Européennes : Valérie Masson-Delmotte déplore le manque de débat sur le changement climatique

  • il y a 4 mois
C'est une pionnière sur les questions climatiques : la climatologue Valérie Masson-Delmotte publie "Face au changement climatique". C'est un état des lieux de la connaissance scientifique, mais aussi un récit personnel, celui d'une femme qui a fait le choix de l'engagement citoyen.

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00:00 Le Grand Entretien, ce dimanche matin avec Marion Lourdes, nous avons le plaisir de recevoir
00:05 une scientifique, grande voix de la recherche sur les sciences du climat, directrice de
00:10 recherche au commissariat à l'énergie atomique, c'est une pionnière sur les questions climatiques.
00:15 Elle est membre du Haut Conseil pour le climat, elle a co-présidé l'un des groupes de
00:19 travail du JAKL Publi face au changement climatique.
00:23 Un état des lieux à la fois de la connaissance scientifique, on y apprend beaucoup de choses,
00:28 mais également un récit personnel, celui d'une femme qui a fait le choix de la science
00:33 et de l'engagement d'une citoyenne, ça vient de paraître aux éditions du CNRS.
00:37 Bonjour Valérie Masson-Delmotte.
00:39 Bonjour.
00:40 Et bienvenue, les auditeurs d'Inter pourront dialoguer avec vous et vous poser leurs questions,
00:45 éventuellement partager leurs inquiétudes au 01 45 24 7000 ou en écrivant sur l'application
00:51 France Inter.
00:52 On va parler de ce livre face au changement climatique parce que je le disais, c'était
00:58 les moments où vous avez été l'une des pionnières dans ce combat pour alerter et
01:03 pour déterminer scientifiquement, rigoureusement le changement climatique en cours et le combat
01:11 est toujours pas terminé.
01:12 Mais on va d'abord partir de cet appel que vous avez signé dans le Nouvelle-Aube cette
01:17 semaine, appel très fort aux côtés de militants comme Camille Etienne, aux côtés également
01:22 d'un magistrat, François Mollins.
01:24 C'est un appel pour une justice environnementale.
01:27 Il faudrait en faire une priorité nationale.
01:30 Expliquez-nous ce qu'est la justice environnementale, à part augmenter les budgets pour les tribunaux
01:37 qui traitent d'affaires climatiques.
01:39 C'est simplement donner les moyens à la justice d'enquêter et de rendre justice
01:44 pour que le droit de l'environnement s'applique.
01:46 J'ai eu l'occasion dans le cadre notamment de la formation, vous savez, des agents de
01:50 l'état sur les enjeux climatiques d'intervenir à plusieurs reprises à l'école nationale
01:54 de la magistrature et de dialoguer avec des gendarmes, avec des procureurs qui mènent
02:00 des enquêtes sur les sujets liés à l'environnement.
02:02 Et la chose la plus claire qui ressort, c'est un manque de moyens.
02:04 Dites-nous ce qu'est par exemple la délinquance environnementale.
02:08 L'expression peut sembler étonnante, c'est la troisième activité criminelle la plus
02:13 rentable dans le monde.
02:14 Oui, c'est par exemple le trafic d'espèces protégées qui peut être rentable et conduit
02:19 à la destruction de la biodiversité, la perte d'espèces menacées.
02:24 C'est un exemple parmi beaucoup d'autres.
02:26 C'est aussi le fait de ne pas respecter tout le cadre réglementaire qui s'impose
02:30 en lien avec la pollution mais aussi en lien avec le changement climatique, bien sûr.
02:34 Vous parlez du manque de moyens, mais par exemple cette semaine le Tribunal international
02:39 du droit de la mer a rendu un avis qui estime que les états ont l'obligation de réduire
02:43 leurs émissions de gaz à effet de serre pour protéger l'environnement marin.
02:46 C'est la première fois, on a dit que c'était historique, c'est la première fois qu'une
02:49 juridiction internationale émet un avis sûr sur le changement climatique.
02:52 En fait, il n'est que consultatif.
02:54 Donc, ce n'est pas seulement une question de moyens.
02:55 Est-ce qu'il faut la rendre contraignante cette justice climatique ?
02:58 Alors, cette décision est importante parce qu'en fait, elle rappelle aux états leurs
03:01 obligations et notamment du fait que les émissions de gaz à effet de serre, notamment de dioxyde
03:06 de carbone, on en met quand même 40 milliards de tonnes dans l'atmosphère chaque année
03:09 dans le monde, modifient en fait l'état de l'océan, conduisent à des vagues de
03:13 chaleur marine plus fréquentes, plus intenses, un océan qui se mélange moins bien, moins
03:17 d'oxygène, la montée du niveau de la mer et son acidification.
03:21 Et tout ça, c'est des pressions supplémentaires sur des écosystèmes marins, en plus des
03:24 autres pressions sur exploitation, destruction des habitats sur les littoraux.
03:28 Voilà.
03:29 Et donc, c'est un rappel aux obligations des états pour protéger l'océan et sa vie.
03:35 Mais sans sanctions à la clé ?
03:36 C'est le cadre international et les juristes estiment que cette décision est importante
03:41 par rapport à une convention qui est forte en fait sur le droit de la mer et le droit
03:45 international.
03:46 Valérie Masson-Delmotte, vous revenez dans ce livre sur la trajectoire française dans
03:50 la lutte contre le dérèglement climatique.
03:52 Les émissions de gaz à effet de serre ont baissé de 5,8% en 2023.
03:56 On l'a su cette semaine également par rapport à 2022.
03:59 C'est un chiffre dont s'est félicité le Premier ministre Gabriel Attal.
04:03 Comment est-ce que vous regardez ce chiffre ? Parce qu'en fait, on est en dessous des
04:07 objectifs.
04:08 On n'atteint pas encore nos objectifs de diminution.
04:10 Donc, qu'est-ce que vous dites ? Vert à moitié plein, vert à moitié vide ?
04:13 La première chose que j'ai envie de dire, c'est montrer qu'on s'inscrit dans une
04:17 histoire en France et dans d'autres pays du monde où on a réussi à répondre aux
04:21 besoins des gens tout en décarbonant nos activités, notre économie depuis les années
04:27 70 en France.
04:29 Y compris quand on regarde l'effet net, c'est-à-dire notre empreinte carbone.
04:33 Ça c'est important d'en être fier parce que c'est la clé pour arriver à limiter
04:37 le réchauffement planétaire par la suite.
04:39 La deuxième chose, c'est que le Haut Conseil pour le climat est en train de se cruter à
04:42 la loupe les derniers chiffres de ses inventaires d'émissions.
04:46 Donc c'est une baisse remarquable, forte.
04:48 Dans le passé, les baisses aussi fortes, ça avait été un hiver très doux.
04:52 Ça avait été également notamment la pandémie, l'interdiction de se déplacer.
04:56 Là, on est sur autre chose à creuser.
04:58 Mais avec l'effet de l'inflation, le ralentissement industriel, la remise en route du parc nucléaire,
05:06 mais aussi des effets structurels à décortiquer.
05:08 Et pourtant, malgré cette baisse, la difficulté c'est qu'on a des forêts qui sont dégradées.
05:15 Et le bilan net de nos émissions de gaz à effet de serre, c'est combien on émet, combien
05:20 les forêts peuvent capter chaque année.
05:22 Il y a dix ans, par le raccroissement, elles captaient 40 millions de tonnes par an de
05:26 nos émissions.
05:27 C'est divisé par deux.
05:28 Et quand on tient compte de l'état des forêts, on risque de ne pas réussir à tenir le budget
05:34 carbone que la France s'était fixé pour la période actuelle.
05:37 Vous avez été chargé Valérie Masson-Delmotte d'évaluer les objectifs affichés par la
05:41 France en matière climatique, notamment pour le Haut Conseil pour le Climat.
05:45 Et le constat, il a l'air assez limpide.
05:47 Nous ne sommes pas assez ambitieux.
05:50 Pourquoi ?
05:51 On a écrit une lettre au Premier ministre il y a quelques mois, pour souligner le fait
05:55 qu'on a une action pour le climat qui a été structurée, qui monte en puissance en France.
06:00 Mais là, on prend un retard considérable sur un ensemble de textes importants.
06:05 Les lois climat-énergie, mais aussi la stratégie nationale d'adaptation.
06:10 C'était attendu en début de cette année, ça n'est toujours pas là.
06:14 Nous, on rappelle l'importance de ne pas laisser glisser l'opportunité de définir
06:20 collectivement le cap qu'on se fixe, notamment à l'échelle du Parlement.
06:24 C'est un enjeu démocratique.
06:26 Et aussi, on est devant un enjeu très important.
06:29 On a une stratégie nationale bas carbone à horizon 2030.
06:32 On a les enjeux du Green Deal européen et sa mise en œuvre dans tous les pays à horizon
06:37 2030.
06:38 Mais c'est maintenant qu'il faut s'accorder sur la trajectoire qu'on veut tenir entre
06:42 2030 et 2040.
06:44 Et ce sera le premier enjeu du Parlement européen, de la Commission européenne, à partir de
06:49 cet été.
06:50 Alors, 201 personnes ont été interpellées vendredi après une action devant les locaux
06:54 du gestionnaire d'actifs Amundi, le jour de son assemblée générale.
06:58 Au départ, il visait Total Energy et il protestait contre le fait qu'Amundi finance encore
07:06 le géant Total Energy, qui est un de ses principaux actionnaires.
07:08 A l'origine, vous êtes évidemment une scientifique, pas une militante.
07:11 Est-ce que ces militants ont raison de s'en prendre à Total ?
07:15 Je m'explique.
07:16 En fait, Total est devenu Total Energy en 2021.
07:19 Donc, il diversifie ses activités.
07:21 Il ne sort pas du pétrole, mais il est rentré aussi dans les énergies renouvelables.
07:25 Qu'est-ce que c'est la bonne cible ?
07:27 Alors, en fait, quand on regarde au niveau mondial, c'est assez frappant de voir que
07:32 ce qui va acter les émissions de gaz à effet de serre à venir, cela va être principalement
07:37 les investissements, notamment dans les énergies fossiles.
07:40 On a une capacité à réduire massivement les émissions de gaz à effet de serre dans
07:43 le monde, mais à condition de réorienter les financements vers toutes les solutions.
07:48 Et elles existent.
07:49 L'Agence internationale de l'énergie le souligne en fait.
07:51 Aujourd'hui, les investissements deviennent plus importants sur les renouvelables que
07:54 sur les fossiles.
07:55 On a une montée en puissance, par exemple, de l'électrification des mobilités.
07:59 Ce sont deux exemples.
08:00 Et donc, tout ce qui va verrouiller des investissements dans de nouvelles sources fossiles, finalement,
08:06 va nous éloigner de cette capacité à limiter le réchauffement.
08:09 Et quand on parle de Total Energy qui se diversifie plus que d'autres acteurs de ce secteur,
08:14 ce qu'on peut aussi noter, c'est que sa trajectoire, en fait, à horizon 2030, compte
08:19 tenu de ce que les produits qu'elle commercialise impliquent comme émissions, notamment le
08:24 gaz, beaucoup, ce seraient des émissions de gaz à effet de serre quasi constantes
08:28 à horizon 2030.
08:29 Et ce n'est pas du tout la trajectoire nécessaire pour l'accord de Paris.
08:32 Il faudrait une baisse de l'ordre d'un tiers pour rester sous deux degrés et encore
08:37 plus pour rester proche d'un degré et demi.
08:38 Vous parliez de l'Europe et des objectifs européens et de ce qui devra être examiné,
08:45 voté par le prochain Parlement européen.
08:47 On est à deux semaines des élections maintenant.
08:50 Comment se fait-il que l'écologie occupe aussi peu de place dans le débat public ?
08:54 Vous vous êtes battus pour imposer ces questions et de manière rigoureuse, scientifique,
08:59 qu'on puisse en discuter, en débattre et surtout prendre la mesure de l'urgence climatique.
09:04 Et là, on a l'impression qu'il y a une sorte de silence radio.
09:07 Alors que les enquêtes d'opinion montrent que plus de 82% des Européens, en France
09:12 et ailleurs, considèrent que c'est un enjeu important.
09:14 Alors que le réchauffement est deux fois plus important sur le continent européen
09:18 que la moyenne planétaire et que si on regarde en France, métropole et outre-mer, 2022-2023,
09:23 on voit qu'on a eu des conséquences directes de ce réchauffement, notamment les vagues
09:27 de chaleur, mais aussi dans certaines régions, les sécheresses, dans d'autres régions
09:31 les plus extrêmes, qui pèsent lourdement sur les écosystèmes, le bien-être, les
09:38 activités économiques avec des coûts croissants, y compris des limites à l'assurabilité
09:42 des risques climatiques des communes qui ne trouvent plus d'assureurs, par exemple
09:46 sur le littoral.
09:47 Moi je pense que c'est aussi un enjeu pour vous les journalistes, je me permets de le
09:51 souligner.
09:52 Vous en parlez d'ailleurs dans ce livre sur le changement climatique.
09:54 Notamment quand on a des débats politiques.
09:56 Posez la question à ces différents candidats à des fonctions au niveau du Parlement européen,
10:02 que proposez-vous pour renforcer par exemple la capacité de gestion de crises coordonnées
10:06 en Europe ? On a vu à quel point c'était important d'avoir accès à des pompes pour
10:10 évacuer l'eau dans le Pas-de-Calais, on a vu à quel point c'est important pour la
10:13 gestion d'incendie, on peut renforcer la capacité de réponse pour protéger les européens
10:18 ? Moi je n'ai pas entendu un mot dans les débats à ce jour sur ces enjeux d'adaptation
10:22 à un climat qui se réchauffe.
10:23 Et puis même chose sur les trajectoires de réduction des émissions de gaz à effet
10:27 de serre.
10:28 Que propose-t-il sur la trajectoire 2030-2040 ? En fait j'aimerais bien le savoir, je ne
10:33 l'ai même pas trouvé dans les programmes.
10:34 D'autant que les chercheurs produisent des connaissances pour les mettre au service de
10:37 l'intérêt public et c'est vrai que ces connaissances ou ces savoirs sont du mal à
10:42 être relayés dans le débat public.
10:45 On va tout de suite filer au standard.
10:47 Bonjour Michel.
10:48 Oui bonjour Madame.
10:49 On a d'un côté un dérèglement climatique observable à l'échelle de la planète,
10:56 de l'autre côté on est bien obligé de constater qu'il n'y a pas de réponse politique
11:00 globale.
11:01 Alors pensez-vous vraiment que l'agrégation de micro-réponses suffira à faire face
11:08 aux catastrophes qui déjà se manifestent ?
11:10 Merci Michel pour votre question-réponse Valérie Masson-Delmotte.
11:15 D'autant que c'est une question que vous abordez là encore dans le livre, à la fois
11:17 les sujets globaux qui concernent l'ensemble de la planète et puis vous par exemple, les
11:24 gestes que vous faites au quotidien pour essayer de participer à l'effort contre le réchauffement
11:28 climatique ?
11:29 On a besoin d'action à toutes les échelles, à l'échelle individuelle, à l'échelle
11:32 des territoires, des villes, à l'échelle des régions qui ont un rôle important en
11:36 France et puis à l'échelle nationale et internationale.
11:39 Et monsieur, en fait je comprends bien votre préoccupation mais on peut aussi voir qu'il
11:44 y a ne serait-ce qu'une ou deux décennies, on ne pouvait pas exclure des trajectoires
11:49 de très fortes hausses des émissions de gaz à effet de serre dans le monde pouvant
11:52 conduire à 4 ou 5 degrés en fin de siècle.
11:55 Aujourd'hui sur les politiques publiques actuellement mises en œuvre, on est plutôt
11:58 parti vers des trajectoires vers 3 degrés en fin de siècle.
12:01 Si les engagements de l'accord de Paris et notamment à la COP 28, les promesses des
12:05 différents pays se mettent en œuvre, on peut encore gagner de l'ordre d'un demi-degré.
12:09 Donc le futur n'est pas écrit et cela va dépendre de l'ampleur des actions qui vont
12:14 être mises en œuvre avec trois grands leviers d'action.
12:16 Un volet d'innovation technologique, un volet de protection des écosystèmes, très important,
12:22 on l'a vu avec les forêts, mais aussi un volet qui porte sur la demande, l'efficacité
12:26 et la sobriété.
12:27 Mais Valérie Masson-Delmotte, vous l'avez vu quand même le climato-scepticisme à
12:31 le vent en poupe.
12:32 On pense au candidat Trump qui pourrait remporter les élections aux États-Unis en fin d'année,
12:37 on pense même au Rassemblement national dans le cadre des élections européennes qui veut
12:41 renoncer à la fin de la vente des véhicules thermiques en Union européenne en 2035.
12:46 Comment vous expliquez ça et quelles réponses on peut apporter ?
12:49 Ce qu'on voit en fait c'est que c'est une offre politique quelque part.
12:53 C'est-à-dire que ce sont des candidats populistes, je pense qui dans des contextes
12:58 de crise, de transformation, s'inscrivent sur le sentiment d'incertitude pour proposer
13:04 un discours qui se veut rassurant, "bah non on ne changera rien et tout ira bien".
13:07 Alors que c'est une évidence en fait, aujourd'hui déjà, que par exemple des véhicules électriques
13:12 à l'usage sur leurs coûts intégrés, si la taille du véhicule est limitée, reviennent
13:18 un peu moins chers que des véhicules thermiques et permettent aussi d'améliorer la qualité
13:21 de l'air dans les villes, le bruit.
13:23 Et donc on voit bien que c'est des réponses simplistes, ne rien changer, à des enjeux
13:28 majeurs qui demandent de penser les choses autrement et de pouvoir justement construire
13:33 ces transformations collectives.
13:34 Et c'est particulièrement préoccupant et on voit qu'un des leviers d'action,
13:38 c'est le fait de monter en compétence pour que chaque citoyen puisse comprendre ces
13:42 enjeux-là, les causes, les conséquences, les leviers d'action qui ne sont jamais
13:46 parfaits mais comprendre en quoi ils peuvent contribuer.
13:49 Et puis après c'est aussi un enjeu collectivement de comprendre en fait, de délibérer, de
13:54 construire démocratiquement des trajectoires où chacun puisse se projeter.
13:59 Et c'est pas du tout facile, notamment quand on a l'impression de changements de
14:02 cap continu au niveau des gouvernements.
14:04 - Comment se fait-il lorsque vous avez commencé à travailler de manière très rugueurose
14:09 sur le climat, en remontant à des milliers d'années, en allant faire du carottage
14:13 au Groenland qui est un poste d'observation privilégié pour comprendre les évolutions
14:19 climatiques ? Comment se fait-il que ce qu'on avait du mal à entendre, qu'on
14:24 ne comprenait pas, ce qui était de l'ordre des signes, d'indications du réchauffement
14:29 climatique, aujourd'hui ce sont des faits prouvés et ils se heurtent malgré tout à
14:34 des personnes qui refusent d'y adhérer ou d'y croire tout simplement pour en tirer
14:38 les conséquences ?
14:39 - En fait ce que je peux dire sur le premier point de votre question, c'est que ce qui
14:43 était projeté dans les années 90, à l'aide d'ailleurs des premiers modèles de climat,
14:48 océan et atmosphère, c'est la réalité qui est observée.
14:51 On a d'ailleurs valu le prix Nobel de physique en 2021 aux chercheurs japonais-américains
14:56 Tsuki Manabe.
14:57 Et à l'époque en fait, il y avait une impression que ça toucherait d'autres régions plus
15:01 fragiles, des générations futures, on voit qu'on est tous dedans en fait et qu'on
15:05 n'était pas prêts.
15:06 Et je pense que certaines études en sciences sociales montrent même que lorsque les gens
15:09 sont touchés par des événements extrêmes, je pense à des incendies graves, des vagues
15:14 de chaleur qui empêchent de sortir la journée, ou des pluies extrêmes, ou des sécheresses
15:18 avec crise de l'eau, ce n'est pas ça qui leur permet de complètement s'approprier
15:23 les enjeux et être porteur de transformation.
15:26 Comme ça crée un sentiment d'insécurité, ça amène parfois à chercher des discours
15:30 simplistes et rassurants malheureusement.
15:31 Mais quoi de différent entre le climato-scepticisme actuel dont parlait Marion à l'instant
15:35 et ce que vous avez rencontré au moment où on ne savait même pas qu'on pouvait
15:40 parler de ces sujets-là scientifiquement ?
15:42 Alors la différence c'est que dans les années 90, on entendait dire que le climat
15:46 ne se réchauffe pas, ce n'est pas dû à l'influence humaine, on ne peut pas se
15:49 fier aux projections, ce n'est pas grave, ça n'est plus tenable.
15:52 Et donc aujourd'hui on est sur des discours parfois de marchands de doute également,
15:56 ce n'est pas simplement des opinions, c'est aussi de la propagande un peu organisée.
16:00 Ça vise plutôt à saper la compréhension qu'on a des différents leviers d'action
16:05 de la manière dont ça peut s'articuler.
16:06 Et en Europe notamment, on voit énormément de désinformation sur tout ce qui permet
16:11 de décarboner l'économie.
16:12 Je pense pour paralyser les choix individuels et collectifs.
16:16 Il y a le climato-scepticisme et puis il y a des réticences des gouvernements qui ont
16:22 l'air de vouloir éviter une écologie qu'on dirait punitive.
16:25 Exemple avec la crise agricole, on a mis entre parenthèses certaines normes environnementales
16:30 et puis il y a toujours ce spectre des gilets jaunes qui contestaient l'augmentation
16:34 de la taxe carbone, des bonnets rouges qui refusaient l'éco-taxe poids-lourd.
16:38 Comment on peut faire pour baisser notre empreinte carbone sans déclencher ce genre
16:43 de mouvement ? Sans "punir" entre guillemets ?
16:45 C'est tout l'enjeu de construire des transitions qui soient justes et perçues comme justes
16:51 et donc qui ne soient pas quelque chose qui soit imposé mais construit avec les acteurs
16:54 des différentes filières.
16:55 Par exemple sur le monde agricole, il y avait eu des accords avec les syndicats majoritaires
17:00 et qui ont été remis en cause.
17:02 Ce qu'on voit également c'est à quel point c'est complexe de construire une forme
17:06 de consensus et facile de détruire le peu d'avancées qui ont été mises en œuvre.
17:12 Donc ça c'est quelque chose de préoccupant.
17:14 Mais je veux quand même souligner, on parlait d'entreprises du secteur fossile, à quel
17:18 point dans les années 80 elles avaient fait dérailler les prémices d'accords internationaux
17:24 sur le climat.
17:25 Il y a un article de l'historien Christophe Bonneuil qui a montré au moment des années
17:28 Mitterrand, dans les années 90, à quel point en Europe elles ont fait dérailler les politiques
17:33 publiques pour le climat qui commençaient à être mises en œuvre.
17:35 Ce n'est pas simplement les gens qui ont eu un sentiment d'injustice, les enjeux.
17:41 C'est aussi quels sont les intérêts économiques, notamment des grandes multinationales, qui
17:46 pèsent lourd par rapport aux choix des gouvernements.
17:49 Et c'est une facette de votre engagement que vous racontez dans votre livre.
17:54 Il y a quelque chose d'assez mystérieux, j'aimerais que vous nous expliquiez l'analogie.
17:57 Quoi de commun entre la compréhension scientifique du réchauffement climatique et un tableau
18:02 impressionniste Valérie Massandelmat ?
18:03 C'est l'image que je donne souvent, c'est-à-dire que quand vous regardez avec le nez près
18:07 d'un tableau impressionniste, vous voyez des tâches de couleur, vous n'arrivez pas
18:11 à donner un sens à cela.
18:12 Et finalement, le suivi de l'actualité, un événement extrême, une négociation climat,
18:16 une nouvelle publication, une polémique, c'est un peu comme si on regardait des tâches
18:20 de couleur.
18:21 Il faut faire un pas de côté pour vraiment comprendre ce qu'est le changement climatique,
18:25 comment on en est arrivé là, les causes, quelles seront les conséquences et comment
18:28 en fait on peut infléchir nos choix collectifs de développement pour pouvoir en limiter
18:35 les risques.
18:36 Donc c'est vraiment un enjeu de ce qu'on appelle de littératie, comme on a à prendre
18:39 à dire et à compter.
18:40 La littératie climatique, c'est comprendre les causes, les conséquences, mais aussi
18:44 les options d'action qu'on a devant nous de manière factuelle.
18:47 Et d'ailleurs, c'est la raison pour laquelle vous insistez sur l'école, sur les enjeux
18:51 d'éducation, de formation au changement climatique.
18:54 On n'est pas encore à la hauteur de la transmission de ces savoirs-là ?
18:59 Il y a encore beaucoup à faire à tous les niveaux et pas simplement pour les enfants,
19:03 mais aussi dans le cadre de la formation continue, de la formation des élus également.
19:07 J'ai eu l'occasion de participer à un certain nombre de sessions, d'échanges,
19:11 de rencontres.
19:12 Et c'est pour moi quelque chose qui est toujours assez sidérant de voir des personnes,
19:15 par exemple, qui ont des niveaux de responsabilité élevés et qui n'ont pas pris peut-être
19:19 l'heure de leur temps pour vraiment s'approprier les enjeux.
19:22 C'est pour moi une source de frustration très forte.
19:25 Merci infiniment Valérie Masson-Delmotte d'avoir été l'invité du Grand Entretien Inter.
19:29 Je rappelle donc, face au changement climatique, c'est dans la collection, la très belle
19:34 collection Les Grandes Voies de la Recherche chez CNRS Édition.
19:37 Je vous souhaite une excellente journée.
19:39 Et je souhaite une bonne fête à ma maman et à toutes les mamans !
19:42 Et ben voilà !

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