Tous les dimanches, Aymeric Pourbaix et ses invités abordent l’actualité d’un point de vue spirituel et philosophique dans #EQE
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00:00 Bonjour à tous, bienvenue à vous qui nous rejoignez pour Enquête d'Esprit.
00:04 Le 2 février, il y a deux jours, c'était la Chandleur avec ses traditionnelles crêpes.
00:09 Mais on sait moins que c'est aussi, et d'abord, une fête religieuse qui met particulièrement à l'honneur la vie des religieux et des religieuses.
00:17 Ceux-ci sont encore environ 25 000 en France, mais on les voit peu et pour cause.
00:22 Ils constituent des communautés discrètes, en partie détachées du monde.
00:26 Elles ont donné leur vie au Christ et elles ne sont pas sous les projecteurs, du moins habituellement.
00:31 Discrets, les religieux sont pourtant essentiels à notre société par leur prière, leur travail et leur service des pauvres.
00:38 Parfois même signe de contradiction, ces religieux sont-ils le supplément d'âme dont notre monde a besoin ?
00:44 C'est en tout cas notre sujet d'aujourd'hui et avec moi pour entrer dans ce monde inconnu de la plupart de nos contemporains,
00:51 bonjour Véronique Jacquiez.
00:52 - Bonjour Aymeric, bonjour à tous, les invités pour parler de ce beau thème de la vie consacrée,
00:58 Sœur Élise, religieuse de la Congrégation des Petites Sœurs des Pauvres, le père Philippe Lefèvre, dominicain,
01:05 et puis Daniel Oudon-Hurel qui est spécialiste de l'histoire religieuse.
01:08 - Voilà, nous retrouvons donc nos invités dans un instant pour cette émission qui est en partenariat avec l'hebdomadaire France Catholique.
01:15 Tout de suite, les infos, Somaïa Labidi.
01:18 [Musique]
01:29 - Bonjour Somaïa, les infos religieuses de la semaine avec vous et on commence par l'avortement dans la Constitution et la réaction des chrétiens.
01:38 - Bonjour Aymeric, bonjour à tous, absolument, c'est une validation qui est au cœur des inquiétudes de l'Église
01:43 mais aussi de certaines femmes qui rappellent le traumatisme qu'engendre un tel acte.
01:48 C'est le cas de Cécile, mère de trois enfants et qui a choisi d'avorter il y a une dizaine d'années avant de se convertir.
01:55 Écoutez.
01:56 - C'est comme c'est légal en fait, on n'arrive pas à s'autoriser, on ne comprend pas qu'on soit mal puisqu'on a fait quelque chose qui est légal.
02:05 Alors qu'en fait on est vraiment mal, on a une souffrance et une détresse psychologique qui est énorme,
02:12 qui nous met dans un état physique qui est parfois lamentable.
02:17 Certaines femmes disent qu'elles ont mis 7 ans, 14 ans en fait à pouvoir retrouver un chemin de vie normal.
02:23 Et ce qui est compliqué c'est quand en fait c'est quelque chose qui est légal, on est encore plus isolé.
02:28 Le problème c'est l'isolement des femmes parce que ça ne paraît pas logique.
02:34 Puisqu'on a choisi nous-mêmes de faire quelque chose, c'est compliqué d'être triste alors que c'est nous qui l'avons choisi.
02:42 Dans le reste de l'actualité, l'église au chevet des agriculteurs, une quinzaine d'évêques appellent à une valorisation du métier
02:49 et à une politique agricole plus juste et durable.
02:52 Et sur les points de blocage, des prêtres bénissent les tracteurs et transmettent un message chrétien d'espérance.
02:57 C'est le cas du père Thierry Louis, rencontré sur l'autoroute du Nord.
03:02 J'ai travaillé, moi j'ai eu une carrière professionnelle normale de 44 annuités de travail.
03:09 J'ai fait plusieurs métiers avant d'être prêtre et donc je sais ce que c'est que travailler, je sais ce que c'est que de devoir remplir un frigo.
03:16 Et donc je comprends que quand on n'est pas payé au juste prix, ce n'est pas normal.
03:21 Et je pense qu'on est là aussi pour soutenir dans les joies et dans les épreuves nos paroissiens.
03:27 Alors tous ne sont pas paroissiens, mais ça fait partie de ma communauté.
03:31 Dire du bien des gens, c'est notre travail à nous.
03:35 On est là pour dire du bien sur les gens, de demander la grâce de Dieu sur les gens.
03:40 À la une de l'actualité internationale, c'est huit morts dans une attaque contre une église pentecôtiste de l'Est de la République démocratique du Congo.
03:49 Une attaque perpétrée par un groupe terroriste affilié à l'État islamique et qui retient une trentaine de personnes en otage.
03:56 Direction la Turquie à présent, où une église catholique italienne a été attaquée dimanche dernier en pleine messe, peu après l'offertoire.
04:05 Récit de Clotilde Payet et Éloi Rochebrune.
04:10 Filmé par les caméras de vidéosurveillance, les deux assaillants pénètrent à l'intérieur de l'église.
04:15 Quelques secondes plus tard, ils ouvrent le feu sur les fidèles en pleine messe.
04:19 Peu de temps après, le gouverneur d'Istanbul fait le bilan.
04:21 Un citoyen âgé de 52 ans, né en 1972, est décédé.
04:27 Deux hommes masqués ont attaqué l'église.
04:29 La police poursuit son enquête.
04:32 Le mobile de cette attaque reste inconnu, mais l'événement a marqué le pays.
04:37 Au Vatican, le pape François a réagi et a exprimé son chagrin.
04:42 J'exprime ma proximité avec la communauté de l'église Santa Maria à Istanbul,
04:46 qui a subi pendant la messe une attaque armée, qui a fait un mort et plusieurs blessés.
04:51 Les chrétiens en Turquie sont passés de 20% à moins de 0,5% de la population en un siècle.
04:57 Et le régime du président turc Erdogan accentue la pression.
05:00 Dernier événement en juillet 2020, la basilique Sainte-Sophie transformée en mosquée.
05:05 Symbole fort de l'islamisation du paysage turc.
05:08 Et puis après plusieurs mois de tensions,
05:13 le Vatican et la Chine s'accordent sur l'ordination de plusieurs évêques.
05:17 Toutefois, les autorités ecclésiastiques restent prudentes
05:20 car la persécution des chrétiens reste importante dans l'Empire du Milieu.
05:24 Je vous rappelle que de nombreux prêtres et évêques
05:27 sont portés disparus depuis plusieurs années dans le pays.
05:32 Voilà ce qu'on pourrait dire de l'actualité de la semaine, Aymeric.
05:35 Merci beaucoup Somaïa pour ces infos d'enquête d'esprit.
05:38 Aujourd'hui, nous parlons de la vie consacrée des religieux et des religieuses en France.
05:44 Pourquoi ont-ils tout donné pour le Christ ?
05:47 On en parle avec Sœur Élise.
05:49 Bonjour Sœur Élise, merci d'être avec nous.
05:51 Vous êtes religieuse de la Congrégation des Petites Sœurs des Pauvres.
05:54 C'est une congrégation fondée par Sainte Jeanne Jugand au XIXe siècle
05:57 pour accompagner les personnes âgées.
05:59 Évidemment, c'est une vocation prophétique pour aujourd'hui aussi.
06:03 Les Petites Sœurs des Pauvres sont présentes de le monde entier.
06:06 Vous avez vécu notamment au Pérou et actuellement vous œuvrez
06:09 à la formation des jeunes novices à Paris.
06:11 Avec nous également le Père Philippe Lefèvre.
06:13 Bonjour mon père.
06:13 Bonjour.
06:14 Vous êtes dominicain.
06:16 Vous avez 33 ans de vie religieuse dans cet ordre fondé par Saint Dominique.
06:21 Au XIIIe siècle, un ordre de prédicateur,
06:24 notamment dans les universités pour prêcher la bonne parole.
06:27 Et vous êtes vous-même bibliste, professeur d'Écriture sainte
06:30 à l'Université de Théologie de Fribourg, c'est en Suisse.
06:33 Vous nous parlerez donc de votre engagement de religieux
06:36 et de son ancrage aussi dans la Bible.
06:38 Et puis avec nous également Daniel Odom-Hurel.
06:40 Bonjour.
06:41 Bonjour.
06:41 Vous êtes historien, directeur de recherche au CNRS,
06:44 spécialiste de l'histoire religieuse,
06:47 notamment de cet ordre particulier, les bénédictins,
06:50 qui a une longue histoire.
06:51 Vous avez dirigé notamment cet ouvrage,
06:53 cette somme, pourrait-on dire, les bénédictins,
06:55 chez Robert Laffont bouquin.
06:57 Et puis Véronique Jacquier, je rappelle que vous êtes journaliste.
07:00 Vous nous parlerez notamment de Saint Bernard,
07:02 un religieux, un moine célèbre qui a été canonisé il y a 850 ans
07:07 et qui a profondément réformé son ordre monastique,
07:10 notamment par son désir d'absolu.
07:12 Vous nous expliquerez pourquoi.
07:14 Alors, commençons par le commencement, si j'ose dire,
07:16 c'est-à-dire la Chandleur, la fête que nous avons célébrée
07:20 il y a deux jours, qui est une fête de la lumière,
07:23 mais qui est aussi une fête d'origine païenne.
07:25 Autrefois, les paysans portaient des flambeaux pour purifier la terre.
07:28 Ensuite, ça a été repris par l'Église.
07:30 C'est 40 jours après Noël, la fête de la présentation
07:33 de Jésus enfant au temple, où les fidèles,
07:35 au cours de la messe, allument des bougies.
07:38 Alors, Père Philippe Lefebvre, première question pour vous.
07:40 L'Église a christianisé une fête païenne.
07:42 Elle le fait souvent.
07:44 Quelle est la signification de cette lumière,
07:46 de cette fête de la lumière ?
07:49 - Alors, c'est la manifestation du Christ comme lumière,
07:52 ce qu'on chante aussi pendant la nuit de Pâques,
07:55 la lumière du Christ.
07:57 Et puis, avec lui, il y a la mise en lumière
08:00 de tout un petit monde qui passe inaperçu habituellement.
08:05 La prophétesse Anne, qui accueille l'enfant et ses parents au temple,
08:09 le Siméon, le Vieillard, et tout un peuple
08:14 de l'Ancien Testament qui affleure, on peut dire,
08:17 qui est mis en lumière parce que des paroles
08:20 que l'on échange ce jour-là sont en fait des paroles
08:23 que l'on se dit depuis Abraham, Sarah
08:26 et beaucoup d'autres personnages de la Bible.
08:28 Donc, mise en lumière de tout un peuple.
08:31 - Véronique ?
08:32 - Mais parce que dans l'évangile du jour du 2 février,
08:35 donc de la présentation de Jésus au temple,
08:37 il est dit que Jésus est la lumière du monde.
08:39 On le présente comme tel.
08:40 Mais alors, quel rapport avec la chandeleur ?
08:42 Chandeleur, ça vient de candela en latin, non ?
08:44 Qui veut dire cierge.
08:46 Mais quel rapport avec les crêpes alors ?
08:48 - Alors là...
08:49 - Est-ce qu'on est capable d'expliquer ?
08:50 - S'il y en a un.
08:50 - Oui, s'il y en a un.
08:51 - Ça, je pense que ça fait partie des traditions anciennes,
08:57 sans doute avec le soleil qui revient peu à peu après l'hiver,
09:01 même si on y est encore.
09:03 La crêpe qui est une sorte d'imitation du disque solaire.
09:08 Et donc, il y a, et c'est une fête pour cela très intéressante,
09:12 ce croisement entre le Christ et tout son enracinement biblique,
09:19 et puis des traditions, en effet, quand l'hiver commence à passer,
09:24 même si on y est encore, la lumière revient, les jours rallongent,
09:29 eh bien, on va fêter ça et puis donner tout son sens,
09:33 la plénitude du sens à cette lumière qui revient en disant "c'est le Christ".
09:38 - Sœur Élise, cette fête de la chandeleur
09:41 n'est pas celle qui est la plus mise en valeur,
09:44 on va dire aujourd'hui, dans le calendrier chrétien.
09:48 Et pourtant, est-ce qu'elle mérite de l'être davantage ?
09:50 Et aussi, pourquoi est-ce qu'elle est importante,
09:52 notamment pour vous, les religieux et les religieuses ?
09:56 - Elle est importante parce qu'aujourd'hui,
09:58 c'est la journée mondiale de la vie consacrée.
10:00 Donc, ça met en lumière aussi...
10:02 - Ça, c'est depuis 1997.
10:05 - C'est ça, ça met en lumière un petit peu ceux qui suivent le Christ,
10:07 ceux qui suivent Jésus, lumière du monde.
10:09 Mais voilà, ça met en valeur un petit peu ce don
10:13 depuis très longtemps d'hommes et de femmes qui donnent tout pour le Christ.
10:18 - Et ça vous touche particulièrement ?
10:19 Vous vous sentez particulièrement lors de cette fête,
10:22 je dirais, concernée par tout ce qui est mis en valeur,
10:26 cette lumière notamment, ces bougies, qu'est-ce que ça évoque ?
10:30 - Pour moi, la vie consacrée, c'est vraiment un signe lumineux.
10:34 Lumineux parce qu'il y a la joie.
10:36 La vie consacrée sans la joie,
10:38 quand on donne toute sa vie à Jésus et aux pauvres,
10:40 ça donne une joie profonde que rien ni personne ne peut nous enlever.
10:44 Et peut-être aussi, dans lumineux, quelque chose de prophétique.
10:48 Un prophète, c'est celui qui regarde l'horizon
10:51 et qui envisage l'avenir avec espérance,
10:54 qui montre le ciel,
10:56 un petit peu comme quelqu'un qui regarde le ciel,
10:58 mais qui a les pieds sur terre.
10:59 Et en même temps, quelqu'un qui voit loin.
11:02 La vie consacrée élargit le regard pour montrer aux hommes
11:05 la finalité de la vie, c'est le ciel.
11:08 Et en même temps, un prophète, c'est celui qui,
11:10 un peu comme Siméon, qui discerne la présence de Dieu
11:13 dans ce qui est simple, ce qui est petit,
11:16 ce qui est faible, ce qui est fragile.
11:18 Vous voyez, ça, c'est un signe lumineux.
11:20 - Et le paradoxe, c'est qu'on ne le voit pas forcément,
11:23 tout ce monde religieux.
11:24 On peut croiser effectivement des religieuses ou des religieux dans la rue,
11:27 mais enfin, il y en a quand même aussi certains qui vivent
11:30 derrière une clôture dans des monastères.
11:32 Daniel Audon-Hurel, finalement, est-ce que vous avez le sentiment,
11:35 de votre point de vue d'expert, d'historien,
11:37 de ce monde religieux, que c'est un tissu souterrain,
11:41 mais qui irrigue la vie de l'Église et plus largement
11:43 la société dans son ensemble ?
11:45 Et y compris à travers l'histoire, d'ailleurs.
11:47 - Oui, certainement.
11:49 C'est le temps long de l'histoire de l'Église, du christianisme,
11:56 en particulier le monachisme, qui, sur ce temps long,
12:00 et qui réunit à la fois les fondamentaux orientaux et l'Occident
12:04 avec Benoît et avec toute la tradition,
12:06 pour s'en tenir à cette tradition bénédictine,
12:10 c'est visible et invisible, mais ça a été quand même
12:15 assez largement visible, ne serait-ce que parce que
12:19 les moines et les moniales, même séparés du monde,
12:22 ont toujours été quelque part en lien,
12:25 en permanence avec le monde.
12:27 - C'est ce blanc manteau d'Église aussi.
12:29 L'expression est devenue célèbre à travers la France et l'Europe.
12:32 - Oui, oui, tout à fait.
12:33 - On a été construit par les moines.
12:35 - Par les moines, et c'est cette espèce d'idée que,
12:39 finalement, le don qu'ont fait ces milliers,
12:44 et que font encore ces milliers de moines et de moniales,
12:47 dans le silence de la contemplation,
12:50 c'est aussi quelque chose de très actif, quelque part,
12:55 et en rapport avec le monde.
12:58 Parce que ces gens, moines et moniales,
13:00 et Benoît le premier, ils sont sortis,
13:03 ils sont nés dans un monde donné, dans une société donnée,
13:06 ils ont construit à partir de cette société.
13:08 - Saint Benoît, le fondateur des bénédictins.
13:10 - Le fondateur des bénédictins.
13:11 Je pense que c'est tout à fait important.
13:15 - Alors, Père Philippe Lefèvre, vous l'avez dit,
13:17 c'est une fête, la présentation de Jésus enfant au temple,
13:20 qui plonge aussi ses racines dans le judaïsme.
13:24 Elle n'est pas née comme ça, par l'invention des chrétiens.
13:28 Elle était aussi appelée auparavant à la fête de la purification
13:31 de la Vierge Marie, parce que la mère de l'enfant
13:33 devait être purifiée aussi.
13:35 Quel en était le sens, justement, dans le judaïsme ?
13:38 - Purification, alors pour nous, ça veut dire enlever
13:42 quelque chose qui serait impur dans un sens moral,
13:46 mais ça n'est pas le cas.
13:47 C'est-à-dire la naissance avec le sang,
13:51 l'effort physique fourni,
13:54 demande un temps de retraite, de retrait.
13:58 Et c'est tout ça qui contribue à exprimer
14:03 ce que c'est que la purification.
14:05 Et puis, c'est aussi un contact particulier
14:08 avec la puissance de vie qui vient de Dieu.
14:10 C'est-à-dire un enfant qui naît, c'est toujours très impressionnant,
14:14 et il faut du temps à la fois pour s'en remettre,
14:17 l'enfant, la mère, le père, même éventuellement.
14:20 Et puis, se dire qu'on a eu
14:26 une espèce de corps à corps avec Dieu.
14:29 Et il faut du temps pour revenir dans le monde social habituel.
14:34 Alors, ce que j'aime aussi beaucoup dans cette fête,
14:37 c'est tous ceux qui participent dans l'évangile de Luc,
14:41 des gens âgés, la prophétesse Anne, Siméon,
14:46 le bébé Jésus, les parents,
14:50 et puis il y a les cousins qui sont pas loin.
14:54 C'est une fête de la famille, mais au sens large du terme,
14:58 avec des gens qu'on ne voit pas habituellement et qui apparaissent là.
15:02 - Véronique ?
15:03 - Mais pourquoi Jésus, présenté, reconnu plutôt par Siméon comme le Messie,
15:07 lumière qui doit éclairer le monde, devait-il être purifié ?
15:11 Était présenté pour être purifié ?
15:13 - Présenté à Dieu, c'est-à-dire manifesté comme venant de Dieu
15:20 et, d'une certaine manière, trouvant son lieu qui est le Temple.
15:25 Vous savez, on a dit dans l'évangile de Luc, juste avant la naissance de Jésus,
15:31 il n'y avait pas de lieu pour eux à l'hôtellerie.
15:34 Et son lieu, ils le trouvent en quelque sorte au Temple.
15:39 C'est là où est Dieu.
15:41 Et après, on dira que Jésus, par exemple, à Nazareth,
15:44 quand il a une trentaine d'années après son baptême par Jean,
15:48 on lui tend le rouleau de la loi, c'est le rouleau de Moïse,
15:53 et il trouva le lieu où il est écrit "l'Esprit du Seigneur est sur moi".
15:58 Donc son lieu, c'est le Temple, c'est la parole.
16:01 Et puis il y a un autre lieu que l'évangile de Luc appelle vraiment lieu, c'est la croix.
16:07 On l'emmena à un lieu qui s'appelle Golgotha, et c'est là qu'il est crucifié.
16:12 Et tout ça n'en fait qu'un.
16:14 Le Temple, la croix, la parole, c'est son lieu.
16:18 - Alors il y avait aussi cette coutume juive d'offrir tout enfant premier né à Dieu.
16:24 Il y a, Sœur Élise, ce choix que vous avez fait d'engagement dans la vie religieuse,
16:29 qui là aussi vous offrait finalement totalement à Dieu.
16:33 C'est un choix qui aujourd'hui dans notre société est totalement à contre-courant.
16:37 Et qui paraît même étrange à nos contemporains.
16:40 - Oui, ça c'est vrai. C'est un signe contradictoire dans ce sens-là.
16:42 Je crois que la vie religieuse sera toujours un signe contradictoire.
16:45 Et pourquoi ? Parce que l'évangile, parce que Jésus a été signe de contradiction dès son enfance.
16:51 Parce que si on suit Jésus et qu'on prend l'évangile comme code de la route, entre guillemets,
16:56 comme guide de vie, ce sera contradictoire.
16:59 Rien que cette petite parole, "Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent,
17:04 priez pour ceux qui vous persécutent", rien que déjà pour se l'approprier soi,
17:08 c'est déjà une contradiction et on a besoin déjà de temps pour vivre cette parole.
17:13 Alors après forcément qu'on devient signe de contradiction pour d'autres.
17:16 - Père Philippe Lefebvre, il y a aussi ce paradoxe dans la vie religieuse.
17:19 C'est qu'effectivement, il y a ce choix qui est radical de se donner totalement.
17:23 Et en même temps, c'est un choix qui n'est pas très visible aux yeux du monde.
17:28 Enfin, on a tous évidemment dans l'imaginaire collectif, l'image de la Bonne Sœur, pardonnez-moi,
17:32 ou de Don Camillo, le prêtre.
17:35 Mais aujourd'hui, la vie religieuse, elle n'est pas sous les feux des projecteurs dans notre monde.
17:40 - C'est peut-être une chance aussi.
17:43 C'est-à-dire, ça permet de rencontrer tout un monde
17:47 qu'on ne rencontre pas obligatoirement dans nos églises ou dans nos cercles.
17:54 Et comme Dominiquin, par exemple, notre fondateur, Saint Dominique, disait justement,
18:00 il faut aller sortir des frontières habituelles, à la fois se former dans les universités où on enseigne la théologie,
18:08 et puis aller dans d'autres mondes que les nôtres.
18:14 Et donc, il y a aussi le fait qu'on est moins connu, moins sous les feux de l'actualité,
18:22 fait qu'on peut peut-être accéder plus facilement à certains milieux.
18:27 Moi, quelquefois, je vais dans des colloques ou des choses comme ça, pas spécialement religieuses.
18:33 Et c'est l'occasion de rencontrer, de pouvoir témoigner, non seulement de la foi,
18:39 mais que ce n'est pas idiot, que ça se comprend, ça se conçoit, ça s'explique, et ça donne du fruit.
18:49 Et donc, tout est bon, d'une certaine manière.
18:53 - On va voir justement cette fécondité, juste avant la pause, Véronique, une dernière question.
18:56 - Justement, un petit mot sur cette fécondité pour qu'on comprenne bien,
18:59 parce que vous êtes dans le monde, mais vous n'êtes pas du monde, si j'ose dire.
19:04 Et ça se traduit comment pour que les auditeurs et téléspectateurs comprennent bien ?
19:09 - Ça se traduit par une certaine manière de ne pas entrer dans les jeux, autant que possible,
19:18 du pouvoir et de l'avoir habituel.
19:21 Moi, je reçois un salaire que je donne à la communauté où je vis,
19:26 et qui sert à payer les études de frères dominicains qui viennent de pays où ils ne pourraient pas le faire.
19:34 Donc, en fait, je n'ai jamais d'argent, et je gagne ma vie en prêchant des retraites, etc.
19:39 Et puis, c'est une manière aussi de ne pas entrer dans une certaine course au profit ou au védétariat que le monde promeut.
19:56 Donc, on est du monde, mais on n'entre pas tout à fait dans ces stratégies habituelles.
20:04 - Dernière réflexion, Sorelise, avant la pause.
20:06 - Je voulais rajouter, pour aller dans ce sens-là, que la vie cachée donne aussi un crédit d'authenticité.
20:12 Quelque chose qui est caché, pas pour le préserver, ni pour le cacher dans le sens secret,
20:18 mais ça donne aussi une petite note d'authenticité, qu'on suit vraiment le Christ,
20:23 et pas ses propres inclinations dans ce qu'on fait, dans ce qu'on vit.
20:27 Et peut-être on témoigne aussi, on est dans le monde, dans notre proximité qu'on a avec les gens qu'on rencontre,
20:33 et dans l'intercession, cette prière, on porte le monde dans la prière,
20:37 les religieux sont vraiment cette fraternité universelle.
20:43 Si on donne notre vie, c'est pour être frère et sœur de tous ceux qu'on rencontre, finalement.
20:47 - On va voir ça concrètement dans vos témoignages, vos propres témoignages.
20:51 Pourquoi avez-vous choisi de vous donner tout entier à Dieu ?
20:56 On en parle avec nos invités, vous restez à notre écoute, bien sûr.
20:59 A tout de suite.
21:01 - Nous parlons de la vie consacrée de ces hommes et ces femmes, des religieux et des religieuses,
21:07 qui ont donné toute leur vie à Dieu, au Christ.
21:11 Pourquoi ont-ils fait ce choix qui est résolument à contre-courant de notre société ?
21:16 On en parle aujourd'hui avec la sœur Élise, qui est religieuse de la Congrégation des petites sœurs des pauvres,
21:21 avec le père Philippe Lefebvre, qui est dominicain, bibliste, à l'université de Fribourg, en Suisse,
21:27 avec également Daniel Oudon-Hurel, qui est historien et directeur de recherche au CNRS,
21:32 auteur d'une somme sur les bénédictins chez Robert Laffont,
21:36 et puis bien sûr Véronique Jacquier est avec nous, elle nous parlera de Saint Bernard,
21:40 un moine qui a réformé son ordre, et bien sûr, cette émission est en partenariat avec l'hebdomadaire France Catholique.
21:47 Alors, sœur Élise, pourquoi avez-vous choisi cet engagement radical de la vie religieuse,
21:55 et particulièrement dans cet ordre que l'on dit apostolique ?
21:59 Alors, il faut faire là une petite distinction, effectivement,
22:01 il y a les ordres religieux contemplatifs, qui sont derrière une clôture et qui prient,
22:05 on parlera tout à l'heure des bénédictins, vous, vous êtes apostolique,
22:08 c'est-à-dire que vous allez à la rencontre des personnes, et notamment des personnes âgées, des personnes pauvres.
22:12 Pourquoi avez-vous fait ce choix, justement ?
22:14 Parce que j'ai rencontré Jésus, tout simplement.
22:16 Je l'ai rencontré à deux moments importants dans ma vie,
22:19 je suis partie en Pologne en 2003, avec mon petit ami, pour voir un petit peu ce qu'on allait faire,
22:26 et là, à Łagivniki, le sanctuaire de la miséricorde, j'ai rencontré Jésus.
22:30 J'ai senti un appel très fort devant cette icône de Jésus miséricordieux,
22:35 de me sentir aimée, reconnue, avec cette parole du prophète Jérémie,
22:40 "Je t'ai aimée depuis toute éternité", et je me suis aperçue qu'en fait, je n'étais pas en paix, avant.
22:45 Et cet appel-là, une paix immense, une joie profonde, une certitude, c'est ça.
22:51 Vous savez, quand vous savez que l'appel de Dieu, ce n'est pas quelque chose d'extérieur, comme un appel sur un portable,
22:56 c'est un appel intérieur qui ne vous lâche pas, en fait.
23:00 Et là, j'ai senti vraiment une paix très très grande.
23:03 Mais vous aviez le choix de refuser ?
23:05 Exactement. Je me sentais libre de dire oui ou de dire non.
23:07 Et vous avez dit oui.
23:08 Et je me suis dit, ben oui, en fait, je ne peux pas...
23:10 On avait mal commencé, vous savez, des fois,
23:13 on se met ensemble, on choisit quelque chose parce qu'on a peur que Dieu ne nous donne pas.
23:18 Et en fait, on n'avait pas pris le temps de recevoir sa mission.
23:22 Et je ne peux pas rendre quelqu'un heureux si je n'ai pas reçu ma mission de quelqu'un d'autre.
23:25 Donc, voilà, on a décidé d'arrêter et puis de remettre les choses,
23:30 de commencer à genoux devant le Seigneur pour dire, voilà, qu'est-ce que tu veux de ma vie ?
23:33 Et ça, c'est vraiment une question qui s'armait les choses,
23:36 où elle est pendue la leur, entre guillemets.
23:38 Et puis ensuite, un an après, j'ai eu la chance de rencontrer les petites sœurs des pauvres.
23:42 Et là, c'était aussi lumineux.
23:44 Une petite sœur que j'ai rencontrée à la sortie d'une église, elle faisait la quête,
23:48 elle m'a dit, mais venez nous voir.
23:50 Elle m'a parlé des personnes âgées d'une manière tellement belle
23:53 que je suis allée passer une semaine après les partiels.
23:55 Donc, j'étais étudiante à ce moment-là.
23:57 Et je leur ai dit, moi, je veux tout voir.
23:59 Je ne veux pas voir juste l'accompagnement des personnes âgées.
24:01 Je veux voir comment vivre, je veux passer une semaine, mais tout.
24:04 Et là, j'ai passé une semaine magnifique.
24:06 Une paix, une joie dans cette maison.
24:08 Il y avait une dame qui était en fin de vie,
24:10 qui avait eu l'accompagnement aussi de quelqu'un qui est parti paisiblement.
24:13 Et là, j'ai rencontré le Seigneur vraiment dans les plus pauvres,
24:15 en donnant à manger à une personne âgée.
24:17 Et je regardais le crucifix.
24:19 Dans nos salles à manger, il y a toujours un crucifix,
24:21 le temps qu'elle finisse d'avaler.
24:23 Et en fait, il y a une dame derrière,
24:25 que je n'avais pas entendue parler,
24:28 qui était complètement paralysée,
24:30 qui parlait peu ou pas,
24:32 et qui a crié ce « J'ai soif ».
24:34 Et moi, en regardant le crucifix,
24:36 ce cri m'a bouleversée,
24:38 comme si Jésus m'attendait là.
24:40 Je suis allée donner ce verre d'eau à cette dame,
24:42 et je n'oublierai jamais son regard.
24:44 Elle s'appelait Germaine.
24:46 Il y a des personnes ou des prénoms que vous n'oubliez pas.
24:48 Et dans ce regard, c'est comme si le Seigneur me disait
24:50 « C'est là que tu pourras tout donner,
24:52 que je t'attends ».
24:54 Mais là encore, c'est un choix à contre-courant,
24:56 parce qu'aujourd'hui, les personnes âgées,
24:58 on ne veut pas forcément les voir,
25:00 on les cache, ou on s'en occupe mal.
25:02 Et justement, vous, vous avez fait ce choix-là.
25:04 Oui, parce qu'il y a une joie immense.
25:06 Les personnes âgées, pour moi,
25:08 c'est nos racines,
25:10 c'est une sagesse,
25:12 c'est un humour pétillant,
25:14 et aussi, c'est le choix de pouvoir
25:16 accompagner la personne dans la durée.
25:18 Je ne pouvais pas accompagner quelqu'un
25:20 juste pour donner des repas.
25:22 Je suis allée voir chez les sœurs de Mère Thérésa.
25:24 Mais il y a quelque chose, vous savez,
25:26 je me souviens, je suis allée chez les sœurs de Mère Thérésa,
25:28 et on donnait à manger à 350 personnes,
25:30 et une personne âgée s'est mise à pleurer après le repas.
25:32 Et je suis allée le voir,
25:34 et on s'est parlé, et il me dit
25:36 "Maintenant, je vais passer tout le reste de la journée dans le métro, dans la rue."
25:38 Et moi, je me suis dit
25:40 "Ce n'est pas comme ça que je veux faire.
25:42 Je veux vraiment que cette personne âgée, elle soit accueillie,
25:44 nourrie, logée, et m'en occuper jusqu'au bout."
25:46 Comme dans une famille.
25:48 Et ça, c'est Jeanne Jugand.
25:50 Donc la fondatrice des petites sœurs des pauvres,
25:52 au 19e siècle.
25:54 Père Philippe Lefebvre, il y a le choix initial
25:56 de s'engager dans la vie religieuse,
25:58 et puis ensuite, il y a toute la vie.
26:00 Et est-ce que finalement,
26:02 ce n'est pas le plus difficile ?
26:04 Vous avez 33 ans de vie religieuse,
26:06 avec, on l'imagine, des joies, des difficultés.
26:08 Comment est-ce qu'on tient dans la durée ?
26:10 Comme ce vieillard siméon,
26:12 ou cette prophétesse Anne,
26:14 dans la fête de la présentation de Jésus au temple,
26:16 qui a été célébrée le 2 février,
26:18 la chandeleur, donc. Comment est-ce qu'on garde son zèle intacte ?
26:20 Comment on a en soi
26:22 un feu qui dure ?
26:24 - Ah, vaste question.
26:26 Pour moi,
26:28 je dirais que c'est la parole.
26:30 La parole de Dieu.
26:32 C'est pour ça que je suis rentré dans la vie religieuse,
26:34 d'ailleurs, quand j'ai découvert la Bible.
26:36 Je l'ai découvert chez les bénédictins,
26:38 justement, en entendant
26:40 les psaumes.
26:42 Et je me suis dit, je faisais une retraite, j'avais 17 ans,
26:44 je me suis dit, c'est un truc comme ça
26:46 que je voudrais faire. Mais je ne connaissais rien,
26:48 à rien. Parce que
26:50 c'était une parole qui voulait
26:52 dire quelque chose.
26:54 Et pas immédiatement
26:56 discuter, tout ça. Mais
26:58 la parole des psaumes.
27:00 Et même à un moment, je suis sorti
27:02 d'une des prières, parce que je me suis dit
27:04 mais ce psaume raconte ma vie.
27:06 Mais pourquoi ils font ça
27:08 en public ? Et non, c'était
27:10 un psaume, mais je m'étais senti
27:12 concerné. Et donc,
27:14 c'est ça que j'ai recherché pendant
27:16 longtemps. Je ne suis pas rentré jeune
27:18 dans la vie religieuse.
27:20 Mais avec toujours ce
27:22 souci de la parole.
27:24 Où est-ce qu'il y a une parole
27:26 qui veut dire quelque chose
27:28 et qui permet de
27:30 tenir,
27:32 de comprendre.
27:34 Et, alors c'est à l'issue
27:36 de toute une série
27:38 d'événements,
27:40 d'expériences, que je suis
27:42 rentré chez les Dominicains. Parce que
27:44 la parole,
27:46 il est importante. On parle,
27:48 on prêche, et puis
27:50 on étudie la Bible. Et moi,
27:52 c'est ce que j'ai fait. J'ai même fait ma thèse
27:54 à la Sorbonne, mais en Bible.
27:56 Ce qui est étonnant,
27:58 mais tout arrive. - Compris en France.
28:00 - Et je peux dire que c'est
28:02 la parole, et la parole de Dieu
28:04 qui me tient.
28:06 C'est mon fil rouge,
28:08 c'est ce à quoi je me
28:10 raccroche quand
28:12 toutes les paroles du monde,
28:14 et je trouve qu'on est dans un monde où la
28:16 parole est agressée.
28:18 Enfin, on ne dit plus.
28:20 - Elle est galvaudée ?
28:22 - Oui, elle est galvaudée,
28:24 bien souvent, dans toutes sortes de milieux.
28:26 Et donc, moi, c'est la parole.
28:28 - La parole de vérité, alors.
28:30 - La parole de vérité, et le Christ comme
28:32 parole, comme verbe.
28:34 C'est-à-dire, c'est dans la chair
28:36 que ça se passe, la parole. C'est pas
28:38 les idées sûres, c'est dans la chair.
28:40 - Véronique. - Jacques.
28:42 - Vos témoignages sont magnifiques,
28:44 mais comment expliquer à ceux qui nous regardent
28:46 et à ceux qui nous écoutent que cette lumière
28:48 que vous avez découverte et que vous avez en vous, que vous portez,
28:50 est aussi pour eux ?
28:52 Qu'est-ce que vous leur dites ?
28:54 Cette lumière du monde, elle doit les éclairer également,
28:56 même ceux qui sont loin du Christ ?
28:58 - Ben, je crois qu'elle les éclaire...
29:00 - Elle les éclaire, et sur Élise aussi.
29:02 - Elle les éclaire beaucoup.
29:04 Enfin, il y a pas mal de gens
29:06 qui sont loin de nos milieux,
29:08 et moi, ce sont des gens que je fréquente
29:10 volontiers,
29:12 et qui portent quelque chose.
29:14 Quelquefois,
29:16 il y a des rencontres qui se font.
29:18 Alors, ça veut pas dire que les gens
29:20 vont se convertir, se faire baptiser,
29:22 mais ils sont dans...
29:24 Ils portent quelque chose.
29:26 Ils ont perçu quelque chose
29:28 de la vie, de la grandeur
29:30 de la vie, dans des difficultés
29:32 quelquefois immenses qu'ils peuvent
29:34 vivre, et
29:36 ce sont des témoins sans le savoir.
29:38 Et quelquefois,
29:40 quand j'étais ordonné,
29:42 je suis allé tout de suite après prêcher une retraite.
29:44 J'étais dans un train,
29:46 c'était l'été, il faisait une chaleur folle,
29:48 donc j'étais pas du tout
29:50 en habit religieux, et il y a un jeune
29:52 beurre qui s'approche de moi et qui me
29:54 dit "Vous, vous êtes
29:56 un gars qui lit la Bible, non ?"
29:58 J'ai dit "Oui,
30:00 comment autre chose ?"
30:02 Et il revient après,
30:04 il m'a dit "Vous êtes prêtre catholique, non ?"
30:06 Mais j'ai dit "Vous le savez comment ?"
30:08 Il m'a fait "Je le sens."
30:10 Et moi, c'est
30:12 un peu ces gens-là,
30:14 de près, de qui je...
30:16 Je dirais pas "je vais", mais que je trouve
30:18 sur mon chemin, ou qui me trouve,
30:20 d'ailleurs, quelquefois, qui m'évangélise aussi.
30:22 Et donc,
30:24 je me dis "Rien n'est si
30:26 perdu que ça."
30:28 Il y a de la vie, de la foi,
30:30 sous des formes
30:32 qui sont pas accréditées,
30:34 si vous voulez, pas toujours religieuses,
30:36 estampillées religieuses, mais
30:38 c'est bien de cela dont il est
30:40 question. La vraie vie, la vraie parole,
30:42 et Dieu derrière,
30:44 qui fait un petit coucou en disant
30:46 "Oui, oui, ils me connaissent
30:48 pas, mais moi, je les connais."
30:50 - Est-ce que ce n'est pas aussi, Sœur Élise,
30:52 la force de votre habit de religieux
30:54 qui, là encore,
30:56 interpelle forcément
30:58 sur le choix que vous avez fait ?
31:00 - Oui, tout à fait. Je pense que ça, c'est
31:02 très important d'être un signe, mais visible.
31:04 Quel que soit le moment,
31:08 quelles que soient les époques, les sociétés qu'on traverse,
31:10 je crois que, par exemple, nous, quand on
31:12 va en quête, puisqu'on vit de
31:14 la providence, on vit de dons,
31:16 c'est magnifique d'être en habit.
31:18 Alors, des fois, vous avez toutes les
31:20 réactions possibles, mais on sait
31:22 tout de suite qui vous êtes,
31:24 ils savent qu'on est religieuses,
31:26 ils savent qu'on a tout donné à Dieu,
31:28 ou alors ils en profitent pour poser une question,
31:30 ou alors, au Pérou, par exemple,
31:32 tout de suite, ils viennent demander une prière,
31:34 les gens, et on prie ensemble, comme ça,
31:36 en plein milieu d'un magasin, ou en France,
31:38 et souvent, ce sont nos frères musulmans,
31:40 "Bonjour ma sœur", ça fait tellement de bien,
31:42 moi, je réponds toujours "Bonjour mon frère",
31:44 - Au lieu de dire "Bonjour madame"
31:46 - Voilà, ça fait un peu... - Ça peut arriver aussi.
31:48 - Exactement, si on est frères et sœurs,
31:50 on montre qu'on a un seul père,
31:52 que Dieu est notre père, et qu'on est tous frères et sœurs,
31:54 qu'on est une grande famille,
31:56 la famille humaine, c'est ça, et que
31:58 Dieu a confié chacun à l'amour de tous, finalement.
32:00 - Alors, parlons aussi
32:02 de l'histoire plus ancienne
32:04 de ces religieux, et notamment de
32:06 cet ordre, les bénédictins,
32:08 qui est un des plus anciens, fondé
32:10 par Saint-Benoît, avec sa règle
32:12 au VIe siècle, la règle de
32:14 Saint-Benoît, un petit texte qui constitue
32:16 en quelque sorte l'ADN de la vie
32:18 monastique depuis
32:20 Charlemagne, jusqu'à aujourd'hui,
32:22 donc c'est une longévité quand même
32:24 assez extraordinaire.
32:26 Je vous propose de regarder ce reportage
32:28 chez, justement, des bénédictins de Fongombo,
32:30 c'est dans l'Inde, et puis ensuite,
32:32 Daniel Oudon-Hurel, vous nous expliquerez ce qui fait
32:34 le secret de cette
32:36 longévité. Regardez ce reportage, signé
32:38 Éloi Rochebrune.
32:40 - Comme le veut la règle de Saint-Benoît,
32:42 ces moines de l'abbaye de Fongombo
32:44 exercent tous une activité manuelle.
32:46 Ce jour-là,
32:48 c'est le ramassage du raisin.
32:50 La production servira à la consommation
32:52 de la communauté, mais aussi à la liturgie,
32:54 pour ces consacrés qui
32:56 vivent à la lumière de l'Évangile,
32:58 travailler dans les vignes est très symbolique.
33:00 - Le Seigneur se compare lui-même à une vigne,
33:02 où il dit "je suis la vigne,
33:04 et vous les sarments", les sarments, ce sont les chrétiens,
33:06 en nous invitant par là à nous unir
33:08 au Seigneur, et cette
33:10 invitation du Seigneur se réalise pleinement
33:12 au moment de l'Eucharistie, ou à travers
33:14 la consécration du vin, donc ce
33:16 travail des hommes qui vont venir présenter le vin comme
33:18 une offrande, qui va servir pour
33:20 devenir le sang du Seigneur,
33:22 c'est une
33:24 symbolique qui nous
33:26 oriente à l'union vers le Seigneur,
33:28 et c'est aussi bien orienté dans notre vie monastique,
33:30 parce que le moine cherche à être en contact avec
33:32 le Seigneur au cours de sa journée,
33:34 soit par les offices, soit dans les temps de prière personnelles,
33:36 et donc ce travail de la vigne,
33:38 ça nous donne dans le concret
33:40 ce que nous devons vivre spirituellement dans la
33:42 foi et dans la vie intérieure ensuite.
33:44 - Des travaux complétés par une vie
33:46 intense de prière, dans la Bastiale
33:48 les moines prient huit offices qui rythment
33:50 la journée, du lever au coucher du soleil,
33:52 le tout en grégorien.
33:54 *Hymne à la Vierge de la Vierge*
34:09 La messe de la communauté est célébrée
34:11 après l'office de tierce selon le
34:13 rite tridentin, un cadre
34:15 strict qui a un objectif bien
34:17 particulier, comme nous l'explique ce père
34:19 qui vit cloîtré depuis 1972.
34:21 - Si vous voulez, c'est pas parce qu'on est
34:23 parfait qu'on rentre dans le monastère,
34:25 c'est parce qu'on se sent fragile,
34:27 et donc
34:29 c'est une sécurité finalement.
34:31 La règle nous met dans un cadre favorable,
34:33 qui nous
34:35 protège un peu contre nous-mêmes.
34:37 Finalement, on est entre quatre murs,
34:39 et on ne peut voir que le ciel.
34:41 - Les bénédictins sont à Fongombeau depuis 1948,
34:43 la communauté compte
34:45 aujourd'hui une soixantaine de moines,
34:47 et chaque année, elle accueille de nouvelles
34:49 vocations.
34:51 (musique)
34:53 - Alors Daniel Oudon-Hurel, vous êtes un spécialiste
34:55 en quelque sorte des bénédictins,
34:57 vous êtes, je le rappelle, historien et chercheur
34:59 au CNRS. Alors, comment expliquer
35:01 cette longévité bénédictine,
35:03 encore une fois, depuis le VIe siècle ?
35:05 Est-ce que c'est notamment cet équilibre
35:07 de la règle entre la prière et le travail
35:09 qui fait que cet ordre
35:11 a pu perdurer à travers les siècles ?
35:13 - Oui, alors c'est évidemment
35:15 une très très longue histoire.
35:17 Je vais faire le lien avec ce qui a été dit précédemment.
35:19 - Allez-y, je vous en prie.
35:21 - Ça me paraît assez intéressant, et pour l'historien,
35:23 il est toujours difficile
35:25 pour l'historien d'avoir des...
35:27 de lire des récits
35:29 de vocation, en fait.
35:31 Et ce qu'on vient d'entendre, c'était quelque part
35:33 deux récits, oraux, de vocation,
35:35 de... voilà.
35:37 Et ça, c'est quelque chose qui est...
35:39 qui est...
35:41 Généralement, l'historien, il comprend
35:43 ou il connaît que les grandes figures,
35:45 parce que les grandes figures ont écrit.
35:47 Et puis les autres,
35:49 c'est-à-dire... - Les anonymes ?
35:51 - Les anonymes, c'est-à-dire les religieux et les religieuses
35:53 dans l'ère essentielle,
35:55 ont écrit pour eux, parfois.
35:57 Voilà, mais rarement,
35:59 l'histoire a retenu,
36:01 et l'histoire des sources a retenu cela.
36:03 Donc ça, c'est évidemment important.
36:05 Par rapport à... par rapport, évidemment,
36:07 à cette règle de Saint-Benoît,
36:09 je crois que...
36:11 Benoît a longtemps été considéré comme un...
36:13 comme LE fondateur, alors qu'il a rien...
36:15 Enfin, il a rien fondé. Si, il a fondé
36:17 Soubiaco et il a fondé le Mont-Cassin,
36:19 mais il a pas fondé d'ordre.
36:21 Au sens où sa règle est déjà...
36:23 le...
36:25 L'équilibre de la règle, c'est parce qu'elle est constituée
36:27 à la fois de son expérience personnelle,
36:29 mais aussi parce que c'est
36:31 un immense lecteur, et qu'il a lu
36:33 Basile, et qu'il a lu Lorient,
36:35 et qu'il a lu Cassien,
36:37 et qu'il a fait cette espèce de synthèse extrêmement
36:39 humaine, liée à l'expérience,
36:41 tout simplement, à un temps donné,
36:43 et il en a fait ce petit texte,
36:45 hein, qu'on a souvent...
36:47 qu'on a souvent...
36:49 isolé un petit peu,
36:51 alors que ce petit texte,
36:53 s'il a survécu et qu'il vit
36:55 très activement encore à l'heure actuelle
36:57 dans sa...
36:59 multiplicité de traditions,
37:01 c'est tout simplement parce
37:03 qu'il n'a jamais existé tout seul.
37:05 C'est-à-dire que la règle toute seule,
37:07 elle existe pas. Elle est incarnée immédiatement.
37:09 Evidemment. - Par les communautés.
37:11 - Par les communautés. Elle est...
37:13 Elle est lue tous les jours.
37:15 Elle est interprétée,
37:17 commentée, adaptée,
37:19 ne serait-ce que par le supérieur,
37:21 dans son monastère, tous les jours.
37:23 - Elle est vivante, en quelque sorte. - Elle est vivante.
37:25 Et donc, cette histoire-là,
37:27 l'a rendue, l'a fatalement
37:29 adaptée à toutes les situations.
37:31 À toutes les situations de l'histoire.
37:33 Et c'est pour ça que,
37:35 derrière la notion d'ordre de Saint-Benoît,
37:37 il faut faire attention, c'est pas un bloc,
37:39 évidemment,
37:41 c'est pas un bloc, c'est une espèce
37:43 de diversité.
37:45 De diversité.
37:47 Les cisterciens sont aussi bénédictins
37:49 que les moines de Fongombeau qu'on vient de voir,
37:51 par exemple. - Et comment expliquer
37:53 qu'aujourd'hui, encore,
37:55 ce soit l'exigence,
37:57 on a vu Fongombeau, mais on pourrait parler
37:59 d'autres monastères aujourd'hui qui ont des vocations,
38:01 qui attirent des vocations, c'est l'exigence
38:03 qui attire les jeunes vocations,
38:05 aujourd'hui ?
38:07 - C'est un vrai sujet, évidemment,
38:09 c'est un vrai sujet.
38:11 Même dans l'histoire,
38:13 le fruit,
38:15 les renouveaux, on va dire,
38:17 les renouvellements, les renouveaux, les réformes,
38:19 tous ces moments-là
38:21 sont nés à
38:23 une relecture des sources,
38:25 un retour aux sources.
38:27 Par exemple, à la fin
38:29 du Moyen-Âge,
38:31 les moines bénédictins cisterciens
38:33 se sont très sensiblement
38:35 éloignés des principes
38:37 de vie commune, de pauvreté individuelle.
38:39 - Il y a eu un relâchement. - C'est ça.
38:41 On l'appelait relâchement.
38:43 - De manière globale. - Voilà, globale.
38:45 L'historien ne va pas dire forcément
38:47 relâchement parce que l'historien ne peut pas
38:49 apporter des jugements de valeur.
38:51 Derrière relâchement ou derrière décadence,
38:53 on n'emploie plus évidemment ces termes pour nous,
38:55 les historiens, c'est un rapport au monde
38:57 qui est compliqué, c'est un oubli,
38:59 quelque part, des principes fondamentaux
39:01 et à chaque fois,
39:03 c'est des relectures qui réamènent,
39:05 qui amènent un renouveau.
39:07 Ce renouveau a plein de couleurs différentes.
39:09 - Je voudrais qu'on parle de celui de Saint-Bernard.
39:11 - Oui.
39:13 - Il a été éminent,
39:15 cette année, les 850 ans
39:17 de sa canonisation, Véronique.
39:19 Racontez-nous
39:21 ce que Saint-Bernard a apporté,
39:23 comment a-t-il réformé son ordre,
39:25 comment ça peut nous inscrire pour aujourd'hui ?
39:27 - Saint-Bernard, c'est Saint-Bernard de Clairvaux,
39:29 le grand Saint-Bernard, un homme qui a vraiment
39:31 marqué son temps, le XIIe siècle
39:33 et tout l'Occident.
39:35 Il rentre
39:37 dans l'abbaye de Citeaux
39:39 à seulement 22 ans.
39:41 Il était issu de la petite noblesse
39:43 bourguignonne. Citeaux, c'est à 25 km
39:45 de Dijon et il ne rentre pas seul.
39:47 C'était déjà un sacré meneur d'hommes puisqu'il arrive
39:49 avec une trentaine de personnes, dont des membres
39:51 de sa famille, pour mener une rude
39:53 vie de moine. Il sait ce à quoi il s'engage.
39:55 Citeaux, à l'époque, a une particularité,
39:57 c'est que c'était une abbaye bénédictine
39:59 qui aspire à revenir
40:01 à la règle de Saint-Benoît, ce que vous venez
40:03 d'expliquer. Saint-Benoît,
40:05 moine italien du VIe siècle,
40:07 qui instaure une règle
40:09 qui repose sur obéissance, humilité,
40:11 travail et bien entendu esprit de silence.
40:13 Alors, Citeaux est la seule
40:15 à l'époque à avoir cette exigence
40:17 parce que non loin de là, il y a
40:19 la grande abbaye de Cluny,
40:21 une puissante congrégation
40:23 avec des milliers de moines
40:25 et des milliers de monastères qui est au fait
40:27 de sa renommée. Et en fait, Cluny,
40:29 en Bourgogne, c'est une abbaye extrêmement puissante,
40:31 plus puissante à l'époque que
40:33 certains rois.
40:35 Une puissance politique, une implication dans les affaires
40:37 du monde, deux grandes terres et puis des moines
40:39 qui vivent de moins en moins comme des moines parce que
40:41 vous l'avez dit, Daniel
40:43 Oron-Hurel, il s'éloigne
40:45 de la source, c'est-à-dire
40:47 qu'il s'éloigne de l'esprit de pauvreté,
40:49 il s'éloigne de l'esprit de prière,
40:51 la mondanité, quelque part, est un petit peu rentrée
40:53 dans le monastère. Alors, quand Saint-Bernard
40:55 rentre à Citeaux,
40:57 il est dans ses aspirations à une vie
40:59 de prière et d'humilité, une
41:01 nouvelle incarnation, puisque vous avez utilisé
41:03 le mot d'incarnation, une nouvelle
41:05 incarnation de l'esprit de la règle
41:07 de Saint-Benoît. Et à 25 ans,
41:09 le père abbé de Citeaux ne se trompe pas, il a du nez,
41:11 il se dit, lui,
41:13 c'est l'homme qu'il me faut pour donner
41:15 un nouvel essor à la règle bénédictine
41:17 et Citeaux va donner l'ordre
41:19 cistercien. Et donc,
41:21 il va fonder l'abbaye de Clairvaux
41:23 en Champagne. Il part
41:25 avec 12 moines, très vite, c'est un
41:27 incroyable succès, il y aura plus de
41:29 500 moines et Saint-Bernard
41:31 a seulement 25 ans, devient le père abbé
41:33 de cette abbaye. Il
41:35 est connu pour ses méditations, il est connu pour
41:37 ses enseignements, sa notoriété non seulement
41:39 dépasse les murs de Clairvaux,
41:41 mais même les murs de la France, puisqu'il
41:43 sera connu dans toute l'Europe, et que
41:45 sa fécondité reposera dans la
41:47 fondation de nouvelles abbayes, c'est-à-dire qu'en
41:49 35 ans, il va en créer 69,
41:51 à sa mort en
41:53 1153, il y aura
41:55 345 monastères cisterciens,
41:57 dont 167 qui dépendent
41:59 de la règle de Clairvaux, donc c'est un succès
42:01 incroyable qui repose et
42:03 sur son charisme, et sur justement
42:05 le retour à la source. - Merci Véronique.
42:07 Alors justement, la clé de
42:09 cette histoire, et de celle aussi
42:11 des réformes de l'ordre de Saint-Benoît, mais de
42:13 tous les ordres religieux finalement, ce besoin
42:15 de réformes régulières,
42:17 est-ce que ça implique aussi un certain
42:19 je dirais, renoncement
42:21 ou une austérité dans la vie religieuse,
42:23 qui n'est pas forcément
42:25 apparente, mais qui constitue
42:27 il faut commencer, se réalise
42:29 par se réformer soi-même finalement,
42:31 et ça dans la vie religieuse,
42:33 c'est choisir, c'est
42:35 renoncer à un certain nombre de choses du monde
42:37 évidemment auxquelles on peut penser, le mariage
42:39 etc. - C'est ça, il faut commencer
42:41 par se connaître,
42:43 et tout un travail sur soi pour avoir comment
42:45 bien se connaître, et puis
42:47 ensuite, voilà, renoncer,
42:49 je dirais renoncer pour se dépasser,
42:51 pas un renoncement morbide,
42:53 fermé, en fait, il faut que ça dilate,
42:55 le renoncement, il faut que ça ouvre,
42:57 il faut que ça rend heureux,
42:59 vous voyez, des fois, au lieu d'avoir des affiches
43:01 publicitaires, où c'est marqué
43:03 "faites-vous plaisir, profitez",
43:05 si on mettait "renoncez, dépassez-vous" en fait,
43:07 on ferait un carton, parce que c'est
43:09 ça qui... enfin je veux dire,
43:11 on ne peut pas aller
43:13 plus haut, quand on
43:15 est tiré vers le haut, on est heureux,
43:17 si on est tiré vers le bas, on devient
43:19 médiocre, malheureux, et après
43:21 on se dégoûte de la vie, de soi-même en fait.
43:23 - Daniel Oudon-Hurel,
43:25 cette assaise dans la vie religieuse...
43:27 - Oui, cette assaise, et surtout ce renoncement
43:29 individuel, je pense que ça explique,
43:31 c'est une manière
43:33 d'expliquer
43:35 aussi bien l'histoire de Saint-Bernard
43:37 que l'histoire
43:39 de quantité d'autres réformateurs
43:41 beaucoup moins connus, y compris au XVIIe siècle,
43:43 que je connais un peu
43:45 mieux, à la fin du XVIe au XVIIe siècle,
43:47 des hommes comme
43:49 Rencé, des hommes comme...
43:51 même quelque part comme
43:53 ceux qui ont fondé la Congrégation de Saint-Maur,
43:55 celle du célèbre Jean Mabillon,
43:57 et Jean Mabillon lui-même, quelque part,
43:59 c'est que les réformes,
44:01 les réformes sont souvent le fruit
44:03 au départ d'individus,
44:05 d'individus,
44:07 dans un monde qui normalement
44:09 apprend
44:11 en fait plutôt la désappropriation,
44:13 la renonciation à la volonté propre,
44:15 mais n'empêche que la réforme,
44:17 le retour, vient souvent
44:19 d'individus, et après,
44:21 c'est le même cas,
44:23 c'est le même cas avec Antoinette d'Orléans
44:25 et les bénédictines du Calvaire,
44:27 c'est la même chose avec Catherine de Barre
44:29 et les bénédictines du Saint-Sacrement,
44:31 c'est la même chose, enfin voilà, on pourrait
44:33 multiplier les exemples, c'est l'individu,
44:35 l'individu qui
44:37 pour, alors ça l'historien
44:39 il peut évidemment pas le savoir,
44:41 complètement, mais pourquoi tout d'un coup
44:43 il se réveille un matin en reprenant
44:45 la règle par exemple et en disant "ça va pas"
44:47 voilà, alors il y a des contextes qui expliquent
44:49 ça, il y a des injonctions réformatrices
44:51 qui viennent du Saint-Siège, qui viennent
44:53 du Concile de Trente, qui viennent de tas d'endroits,
44:55 mais n'empêche que ça se joue
44:57 par un renoncement
44:59 individuel à un moment donné,
45:01 quelle que soit la période je pense. - Père Philippe Lefebvre,
45:03 votre fondateur, Saint-Dominique,
45:05 lui aussi a constitué d'une certaine manière
45:07 à un moment donné une réforme, ou en tout cas
45:09 a créé un ordre mendiant,
45:11 vous alliez effectivement à travers les routes,
45:13 donc il y a ce choix
45:15 radical, comment est-ce que
45:17 aujourd'hui cette vie religieuse, elle est
45:19 prophétique finalement de quelque chose d'autre,
45:21 du ciel finalement,
45:23 si on va au bout des choses,
45:25 et qui explique ce choix
45:27 de renoncer à tout, parfois.
45:29 - Je pense
45:31 que Saint-Dominique
45:33 a été vraiment un homme
45:35 de son époque, qui était
45:37 comme elle était, avec toutes ses
45:39 difficultés aussi, et
45:41 qu'il avait aussi en vue pour
45:43 les frères, de dire "il y a
45:45 d'autres personnes aussi dans le monde
45:47 qui vivent durement", c'est-à-dire
45:49 les renoncements
45:51 de la vie religieuse
45:53 nous mettent au diapason de
45:55 beaucoup de gens autour de nous qui renoncent,
45:57 ou quelquefois la vie
45:59 de famille, ça peut être
46:01 difficile, ça peut être compliqué,
46:03 ne pas avoir de boulot,
46:05 ça peut être...
46:07 Et je pense qu'on est appelé,
46:09 enfin pour moi, c'est pas "les religieux
46:11 sont un modèle et puis le monde doit
46:13 s'y conformer si peu un petit peu",
46:15 c'est dans les deux sens, et moi
46:17 je suis admiratif de beaucoup
46:19 de personnes que je
46:21 rencontre, et que nous rencontrons
46:23 comme Dominicains, et qui
46:25 d'une manière ou d'une autre
46:27 aussi nous revivifient
46:29 dans nos propres voeux,
46:31 et quelquefois avec des vies
46:33 compliquées. Une chose, dans l'évangile,
46:35 vous savez, les deux foies,
46:37 dans les évangiles synoptiques où Jésus
46:39 parle de la foi, c'est
46:41 le centurion romain et la
46:43 cananéenne qui vient obstinément
46:45 vers lui, même si les disciples veulent
46:47 la chasser, et "grande est
46:49 ta foi que tout se passe comme
46:51 tu veux". Jésus n'emploie cette
46:53 expression "comme tu veux" qu'une seule autre fois,
46:55 c'est lors de sa passion pour son
46:57 père, c'est-à-dire que
46:59 ce qu'il dit avec cette femme,
47:01 c'est
47:03 le père qui est là,
47:05 et qui préside à tout ça, sachant qu'elle
47:07 est une cananéenne païenne, mais
47:09 qui a compris quelque chose
47:11 d'essentiel, de la vie,
47:13 et de qui était Jésus.
47:15 - Donc c'est prophétique pour le monde, pour les autres. Véronique,
47:17 une dernière question ? - Oui, une dernière question, réponse
47:19 de Sœur Élise, parce que c'est très important,
47:21 on va
47:23 peut-être légaliser l'euthanasie,
47:25 vous êtes au chevet
47:27 des mourants, des plus
47:29 pauvres, qu'est-ce que
47:31 vous dites, de ce
47:33 qui est en train de se tramer ?
47:35 - Défendons la vie
47:37 jusqu'au bout. On est tous des vivants
47:39 jusqu'à notre dernier souffle,
47:41 et prenons soin de nos personnes âgées,
47:43 ne permettons pas qu'on
47:45 peut prendre soin, on doit
47:47 soulager, et on soulage, il faut soulager
47:49 absolument la douleur en fin de vie.
47:51 La fin de vie,
47:53 c'est un moment tellement important, qu'on peut pas
47:55 - On peut pas rater ce moment
47:57 - Non, on peut pas rater ce moment, il se passe tellement
47:59 de choses, c'est
48:01 un accomplissement, à chaque fois qu'une personne
48:03 âgée part en paix,
48:05 on imagine la mort comme quelque chose, une agonie
48:07 terrible, une souffrance indicible,
48:09 c'est pas comme ça que ça se passe,
48:11 c'est paisible, la personne a pu dire
48:13 au revoir, a pu dire adieu, et moi à chaque fois
48:15 je pense à cette phrase de Jésus, "tout est accompli".
48:17 On est mortel,
48:19 il faut arrêter de penser que
48:21 la mort, on pourrait la choisir,
48:23 non, on est mortel, ça fait partie de la vie,
48:25 qu'on vive la vie jusqu'au bout,
48:27 et prenons soin de nos
48:29 personnes âgées, tellement de personnes âgées sont
48:31 en souffrance ou pensent être un poids,
48:33 j'aimerais leur dire aujourd'hui, "non,
48:35 tenez bon,
48:37 c'est pas un poids,
48:39 vous avez à vivre encore de belles choses,
48:41 on n'a pas à faire peser au contraire
48:43 sur nos personnes âgées cette épée
48:45 de Damoclès, j'aimerais pas qu'on le fasse
48:47 pour moi".
48:49 - Merci, merci beaucoup pour votre témoignage,
48:51 malheureusement cette émission arrive à son
48:53 terme, peut-être une dernière citation,
48:55 tirée de la fête dont nous avons parlé,
48:57 la chandeleur, "maintenant vous pouvez
48:59 laisser votre serviteur s'en aller dans la paix", voilà
49:01 un peu effectivement ce que vous vivez au jour le jour
49:03 chez les petites sœurs des pauvres, sœur Élise,
49:05 merci beaucoup d'avoir été avec nous,
49:07 merci père Philippe Lefebvre
49:09 d'être venu de Genève où vous enseignez,
49:11 à Fribourg,
49:13 pardon, excusez-moi, c'est en Suisse,
49:15 l'écriture sainte, merci Daniel
49:17 Audon-Hurel, je rappelle le titre aussi
49:19 de votre ouvrage que vous avez dirigé
49:21 sur les bénédictins, c'est publié
49:23 chez Robert Laffont, merci bien sûr
49:25 à Véronique Jacquet, à Jade Roger
49:27 et aux équipes techniques
49:29 pardon, pour la réalisation de cette émission
49:31 et puis la semaine prochaine
49:33 nous parlerons, ce sera le 11 février,
49:35 de Lourdes, mais surtout de Sainte-Bernadette
49:37 qui a un peu disparu derrière la notoriété de Lourdes
49:39 et il s'agit donc de la réhabilité
49:41 et puis une lecture,
49:43 Véronique, qu'y a-t-il dans France Catholique cette semaine ?
49:45 - Oui, un conseil de lecture, France Catholique, que vous retrouvez sur
49:47 france-catholique.fr ou sur abonnement
49:49 et qui fait sa une sur
49:51 l'Eucharistie, voilà, qu'est-ce que réellement
49:53 l'Eucharistie, c'est pas qu'un simple repas partagé
49:55 c'est un sacrifice, le sacrifice du Christ.
49:57 - Merci à vous d'avoir suivi cette émission
49:59 et très bonne journée à notre écoute.
50:01 de l'Octobre.