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00:00Bonjour Arlette Testiler.
00:02Bonjour.
00:03Vous êtes née, Arlette Reymann, en 1933 à Paris, française de confession juive par
00:07vos parents d'origine polonaise, vous avez été arrêtée avec votre sœur et votre mère
00:11le 16 juillet 1942 lors de la rafle du Veldiv.
00:14Aujourd'hui, en tant que survivante de cette rafle au vélodrome d'hiver menée par la
00:18police française, je le précise, qui était au service des nazis et sous les ordres du
00:23gouvernement de Vichy, et en tant que survivante aussi de l'internement au camp de transit
00:27de Baudelaire-Hollande, vous êtes devenue un témoin précieux de la Shoah avec la
00:31contribution d'Alexandre Duy que vous publiez chez Hugo Dock, le témoignage jamais nevant
00:35quand ils nous ont raflés.
00:37On estime qu'il y a moins de 100 adultes qui ont réussi à survivre et 4 enfants en
00:42tout.
00:43Je voudrais que vous me racontiez ce 16 juillet 1942, il est 5 heures du matin et on toque
00:49à la porte.
00:50Oui, on toque à la porte, ma sœur dort encore, je me lève avec maman, elle demande qui est
00:55là et dit police, elle ouvre et il y a deux policiers, je les vois encore avec leur pèlerine,
01:06ils ont une liste à la main et ils disent on vient arrêter votre mari Abraham Rehman,
01:14et là il y a maman qui dit mais il est déjà parti et même en destination inconnue puisque
01:21mon père avait été raflé à l'arrestation du billet vert, et eux sans se démonter,
01:30et c'est ça qui a été effroyable, sans se démonter, ils avaient cette liste dans
01:34la main, ils disent c'est pas grave c'est vous et vos enfants, et là ils commencent
01:39à nommer Madeleine, ma sœur, Arlette, moi-même, Marie Malca, ma mère, et là j'ai vu ma
01:45maman qui était une maîtresse femme, qui perdait pas son sang froid, qui avait, personne
01:52d'habitude d'avoir du personnel sous ses ordres, qui a perdu ce sang froid, qui s'est
01:56battue avec eux, et ça a été horrible de rentrer dans ces autobus, on nous a poussé
02:03dans ces autobus et on est parti direction le Vélodrome d'Ivée, moi je connaissais
02:11pas, on est au mois de juillet, et le temps est un petit peu maussade, il y a comme une
02:18petite goutte de pluie qui tombe, comme si le ciel pleurait avec nous en fait, vous dire
02:24comment était le Vélodrome d'Hiver, c'est innommable.
02:28Je me souviens, j'ai dit à un moment, à maman j'ai envie d'aller faire pipi, d'aller
02:36aux toilettes, et elle me dit va avec Lazare, le petit voisin qui était l'aîné, il devait,
02:43Lazare devait avoir une douzaine d'années, et elle me dit va avec lui, moi je garde les
02:48affaires, on s'était tous regroupés les petits voisins, et Lazare me prend par la
02:55main, et je monte, et je monte, et plus on montait il y avait cette odeur, et quand on
03:03est arrivé en haut, il n'y avait pas d'eau à terre, puisqu'il n'y avait pas d'eau,
03:08tout était fermé, les waters étaient fermés, il n'y avait pas d'eau, qu'est-ce qu'ils
03:11faisaient les gens, pudiquement, contre le mur au bout, ils faisaient leurs besoins,
03:17les autres les cachaient derrière un vêtement, ou une nappe, ou un vêtement, et les gens
03:24faisaient, mais ça descendait, il y avait les escaliers, ça descendait, il y avait l'urine,
03:30il y avait les excréments, et puis moi j'ai neuf ans, et je ne connais rien de la vie,
03:37je ne connais rien de qu'est-ce que c'est, et je vois du linge, des morceaux de coton
03:44avec du sang, j'ouvrais du sang partout, et qui descendent comme ça, et qui ruissellent
03:52et qui est là, et je me mets à hurler, et je lâche la main de Lazare, je lui dis à
03:59Lazare, il faut sortir, on tue tout le monde, il faut dire à maman, tout le monde, on va
04:04nous tuer, regarde le sang qui est là, moi je ne sais pas ce que c'est que ce sang,
04:09que c'est le sang des femmes, donc je me souviens, elle est descendue, ça me reprend
04:15encore, maman m'a prise dans ses bras, et elle a fait preuve de beaucoup de sang-froid,
04:24en me disant, mais non, tu ne tues pas les gens, je lui ai dit, maman, je te jure, il
04:29y a du sang partout, il y a du linge, il y a du coton, il y a plein de sang partout là-haut.
04:33Il faut dire aussi que dans votre histoire, l'absence de votre père va peser très lourd,
04:38Arlette, votre père a effectivement eu, on va dire, la naïveté de croire que lors de
04:48ce contrôle obligatoire pour les juifs, il allait revenir, il n'est jamais revenu de
04:52cette rafle du billet vert, il est parti dans un premier temps à Pithiviers, ensuite
04:57il a été déporté à Auschwitz, où malheureusement il est décédé en 1942.
05:03Comment vous l'avez vécu, l'absence de votre père, Arlette ? Est-ce que vous comprenez
05:07du haut de vos neuf ans ce qui était en train de se passer à ce moment-là ? Puisqu'il
05:10y a eu l'histoire qui va beaucoup vous marquer de cette étoile jaune que vous allez devoir
05:17porter, que vous refusez de porter dans un premier temps, cousue en six points, et l'histoire
05:22du square dans lequel vous allez depuis que vous êtes toute petite, avec un monsieur
05:26qui tient le square, qui vous connaît depuis que vous êtes toute petite, et qui vous demande
05:30si vous savez lire, et qui vous indique que c'est interdit et aux juifs et aux chiens.
05:33Et puis c'est là, c'est à ce moment-là que j'ai commencé à perdre confiance dans
05:41ce que mon papa me disait tout le temps, moi qui étais insupportable, il n'y avait qu'une
05:47seule chose qu'on me pardonnait, parce que j'étais une excellente élève, mais tout
05:51le reste j'étais une enfant insupportable.
05:53Et il me disait si tu te perds, tu demanderas à un gardien ou à un agent, il te ramènera
05:58à la maison.
05:59Mais je perds confiance, comme vous dites, dans ce square, le jour où on m'a mis l'étoile
06:06jaune, et que je m'approche comme tous les jours, je vais rejoindre les garçons pour
06:12faire du patin à roulettes, et lui qui me prend par la main me demande donc tu sais
06:16lire.
06:17Je lui dis bien sûr, j'ai 9 ans, je sais lire, qu'il m'emmène devant cette affiche
06:23interdite aux juifs et aux chiens, et je me suis sentie plus basse que terre alors que
06:29j'étais fière d'être Français.
06:31Papa disait toujours faut être fière d'être Français, il était plus Français qu'un
06:37Français, vous pouvez même pas imaginer.
06:39J'ai entendu en 38, on n'est pas encore la guerre, c'est l'été 38, on est au bord
06:46de la mer à côté de Royan à Pont-d'Aillac, il est avec des amis, il doit y avoir des
06:51rumeurs de guerre, et je l'entends dire s'il y a la guerre, moi je m'engage pour me battre
06:57pour la France.
06:58Vous donnez des détails et des précisions qui sont très importantes, que très peu
07:02connaissent, par exemple l'étoile jaune était payante, les juifs devaient payer leur
07:06étoile jaune, c'est-à-dire qu'ils avaient obligation de porter cette étoile, cousue
07:09en six points, sur une veste, sur le devant de la veste, et en plus il fallait payer cette
07:15étoile.
07:16On ne pouvait pas la payer avec de l'argent uniquement, mais on avait des tickets pour
07:19le pain, pour le lait, pour tout, il a fallu donner des tickets de vêtements, on a donc
07:24été privés de vêtements parce qu'il a fallu donner des tickets de vêtements et
07:28d'acheter cette horrible étoile jaune.
07:30C'est vrai que vous me parliez de cette famille qui vous a sauvé la vie, à qui vous devez
07:37énormément évidemment, parce qu'il faut aussi repréciser les choses, c'est que ce
07:42n'était pas si simple que ça, d'aider des personnes de la communauté juive, parce
07:47qu'on mettait en balance la vie de notre propre famille, en tout cas c'est comme ça
07:51que certains le décrivent, et eux ils n'ont pas hésité une seconde, ils ont décidé
07:55de vous sauver la vie.
07:58C'est vrai.
08:01Mais il faut vous dire quand même qu'en France, vous savez la France, c'est pas tout
08:05noir, c'était pas tout noir, c'était pas tout blanc.
08:07De toute l'Europe, c'est vrai que la France a collaboré avec le gouvernement de
08:16Vichy, c'est vrai, mais de toute l'Europe, c'est en France qu'on a sauvé le plus
08:23d'enfants juifs.
08:24Et ça, il faut le savoir.
08:26Et ça, il faut le dire.
08:27C'est ce qu'a dit également Serge Kartsfeld il n'y a plus à ce micro, oui.
08:29Et ça, c'est très important, pourquoi ? Parce que ceux qui nous ont sauvés, c'était
08:36pas des haut-gradés, je vais vous dire tout de suite, c'était pas des préfets, des
08:40sous-préfets, non.
08:41C'étaient des petites gens, des gens simples.
08:45Vous savez, dans ce wagon à bestiaux, ma mère a lancé du train à travers, il n'y
08:52avait pas de fenêtre, à travers ces houblots là où les naseaux des chevaux pouvaient
08:56respirer.
08:57Elle a lancé un petit mot qu'elle a écrit à des voisins, comme quoi on a été arrêté
09:02arbitrairement.
09:03Il n'y avait pas de timbre.
09:06Il n'y avait pas d'enveloppe.
09:07Il y avait juste ce petit mot qu'elle a roulé comme une cigarette.
09:10Elle a mis de l'argent par-dessus, elle m'a tiré quelques cheveux, elle a attaché le
09:16tout ensemble.
09:17Quand le train a démarré, elle l'a jeté sur la voie ferrée.
09:20Eh bien, ce petit mot, je ne sais pas qui l'a ramassé, mais ce petit mot est arrivé
09:25à destination.
09:26La France n'est pas tout noire, c'était pas tout noir.
09:29C'est à partir de cette époque que les Français se sont réveillés.
09:35Mais en 1942, quand ils ont vu ces wagons à bestiaux avec ces petites mains d'enfants,
09:43ces mains de vieillards, ils se sont dit ceux-là ne vont pas travailler en Allemagne.
09:48Et c'est à partir de cette époque que la France s'est réveillée.

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