avoir pu me poser les bonnes questions,
06:52d'avoir eu des oreilles pour m'écouter et pour m'encourager,
06:56et c'est génial de pouvoir faire ce qui nous plaît, comme travail.
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