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  • 23/05/2024
Max Laulom s'est rendu à Kiev pour documenter la jeunesse ukrainienne. Il nous raconte son projet.
Son documentaire "Kyiv est une fête" est disponible sur la chaine YouTube de Max Laulom.

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Transcription
00:00 Un jour, j'étais en gueule de bois et j'ai reçu une notification sur mon téléphone
00:03 qui me disait "bientôt deux ans de guerre en Ukraine, tout ce qu'il faut retenir"
00:06 et je me suis posé la question à ce moment-là, où est-ce qu'ils font la fête de temps en temps ?
00:09 Le docus appelle "Kiv est une fête" parce que j'ai voulu aller à Kiv en Ukraine
00:14 pour comprendre un peu dans quel état était la jeunesse
00:17 et est-ce qu'ils continuaient de faire la fête malgré la guerre.
00:19 À Kiv, c'est une ambiance un peu bipolaire.
00:20 C'est des moments où, en fait, on peut oublier qu'il y a une guerre,
00:24 on peut vivre, aller manger une pizza dans un resto
00:26 et très très rapidement, on va être rattrapé par la guerre, par une alerte,
00:31 par un panneau qu'on va voir
00:33 ou même parfois, quand on va dans un restaurant ou dans une boîte,
00:37 la première chose qu'on nous demande, c'est de donner de l'argent à l'effort de guerre.
00:40 La vie d'un jeune de mon âge, elle est très très incertaine.
00:43 C'est des jeunes qui sont nés après 1991, donc après l'indépendance de l'Ukraine,
00:48 qui en avait promis une sorte d'avenir meilleur,
00:51 que l'Ukraine allait s'ouvrir, se développer, etc.
00:53 Et en fait, c'est cette promesse qui est en train de s'effondrer.
00:55 Je pense qu'ils ont appris à vivre avec la guerre.
00:57 Typiquement, les soirées, elles se sont adaptées.
00:59 Donc, elles commencent à 18h, elles terminent à 22h parce qu'il y a un couvre-feu.
01:02 Et puis, ils font la fête d'une manière assez différente
01:06 qu'on peut, nous, faire la fête dans un pays en paix.
01:08 Tout le monde sait ce que tout le monde est en train de vivre.
01:09 Donc, il y a une sorte de communion de bienveillance entre les personnes.
01:12 Ils ne célèbrent pas grand-chose, peut-être juste le fait d'être en vie
01:14 et de continuer à avancer malgré tout.
01:16 Comme sur le Titanic, on a joué du violon jusqu'à la dernière minute.
01:19 Ben eux, ils ne savent pas s'ils seront en vie demain.
01:21 Donc, quitte à mourir demain, autant faire la fête aujourd'hui.
01:24 C'est un sacré polémique, forcément.
01:26 Ce n'est pas bien vu de tous les Ukrainiens et de toutes les Ukrainiennes.
01:29 Moi, je les comprends.
01:30 C'est-à-dire, comment on peut être disponible à faire la fête,
01:33 à s'amuser quand on sait qu'au front, on a nos frères, nos pères, nos cousins
01:39 qui sont en train de se faire tuer par les Russes ?
01:41 Et pour le coup, l'argument adverse, c'est de dire,
01:43 mais en fait, si on ne continue pas de faire la fête,
01:45 on va juste être complètement dépressif, déprimé.
01:48 Il y a des militaires qui sont en permission qui viennent faire la fête
01:51 parce que ça leur permet d'y retourner,
01:52 parce qu'ils se vident la tête, parce qu'ils oublient quelques instants,
01:54 sinon ils sont hantés et s'ils n'extériorisent pas
01:57 toutes ces horreurs qu'ils ont vues, qu'ils ont vécues,
01:59 ils ne peuvent pas y retourner.
02:00 Mais il y a aussi, pour les citoyens ou ceux qui ne sont pas forcément mobilisés au front,
02:03 juste le fait de continuer à vivre, en fait, et de pouvoir se dire
02:06 que c'est un moment de résistance à cette guerre qu'ils subissent,
02:09 qu'ils n'ont jamais demandé de vivre,
02:10 et où ils reprennent un peu le contrôle de leur vie le temps d'une soirée.
02:13 Par le passé, l'année dernière, pas mal de vidéos justement de soirées en Ukraine
02:16 ont tourné sur les réseaux sociaux et ont été utilisées par des propagandistes russes et des bots
02:21 pour décrédibiliser le pays.
02:22 Regardez, l'Ukraine soit disant victime de l'invasion russe, en fait, ils font la fête.
02:25 Et donc, il y a eu une prudence qui a été développée de la part des organisateurs de soirées
02:30 pour essayer d'interdire le fait de filmer, le fait de prendre des images dans les boîtes de nuit.
02:34 J'ai rencontré plein plein de jeunes qui nous disaient
02:36 "Mais moi, ma mère, en fait, elle est russe.
02:38 Quand j'étais petit, on avait plein de potes russes.
02:40 C'est des peuples qui sont très proches,
02:42 beaucoup de familles binationales en Ukraine et en Russie."
02:44 Il y a ce jeune qui me dit de manière très crue et avec beaucoup de recul sur sa situation,
02:49 il me dit "Mais je suis devenu un monstre parce qu'en fait, avant 2013,
02:52 donc avant la première occupation de la Crimée par la Russie,
02:55 mais les Russes, c'était mes meilleurs amis, je les amenais à la plage,
02:57 on allait en boîte ensemble.
02:58 Jamais j'aurais cru un jour souhaiter la mort de Russes et aujourd'hui, c'est le cas."
03:03 Les personnes qui ont été touchées directement par la guerre,
03:06 c'est-à-dire qui ont perdu un frère, un père,
03:07 pour eux, c'est très très difficile d'envisager une paix,
03:10 en tout cas dans les prochains mois,
03:12 parce qu'ils ont énormément de colère et de tristesse.
03:15 Une des très jeunes étudiantes que j'ai pu interviewer, qui a 23 ans,
03:19 qui dit "La paix est uniquement possible si la Russie n'existe plus,
03:21 si la Russie se désagrège en plein de petites nations."
03:25 Par contre d'autres, notamment les deux DJ que j'ai pu interviewer,
03:28 Anna et Olena, elles, elles n'ont pas encore connu dans leur chair
03:32 la perte de quelqu'un, la blessure ou l'expérience du front.
03:35 Donc elles, elles y croient encore.
03:37 Elles ne sont pas rentrées dans un système de détestation.
03:40 Des Russes, elles jouent de la musique russe dans leur DJ set.
03:45 Voilà, donc c'est assez dépendant de l'expérience de chacun.
03:50 Je dis que l'histoire est un éternel recommencement
03:52 parce que des jeunes qui sont partis à la guerre à 25 ans,
03:57 il y en a eu depuis toujours.
03:59 Des jeunes qui ont mis leur vie de côté,
04:01 comme ceux que je montre dans ce documentaire.
04:02 Des jeunes qui continuent de faire la fête pendant la guerre,
04:04 il y en a toujours eu,
04:05 que ce soit pendant la Seconde Guerre mondiale,
04:07 je fais un parallèle avec les Azous par exemple.
04:09 Je ne sais pas si dans 80 ans, à notre tour,
04:12 on continuera toujours à se faire la guerre,
04:14 mais je pense qu'on continuera, quoi qu'il arrive, à faire la fête.
04:16 [BIP]

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