"Difficile d’imaginer ma vie sans lire", confie Isabelle Huppert, présidente du jury du Livre Inter
L'actrice Isabelle Huppert sera présidente du jury de la 50ème édition du Livre Inter. Les candidatures sont à envoyer avant le 7 mars. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-jeudi-01-fevrier-2024-9644870
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00:00 Sonia De Villers à votre micro ce matin, notre chère Eva Bettenc, responsable du prix du livre Inter.
00:07 Édition anniversaire, c'est la cinquantième, rendez-vous compte, ce prix c'est votre prix,
00:13 car chaque année c'est vous, auditrice et auditeur, qui composez le jury « 12 femmes, 12 hommes »,
00:19 qui récompense leur roman préféré. Eva Bettenc, bonjour, grand plaisir de vous retrouver.
00:25 Merci. Alors Eva, c'est à vous que revient de choisir le ou la présidente du jury.
00:32 C'est notre seul pouvoir à France Inter, parce qu'on fait en sorte que d'en en avoir aucun,
00:36 c'est les jurés qui décident, on n'hésite pas des livres non plus, mais celui-là on le chérit, oui.
00:40 Alors qui cette année ? Isabelle Huppert. Voilà, je vais vous dire pourquoi,
00:45 parce qu'à Année Exceptionnelle, on voulait une présidente exceptionnelle.
00:49 Comme vous l'avez dit, c'est un prix de lecteur, c'est votre prix. Et nous voulions une lectrice.
00:54 Elle est, en plus d'être une immense actrice, une lectrice et une très belle lectrice.
00:58 Le plus simple, le plus évident, c'est comment elle a donné vie, elle a donné existence,
01:02 elle a donné sa lecture de rôle issu, de personnage issu de livres, que ce soit au cinéma ou au théâtre,
01:09 que ce soit Flaubert ou Elfriede Gelinek quand c'est la pianiste.
01:12 Parce que jusqu'à présent, le prix du livre Inter, il a toujours été présidé par un écrivain.
01:16 Toujours, toujours. Par Le Clésio, par Amine Malouf, par Leïla Slimani, Alain Manbancourt,
01:22 je peux vous en citer beaucoup. Même des gens qui n'avaient jamais rien présidé,
01:25 comme Le Clésio ou Eschnoz. Mais là, on voulait ça. Et puis, elle a aussi une chose formidable,
01:30 c'est que c'est quelqu'un qui fait des lectures des écrivains qu'elle aime.
01:34 Et vraiment, c'est une lectrice, une formidable lectrice.
01:37 Isabelle Huppert va jouer Bérénice de Racine à partir du 5 mars au Théâtre de la Ville,
01:41 dans une mise en scène de Romeo Castellucci. Nous sommes allées la rencontrer en répétition.
01:46 - Bonjour Isabelle Huppert. - Bonjour. - Bonjour. Bonjour Madame la Présidente.
01:52 Isabelle Huppert, vous avez présidé de très grands et de très beaux jurys.
01:56 Vous avez présidé le jury du Festival de Cannes, le jury du Festival de Tokyo,
02:00 le jury du Festival du Film de Marrakech. C'est votre premier jury littéraire ?
02:04 - Ah oui, c'est mon premier. - Ça a été une surprise ?
02:07 - Oui, c'était une surprise. Je ne m'y attendais pas du tout. - Vous avez accepté facilement ?
02:11 - Facilement, non. Je n'accepte jamais rien très facilement. Je réfléchis beaucoup avant.
02:17 Et puis je me suis dit que c'était un très beau prix. Et puis c'est un prix qui engage les lecteurs.
02:21 Alors moi-même, je suis une lectrice. Donc voilà, c'était la petite légitimité peut-être que j'avais à être là.
02:26 - Et quel genre de lectrice vous êtes ? - Je ne suis pas une lectrice compulsive.
02:30 Je suis une lectrice très régulière. C'est-à-dire que je lis tout le temps.
02:36 C'est difficile d'imaginer ma vie sans livres, sans les voir, sans les lire.
02:41 Je me dis toujours que les maisons sans livres, c'est triste. Ça arrive souvent.
02:46 Les gens n'en sont pas forcément responsables. L'accès aux livres, ça peut être aussi un privilège, une richesse.
02:52 Ça ne s'est pas forcément donné à tout le monde. - Et vous les gardez, les livres que vous avez lus ?
02:56 - Ah oui, hélas, si je puis dire. Parce que j'ai beaucoup de mal à m'en débarrasser.
02:59 Parce qu'il y en a des bons et puis il y en a des moins bons, il faut quand même le dire.
03:01 - Donc ils vous accompagnent depuis toujours ? - Oui, oui, depuis toujours.
03:05 Alors, en front de moi aussi, je me disais, c'est difficile aussi de se souvenir exactement et précisément de tous les livres qu'on a lus.
03:14 C'est d'ailleurs ce qui est fascinant dans le rapport avec la littérature.
03:16 Ça s'inscrit pas précisément. On ne peut pas les apprendre par cœur, tous les livres.
03:21 Ça se balade dans votre mémoire. Et puis c'est aussi un plaisir d'un instant, tout simplement.
03:26 - Et vous relisez ? - Alors là, pas du tout.
03:29 - Jamais ? - Pas du tout.
03:30 Je suis toujours assez intéressée et un peu fascinée par les gens qui disent, qui relisent des livres.
03:36 J'en suis pas encore là. J'ai tellement pas assez lu que j'en suis pas encore...
03:40 - Vous n'avez pas assez lu ? - Non, j'ai pas lu "Tout Proust", j'ai pas lu...
03:45 Non, j'ai pas assez lu.
03:46 - Vous n'avez pas lu "Tout Proust" ? - La mesure est pas longue.
03:50 - Eva, vous avez repéré des livres et des romans tout au long de la carrière d'Isabelle Huppert.
03:55 Oui, ne serait-ce que parce que vous avez joué des personnages de romans.
04:00 Par exemple, "La dentelière", qui est votre rôle le plus important, il vient d'un livre de Pascal Lenné.
04:05 Et à un autre bout, il y a "La pianiste" d'Anneke, qui est un livre d'Elfriede Gelinek.
04:11 Quel est le rapport, pour nous, d'une certaine manière, vous nous avez apporté ces livres.
04:16 Mais vous, quel est le rapport entre les livres et le moment où vous jouez ?
04:19 Le passage de la littérature au cinéma, c'est un dossier particulier.
04:24 C'est-à-dire que c'est toujours peut-être une trahison.
04:28 L'auteur renonce, au fond, un peu à une partie de son oeuvre et puis il la confie à un autre imaginaire.
04:36 Par exemple, vous parliez de "La pianiste", moi j'avais pas lu le livre,
04:39 parce que Michaela Neukeul avait pas souhaité que je le lise.
04:41 Et donc, en fait, je suis arrivée tout à fait ignorante du livre avant de tourner le film.
04:51 Et quand on se prépare à jouer Madame Bovary ?
04:54 Alors, Madame Bovary, je ne suis pas sûre que je l'avais lue avant,
04:57 et je l'ai lue quand Claude Chabrol m'a demandé de le jouer.
05:02 Alors, Madame Bovary, c'est intéressant, parce que je me disais toujours, en la lisant,
05:04 qu'au fond, elle est relativement abstraite dans le livre.
05:07 Elle n'est jamais précisément décrite.
05:10 On croit qu'elle est brune, parce qu'il y a eu plein de versions de Madame Bovary,
05:13 et peut-être que j'étais la première rousse.
05:15 Mais voilà, on associe comme ça une figure un peu pâle, avec des cheveux sombres,
05:19 et en fait, elle est peut-être à des moments décrites dans de l'ombre,
05:23 mais elle n'est pas précisément décrite.
05:25 C'est d'ailleurs pour ça que c'était au sein autant un concept qu'un personnage.
05:29 Et c'était d'autant plus incarnable, puisque dans cette forme d'abstraction qu'elle représente dans le livre,
05:35 on peut justement la rendre beaucoup plus concrète, parce que l'imaginaire est beaucoup plus libre.
05:39 - Je me dis que peut-être au fond de moi, j'avais l'idée de vous proposer d'être présidente du jury,
05:43 peut-être depuis 30 ans, le numéro spécial des cahiers du cinéma dont vous étiez la rédactrice en chef,
05:49 date de 1994.
05:51 Et vous choisissez, vous dites tout de suite, je ne veux pas qu'il n'y ait que du cinéma,
05:55 et le premier entretien que vous faites, c'était avec Nathalie Sarraute.
05:59 On a l'impression que c'était ce qui était le plus important pour vous.
06:02 - Oui, alors j'ai dû la rencontrer à cette occasion, pour la première fois,
06:06 et je suis restée assez liée avec elle jusqu'à sa mort, je la voyais souvent.
06:11 Et surtout, elle m'a fait beaucoup réfléchir sur le jeu au cinéma,
06:17 parce qu'elle porte quelque chose dans la lettre, là aussi, une forme de désincarnation,
06:23 elle rompt complètement avec l'idée du personnage, et c'est une notion dont je me suis servi,
06:29 ça m'a fait dire que je préférais dire que je jouais des personnes plutôt que des personnages.
06:35 C'est-à-dire qu'il n'y a pas de personnages chez Nathalie Sarraute,
06:38 les tropismes, c'est des sensations, c'est des états.
06:41 Donc c'est quelque chose, enfin je ne m'en suis pas du tout servi consciemment,
06:46 mais au fond ça correspond à ce que je pense quand je joue,
06:48 c'est-à-dire de me dire, plutôt que de jouer des personnages,
06:51 je joue des états et des sentiments, et des sensations.
06:54 - Isabelle Huppert, on voudrait savoir quel genre de présidente vous allez être,
06:57 parce que nous on va inviter les auditeurs d'Inter à candidater,
07:00 à vous rejoindre, à constituer votre jury.
07:03 Donc, on voudrait vous imaginer devant la pile de livres,
07:07 devant la sélection 2024 du prix Inter,
07:10 comment vous allez l'aborder ?
07:12 Qu'est-ce que vous allez chercher dans ces romans ?
07:15 - Je crois que je vais... - Qu'est-ce que vous allez scruter ?
07:17 - Ah ! Oui, parce que je pensais que vous me disiez comment je vais l'aborder,
07:20 déjà avec les personnes qui vont m'entourer,
07:22 je vais l'aborder avec autant, je crois, de simplicité
07:26 que je ne me sens pas plus lectrice qu'eux en tous les cas,
07:30 et c'est ça aussi qui est intéressant d'ailleurs dans ce jury,
07:33 d'avoir tout d'un coup, de rencontrer des gens,
07:35 peut-être qui sont des grands lecteurs, ou pas,
07:37 parce que la lecture c'est ça, ça peut être...
07:39 On peut aussi très peu lire, et être aussi un lecteur très réceptif,
07:44 et très compréhensif de ce qu'on lit.
07:46 Vraiment, j'en entends tout, c'est ça qui est extraordinaire d'ailleurs dans la littérature,
07:54 ça peut être épique, ça peut être intime,
07:57 ça peut être... c'est un puits sans fond,
08:00 et c'est... alors peut-être ce qui caractérise un peu la littérature quand même,
08:06 c'est le style, donc on ne peut pas s'attacher uniquement à un sujet où il faut le style.
08:14 Alors le style, c'est difficile à définir,
08:17 c'est un peu comme la musique, je dirais,
08:19 c'est quand même très lié au rythme.
08:21 Moi, il y a des pages qui m'ont bouleversée,
08:23 je ne sais pas forcément lesquelles me viennent à l'esprit tout de suite,
08:27 mais j'ai quand même l'impression que c'est tout d'un coup un rythme,
08:31 c'est ça qui vous fait ressentir quelque chose,
08:35 et qui me ferait dire que c'est quand même comme ça qu'un livre est peut-être plus grand qu'un autre.
08:40 Vous me semblez ouverte à tout.
08:43 C'est le principe même de ce jury,
08:45 si on n'est pas prêt à tout devant un jury comme ça,
08:49 ce prix n'existerait pas, c'est le principe de ce...
08:52 J'ai l'impression que de demander à des lecteurs qui viennent de tous horizons,
08:57 et moi je suis très curieuse de les rencontrer,
09:00 et de partager avec eux,
09:02 et de les écouter, et de m'en inspirer aussi,
09:05 vraiment d'être à l'écoute complète de ce qu'ils vont me dire.
09:09 Merci beaucoup Isabelle Hupert.
09:11 Et bien je déclare le cinquantième prix du Livre Inter ouvert.
09:16 Et Eva Béthant, un dernier mot, comment on candidate pour rejoindre Isabelle Hupert ?
09:20 Je vous le dis de deux manières, soit vous allez sur notre site internet franceinter.fr,
09:24 vous verrez, vous trouverez l'endroit Livre Inter,
09:28 soit vous écrivez par la poste à franceinter@116avenueduprésidentkenny
09:34 75 220 Paris CEDEX 16, vous avez jusqu'au 7 mars inclus.
09:39 A minuit ! Merci Eva Béthant !
09:42 Merci Sonia, il est 7h58.