Patrimoines de France - La Bretagne mystique
Les enclos paroissiaux, la ferveur du Finistère.
Dans un triangle d'or entre Morlaix, Brest et Quimper, des flèches d'Églises défient le ciel. Des portails de pierre s'élèvent, d'imposantes statues de granit s'alignent. Ici, s'est épanouie aux 16ème siècle, une architecture unique. Les enclos paroissiaux du Finistère sont des témoignages de la ferveur catholique des Bretons mais aussi de leur savoir-faire qui se transmettent encore.
L'Armorique, terre de légendes bretonnes.
Au coeur des Monts d'Arrée, la brume se lève sur les sols noirs et humides des tourbières bretonnes. Ces paysages vallonnés et mystérieux sont porteurs de légendes. Ici, en Armorique, les histoires de la mythologie celte qui imprègnent le territoire se sont entremêlées à celles d'une religion chrétienne arrivée d'Irlande au Ve siècle. Aujourd'hui, sur ces landes bretonnes profondément catholiques perdurent encore certaines de ces croyances païennes qui font le sel de la Bretagne. Année de Production : 2022
Dans un triangle d'or entre Morlaix, Brest et Quimper, des flèches d'Églises défient le ciel. Des portails de pierre s'élèvent, d'imposantes statues de granit s'alignent. Ici, s'est épanouie aux 16ème siècle, une architecture unique. Les enclos paroissiaux du Finistère sont des témoignages de la ferveur catholique des Bretons mais aussi de leur savoir-faire qui se transmettent encore.
L'Armorique, terre de légendes bretonnes.
Au coeur des Monts d'Arrée, la brume se lève sur les sols noirs et humides des tourbières bretonnes. Ces paysages vallonnés et mystérieux sont porteurs de légendes. Ici, en Armorique, les histoires de la mythologie celte qui imprègnent le territoire se sont entremêlées à celles d'une religion chrétienne arrivée d'Irlande au Ve siècle. Aujourd'hui, sur ces landes bretonnes profondément catholiques perdurent encore certaines de ces croyances païennes qui font le sel de la Bretagne. Année de Production : 2022
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00:00Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org
00:30...
00:38A la pointe de la Bretagne,
00:40au pied des monts d'Arrée, surgissent dans la brume
00:43des clochers à la fierté de granit.
00:45Ils sont les cimes d'une architecture religieuse
00:48unique en son genre, les enclos paroissiaux du Finistère.
00:52...
00:55Dans un triangle d'or, entre Morlaix, Brest et Quimper,
00:59il constitue un héritage précieux pour les habitants du Finistère,
01:03mais aussi pour les voyageurs curieux.
01:05Car ces ensembles architecturaux, de pierre et de bois,
01:09sont les témoins d'un âge d'or breton,
01:12celui du XVIe et XVIIe siècles,
01:14lorsque la péninsule exportait à l'Europe entière
01:17ses tissus de lin et ses toiles de chanvre
01:20et cherchait, en pleine réforme protestante,
01:23à afficher sa fidélité à la foi catholique.
01:27Flèche d'église défiant le ciel,
01:29porte triomphale délimitant l'espace sacré,
01:32calvaires monumentaux,
01:35mais aussi, dans le secret de ces monuments,
01:38retables polychromes impressionnants,
01:41poutres de gloire sculptées
01:43et statues à taille humaine.
01:46Sur quelques 50 km, la profusion d'art religieux
01:50raconte la compétition que se livraient ces paroisses
01:53pour disposer de la plus belle création,
01:56de la plus imposante des oeuvres d'art.
01:58À ce jeu, une commune semble avoir gagné la partie.
02:02Saint-Aigonnac, à 15 km de Morlaix.
02:06Sans aucun doute le plus grand, le plus haut,
02:09le plus fier de ces enclos du Finistère.
02:15Nous nous apprêtons à franchir l'arc triomphal
02:19qui mène à l'enclos.
02:20Cet enclos paroissial doté de divers édifices
02:23construit sur presque plus de 200 ans.
02:26Je quitte l'espace profane.
02:28Me voici dans l'enclos.
02:32Saint-Aigonnac offre aux voyageurs
02:34les quatre éléments majeurs de l'enclos paroissial.
02:38Son église aux puissants clochers.
02:43Son arc triomphal,
02:44dont la porche centrale est destinée au passage des morts.
02:49Un calvaire aux personnages forts en grimace.
02:54Et enfin l'ossuaire,
02:55telle une chapelle funéraire richement ornementée.
03:00Mais il subsiste autour du placytre énormément d'espaces
03:05où on reçoit à l'année des foires.
03:08Il faut imaginer les boutiques qui se montent ici ou là,
03:12des marchands, des acheteurs qui viennent.
03:14Ce n'est pas qu'un lieu sacré,
03:16c'est un lieu qui appartient à la communauté.
03:19C'est l'idée même de paroisse parochia en grec,
03:22un lieu commun.
03:24Ces enclos ouverts à tous sont administrés à l'époque
03:27par une assemblée appelée Conseil de Fabrique,
03:30composée de 12 membres.
03:32Ces fabriciens se réunissaient sous les porches des églises,
03:36face à la population,
03:37pour décider du bon usage des offrandes
03:40et autres dons destinés à l'embellissement de l'enclos paroissial.
03:46On a ses nobles, mais on a aussi des paysans.
03:49Des paysans mais enrichis.
03:50Une sorte de caste particulière, supérieure,
03:53qu'on appelle les juleaux.
03:55Donc on a ces deux groupes qui font des choix
03:59sur l'usage de l'argent
04:01pour l'embellissement du centre de la paroisse,
04:04l'enclos paroissial.
04:07Au XVIIe siècle, sur 60 paroisses du Finistère,
04:11des centaines de paysans marchands cultivent chanvre et lin
04:15et produisent environ 10 000 km de toiles par an.
04:19La Bretagne est alors l'une des premières provinces toilières de France.
04:23Toiles de chanvre pour les voiles et toiles de lin pour l'habillement
04:27sont prisées dans toutes les cours d'Europe et tous les ports du monde.
04:32Le chanvre est utilisé par toutes les marines européennes.
04:36C'est elles qui permettent de traverser l'Atlantique
04:41en direction de la Méditerranée et plus tard vers l'Amérique.
04:45Autant dire que les débouchés sont très larges
04:48pour les producteurs de toiles locaux
04:51autour de Saint-Agonèque, Guimillot,
04:54mais aussi une portion du Trégor.
05:00A Saint-Agonèque, l'enclos paroissial devient, dès le XVIIe siècle,
05:04une façon d'imposer sa puissance et sa réussite
05:07face aux autres paroisses de la région.
05:10Il y a eu une guerre des clochers.
05:12C'était à qui il y aurait le plus beau, le plus bel enclos.
05:16Et je crois que, dans cette course,
05:19l'orgueil saint-Agonèque est arrivé largement en tête.
05:23Saint-Agonèque est le symbole même de l'orgueil paroissial
05:26porté à son paroxysme.
05:31Une fierté et un attachement
05:33qui sont restés intacts pour la plupart des Finistériens.
05:36J'aime tout, c'est vrai. Cette église, regardez...
05:40Des bretons conscients de la dimension pédagogique de ces oeuvres
05:44imposées par le clergé.
05:46Les enclos correspondent à un moment particulier de l'église catholique.
05:50Après la réforme protestante, après le Concile de Trente,
05:54on lance la charge pour donner à l'église catholique
05:59la place qu'elle devait avoir.
06:01L'église catholique est une église
06:03qui a donné à l'église catholique la place qu'elle devait avoir.
06:07C'est vrai que le grand retable du Roser,
06:11je crois qu'il correspond à peu près à ce que voulait l'église
06:15à travers ces grands murs d'images
06:18qui ont été réalisés ici, dans l'église,
06:22à peu près 300 m2 de retable.
06:26Il y avait de quoi faire l'éducation
06:29du peuple de croyants.
06:32C'est un peu comme une BD.
06:37Je trouve donc qu'il est beau.
06:54A 8 km de Saint-Agonec,
06:57l'enclos paroissial de Guimilhau
06:59offre aux voyageurs un autre joyau d'enseignement religieux.
07:02Un calvaire, véritable récit de pierre en trois dimensions.
07:09200 personnages taillés dans la pierre de Carcenton,
07:12une pierre qui a résisté admirablement au vent,
07:15à la pluie, au soleil, pendant cinq siècles.
07:21C'est un vrai trésor et c'est un...
07:24C'est un catéchisme pour la population.
07:27En détaillant cette oeuvre, qui a nécessité 7 ans d'ouvrage,
07:31le voyageur s'amuse à décrypter les scènes de la vie du Christ
07:34avec quelques originalités.
07:37Ici, Joseph, lors de la fuite en Égypte,
07:41en costume Henri III, culotte bouffante et habit d'apparat.
07:45Et plus loin, une scène profane, issue des légendes bretonnes.
07:49Cathel Gollet, malmenée par trois diables.
07:53Cathel Gollet, c'était une servante dans une auberge
07:57et qui avait des mœurs légères.
08:00Et, à la demande d'un de ses amants,
08:03elle a été volée une hostie consacrée.
08:07Donc, c'était le crime absolu de faire ça.
08:11Et donc, elle est vouée aux enfers.
08:14Il faut qu'elle expie sa faute.
08:16Le sculpteur s'est fait plaisir
08:18en évoquant Cathel Gollet et l'enfer.
08:27Musique intrigante
08:30...
08:33Depuis les hauteurs de Guimilhau,
08:35on devine à 3 km le clocher décapité
08:38de l'enclos paroissial de l'Empole.
08:40Avec ses 70 m, il fut le plus haut du Léon,
08:44mais ce péché d'orgueil fut foudroyé par le ciel en 1809
08:48et jamais reconstruit.
08:50...
08:55A peine le seuil de l'église franchie,
08:57le voyageur est frappé par la richesse des œuvres
09:00sculptées par les artisans d'arbre-thon
09:03du XVIe et XVIIe siècles.
09:05Une mise au tombeau d'Antoine Chavagnac,
09:07architecte de Marine-à-Brest.
09:09...
09:14Des rotables foisonnants,
09:16dans lesquels on retrouve les influences
09:18des artistes de la Renaissance,
09:20comme ces anges déchus, inspirés par Rubens.
09:23...
09:26La Hollande et l'Italie ont beaucoup influencé les artistes.
09:31Et il y avait des livres qui circulaient à l'époque.
09:35Ils avaient aussi des références en lisant les livres.
09:38Ils avaient aussi leur éducation religieuse propre,
09:41parce que Dieu sait si on vivait dans la religion
09:45depuis la naissance jusqu'à la mort.
09:47Tout ça, ça faisait partie de leur culture.
09:50...
09:54Grâce aux merveilles qu'ils réalisent ici,
09:56la renommée de certains de ces artistes bretons
09:59dépasse alors largement les frontières de la région.
10:02...
10:03Un héritage restauré avec ferveur par des artisans bretons d'aujourd'hui
10:08qui perpétuent les gestes et le savoir-faire
10:11de leurs ancêtres du XVIe et XVIIe siècles.
10:13...
10:16Quelques kilomètres plus au sud,
10:18dans le village de Cizun, c'est le cas de Steven Le Baire,
10:22charpentier comme son père avant lui,
10:24qui a réalisé la rénovation de la charpente de l'église de son village.
10:28...
10:32Je suis bien ici. C'est vraiment une belle église.
10:35On a quelque chose de lumineux et puis on...
10:37On ressent quelque chose de fort, je pense, pour moi, en tout cas.
10:41Après plusieurs années de travail,
10:44c'est une satisfaction.
10:46...
10:51C'est vrai que la conservation du monument lui-même est intéressante,
10:55mais il y a aussi toute la conservation du savoir-faire
10:58qui est indispensable.
10:59Culture bretonne et maîtrise du geste,
11:02un patrimoine essentiel à transmettre
11:04pour ces artisans finistériens
11:06qui perpétuent aussi l'usage de la langue bretonne
11:09dans leur métier.
11:10Bon, passez les modes ?
11:12On tourne droit au tric-à-l'âne.
11:14De la volume distraïve et de la bricolure bien.
11:17Oui.
11:18Dans cet atelier, les frères Le Baire et leurs compagnons artisans
11:22n'ont de cesse de transmettre ces savoir-faires
11:25des siècles passés.
11:26On sait qu'ils utilisaient des gouges et des maillets.
11:30Après, les formes des gouges,
11:32a priori, d'après ce qu'on voit en traces,
11:34ça devait ressembler.
11:36Le tranchant lui-même était le même.
11:38Quand je sculpte, là, le temps s'arrête
11:40et je suis là, quoi, et là, c'est génial.
11:48Les gestes de métier sont importants
11:51dans le sens où il y a des métiers
11:53où il y a eu des interruptions de retransmission.
11:55Donc, au-delà de préserver le patrimoine en lui-même
11:58ou l'ouvrage, la menuiserie et la charpente,
12:01il y a une préservation nécessaire de gestes.
12:03C'est dans cet atelier qu'ont été restaurés
12:06les deux rotables magistraux de l'Empolgui Milio,
12:09consacrés à la passion et à Saint-Jean-Baptiste.
12:13Une longue année de restauration pour ces artisans d'art.
12:19On est toujours contents quand un rotable arrive
12:21et qu'il repart restauré.
12:24Je pense que l'émotion, elle est à chaque fois identique.
12:27C'est un peu comme si on allait à l'étranger
12:29et qu'on allait à l'étranger,
12:31mais elle est à chaque fois identique.
12:34C'est toujours, voilà,
12:36voir cet ouvrage qui repart
12:38pour 100 ans, 200, 300, on espère.
12:50Depuis plus de quatre siècles,
12:52ces enclos paroissiaux de Saint-Agonèque à Guimilio,
12:56de Cisun à l'Empolgui Milio,
12:58résistent aux éléments naturels puissants du Finistère Nord.
13:03Ultime témoin d'un âge d'or révolu,
13:06il est continu d'affirmer fièrement l'histoire de cette Bretagne
13:09dont la culture a su, elle aussi, défier les temps.
13:19Lorsqu'on est touché dans son histoire,
13:23je crois qu'on est capable
13:25de se réunir, de dépasser ce qui nous oppose
13:30et pour aller de l'avant.
13:31On dit que le Breton est têtu.
13:33Il a du caractère, certainement, et je crois qu'on ne lâche pas.
13:37Et la devise de Saint-Agonèque, vous savez ce qu'elle est ?
13:41C'est d'armada tau. Tiens bon, toujours.
13:44Les enclos paroissiaux, un patrimoine toujours vivant,
13:48dans le coeur des Bretons, du bout des terres.
13:55Musique douce
13:57...
14:04Musique douce
14:06...
14:12La Bretagne est une terre de brume et de tourbières.
14:15Une terre catholique,
14:17couverte d'églises, de clochers et de calvaires.
14:21Mais elle recèle aussi une autre mémoire,
14:24héritée des âges celtiques.
14:26Une mémoire qui affleure en armorique,
14:29en particulier à mi-chemin entre Quimper et Morlaix.
14:34Ici se dévoilent des étendues de landes
14:37que les Finistériens cultivent comme un jardin secret.
14:40Elles sont le terreau dans lequel se sont écrites
14:43une partie des légendes qui racontent l'âme des Bretons
14:47et surtout leur rapport intense avec la mort
14:50et son messager, Lancou.
14:53A partir du VIe siècle,
14:55l'église a tout fait pour s'emparer de ses croyances ancestrales.
14:59Mais a-t-elle vraiment réussi à les effacer ?
15:03Sur ce chemin râpeux qui traverse la lande,
15:06une légende peut en faire douter.
15:08Il se raconte qu'un jour, ici,
15:11des noceurs ont provoqué un prêtre
15:13qui allait donner les derniers sacrements.
15:16Les noceurs commencent alors à se moquer de lui.
15:19Monsieur le prêtre, monsieur le curé,
15:22monsieur le recteur, comme on dit ici.
15:24Pourquoi vous faites une mine d'enterrement ?
15:27Je me rends au chevet d'un mourant et je dois me dépêcher.
15:31Mais... Venez boire un coup, c'est jour de fête.
15:34Et puis, le moribond, avant de le mettre dans sa boîte,
15:38vous avez qu'à lui dire de venir boire un petit coup aussi.
15:41Alors ça, c'était un mot de trop.
15:43Est-ce que c'est le prêtre qui s'est fâché
15:46ou est-ce que c'est Lancou,
15:49le valet de la mort, qui passait dans la lande,
15:52invisible aux yeux des gens ?
15:53En tout cas, une malédiction a eu lieu.
15:56Tous les gens du mariage ont été pétrifiés sur place
15:59à la tombée de la nuit.
16:02Et ils attendent, là, dans la lande, depuis.
16:05Voilà.
16:06Alors, le grand, là-bas, c'est le marié.
16:09Le petit qui suit, c'est le chien.
16:11Il y a tonton Marcel, là-bas, au bout.
16:19Au pied des monts d'Arrée,
16:21qui furent un jour de fières montagnes,
16:24la magie et l'âpreté de la nature ont bercé l'imaginaire des hommes.
16:30Sur les rives du lac de Brénilis, en particulier,
16:33s'est installée une drôle de végétation.
16:37Si vous voyez des molinies, une plante typique des sols acides,
16:41dans ces graminées qui brandissent leur paille desséchée vers le ciel,
16:45vous avez tout faux.
16:47Les poulpiquettes sont ceux qui vivent dans les poules d'ours,
16:50c'est-à-dire dans les zones humides, les trous d'eau, les mares.
16:54Et ici, il y en a un sacré, de trous d'eau.
16:57Et ce sont des mauvais.
16:58Faut pas tomber sur les poulpiques, comme ça.
17:01Surtout le soir, la nuit.
17:04Ils vous attrapent les bottes et ils vous tirent dans la boue
17:07jusqu'à vous enfoncer complètement.
17:09Faut se méfier d'eux.
17:11Là, ils sont endormis, ils ont même pas ouvert leurs yeux.
17:14Tout peut se transformer en personnage.
17:17Là, j'en vois un là-bas, qui a deux petits bras.
17:20On voit presque sa trogne un peu méchante,
17:22ses yeux grobuleux.
17:25Puis juste à côté,
17:26il y a son copain qui a pas l'air de valoir beaucoup mieux.
17:34A leurs pieds, la boue des tourbières
17:36pourrait pour sa part avaler les imprudents qui s'y égarent la nuit.
17:40C'est d'ailleurs ici que la mythologie bretonne
17:43situe l'une des portes de l'enfer.
17:45Le Yon-Elèze, un marais humide
17:48peuplé d'étranges créatures qui sentent le soufre,
17:51de nains maléfiques et d'âmes des défunts.
17:57Dans l'imaginaire celte, les lieux humides et bas
18:00étaient plutôt les lieux liés à la mort.
18:04Surtout, et c'est le cas pour cette tourbière particulière,
18:08la tourbière du Yon-Elèze,
18:09c'est une zone qui était dédiée aux morts.
18:17Ici, en inferniennes, en breton,
18:19ce qui veut dire l'enfer froid,
18:22vous avez vu la tourbe,
18:24ça colle, c'est glissant, froid.
18:30Dans ces terres,
18:32hésitant entre féeriers et noirceurs,
18:35la nature aime jouer des tours aux hommes.
18:38Parfois, le méthane issu de la fermentation
18:41des végétaux s'enflamme,
18:42créant des feux follés qui pouvaient brûler pendant des semaines.
18:48Mettez-vous dans la peau de ceux qui vivaient
18:51il y a 200, 500 ans, 1000 ans en arrière.
18:54Pour eux, c'était magique, bien sûr.
18:59Les Monts d'Arrée, c'est mon jardin, c'est à moi.
19:03Je crois que tout le monde s'approprie cet endroit
19:07qui est comme une île intérieure, quelque part.
19:17Une petite île, protégée par un phare symbolique
19:20situé sur le mont Saint-Michel de Braspar,
19:23l'un des points culminants de la Bretagne, grâce à sa croix.
19:28Certains ne verront sous cette croix qu'une modeste chapelle.
19:32Là aussi, les esprits plus mystiques
19:35seront surtout sensibles à la puissance de la nature.
19:38Sur ce mont, elle a inspiré différentes religions
19:42au fil des millénaires,
19:43dont le culte druidique de Taranis, le dieu du ciel et de l'orage.
19:50On sent quand même qu'il y a une force spirituelle ici.
19:54A l'ère préchrétienne,
19:56vraisemblablement, il y avait des cultes ici,
19:59sans doute dédiés aux morts.
20:01Au XVIIe siècle est édifié ce petit oratoire
20:05consacré à l'archange Saint-Michel.
20:10La légende dit que l'archange Saint-Michel,
20:13qui est le chef des milices célestes,
20:16souvent représentés en armure, en arme,
20:18a terrassé le dragon ici.
20:23C'est un symbole qui veut dire que la religion chrétienne
20:27a terrassé, a supplanté les anciennes religions
20:30considérées comme païennes.
20:33Pour les historiens, ce n'est pas par le glaive
20:36que le christianisme aurait soumis le paganisme des Celtes en Bretagne,
20:40mais par le verbe.
20:42Et peut-être un peu par la magie.
20:51Dès le V et le VIe siècles, des moines venus du pays de Galles
20:55apportent le christianisme en Bretagne païenne.
20:59L'un des premiers, Guénolé, un noble,
21:02choisit une langue de terre,
21:04lovée au sud de la rate de Brest,
21:06pour y bâtir un monastère.
21:08C'est un signe de la nature qui lui désigne ce lieu.
21:13De cette histoire lointaine,
21:15les Bretons ont surtout gardé la légende.
21:26Guénolé arrive, lui, au VIe siècle.
21:28Il traverse la Bretagne de la côte nord jusqu'à la côte sud.
21:32Et, miracle, il va faire comme Moïse, il va séparer les eaux
21:36et il va venir à pied sec de l'Itibidic jusqu'à l'Andévénec,
21:40où il va fonder son héritage,
21:42qui deviendra l'abbaye de l'Andévénec.
21:46C'est le premier monastère à vérer en Bretagne,
21:49où les moines vivaient sur la terre.
21:52En ce haut Moyen Âge, la population rêvère comme des saints,
21:55ces moines, qui ont le même rapport aux merveilleux et à la nature.
22:00C'est un coup de foudre.
22:04Nous sommes sur le passage d'un monde à un autre,
22:08d'un monde païen à un monde chrétien.
22:11C'est parce qu'ils dominent les éléments,
22:13comme les anciens druides dominaient les éléments,
22:17que les moines ont une nature de la nature.
22:19C'est parce qu'ils maîtrisent le temps et l'espace,
22:22qu'ils accomplissent des miracles, qu'on leur attribue la sainteté.
22:26Saint Guénolé est toujours très présent dans le coeur des Bretons,
22:30mais il n'a jamais été reconnu par Rome.
22:33Car entre l'Eglise et les Bretons,
22:35tout n'a pas toujours été aussi simple.
22:40Dans le village de l'Andévénec,
22:42qui s'est construit autour du monastère,
22:45le cimetière en témoigne.
22:47Au Moyen Âge, les Bretons avaient pris l'habitude
22:50d'enterrer leurs morts sous l'Eglise.
22:52Mais à partir du XVIIe siècle,
22:54les autorités catholiques imposent de nouvelles règles
22:57et l'enterrement des morts dans des cimetières à l'extérieur.
23:01Non sans mal.
23:02Dans certaines paroisses,
23:04le désaccord tourne même parfois au pugilat.
23:09Dans ce petit cimetière léché par les flots,
23:12un compromis semble avoir été reçu.
23:14Les morts ont quitté l'Eglise,
23:16mais ils ont vu sur le paradis des Celtes.
23:22Dans l'imaginaire breton, le paradis est une île
23:25qui se trouve à l'ouest du monde, là où le soleil se couche.
23:29D'où la croyance en Bretagne.
23:31Les défunts se pressent sur la côte
23:35pour attendre la barque de nuit,
23:37la barque d'eau en breton,
23:39pour passer dans l'eau de l'île.
23:41La barque de nuit, bagnose, en breton,
23:43pour passer dans l'eau de l'art.
23:46Et donc, ici, ils sont au bord de la mer,
23:49donc ils n'ont plus qu'à attendre le bagnose,
23:51la barque de nuit et le passeur pour aller dans l'eau de l'art.
23:55C'est une situation exceptionnelle.
24:00Mais pour les chrétiens, le paradis est au ciel,
24:03dans un monde bien séparé de celui des vivants.
24:07Et il n'est pas question de passeurs invisibles.
24:11...
24:19A quelques kilomètres de la côte,
24:22en l'église du village de la Martyr,
24:24le culte catholique semble avoir réussi
24:26à conquérir les âmes des vivants, aussi bien que des morts.
24:31...
24:44...
25:01Pourtant, même ici,
25:03des figures venues des temps anciens
25:05sont parvenues, mine de rien, à se glisser entre les pierres.
25:09...
25:16Voilà ce béniquier,
25:19avec une représentation de la mort, donc l'encoût.
25:25On l'a à plusieurs endroits,
25:26et on l'a dans certaines paroisses, c'est sur l'ossuaire.
25:31...
25:36Dans le monde celtique,
25:38il y avait cette croyance en un autre monde.
25:42Et quand la vie se terminait dans ce monde-ci,
25:47on faisait partie de l'autre monde.
25:51Les écrivains latins se moquaient des celtes
25:55parce que les celtes faisaient des emprunts payables
25:59dans l'autre monde.
26:01Ils étaient fous, ces celtes. Bon, c'était comme ça.
26:05...
26:10Je ne me sens pas de l'Eglise romaine,
26:13dans ce sens très précis,
26:15de l'Eglise hiérarchique,
26:18qui impose sa manière de faire un peu partout,
26:23sans tenir compte des cultures.
26:26Je ne peux pas entrer là-dedans.
26:28...
26:30À l'image de la martyr,
26:32l'armorique est restée foncièrement religieuse,
26:36d'une religion où le paganisme celtique
26:39s'éternise dans les recoins du catholicisme.
26:42Entre cette mer, souvent hostile,
26:45et ses terres, âpres et sublimes,
26:47la magie ancestrale et le culte chrétien
26:50continuent de mêler vaillamment leurs forces
26:53pour apprivoiser la mort.
26:54Musique sombre
26:57...