Ce 14 février était rendu l'hommage national en l'honneur de Robert Badinter, décédé à 95 ans.
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NewsTranscription
00:00 Le sang sur la lame, la tête coupée d'un homme, une vie fauchée.
00:13 Ce spectacle morbide, Robert Badinter y assista à l'aube, le 28 novembre 1972, dans la cour
00:25 de la prison de la santé.
00:26 Avant, il y avait eu la plaidoirie désespérée pour sauver son client, Roger Bontemps, coupable
00:37 qui n'avait pas tué.
00:38 Le procès perdu à trois, la grâce sollicitée en vingt, les visites chaque matin dans la
00:47 cellule, les derniers jours d'un condamné.
00:49 Avant, il y avait eu ce dilemme insoutenable, qui des deux condamnés, Buffet ou Bontemps
00:56 exécutés en premier, ce sera Bontemps, avaient statué leurs avocats, car Bontemps a encore
01:02 un peu d'espoir, mieux vaut qu'il parte d'abord.
01:06 Après, il n'y avait plus rien que la nuit, l'odeur de sang, les visages des bourreaux,
01:19 la mort.
01:20 La mort sans recours, une vie tombée parce que la justice a alors tué.
01:28 Son mentor, maître Torres, l'avait prévenu jadis, tu deviendras vraiment un avocat après
01:35 ta première mort de condamné.
01:37 Ce matin-là, à la santé, c'est un coup près qui tranche aussi le destin de Robert
01:47 Badinter.
01:48 Avant ce matin-là, il était un partisan de l'abolition de la peine de mort, de ce
01:54 jour, il en sera un combattant.
01:56 Une idée simple gouverna désormais la vie de Robert Badinter.
02:04 Pour ne pas perdre foi en l'homme, il ne faut pas tuer les hommes, fussent-ils les
02:10 pires coupables.
02:11 Il était devenu avocat par amour du droit et pour gagner sa vie, il sera l'avocat
02:18 pour toujours de cette cause, l'abolition.
02:21 Janvier 1977, retour à Troyes, dans la même cour d'assises où furent jugés Buffet et
02:34 Bontemps, cri de la foule qui demande la mort de Patrick Henry, cet assassin d'enfant,
02:41 cri de la foule qui demande la mort de Robert Badinter, cet avocat des assassins.
02:46 « Les morts vous écoutent », répétait Robert Badinter.
02:52 Et le fantôme de Bontemps l'écoutait.
02:55 Les morts étaient sa conscience, mémoire d'outre-tombe dont il redoutait le jugement.
03:04 À la barre, lui qui aimait écriver le théâtre ne jouait pas un rôle, il était une âme
03:10 qui crie, une force qui vit et arrache la vie aux mains de la mort.
03:15 « Si vous tuez Patrick Henry », lança-t-il au juré dont il cherchait le regard, « alors
03:21 votre justice est injuste ».
03:23 Le combat contre la mort devint sa raison d'être.
03:28 Après Patrick Henry, Robert Badinter sauva la tête de cinq autres condamnés.
03:35 Les morts nous écoutent.
03:41 Les morts.
03:44 Ces morts.
03:45 Simon, son père, arrêté le 9 février 1943 par les séides de Klaus Barbie.
03:54 Shinlea, sa grand-mère déportée à 79 ans.
03:58 Idis, son autre grand-mère que dans la fuite la famille d'eût laissée s'éteindre
04:03 seule à Paris.
04:04 Naftoul, son oncle, ses cousins, tant des siens décimés par la Shoah.
04:10 La mort, comme ombre permanente, à chaque contrôle de papier dans ce village de Savoie
04:17 quadrillé par les Allemands, surveillé par la police de Paul Touvier.
04:22 La mort aux trousses, saquette de fantômes après-guerre à Auschwitz.
04:28 Oui, Robert Badinter fut un jeune homme hanté par la mort.
04:35 Sans doute est-ce pour cela qu'il fit toute son existence, le choix résolu de la vie.
04:43 Nourriture terrestre, nourriture céleste, haut très haut et bas très bas, il vécut
04:48 intensément chaque minute.
04:50 Fureur de vivre, des universités américaines au prétoire, gourmandise des mots, voyage
04:57 jusqu'au bout des nuits sans sommeil pour étudier, devenir docteur, préparer ses cours.
05:02 Épiphanie de travail et de savoir, fête de l'esprit, la vie, la belle vie, celle
05:08 des théâtres, celle de l'opéra, la vie pour aimer, épouser Elisabeth, couple dans
05:14 le siècle, unie par l'universel.
05:16 Complicité dans les épreuves et les procès, les bonheurs et les livres, presque six décennies
05:22 d'une vie mêlée avec leurs trois enfants, Judith, Simon et Benjamin.
05:28 Lumière d'un grand amour et amour des grandes lumières, celle de Condorcet, de la Révolution,
05:36 de la République.
05:37 Les morts vous écoutent.
05:42 Ceux qui écoutent Robert Badinter, ce jour de septembre 1981, s'appellent Jaurès,
05:53 Clémenceau, Brillant, Camus, Hugo.
05:58 À la tribune de l'Assemblée nationale, pour défendre la loi abolissant la peine
06:04 de mort, le garde des Sceaux porte l'engagement du président François Mitterrand, formulé
06:11 durant la campagne, en dépit de l'opinion.
06:14 Robert Badinter parle.
06:18 Plédoirie inoubliable contre une peine capitale qui, par ses mots, est pulvérisée, à son
06:25 tour exécutée.
06:26 Robert Badinter parle.
06:28 La peine de mort dissuasive, mais Patrick Henry lui-même criait un mort buffé, un
06:33 mort bon temps, devant le même palais de justice de Troyes, quelques années plus tôt.
06:37 La peine de mort dénoncée par les religions, les philosophies, les consciences du monde,
06:43 la peine de mort, appanage des dictateurs.
06:45 Robert Badinter parle.
06:47 Et la justice ? La justice, n'est-ce pas seulement des juges, des jurés, avec leurs
06:54 failles, leurs erreurs ? Alors faut-il accepter des exécutions sans cause ? Des cadavres
07:00 par accident ? Un homme qui n'a pas tué coupé en deux dans la cour de la prison de
07:05 la santé ? Non, ce n'est pas une question politique, c'est une question morale, un
07:13 cas de conscience.
07:14 Robert Badinter convainc.
07:18 Une majorité vota pour la loi entière, une majorité formée de la gauche, rejointe
07:28 par quelques députés de l'opposition, menés par Jacques Chirac.
07:34 Robert Badinter avait gagné son plus grand procès.
07:40 Victor Hugo, son modèle, avait écrit 93, Robert Badinter venait de tracer 81 dans l'histoire
07:51 du progrès français.
07:52 Année de l'abolition.
07:54 Cela suffisait-il ? Non.
08:00 Il fallait encore rendre la justice plus humaine et l'humanité plus juste.
08:05 Poursuivre l'œuvre d'émancipation et de fraternité promue par Condorcet, chasser
08:12 les terribles démons de l'arbitraire qui tuèrent Condorcet et tant d'autres après
08:15 lui, derrière chacun, réprouvés, condamnés, oubliés.
08:19 Le garde des Sceaux voulait toujours voir une vie, simplement, irréductiblement.
08:28 Vie des homosexuels, discriminés, dont Robert Badinter mit fin à l'opprobre légale.
08:36 Vie brisée des victimes dont il se soucia plus que tout autre avant lui.
08:41 Vie citoyenne avec ses droits inaltérables, il supprima les tribunaux d'exception et
08:48 il ajouta un recours, celui de la Cour européenne des droits de l'homme, aux armes de liberté
08:54 des justiciables français.
08:58 Vide et détenu, car pour lui existait un droit qu'aucune loi ne pouvait entamer,
09:03 aucune sentence retranchée, le droit de devenir meilleur, même en prison, même coupable.
09:11 La vie, sa vie menacée, son honneur bafoué, parce qu'il fut pendant cinq ans le ministre
09:21 le plus attaqué de France, cible d'une haine dont l'écho résonne encore dans
09:25 cette place Vendôme, mes chers compatriotes, tout à l'heure, vous l'avez applaudi,
09:30 dans cette même place où alors des voix de haine s'élevaient pour l'attaquer
09:37 en raison de cette abolition.
09:39 La vie, cette vie sacrée, garantie par l'état de droit, par les lois fondamentales de la
09:46 République, cette primauté de la personne humaine, inscrite dans une décision du Conseil
09:53 constitutionnel qu'il présida et dont il était spécialement fier.
09:57 Vie d'étude et de sagesse à la tête de cette institution, vie vouée à défendre
10:05 la dignité de chacun et l'unité de la République jusqu'au banc du palais du Luxembourg.
10:11 Protéger les vies, et qu'importe les frontières, vie brisée par les fers de l'histoire,
10:18 arrachée par des assassins qu'il voulait voir jugés dans les cours internationales,
10:23 vie au-delà de la France, sa patrie, lui qui aida tant de pays européens sortis de
10:28 la dictature ou de la guerre à inventer leur constitution.
10:32 Oui, Robert Badinter avait choisi la vie, la vie heureuse, la vie en République.
10:47 Souvenir des rêves de ses parents, juifs de Bessarabie, pour qui la France se disait
10:54 avec les mots de Zola et les paroles de la Marseillaise.
10:58 Souvenir des vies héroïques de ses habitants de Cognin en Savoie, qui savaient que les
11:04 Badinter réfugiés là étaient juifs et ne dirent rien aux Allemands.
11:09 Robert Badinter, la République fait homme.
11:16 La vie contre la mort, cette vie portée jusqu'à son dernier souffle, cet élan de colère
11:26 qui fustigeait le négationniste le traitant, lui, l'avocat, sur les bancs des accusés
11:31 en mars 2017.
11:32 Cette vie, la sienne, qui en changea tant d'autres, qui en inspira tant d'autres,
11:38 qui en éclaira tant d'autres, lucide sur la chance qu'ils eurent de croiser un jour
11:43 ce géant du siècle.
11:44 Et à mon tour, je mesure cette chance.
11:46 La vie plus sombre depuis vendredi matin pour nous tous et pour les Français pleurant aujourd'hui
11:57 sa force de colère, sa force de lumière qui nous grandissait tous.
12:02 Les morts nous écoutent.
12:06 Oui, les morts nous écoutent.
12:11 Robert Badinter, vous nous écoutez désormais et vous nous regardez.
12:18 Conscience morale que rien n'efface, pas même la mort, que le chagrin élève au rang
12:25 d'exigence.
12:26 Et vous nous quittez au moment où vos vieux adversaires, l'oubli et la haine, semblent
12:34 comme s'avancer à nouveau.
12:35 Où vos idéaux, nos idéaux sont menacés, l'universel qui fait toutes les vies égales,
12:44 l'état de droit qui protège les vies libres, la mémoire qui se souvient de toutes les
12:49 vies.
12:50 Alors nous faisons aujourd'hui le serment, je fais le serment, d'être fidèles à votre
12:57 enseignement et votre engagement.
13:00 Fidèles.
13:01 Et vous pourrez écouter nos voix couvrir celles des antisémites, des négationnistes,
13:08 comme votre voix couvrait la leur, les réduisait au silence.
13:12 Fidèles.
13:13 Et vous pourrez écouter des audiences, des plaidoiries, des lectures de jugement, cœur
13:19 vibrant de l'état de droit si souvent remis en cause au moment où vous partez.
13:23 Fidèles.
13:24 Pour que vous puissiez écouter un jour quand le Parlement du dernier pays pratiquant la
13:30 peine de mort dira "elle est abolie", mettant le point final à notre combat désormais
13:36 universel.
13:37 Nous serons fidèles.
13:39 Pour ceux qui ont été tués, pour ceux qui n'avaient pas tué, pour tous vos morts
13:47 et pour ceux qu'il faut sauver.
13:48 Pour Simon, pour Idis, pour Shinlea, pour Naftoul.
13:54 Nous serons fidèles.
13:55 Pour cette part d'humanité qui fut si longtemps oubliée dans le siècle et demeure
14:01 si fragile.
14:02 Nous serons fidèles.
14:04 Car c'est vous qui aujourd'hui, parmi la foule, nous êtes fidèles.
14:12 Vigie aux sourcils broussailleux, fendue d'un sourire soudain, vibrant d'indignation
14:20 et d'une colère juste quand sont attaquées les principes universels.
14:23 Vous nous restez fidèles.
14:25 Comme vous l'étiez chaque année, en silence, hommes parmi les hommes, rue Sainte-Catherine
14:35 à Lyon, pour commémorer la rafle où fut enlevée votre père un 9 février encore.
14:44 Vous êtes là, aujourd'hui, parmi nous.
14:51 Les lois de la vie et de la mort comme suspendues, vaincues, abolies.
14:59 Alors s'ouvre le temps de la reconnaissance de la nation.
15:05 Aussi, votre nom devra s'inscrire aux côtés de ceux qui ont tant fait pour le progrès
15:12 humain et pour la France et vous attendent au Panthéon.
15:19 Vive la République, vive la France.
15:24 (Applaudissements)
15:29 (Générique)