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  • 22/01/2024

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00:00 Jamais lâché, jeunes de quartier et éducateurs de rue, documentaire réalisé par Paul Muxel,
00:06 où elle a donc suivi au plus près, vous venez de le voir, le travail des éducateurs de rue
00:11 de la fondation Jeunesse Feuvert, qui officie dans certains quartiers de Paris
00:16 et de ces banlieues défavorisées, là où ils sont souvent les seuls interlocuteurs disponibles
00:22 pour des jeunes en rupture de banc ou en passe de le devenir.
00:26 L'occasion maintenant pour nous d'en savoir encore un peu plus sur le rôle et les difficultés
00:31 rencontrées par ces éducateurs spécialisés.
00:34 C'est ce que nous allons faire maintenant avec nos invités présents sur ce plateau de Débat Doc.
00:38 Aujourd'hui, Olivier Bonin est avec nous. Pour commencer, bienvenue, Olivier Bonin.
00:42 Vous êtes journaliste au Média Social qui s'adresse aux travailleurs sociaux,
00:47 dont vous faites bien sûr partie des éducateurs de rue.
00:50 Votre dernier livre s'intitule Le Travailleur Social et la République, un guide pour agir.
00:55 Et il est disponible chez ESF Editeur.
00:59 Gabriel Di Gregorio est également avec nous. Bienvenue à vous.
01:02 Vous êtes directeur de l'association de prévention spécialisée JIP, qui est officieuse à Strasbourg.
01:09 Un mot sur JIP ?
01:12 D'abord, ça veut dire Jeunes équipes d'éducation populaire.
01:15 C'est une association qui emploie 45 personnes, essentiellement des éducateurs spécialisés,
01:22 pour des missions essentiellement de prévention spécialisée.
01:26 Et puis enfin avec nous, Olivier Bonot. Bienvenue, Olivier Bonot.
01:30 Vous êtes membre du Bureau national du CNLAPS, le Comité national de liaison des acteurs de la prévention spécialisée.
01:37 C'est le seul réseau national de la profession.
01:40 Et par ailleurs, vous êtes le directeur adjoint de l'association APS34.
01:45 Vous êtes, basez-vous à Montpellier.
01:48 Un mot sur cette association ?
01:50 C'est une association qui intervient sur tout le département de l'Hérault, enfin les principales villes,
01:54 qui sont Lunel, Montpellier, Frontingnan et Béziers,
01:59 qui rassemblent une petite quarantaine d'éducateurs sur ces territoires-là.
02:04 Et effectivement, essentiellement du travail de rue et avec quelques dispositifs spécifiques
02:09 qui sont des outils de la prévention spécialisée, je pense au chantier éducatif,
02:14 qu'on pourra aborder aussi au cours de ce débat.
02:18 Comme on l'a vu, on l'a esquissé dans le doc,
02:22 où on voit déjà d'un moment faire de la peinture, donc j'imagine qu'on était dans le cadre d'un chantier.
02:26 Voilà.
02:28 Et pour ce qui concerne le CNLAPS, c'est un comité qui fédère plus de 130 associations à l'échelle nationale,
02:36 métropole et dom-tom,
02:39 et qui essaye à la fois de réfléchir sur le métier, l'avenir du métier, les actions,
02:47 et de fédérer pour défendre l'intérêt à la fois des publics et de nos associations.
02:55 Alors Olivier Bonin, pour recontextualiser le film que nous venons de voir,
03:00 nous allons parler ensemble des éducateurs spécialisés de rue.
03:05 Il y a en France quelque 65 000 éducateurs, je crois.
03:10 En revanche, les éducateurs de rue dont on parle dans ce film, ils ne sont que 3 600.
03:17 Ce n'est qu'une partie des éducateurs qui officient dans chacune de vos associations d'ailleurs.
03:22 C'est bien comme ça qu'il faut comprendre les choses pour avoir vu ce film, pour constituer les choses.
03:26 C'est bien ça, c'est à peu près 5% que vous voyez, donc effectivement c'est qu'une partie des éducateurs spécialisés.
03:31 Ces travailleurs sociaux, on les retrouve également auprès des personnes en situation de handicap notamment.
03:36 On les retrouve dans la protection d'enfance de manière aussi très répandue.
03:41 Mais effectivement, ceux qui choisissent le travail de la prévention spécialisée ont une mission assez particulière.
03:48 C'est une mission qui a été définie il y a 50 ans maintenant.
03:51 Il y a un fameux arrêté de 1972 qui a donné les...
03:53 - Une profession qui date de 1972.
03:56 - Voilà, officiellement. On peut dire après qu'il y a des origines plus anciennes.
03:59 - Oui, oui. - Mais voilà, il a été défini.
04:01 - L'acte de naissance. - Voilà, l'acte de naissance.
04:03 - Du 4 juillet 1972 pour être précis.
04:06 Et qui définit notamment ce métier par la libre adhésion.
04:09 Alors c'est-à-dire qu'on est éducateur spécialisé, on n'a pas un mandat pour aller travailler avec tel ou tel enfant.
04:16 Non, on est à la disposition des jeunes du quartier.
04:19 C'est ce qu'on appelle la libre adhésion, c'est aux jeunes de venir ou pas.
04:23 D'où l'importance de la confiance qui doit se créer avec ces éducateurs.
04:28 Et où est-ce qu'on travaille ?
04:29 On travaille, bon, dans ce qu'on peut appeler les quartiers populaires.
04:33 En fait, dans les textes, on parle de lieux à risque d'inadaptation sociale.
04:39 C'est le concept un petit peu ancien.
04:41 Mais effectivement, on est dans des lieux à risque de marginalisation.
04:45 Et le travail consiste justement à travailler pour l'insertion, à travailler pour la promotion sociale.
04:50 Voilà, c'est ça, les bases du métier d'éducateur de rue dans le grand ensemble des travailleurs sociaux.
04:55 Et pour être éducateur spécialisé, et donc éducateur de rue, il faut disposer d'un diplôme d'Etat.
05:03 C'est trois ans après le bac, c'est un bac +3 avec un diplôme d'Etat.
05:07 Exactement, diplôme d'Etat d'éducateur spécialisé.
05:09 Tout à fait. Voilà, c'est ça.
05:12 On parlera du salaire, évidemment, qui est une question centrale.
05:15 Et aussi, peut-être, d'un manque d'appétence pour ce métier aujourd'hui du côté des jeunes.
05:20 On essaiera de comprendre pourquoi.
05:22 On vous propose de voir un premier extrait du film que nous venons de voir,
05:25 qui concerne justement le rôle des éducateurs, avec un de vos collègues qui s'exprimait dans ce film.
05:32 Quand tu vas voir en détention, par exemple, c'est un exemple, un jeune,
05:38 tu vas le voir à un moment donné où il est dans une fragilité extrême.
05:45 Et quand tu vas faire ce mouvement-là, alors que tu n'es pas de la famille,
05:50 d'aller les voir et de leur montrer par ton regard que toi, tu n'es pas à la justice,
05:57 mais que tu es encore là pour eux, tu es encore là pour les écouter,
06:02 pour parler avec eux parce que tu les apprécies.
06:06 Et pour moi, c'est vraiment le rôle de l'éducateur de prévention.
06:13 Parce que nous, on a un rôle à jouer là-dessus.
06:15 C'est que nous, on peut aller aux interstices, aux endroits où il n'y a plus grand monde.
06:23 Nous, on peut aller aux interstices, aux endroits où il n'y a plus grand monde.
06:28 Et c'est le fameux "aller vers".
06:31 D'ailleurs, ce documentaire devait s'appeler "Aller vers" pour illustrer ce qui vient d'être dit par votre collègue.
06:37 C'est ça, votre rôle ? C'est comme ça que vous le considérez, vous aussi ?
06:40 Aller aux interstices, aller là où il n'y a plus grand monde, où vont voir ses jeunes ?
06:44 La prévention spécialisée, d'abord, c'est comme là, il faut justement souligner Olivier Bonin,
06:51 c'est une politique publique qui a été pensée pour compléter les autres politiques publiques en faveur de l'enfance
06:58 et qui a pour rôle d'aller, on va dire, combler les manques.
07:07 Moi, j'ai souvent l'habitude de dire, tout le monde rigole, mais que c'est une politique publique interstitielle.
07:13 Donc, en tout cas, notre travail consiste à aller là où les autres services publics ne vont plus,
07:18 là où les associations ne peuvent plus aller parce qu'il y a besoin d'une connaissance fine du territoire,
07:25 il y a besoin d'une connaissance fine des habitants du territoire en question.
07:30 Et cette connaissance fine se construit sur le temps long, que le documentaire a fort bien souligné là aussi.
07:39 C'est une des caractéristiques de la prévention spécialisée, tout autant que les principes qui la guident.
07:45 Il y a cette dimension du temps long qui, de mon point de vue, est probablement l'un des éléments les plus cruciaux
07:52 du travail que nous menons sur les territoires où nous le menons.
07:56 Pour rendre les choses un peu concrètes, à Strasbourg, dans les quartiers défavorisés de Strasbourg,
08:02 où c'est là que vous officiez le plus, comment vous faites pour aller vers ces jeunes ?
08:06 Et aller vers ces jeunes là où le plus grand nombre va vers eux ?
08:10 D'abord, dans les quartiers où nous travaillons, une antériorité qui est déjà extrêmement importante.
08:17 On a aussi une façon d'amener les éducateurs, notamment les jeunes éducateurs, à appréhender le territoire sur lequel ils interviennent.
08:30 Le diplôme d'État, c'est trois ans. Mais si vous voulez devenir éducateur de prévention spécialisée,
08:36 c'est au minimum une année, une année et demie d'apprentissage.
08:40 Mais ce sont des apprentissages qui ne sont pas sanctionnés par un diplôme à la fin.
08:45 On apprend sur le tard ?
08:47 Absolument. De préférence en étant aidé par des anciens qui connaissent le quartier, qui connaissent ses dynamiques,
08:55 qui savent où on peut aller, qui savent quand on peut y aller, qui savent où il ne faut pas aller, quand il ne faut pas y aller.
09:01 Il y a toute une connaissance fine du territoire.
09:06 Et pour avoir cette connaissance fine du territoire, la quarantaine d'éducateurs spécialisés qui travaillent à JIP,
09:13 ce sont des Strasbourgeois, des gens qui connaissent parfaitement ce territoire, ou pas uniquement.
09:19 Il faut l'avoir, cette finesse connaissant du territoire. Elle ne tombe pas du ciel.
09:23 Non, mais elle s'apprend, elle se transmet. J'ai pas mal d'éducateurs qui viennent de la campagne,
09:29 qui n'ont jamais vécu dans un quartier. J'en ai quelques-uns dont c'est le cas, mais ce n'est pas la majorité.
09:36 Et ça facilite les choses pour le contact avec ces jeunes ? Le fait qu'ils ne soient pas forcément issus du quartier ?
09:43 Ça ne facilite ni ne rend plus difficile. Ce qui est extrêmement important, c'est que l'éducateur qui arrive sur un territoire
09:51 soit accompagné par ses collègues le temps qu'il faut. En général, de nombreux mois.
09:57 On a tendance à dire que c'est un an, un an et demi avant de connaître le quartier et d'être accepté par le quartier.
10:04 Qu'est-ce que vous voulez rajouter là-dessus ? Le "à l'évert". On va vers ces jeunes. C'est l'impression que ça nous donne.
10:12 Dans le doc, c'est difficile à filmer. On voit que ce sont des équipes qui s'appuient sur des locaux ouverts et sur place.
10:22 Par exemple, il y a des associations telles que la mienne qui a fait le choix de ne pas avoir du tout de local implanté sur le quartier.
10:29 C'est-à-dire qu'il y a une forme d'obligation des éducateurs d'être dans la rue et de passer du temps dans la rue.
10:37 Et quand on veut accueillir des jeunes à l'abri, parce que même si Montpellier fait tout le temps beau, il arrive quelques fois,
10:45 tous les deux ans, qu'ils fassent un peu mauvais, on va chez des partenaires type centre social et tout ça pour organiser des réunions collectives.
10:55 Ce qui est difficile à montrer, c'est ce travail, à la fois d'observation de ce qui se passe sur un quartier et d'aller vers, mais pour de vrai,
11:03 c'est-à-dire aller en direction d'un groupe, repérer si on peut être accueilli à ce moment-là ou pas, parce qu'on peut déranger.
11:11 On est chez les gens. Et avoir ça en tête, déjà. On arrive sur le territoire de ces habitants-là.
11:17 - Vous êtes sur leur territoire. - Et on a besoin d'être invité. Alors, à l'usure, à l'usage, quand on est implanté depuis 20 ou 30 ans,
11:25 on est des invités permanents. Sauf quand on vient avec un petit nouveau. Ou le petit nouveau, il va devoir montrer pas de blanche, comme on l'a vu dans le doc.
11:34 - On va le tester, d'ailleurs. - On va le tester. - Si jamais ils vont le tester, on l'a vu.
11:37 - Et la partie la plus difficile, c'est cette dimension d'approche. Et l'outil, au-delà de l'origine de l'éducateur, de son parcours de vie, etc.,
11:47 c'est la sincérité dans la rencontre. C'est se montrer... C'est évoqué à plusieurs reprises dans le documentaire. C'est être soi.
12:00 Alors, soi avec son costume de professionnel, mais très vite, on est démasqué si on joue un rôle.
12:10 Si on a la trouille, il vaut mieux dire qu'on a la trouille que de faire semblant de ne pas avoir la trouille.
12:14 Parce qu'en face, on a des gens d'une finesse qui vont le détecter à 300 mètres. Et là, on peut rentrer dans des jeux qui sont pas terribles.
12:23 - On a souvent la trouille quand on est éducateur de rue, quand on débute dans ce métier probablement, quand on est même accompagné par un ancien.
12:31 D'ailleurs, les éducateurs, j'ai appris ça en travaillant ce dossier, sont toujours par deux, minimum.
12:36 - Ça dépend des équipes, mais le classique, il est plutôt en tandem. Éventuellement, des tandems qui bougent.
12:45 Parce que là, sur VINV, ils parlaient, ils étaient trois, donc soit ils partent à trois, soit à deux, avec des binômes qui changent.
12:53 Qu'on essaye aussi d'être garçon-fille, parce qu'on parle souvent des garçons dans les quartiers populaires, mais il y a aussi l'autre moitié de l'humanité, les filles.
13:08 Où il y a moins grande visibilité, voire parfois une invisibilité de ces filles dans l'espace public, mais il y a aussi des choses à travailler.
13:16 Il y a de la solitude, il y a de l'enfermement au sens symbolique parfois, et physique.
13:23 Et il y a tout un travail d'approche qui est peut-être encore plus compliqué avec certaines filles. Parce qu'elles sont moins souvent dans l'espace public.
13:30 Et notre terrain de jeu, c'est quand même l'espace public.
13:32 - Qu'est-ce que vous avez envie de dire ?
13:34 - On pourrait d'ailleurs ajouter qu'à cet espace public, il faut aussi rajouter la rue électronique, comme le terme a été employé ici et là.
13:42 Parce qu'effectivement, maintenant, il y a beaucoup d'associations de prévention spécialisées qui font le travail d'aller vers, à travers les réseaux sociaux, à travers Whatsapp,
13:50 en fréquentant l'Instagram, TikTok, tous les outils électroniques que fréquentent les jeunes.
13:56 Et effectivement, ça permet peut-être aussi d'aller vers les jeunes filles, qui sont peut-être plus à l'écart et plus cachées derrière l'électronique, cachées derrière les appareils.
14:07 - Pour aller vers, il faut être en contact avec les services sociaux, avec les établissements scolaires, avec certaines autres associations qui officient localement.
14:19 Comment est-ce qu'on va vers ?
14:21 - Ça, ça fait partie des principes aussi de la prévention spécialisée, le fait d'être en partenariat et de pouvoir orienter vers le droit commun.
14:29 Puisqu'en fait, les éducateurs de rue ne sont pas là pour faire le travail que sont censés faire les services publics, quand ils sont encore là.
14:39 Donc, effectivement, il s'agit d'aller vers les jeunes, mais après de savoir orienter, passer la main.
14:47 - La question du partenariat, c'est une question extrêmement importante.
14:53 On n'intervient pas sur un territoire en ignorant toute la dimension partenariale.
15:02 Et effectivement, les collèges, parfois même les écoles primaires, les associations, quand il y en a, il faut dire qu'il y en a beaucoup moins depuis une vingtaine d'années.
15:14 Donc, il y a eu des petites associations qui avaient des objets très particuliers, la santé, des choses comme ça.
15:21 Donc, il y a eu une crise des financements qui a amené un grand nombre d'associations, en tout cas à Strasbourg, à mettre la caisse sous la porte.
15:29 Mais il y a aussi, évidemment, comment dire, on rencontre les jeunes en allant vers eux,
15:39 mais on rencontre aussi parfois les jeunes en allant vers les partenaires qui eux connaissent les jeunes, qui eux ne connaissent pas la prévention spécialisée.
15:45 Donc, il y a tout un réseau qui se met en place et qui existe la plupart du temps depuis de nombreuses années,
15:52 qui est évidemment tributaire des turnovers dans les différentes associations ou institutions.
15:58 Mais en prévention spécialisée, on a à cœur, que ce soit à Strasbourg ou ailleurs, de faire en sorte que ces réseaux-là existent,
16:04 parce qu'ils sont absolument vitaux pour le travail que nous menons et ils sont vitaux pour les personnes que nous accompagnons.
16:10 On va voir un deuxième extrait du documentaire. Un autre de vos collègues, Sylvain, qui est aussi éducateur,
16:18 qui s'est exprimé dans ce film à propos de l'identité et de la définition de l'identité, de l'aide apportée pour cette définition d'identité auprès des jeunes que vous pouvez rencontrer dans votre métier.
16:30 L'école est l'obligatoire. Pourquoi je suis obligé de l'école ? Pourquoi, comme adulte, on est obligé de bosser ?
16:36 Pourquoi il ne faut pas tricher ? Pourquoi ma vie, elle est définie à l'avance ?
16:47 Va moins vite, va moins vite, la qualité, la qualité, pas la quantité.
16:51 L'idée, c'est aussi de les aider à se définir eux-mêmes en termes d'identité, en termes de "Est-ce que ma place, elle est ici ? Est-ce que ma place, elle est ailleurs ?
17:00 Est-ce que ma place, elle est dans les voyages ? Est-ce que ma place, elle est auprès des autres ?"
17:04 Et on leur fait souvent comprendre dans notre discours que les armes, elles passent par la scolarité.
17:12 Le système a été conçu comme ça.
17:15 Les armes, finalement, pour l'insertion de ces jeunes dans la vie, tout simplement, pas seulement dans la vie professionnelle, elles passent par la scolarité.
17:23 Est-ce que ce n'est pas ce que vous tentez d'inculquer aux jeunes auxquels vous avez affaire, basiquement ?
17:31 Oui, mais non. Et non. C'est-à-dire qu'effectivement, aujourd'hui, 90% des parcours ont été induits par la réussite ou non de la scolarité.
17:45 Après, on a souvent face à des jeunes qui ont un déficit d'une image d'eux-mêmes très fort.
17:54 C'est-à-dire que souvent, c'est des parcours chaotiques à l'école. Un rapport à l'école, on le voit dans le doc, très moyen.
18:03 Chaotique familialement ?
18:05 Parfois chaotique familialement. Après, il y a des cumuls.
18:09 Et souvent, ils ont fini par intégrer une forme d'image d'eux-mêmes très négative avec peu de perspective.
18:16 Quand Sylvain dit... Je ne sais plus comment il le dit, mais en gros, il y a une forme d'intégration de l'idée qu'on va être assigné à résidence,
18:25 qu'on va être assigné à un parcours défini par avance, qui va être fait de briquet de broc, de petits boulots, de zones de chômage, un peu de petites délinquances, etc.
18:36 Notre boulot, c'est avant tout de redonner, de dire "Vous avez de la valeur, vous avez du potentiel, vous comptez.
18:45 Vous comptez dans nos yeux et si vous comptez dans nos yeux, vous comptez pour la société."
18:50 Alors ça peut paraître bidon, mais n'empêche que quand le premier interlocuteur dit "On va le voir en prison", ça veut dire quoi ?
18:58 Ça veut dire qu'il compte pour nous. Et compter pour quelqu'un, c'est bien plus facile pour affronter le reste de la vie et une société qui n'est pas toujours très accueillante.
19:08 Parce qu'il y a un sentiment fort vécu de discrimination, d'assignation à résidence. Certains quartiers, même s'il y a eu des efforts de fait, restent quand même très enclavés, très stigmatisés.
19:22 Et on se rend compte avec le temps et de génération en génération que ce sentiment d'enclavement, il finit par être porté par les jeunes eux-mêmes.
19:34 La victoire pour vous, c'est de désenclaver ces jeunes ? Et à l'inverse, peut-être les plus grandes déceptions dans votre profession, c'est de ne pas arriver à les désenclaver pour un certain nombre d'entre eux ?
19:43 Alors c'est jamais fini. La petite personnelle, c'est jamais fini. C'est-à-dire qu'on a une forme d'obligation, c'est "on n'y arrive pas maintenant, on va réessayer".
19:51 Puis moi j'y suis pas arrivé, peut-être passez la main à un collègue qui regardera les choses différemment, etc.
19:57 Une des seules obligations, c'est cette obligation de moyens. C'est "quoi qu'il arrive, on essaiera et on sera là".
20:04 La prévention spécialiste est un sacré rempart aujourd'hui, quand on voit dans les quartiers les pièges tendus par les trafics de drogue, par les intégrismes.
20:13 Heureusement que les éducateurs sont là pour rattraper certains jeunes qui peuvent glisser et c'est rarement...
20:23 Alors les pièges que vous évoquez, ils ont été aussi évoqués dans ce film. La drogue, évidemment, le trafic. On peut gagner 500 euros aujourd'hui en gardant un ascenseur dans certains quartiers pour le compte de dealers de drogue.
20:36 C'est tentant. Quels sont ces autres pièges que vous évoquez ?
20:41 C'est vrai que pour le média social, j'avais posé la question, notamment à Marseille. Et c'est sûr que oui, les réponses sont évidemment compliquées à présenter.
20:51 La concurrence est rude, on va dire. Donc effectivement, c'est là qu'on a le travail social collectif, peut-être déjà, pour orienter vers des activités qu'ils peuvent prendre.
21:04 Mais c'est plutôt à vous d'expliquer ce qui peut être fait. Mais effectivement, la concurrence est rude en tout cas.
21:14 "Laisse pas tomber ton fils si tu veux pas qu'il glisse", c'est une fameuse phrase de NTM. Ça vaut aussi évidemment pour les filles.
21:21 La scolarité, j'y reviens parce que c'est quand même un socle important. C'est-à-dire que si on arrive à canaliser ces jeunes, à les faire revenir dans le cycle scolaire,
21:30 est-ce qu'on leur donne pas tout de même davantage de chance, au bout du compte, de se réinsérer dans la vie, tout simplement ?
21:40 Bien sûr. Ça devrait être l'objectif premier. Le problème, comme l'a très bien dit Olivier, c'est qu'on a affaire à des jeunes,
21:52 moins jeunes et plus jeunes encore, qui sont définitivement fâchés avec l'école pour des tonnes de raisons.
22:01 Puis l'école n'est pas nécessairement armée pour offrir l'accompagnement individualisé dont auraient besoin les jeunes en question,
22:12 qui constitue la majorité du public de l'imprévention spécialisée. C'est là que l'accompagnement sur le temps long, la connaissance du territoire,
22:27 la connaissance de ses atouts, la connaissance aussi des dispositifs. Il y a ceux de droit commun, il y a ceux qui émanent d'appels à projets maintenant.
22:42 Qu'on soit d'accord ou pas avec les politiques d'appels à projets, c'est une autre question. Mais une fine connaissance des dispositifs
22:50 permet aussi, en accompagnant le jeune, en travaillant avec lui, son projet. Il faut évidemment que le jeune soit acteur.
23:00 Là pour le coup, ce n'est pas une figure de style. On est là pour accompagner, mais pas pour juger. C'est souvent ce qui est dit aussi dans ce film.
23:07 Exactement. Il y a un accueil inconditionnel, non jugeant. Il s'agit à un moment de faire en sorte que le jeune puisse redevenir moteur dans son parcours.
23:17 Ce qui m'a frappé aussi dans ce film, c'est que finalement, on va vers les enfants. On a expliqué pourquoi. Ça fait partie de la mission finalement.
23:27 En revanche, les parents, est-ce qu'il arrive parfois d'en passer par la case parentale pour consolider, réinitialiser le dialogue avec ces jeunes ?
23:38 Ou est-ce que les parents doivent rester en dehors de ça justement parce que le contact que vous pouvez avoir avec eux, il ne faut pas qu'il en passe par les parents ?
23:46 Aussi systématiquement que possible, les parents. Mais ça n'est pas toujours possible.
23:50 Aussi systématiquement que possible de les associer à votre démarche ?
23:53 Oui, bien sûr. La situation du jeune, évidemment, on a affaire à un individu avec ses problématiques, mais il est ici d'une famille, il y vit.
24:05 Donc si on veut travailler efficacement la problématique du jeune, il faut en passer aussi d'une manière ou d'une autre pour la famille.
24:13 En tout cas, à la Jeep, on se doit de travailler avec les familles. Mais il faut en essayer de reconnaître que ce n'est pas toujours possible.
24:25 Alors, on a évidemment, et c'est normal, beaucoup parlé des jeunes dont vous avez la charge d'une certaine manière.
24:35 On va parler un tout petit peu de votre profession dans les 6-7 minutes qui nous restent ensemble. Vous gagnez combien net par mois ?
24:43 Alors maintenant, je suis un vieux, vieil éducateur avec un passé chef, etc. Donc moi, en net, je gagne 2500 euros.
24:52 2500 euros.
24:53 Après avoir repris des études, ma stage…
24:54 Je peux vous demander votre salaire net ?
24:56 Alors moi, je suis encore plus en fin de carrière qu'Olivier, je gagne 3200 euros.
25:00 D'accord. Alors moi, les chiffres dont je dispose, Olivier Bonin, pour des éducateurs dans les premières années, c'est pas votre cas ni l'un ni l'autre,
25:09 entre 1400 et 1900 euros nets. Il y a une prime de 183 euros nets et un plus sur le salaire qui a été accordé à l'occasion du Grenelle de la Santé de 2022.
25:22 C'est si dur, oui.
25:23 La reconnaissance des éducateurs avec de tels salaires, on peut peut-être en douter, non ?
25:28 C'est tout le drame du travail social en général.
25:30 Le travail tel qu'il nous a été défini et après ce film.
25:33 C'est tout le drame du travail social et c'est vrai que c'est la forte demande qui pousse aujourd'hui. Il y a eu encore notamment le Haut Conseil du Travail Social
25:43 qui a publié un livre blanc pour apporter des réponses, des propositions de réponses à la crise des vocations qui touche tous les métiers,
25:52 aussi bien assistants sociaux, éducateurs de jeunes enfants et autres. Et effectivement, la question des salaires est primordiale.
25:59 Il se trouve qu'on est souvent sur des professions très féminines pour lesquelles on doit considérer que c'est quelque chose de naturel d'aider
26:07 et que ça ne se rémunère pas à la hauteur.
26:09 Autrement dit, il y a beaucoup plus de femmes que d'hommes dans votre profession.
26:13 C'est peut-être moins marqué chez les éducateurs de rue, c'est plus marqué chez les assistantes sociales.
26:18 Très forte majorité des femmes. Mais effectivement, il y a une forte féminité de ces professions.
26:25 Et en tout cas, oui, c'est mal payé. Et effectivement, quand on voit l'engagement que ça demande, on le voit dans ce beau documentaire, ça pose...
26:37 J'ai lu qu'un jeune disait "oui, c'est autant payé qu'un vendeur chez Castorama", sauf que la différence c'est que lorsqu'on est éducateur de rue,
26:44 on travaille souvent la nuit dans des milieux difficiles, parfois hostiles, où il faut vraiment aller travailler.
26:51 Ce n'est pas évident. On peut parler d'une crise de vocation pour le métier dont on parle aujourd'hui ?
26:56 On peut parler d'une crise de vocation. Et pour l'instant, les réponses des autorités ne sont pas là.
27:00 Elles sont encore attendues. Effectivement, le Livre blanc a été remis en décembre.
27:03 On n'a pas eu de réponse à ce stade des ministres concernés.
27:07 S'il y a du changement de gouvernement, on peut espérer peut-être des nouvelles réponses, une reprise en main peut-être de ces dossiers.
27:14 Mais pour l'instant, on attend.
27:17 Alors, trop haute spécificité de ce métier des éducateurs spécialisés et des associations qui emploient ces éducateurs,
27:25 c'est qu'elles sont financées par les départements. C'est totalement décentralisé.
27:29 Il y a une différence notoire entre les différents départements et la politique de ces départements vis-à-vis de ces associations ?
27:36 Tout à fait. Alors, effectivement, déjà dans les textes, on voit que la prévention spécialisée doit être mise en œuvre dans les territoires à risque d'inadaptation sociale.
27:47 Donc, peut-être qu'en Corrèze, on est peut-être moins directement concernés qu'en Seine-Saint-Denis.
27:52 Néanmoins, je crois qu'à ce stade, on a 17 départements dans lesquels il n'y a pas de prévention spécialisée.
27:59 C'était aux dernières journées du CNLAPS que ça a été mentionné. 17 départements.
28:04 C'est la fédération, je le rappelle, que vous représentez.
28:07 Mais, effectivement, il y a de toute façon ici et là des départements qui décident d'arrêter de financer ça.
28:13 Tout le drame de la prévention spécialisée, c'est aussi qu'elle agit dans l'ombre.
28:18 Elle agit discrètement avec le principe de libre adhésion, du secret professionnel, de la protection d'enfance, notamment.
28:25 Et donc, il est un petit peu dur après de rendre compte aux élus, voilà à quoi ça sert.
28:30 Pourtant, on a vu pendant les émeutes de cet été qu'il y a eu une vraie utilité aussi de ces équipes de prêve pour éteindre le feu, même si ce n'est pas leur rôle premier.
28:39 On a vu ici et là des éducateurs être très utiles pour calmer la jeunesse qui était dans les émeutes.
28:49 Et vous parlez bien évidemment des émeutes qu'a connues la France au printemps dernier, à la fin du mois de juin dernier, suite à la mort de jeune Naël,
29:00 tuée par un policier suite à un délit de fuite.
29:04 Bon, le financement par les départements, cette crise des vocations, tout ça est un peu lié.
29:12 Le financement par les départements, il y a des couleurs politiques qui, à vos yeux, suppriment les subventions de certaines associations plus que d'autres.
29:23 C'est comme ça que vous vivez les choses ? C'est compliqué ?
29:28 Non, la réponse est difficile parce que concrètement sur le terrain, je ne mettrai pas les extrêmes, mais dans ce qu'on pourrait appeler le spectre républicain,
29:41 il n'y a pas vraiment de règle. Il n'y a pas un mouvement de fonds qui pourrait faire dire "non, c'est plutôt la gauche qui finance".
29:52 Le soutien à la prévention spécialisée, c'est quand même plus une question d'hommes qu'une question de femmes, que de couleurs politiques.
29:59 On a travaillé dans des territoires gérés par la droite, on a eu d'excellentes relations avec les élus, et des territoires gérés par la gauche, on a eu des relations exécrables avec les élus.
30:17 L'inverse est vrai aussi. En tout cas, l'expérience, maintenant, me démontre que ce n'est pas qu'une question de couleurs politiques.
30:26 Sur la durée, vous dites aujourd'hui que la tendance est plutôt à la baisse des financements concernant vos associations respectives.
30:35 Ce sera la dernière question et votre dernière réponse.
30:38 Pas à Strasbourg, non. On est plutôt à l'inverse.
30:41 Plutôt à l'inverse, c'est plutôt une bonne nouvelle de votre côté ?
30:44 Alors nous, on s'appuie sur un cofinancement département et ville et territoire d'intervention.
30:49 Et les villes qui financent entre 20 et 30% de l'intervention auraient tendance à plutôt se retirer.
30:56 Donc on est dans des phases un peu de négociation pour à la fois maintenir les effectifs et voir en déployer sur des nouveaux territoires qui émergent en termes de difficultés.
31:11 Un grand merci vraiment à tous les trois d'avoir participé à cette émission.
31:15 J'ai dit en premier bulle qu'il y avait 65 000 environ éducateurs en France.
31:20 Et il y aurait 3 000 postes à pourvoir aujourd'hui à Pôle emploi concernant ces postes d'éducateurs, dont un certain nombre concernent des postes d'éducateurs de rue dont on a parlé ensemble dans cette émission.
31:32 Essayons aussi de créer des vocations, pourquoi pas, même si les salaires, on l'a dit, ne sont pas mis au bol.
31:38 Et les conditions de travail sont parfois extrêmement difficiles.
31:43 Et c'est pour ça que nous tenions aussi à rendre hommage à votre profession et à ces éducateurs de rue dans le cadre de cette émission Débat Doc.
31:51 Après ce documentaire que nous avons vu ensemble.
31:55 Vos réactions, ça sera sur #DébatDoc.
31:57 Merci à Selma Sally qui m'a aidé à préparer cette émission avec Sarah Udlin.
32:02 Prochain rendez-vous avec Débat Doc, ça sera tout simplement avec son documentaire et son débat.
32:08 A très bientôt.
32:10 [Musique]
32:24 Merci.
32:25 [SILENCE]

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