La technologie de rupture séduit d'abord des non-consommateurs [Philippe Silberzahn]
Xerfi Canal a reçu Philippe Silberzahn, professeur de stratégie et entrepreneuriat à l'emlyon Business School, pour parler de la technologie de rupture.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
Category
🗞
NewsTranscript
00:00Bonjour Philippe Sidbarzane, professeur au EM Lyon Business School, stratégie et entrepreneuriat,
00:14auteur sur philippesidbarzane.com, blog à lire, chaque lundi matin un nouveau billet
00:21et autant de pépites pour vous stimuler l'esprit.
00:25Une des lois de l'innovation technologique, une des leçons qu'on peut tirer sur la question
00:29de l'innovation, c'est que finalement une nouvelle technologie tend d'abord à
00:33être adoptée par des non consommateurs.
00:35Ça prend tout à revers.
00:37Ça prend à revers effectivement parce qu'on peut donner beaucoup d'exemples, il y en
00:42a un que j'aime bien qui est la téléphonie sur Internet, qui est devenu banal aujourd'hui
00:47avec Zoom, Teams évidemment.
00:50Quand ça émerge à la fin des années 90, les premières applications de téléphonie
00:56sur Internet, c'est 98 en gros, alors ceux qui l'ont fait se rappellent sans doute que
01:00c'était un petit peu héroïque puisqu'on n'avait pas ADSL ou les réseaux haut débit
01:04à l'époque.
01:05Pour téléphoner sur Internet, c'était vraiment rock'n'roll, donc c'était interrompu
01:09souvent, la qualité était très aléatoire, mais on pouvait téléphoner pour en gros
01:15zéro euro, y compris à l'international et c'est là que c'était intéressant.
01:18Alors qui s'intéresse ? Est-ce que ça intéresse une grande entreprise de se dire
01:23« Tiens, grâce à Internet, je vais pouvoir téléphoner pas cher ». Non, parce que professionnellement
01:28la qualité n'était absolument pas acceptable, jamais vous n'auriez fait un appel professionnel
01:32avec vos clients, vos partenaires, avec quelque chose qui coupe toutes les trois minutes,
01:36la qualité qui est quand même très médiocre, ce n'était pas super simple, il y avait
01:40plusieurs logiciels, il n'y avait pas vraiment de numéros, etc.
01:43Tout ça était un peu du bricolage et donc les utilisateurs de la techno dominante, la
01:49technique classique de l'époque, rejettent évidemment ce qu'ils voient comme du bricolage
01:54sans intérêt pour eux, puisque leur critère principal, c'est la qualité pour laquelle
01:59ils sont prêts à payer un certain prix.
02:01Donc qui s'intéresse à ces appels ? Ça intéresse des gens comme moi, qui à l'époque,
02:05moi je n'avais pas beaucoup d'argent, j'avais besoin d'appeler à l'étranger, j'avais
02:08une entreprise, je n'avais absolument pas les moyens de me payer des appels internationaux,
02:11soit pour des appels persos, soit pour des appels de clients, mais comme j'étais une
02:15petite entreprise, c'était un peu acceptable.
02:17Et donc pour moi, cette qualité qui était jugée très insuffisante par le professionnel,
02:22elle était suffisante pour moi, et ça c'est vraiment un terme important, parce que cette
02:26qualité suffisante, elle remplit quelque chose, puisque pour moi c'était soit ça,
02:30soit rien.
02:31Et quand c'est entre ça et rien, évidemment, la qualité est suffisante pour moi pour me
02:35permettre de passer les quelques appels que j'ai besoin de passer, que sinon je n'aurais
02:39pas pu me payer.
02:40Et ça, ça illustre effectivement un phénomène qui est celui de la non-consommation, effectivement,
02:45c'est le terme, c'est que la plupart des innovations de rupture commencent par séduire
02:48des non-consommateurs.
02:49Elles ne vont pas prendre de clients aux acteurs en place.
02:53Donc la téléphonie internet n'a pas pris de clients à France Télécom, Uber n'a
02:57pas pris de clients aux taxis, le low-cost aérien, en tout cas au début, n'a pas
03:02pris de clients aux compagnies aériennes dominantes.
03:04Ça, c'est la première chose.
03:05Donc l'innovation de rupture va étendre le marché, puisqu'elle va proposer aux non-consommateurs
03:10de devenir des utilisateurs.
03:12Et le deuxième effet un peu pervers, c'est que comme cette innovation de rupture ne prend
03:15pas de clients aux acteurs dominants, ils ont tendance à ne pas y répondre.
03:18Et ça explique pourquoi très souvent, ils vont laisser ces innovations de rupture se
03:22développer jusqu'au moment où éventuellement, elles vont commencer à manger un peu sur le
03:26mainstream.
03:27Et là, il va y avoir une réponse, mais souvent, c'est 5, 10, 15 ans plus tard et la rupture
03:32a pu s'établir.
03:33Absolument passionnant.
03:34Effectivement, on ne se méfie pas, elles montent en puissance et puis quelque part,
03:40on se rend compte qu'il y a un effet de contamination.
03:41Exactement.
03:42Mais trop tard.
03:43Mais c'est trop tard.
03:44Voilà.
03:45Merci Philippe Siborzan.
03:46Merci Jean-Philippe.