- 11/12/2023
Tour à tour héritier d’une fortune britannique, producteur de cinéma et même en bonne place à Wall Street, Christian Gerhartsreiter a endossé plusieurs rôles au cours de sa vie. Il s'est invité des personnalités différentes dans quatre états différents des Etats-Unis, jusqu'à la plus célèbre : Clark Rockefeller.
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00:00 Au cœur de l'été 2008, l'arrestation gênante d'un membre de la famille Rockefeller,
00:06 la lignée la plus puissante des États-Unis, fait la une des médias nationaux.
00:10 Clark Rockefeller a enlevé sa fille plusieurs jours avant que la chasse à l'homme ne
00:15 s'arrête.
00:16 De toute ma carrière, je n'ai jamais vu une affaire comme celle-ci.
00:20 Sauf que l'histoire ne s'arrête pas à un simple divorce qui tourne mal.
00:26 L'arrestation fait éclater un énorme scandale, une imposture qui a duré plus de 30 ans,
00:31 doublée d'un meurtre au premier degré.
00:33 On ne sait pas qui est cette personne, mais ce n'est pas Clark Rockefeller.
00:39 C'est un homme dangereux, dangereusement intelligent.
00:43 Cet homme a emprunté de multiples identités pendant plusieurs décennies.
00:49 Il s'est inventé des personnages haut en couleur, à l'image des plus grands héros
00:53 de fiction.
00:54 Il a utilisé le nom de Christopher Crow dans le comic Ticket et à New York.
00:59 Il a utilisé le nom de Christopher Schuster en Californie.
01:03 Et il était connu ici, en Nouvelle-Angleterre, sous le nom de Clark Rockefeller.
01:07 Il est Gatsby le magnifique, il est le talentueux Mr. Ripley.
01:13 C'est le plus grand imposteur de notre époque.
01:16 C'est quelqu'un qui est sujet à un trouble de la personnalité très complexe, qui a
01:22 trait au narcissisme et à la sociopathie.
01:26 Un sociopathe pour certains, un génie pour d'autres, doté d'un don d'imitation
01:31 et d'une intelligence surdéveloppée.
01:33 Ses amis les plus proches témoignent de cet incroyable pouvoir d'intrusion.
01:38 Il a sonné à ma porte et il s'est imposé dans ma vie.
01:46 Plus ses mensonges étaient gros, plus ses histoires étaient folles, et plus il était
01:50 convaincant.
01:51 Mais derrière ce regard inquiétant se cache un Allemand passionné de cinéma et fasciné
01:58 par l'Amérique.
01:59 C'est l'histoire d'un adolescent déterminé à vivre des aventures rocambolesques et
02:05 à faire de sa vie un film digne des plus grands classiques hollywoodiens.
02:08 Un conte moderne dans lequel tous les personnages sont interprétés par la même personne.
02:14 Une plongée noire dans une Amérique de faux-semblants et d'apparences trompeuses.
02:19 Il a essayé d'être quelqu'un d'autre, c'est ça le rêve américain.
02:25 À travers quatre états, d'est en ouest, nous avons rencontré les personnages de cet
02:30 étrange scénario.
02:31 Ses amis proches Walter Kern et Martha Henry.
02:36 Le procureur et le détective privé au cœur de cette enquête singulière.
02:39 Ses anciens voisins, des témoins clés.
02:42 Tous ont un point commun, avoir été trompés par la seule et même personne.
02:47 Lorsque Christian, le petit allemand plein d'imagination, devient Clark, l'un des
02:52 plus grands imposteurs de tous les temps.
02:54 C'est cette histoire qu'ils vont nous raconter.
02:57 (Générique)
03:26 Le vrai nom de Clark Rockefeller est Christian Gerhardt Reiter.
03:31 Il vient de Bergen, un tout petit village au pied des Alpes bavaroises en Allemagne.
03:36 Il naît le 21 février 1961 dans un pays encore blessé par la guerre, peinant à se
03:42 reconstruire.
03:43 Plus de 30 ans plus tard, Walter Kern deviendra son meilleur ami sans jamais rien savoir
03:49 de sa véritable identité.
03:50 Il a depuis retracé le passé et le parcours du faux Rockefeller.
03:57 Cette ville allemande était une petite ville catholique, très rurale et très pauvre.
04:04 Sa famille a toujours vécu dans ce village et n'en est jamais vraiment sorti.
04:10 Frank Girardo est journaliste, spécialiste de l'affaire.
04:14 Il rencontrera l'imposteur après le procès.
04:17 Son père était peintre, sa mère femme au foyer.
04:22 Christian était un enfant surprotégé par sa mère.
04:26 Enfant, Christian s'ennuie.
04:29 Solitaire, dans cet environnement isolé, il s'invente un monde imaginaire.
04:34 L'Allemagne subit alors une américanisation grandissante.
04:40 Dans son quotidien, la culture yankee est omniprésente.
04:44 Il a grandi à une époque où le monde est devenu à la portée de tous.
04:51 Après la seconde guerre, la télévision, la musique, la culture américaine sont devenues plus accessibles.
04:58 Ça l'a transformé.
05:01 Pour lui, l'Amérique est une terre de fantasmes, un pays puissant qui a gagné la guerre
05:07 et qui a fait de l'Allemagne le pays faible.
05:10 Il m'a dit que l'Allemagne était un pays vraiment déprimant.
05:15 Il a grandi dans la peur que la Russie les attaque à tout moment.
05:22 Je pense qu'il voyait l'Amérique comme une terre de promesses, le glamour, l'argent, la réussite.
05:29 Et puis un jour, en 1977, il fait une rencontre décisive.
05:35 Faisant du stop, il croise par hasard la route d'un couple d'Américains qui évoque leur pays aux mille opportunités.
05:44 Sans attendre, il fait sa valise et quitte son village natal,
05:49 laissant derrière lui sa famille, pour toujours.
05:55 Il y a un terme médical pour ça.
05:59 On appelle ça « dissociation ».
06:02 C'est une forme de déconnexion psychologique et émotionnelle et de déni du passé.
06:08 C'est comme si une partie de la personnalité du sujet avait été refoulée dans un compartiment verrouillé à jamais.
06:19 À seulement 17 ans, son rêve américain est à portée de main.
06:24 [Musique]
06:34 Nous sommes en 1978.
06:37 Christian vient d'atterrir dans le Connecticut, à Berlin, une petite ville typiquement américaine.
06:46 Les maisons sont à l'identique, bien alignées dans des allées mornes et ordonnées.
06:54 Grâce à un programme d'échange scolaire, Christian séjourne chez les Savio, une famille d'accueil.
07:00 Ici, il espère vivre comme un parfait petit américain.
07:04 Les Savio sont une famille américaine tout ce qu'il y a de plus normal.
07:08 Un papa, une maman qui travaille.
07:11 Ce n'était pas un scénario à la hauteur de l'histoire qu'il voulait se raconter.
07:21 Les gens qui sont extrêmement narcissiques ou égoïstes,
07:25 veulent flatter leur ego et maximiser leur importance dans le monde.
07:34 Ils sont souvent faibles, fragiles et inadaptés.
07:40 Ils utilisent leur tendance narcissique comme un moyen de défense.
07:47 Christian passe son temps devant la télévision.
07:51 À travers le petit écran, le jeune homme découvre une autre Amérique.
07:56 Une Amérique de la culture de masse et du divertissement.
08:07 En 1978, le meilleur véhicule de la culture américaine était la télévision.
08:12 La plupart des chaînes diffusaient ces vieilles comédies, des sitcoms.
08:21 Il a étudié tous ces personnages de séries et a appris à parler comme la classe bourgeoise américaine.
08:28 Il travaille son accent et apprend à imiter les personnages de ces séries.
08:36 Au lycée de la ville, il observe et calque son comportement sur son entourage.
08:42 Peu à peu, Christian disparaît pour laisser place à Chris,
08:46 un adolescent américain excentrique aux multiples personnalités.
08:51 Ce qu'on pouvait remarquer en discutant avec lui,
08:55 c'est qu'il s'entraînait à imiter différentes voix et personnalités.
09:02 Des témoins ont expliqué qu'ils l'ont vu se transformer en un nouveau personnage,
09:09 juste sous leurs yeux.
09:14 C'était la première étape d'un long processus de transformation vers la personne qu'il allait devenir.
09:22 Après un an passé dans le Connecticut, Chris veut se consacrer à sa passion,
09:27 le monde du faux-semblant et de l'illusion, le cinéma.
09:32 En 1979, il quitte le Connecticut et s'inscrit dans une université à Milwaukee, dans le Wisconsin.
09:45 À la fac, il étudie les grands films classiques, ceux d'Alfred Hitchcock ou Orson Welles.
09:51 Un genre le fascine plus particulièrement, le film noir.
09:57 Dans son esprit, il se voyait comme une star de cinéma ou un réalisateur,
10:03 quoi qu'il en soit participant à la créativité d'une culture qu'il aimait.
10:16 Le film "Le criminel", réalisé par Orson Welles, raconte l'histoire d'un Allemand qui arrive dans le Connecticut,
10:23 tout comme Clark,
10:26 et qui prétend venir de la classe bourgeoise américaine, tout comme lui.
10:32 Je sais au fond de moi que Clark a vu ce film et qu'il l'a étudié.
10:43 Étrange ressemblance entre cette fiction et le destin du futur imposteur.
10:49 Comme dans le film, Chris est prêt à tout pour vivre aux États-Unis.
10:53 En 1981, il trouve la solution.
10:57 Il paie une étudiante, Amy Jershild Dunk, et la persuade de se marier avec lui.
11:03 Ce mariage blanc et son ticket d'entrée pour rester temporairement sur le sol américain,
11:08 la meilleure façon d'obtenir une carte verte.
11:11 Si une personne immigrée épouse un citoyen américain,
11:16 le gouvernement lui donnera la permission de rester.
11:19 Et ici, cette permission, c'est la carte verte.
11:23 Si votre droit d'être sur le territoire est contesté,
11:27 il vous suffit de grandir votre carte verte.
11:31 Dès le lendemain de son mariage, Chris quitte Milwaukee et ne reverra plus jamais sa femme d'un jour.
11:38 Amy, un peu lassée d'attendre, divorcera 11 ans plus tard, en 1992.
11:44 Chris, lui, est parti tenter la grande aventure.
11:50 Les palmiers, la côte ouest, le soleil californien.
11:55 Prêt à créer sa première imposture.
12:05 En 1981, il s'installe sur la côte ouest.
12:09 Et Chris, qui n'a pourtant pas un sou en poche, choisit la banlieue la plus riche de Los Angeles.
12:14 San Marino.
12:16 Des familles richissimes, des fils d'œufs haut placés et des retraités fortunés.
12:29 Le quartier est à la hauteur de ses espérances.
12:32 San Marino, c'est l'Amérique somptueuse de ses fantasmes.
12:36 San Marino, de toutes les communautés autour de Los Angeles,
12:42 est l'une des plus conservatrices, traditionnelles, aristocrates et prétentieuses.
12:47 Je pense qu'il était très à l'aise avec ce genre de personnes de la haute bourgeoisie.
12:56 Il pense mériter cette vie bourgeoise.
13:00 Mais pour le moment, Chris n'est personne.
13:03 Il applique alors la même méthode qu'à Berlin,
13:07 observer méticuleusement les habitants et imiter leur mode de vie.
13:11 Christian a découvert, en écoutant les gens,
13:20 qui avait certains problèmes, qui avait beaucoup d'argent,
13:23 qui avait un mariage difficile.
13:27 Et il utilisait ces informations pour renforcer son imposteur.
13:31 Il agissait comme un acteur, avec des méthodes de comédien.
13:39 Cette méthode qui consiste à regarder quelqu'un pour devenir quelqu'un.
13:43 Il était très bon pour ça.
13:46 Naît alors son premier personnage, Christopher Chichester, un aristocrate anglais.
13:54 Pour tester cette nouvelle identité,
13:57 il pousse la porte du coiffeur de la ville, Jan Elgnor.
14:01 Un personnage haut en couleur, une figure locale,
14:05 très au courant de tous les commérages du coin.
14:08 Il est venu me voir, on a commencé à parler,
14:17 et il m'a dit qu'il s'appelait Christopher Chichester, qu'il venait d'Angleterre.
14:24 Oh, il avait une carte de visite, très belle, très bien imprimée, de qualité.
14:31 Il avait obtenu de la royauté anglaise.
14:35 C'était très impressionnant.
14:37 Jan connaît tout le monde ici, et surtout les hommes les plus fortunés.
14:42 Alors Christopher revient tous les jours chez lui.
14:45 Ici, le café est gratuit, et les clients sont curieux d'en savoir plus
14:50 sur ce nouvel aristocrate fraîchement débarqué en ville.
14:54 Il s'asseyait derrière, buvait mon café et lisait le journal.
15:02 Mon client suivant arrivait, et il commençait à lui faire la conversation,
15:07 lui demandant dans quel genre de business il pouvait faire.
15:11 Celui-là lui répondait qu'il était docteur orthopédiste.
15:15 Et Christopher Chichester devait lire beaucoup,
15:19 parce qu'il pouvait parler de tout, de matériel, de nouvelles techniques de chirurgie.
15:25 Et le docteur était très impressionné par ce jeune homme, qui en connaissait autant.
15:36 Pour maîtriser cet art de la conversation, Chris passe son temps dans cette bibliothèque
15:41 où il peut tout étudier sans dépenser un seul dollar.
15:45 Il élargit ses connaissances à une vitesse spectaculaire.
15:49 Il étudiait les méthodes pour devenir un aristocrate cultivé et intelligent.
16:03 Très vite, sa méthode fonctionne.
16:06 Tous ont entendu parler de ce très jeune aristocrate, héritier d'une grande lignée anglaise.
16:12 Il se fait une place de choix ici au Rotary Club, auprès des hommes,
16:16 puis dans l'église, où il rencontre leur femme.
16:20 Pour arriver à ses fins, il mise tout sur une séduction un peu désuète.
16:31 Il avait seulement 23 ans, mais il agissait comme s'il en avait 40, 45.
16:38 Sa manière de parler, ses connaissances, il plaisait en particulier aux femmes, car il était poli.
16:46 Les profils sont tous les mêmes, des femmes d'un certain âge, fortunées et seules.
16:55 Il repère ses proies et laisse son charme exotique opérer.
17:00 Christian avait un don pour trouver les personnes qui se sentaient seules et délaissées.
17:11 Et il leur donnait beaucoup d'attention, et c'est comme ça qu'il fonctionnait.
17:18 Il s'intéressait aux gens mâles dans leur peau, et il s'intéressait aux gens qui étaient plus pauvres.
17:24 Et il savait les réconforter.
17:27 Pendant trois ans, personne ne sait où loge vraiment le faux aristocrate.
17:34 Mais une chose est certaine, son pouvoir de séduction lui permet de se faire entretenir.
17:40 Il enchaîne les conquêtes, des femmes crédules qu'il invite au restaurant,
17:44 ou lui prête parfois de l'argent, jusqu'à sa rencontre avec celle qui va lui permettre de s'installer pour de bon.
17:51 Elle s'appelle Didi Souris. Elle est en mauvaise santé, et surtout, elle vit seule dans cette grande maison.
17:58 Après avoir vécu dans plusieurs endroits proches de San Marino et Pasadena,
18:05 Clark rencontre Didi Souris, une femme âgée qui aimait beaucoup fumer et boire, et qui n'était pas en très bonne santé.
18:13 Elle avait une très grande maison où elle vivait seule.
18:17 Derrière, il y avait une maison plus petite pour les invités, et c'est là qu'il a aménagé.
18:23 En 1984, à 23 ans, il obtient son premier salaire en devenant aide à domicile,
18:33 et se rend irremplaçable auprès de Didi Souris, profitant de son compte bancaire.
18:39 Il a désormais du temps et de l'argent pour se consacrer à son rêve, se rapprocher d'Hollywood.
18:46 Il commence par UCLA, l'université de Los Angeles.
18:50 Avec un peu de culot, il réussit à fréquenter le meilleur cours de cinéma,
18:54 en se faisant passer pour un producteur d'une grande chaîne de télévision.
18:58 Un jour, Steven Spielberg vient diriger un atelier pour les étudiants. Il tente alors sa chance.
19:10 Il arrivait devant Spielberg et lui a dit "Je suis Christopher Schichester, d'Angleterre, de la BBC.
19:17 Je suis producteur. Oh, je suis impressionné, ravi de vous rencontrer.
19:22 J'ai toujours voulu vous rencontrer, Monsieur Spielberg."
19:25 Quelques semaines plus tard, se tenait la cérémonie des Oscars.
19:29 Schichester a appelé le bureau de Spielberg directement, et a demandé à Spielberg des invitations pour les Oscars.
19:38 Grâce à son faux statut de producteur, il obtient facilement les places pour les Oscars.
19:43 Le monde d'Hollywood est juste une question d'allure et d'audace.
19:48 Et dans ce domaine, le jeune Christopher n'a pas froid aux yeux.
19:52 Le monde du cinéma s'ouvre à lui, et tout semble se dérouler comme prévu.
19:57 Mais l'arrivée en 1985 de John Soyuz, le fils de Didi, va bouleverser les plans de Christopher.
20:03 Didi Soyuz avait un fils adoptif qui avait une vingtaine d'années, un peu plus âgé que Clark,
20:12 et qui s'était marié à une femme nommée Linda.
20:17 Un jour, le fils arrive, et il voit Schichester. Il lui dit "Qui es-tu ?"
20:26 Le couple l'a emménagé et écrit "Je suis Christopher".
20:30 Le couple l'a emménagé et Christopher n'a pas aimé ça.
20:35 Car maintenant que le fils est là, il se dit que si la mère meurt, il ne pourra récupérer ni l'argent, ni la maison.
20:44 Alors il se demande "Qu'est-ce que je dois faire ?"
20:48 Une nouvelle fois, la vie de Christopher va prendre une direction étrangement similaire à un de ses films préférés,
20:57 "La corde" d'Alfred Hitchcock.
21:00 Dans le film, deux amis réalisent le crime parfait en tuant l'un de leurs camarades.
21:12 Christopher est lui aussi bien décidé à se débarrasser de son rival.
21:24 Christopher a pris une batte de baseball ou un morceau de bois,
21:30 il a frappé le fils et il lui a ouvert le crâne en deux.
21:35 Il se débarrasse du corps de John Soyuz en l'enterrant dans le jardin, mais ne s'arrête pas là.
21:41 Après le meurtre, il va encore plus loin, s'inspirant d'une des scènes de "La corde".
21:52 Dans le film, les tueurs prennent la victime et la mettent dans un coffre.
21:57 Ils recouvrent le coffre d'une nappe et y servent le dîner à tous les convives d'une soirée,
22:03 ils ne savent pas qu'il y a un corps dans le coffre.
22:06 Après avoir tué John Soyuz, l'avoir découpé et enterré dans le jardin,
22:13 Christopher a organisé une fête juste au-dessus de sa tombe.
22:18 Je suis sûr qu'il s'est senti extrêmement puissant et supérieur,
22:22 et que ce secret lui a donné un plaisir malsain.
22:26 Pour assurer ses arrières, il fait croire que le couple a pris la fuite.
22:32 Il propage la rumeur avant de disparaître un mois plus tard.
22:36 Didi était très vieille et il ne lui restait sûrement plus longtemps à vivre.
22:46 Il l'a persuadé que ses enfants l'avaient abandonné.
22:49 Et il s'est accaparé le rôle du nouveau-fils.
22:53 Et il l'a convaincu de lui donner de l'argent.
22:58 Linda, la femme de John Soyuz, disparaît elle aussi.
23:02 Pour certains, elle aurait été assassinée en même temps que son mari,
23:06 mais son corps n'a jamais été retrouvé.
23:09 Pour d'autres, elle aurait fui avec Christopher.
23:13 Une chose est certaine, elle ne sera jamais retrouvée.
23:16 Christopher, lui, ne reviendra plus en Californie.
23:20 Désormais, c'est dans la vie réelle, en multipliant les rôles de composition,
23:25 qu'il va combler ses désirs de cinéma.
23:27 Il s'envole pour la côte Est,
23:30 bien déterminé à rejoindre le centre du pouvoir et de l'argent aux États-Unis.
23:35 New York.
23:38 En 1987, Christian a 26 ans.
23:42 Il découvre cette ville qu'il ne connaît qu'à travers le cinéma.
23:45 Les ponts, les tours, ce monde qui grouille.
23:47 Ses vies et ses métiers si différents.
23:49 En arrivant à Manhattan, il peut devenir qui il veut.
23:53 Il lui suffit de choisir.
23:55 Nous sommes dans les années 80,
23:59 décennie qui a vu les valeurs du travail et du mérite personnel
24:02 disparaître peu à peu devant l'argent facile
24:04 et les signes de réussite clinquants.
24:06 Si vous portez les bons vêtements,
24:11 et que vous parlez avec le bon accent,
24:13 et si vous avez des biens,
24:16 les bonnes peintures sur le mur,
24:18 les objets de valeur qu'il faut dans le salon,
24:20 personne ne verra la différence.
24:24 Comme le veut l'adage,
24:26 l'habit fait le moine.
24:28 Chris profite de cette période propice aux faux-semblants
24:31 pour se fondre dans le décor.
24:33 Il se perd dans le sud de Manhattan,
24:36 au milieu des buildings écrasants de Wall Street.
24:39 La main imposante de George Washington
24:41 symbolisant la pleine puissance économique du pays.
24:43 Ronald Reagan est encore au pouvoir.
24:46 La croissance américaine ne s'est jamais aussi bien portée.
24:49 Wall Street est le nouvel Eldorado à portée de tous.
24:53 Wall Street, surtout à cette époque,
24:58 dans l'industrie de la finance,
25:02 était une sorte de club.
25:08 Il y avait surtout des protestants,
25:10 des gens de la côte Est,
25:12 et pas de n'importe quelle famille.
25:14 C'est ce milieu qu'il choisit d'infiltrer.
25:16 Il côtoie ces jeunes friquets de bonne famille.
25:19 Ils observent, les imitent,
25:21 et travaillent les détails.
25:23 Son nouveau personnage sera Christopher Crowe,
25:25 un ancien producteur de cinéma aux allures de millionnaire,
25:28 prétendument qualifié pour jouer avec les chiffres.
25:31 Il y a des preuves qu'à une ou deux reprises,
25:37 il s'est fait passer pour un courtier.
25:39 Notamment une fois, à la Bourse de New York,
25:43 où il a utilisé une autre identité.
25:46 En réalité, il ne connaissait rien à la Bourse.
25:51 Il n'a jamais été à l'université,
25:55 il n'a jamais étudié la finance ni les affaires.
25:57 Mais en se faisant passer pour cette personne raffinée
26:04 et en adhérant à certains clubs,
26:06 il a réussi à obtenir ces boulots.
26:08 Sans aucune expérience ni qualification,
26:12 il disparaît dans l'anonymat des bureaux de Wall Street.
26:15 Après avoir de nouveau séduit la bonne personne,
26:18 il est même employé comme responsable dans une banque.
26:21 Il dirige une équipe de 15 personnes,
26:24 gagne 13 000 dollars par mois,
26:26 sans éveiller le moindre soupçon.
26:29 Son personnage Christopher Crowe est une réussite.
26:34 Beaucoup de personnes avec ces caractéristiques
26:37 ont un quotient intellectuel très élevé,
26:40 une intelligence et des capacités à lire et à apprendre très vite.
26:46 Christopher réussit pendant deux ans ce petit jeu du faux trader,
26:50 avant de quitter le milieu de la finance
26:52 pour un univers plus grandiose encore.
26:54 Après Hollywood et Wall Street,
26:59 Christian a la folie des grandeurs.
27:02 Il veut devenir l'un des hommes les plus importants d'Amérique.
27:05 Et aux États-Unis, l'emblème de la surpuissance,
27:09 c'est la famille Rockefeller.
27:11 Nous n'avons pas d'aristocratie aux États-Unis,
27:17 mais ce que nous avons, ce sont des gens très très riches,
27:20 qui se sont fait des tonnes d'argent,
27:23 particulièrement il y a plus d'un siècle,
27:27 avec les chemins de fer et les banques,
27:29 des choses comme ça.
27:31 Et les Rockefeller signifient argent et pouvoir.
27:34 Dans un sens, un peu comme le fantasme d'Hollywood ou de Wall Street,
27:40 il y a aussi le fantasme des Rockefeller.
27:43 Et c'est compréhensible pour quelqu'un venu de nulle part
27:46 et essayant de se forger une nouvelle identité
27:49 dans la société américaine.
27:51 Rockefeller, à la simple prononciation de ce nom,
27:57 les portes s'ouvrent.
27:59 À 28 ans, il peaufine ce dernier personnage, son chef-d'œuvre.
28:03 Pendant des mois, il se glisse peu à peu dans la peau de ce nouvel avatar.
28:08 Il soigne son apparence comme il ne l'avait encore jamais fait,
28:13 lisant et relisant un livre de bonne manière,
28:16 sa bible personnelle, le "Preppy Handbook".
28:19 C'est une bible qui montre à la plupart des gens
28:26 comment bien s'habiller et comment parler
28:29 comme quelqu'un de la haute bourgeoisie,
28:32 mais sur le ton de la blague.
28:34 Mais il a étudié ce livre, j'en suis convaincu.
28:41 Il a utilisé toutes les astuces du livre.
28:45 Il remontait le col de son polo,
28:47 il ne portait pas de chaussettes dans ses mocassins,
28:50 il portait un certain type de pantalon, un certain type de chapeau.
28:53 Je pense qu'il a utilisé ce livre comme une référence.
28:56 Il ne se contente pas de créer une identité,
29:04 il invente tout un passé, réunissant des détails crédibles,
29:08 de sa date de naissance jusqu'au prénom.
29:11 Il a étudié l'apparence des Rockefellers.
29:19 Il portait le même type de lunettes qu'eux.
29:22 James Frederick Clark Rockefeller est né.
29:28 Son plus grand personnage, son meilleur.
29:32 Il emménage à Manhattan, sur la 57e avenue,
29:38 dans cet immeuble assez modeste à l'époque,
29:41 mais parfait pour commencer sa nouvelle vie de jeune héritier.
29:46 Martha Henry est sa voisine de palier.
29:49 Lorsqu'elle voit arriver ce jeune Rockefeller,
29:51 elle est aussi surprise que charmée.
29:54 Il sonne à ma porte et se présente.
30:00 J'entends que vous aimez bien ce genre de musique,
30:03 et j'ai des CD que vous pourriez apprécier.
30:05 Tout cela est vraiment très inhabituel à New York.
30:09 Personne ne frappe à la porte des gens pour se présenter.
30:13 Il ne se présente pas.
30:15 Je me suis demandé s'il débarquait ou s'il était juste sympathique et naïf.
30:21 Je ne savais pas quoi penser.
30:25 Martha est vendeuse d'art à New York.
30:30 Une aubaine pour Clark,
30:32 qui voit là un excellent moyen de s'introduire dans le milieu des collectionneurs.
30:35 Un jour, Martha voit arriver son voisin,
30:38 qui lui propose de venir évaluer quelques toiles de maître,
30:40 exposées dans son salon.
30:42 Un mondrian, un rotko ou encore un pollock.
30:46 Je lui ai demandé d'où viennent ces toiles.
30:52 Et il m'a répondu ma grand-tante Blanchette a fondé ce petit musée sur la 53ème rue,
30:58 le MoMA, et elle me les a laissées.
31:01 Il m'a semblé qu'entre le moment où elle était décédée
31:05 et celui où il avait hérité de ses tableaux,
31:07 cela pouvait être plausible.
31:10 Comme Martha, ils sont beaucoup à avoir vu ces tableaux.
31:13 Walter Kierne, qui le rencontra bien plus tard,
31:17 se souvient du même appartement,
31:19 des mêmes toiles et des anecdotes extraordinaires qui les accompagnent.
31:23 C'était de grandes toiles posées contre le mur.
31:29 Et Clark m'a dit,
31:31 « Tu sais comment Mark Rotko est mort ?
31:33 Il s'est suicidé, il s'est ouvert, il a fait un suicide.
31:38 Il s'est suicidé, il s'est ouvert les veines dans son studio. »
31:41 Puis il a pointé une toile du doigt.
31:46 Tu vois ces petites taches marron sur la toile ?
31:48 C'est le sang séché de Mark Rotko avant qu'il ne meure par terre.
31:56 Vous voyez ? Quelle histoire !
32:00 Ce mec avait un sacré culot, il était courageux.
32:06 Il racontait des histoires qui auraient pu faire rire n'importe qui.
32:10 Mais il le faisait avec une telle passion et une telle confiance
32:15 que vous y croyez.
32:16 Vrai ou faux tableau, le mystère reste entier.
32:20 À l'époque, le marché de l'art est un peu opaque
32:23 et chacun y va de sa théorie sur la provenance de ces toiles.
32:26 Il y avait un type, un Chinois,
32:32 qui vivait dans le Queens et qui était capable de reproduire
32:35 des Rotko, des Pollock.
32:37 On pouvait facilement les obtenir par consignation ou sur approbation,
32:44 surtout si quelqu'un pense que vous êtes un Rockefeller.
32:47 Vous arrivez dans une galerie, vous aimez une toile en particulier,
32:51 bien sûr que la galerie va vous laisser emporter la toile.
32:54 Ça ne veut pas dire que ces toiles lui appartenaient.
32:57 Cela aurait très bien pu être un prêt.
33:01 Au début des années 90, New York voit exploser le marché de l'art.
33:05 Tout le monde a eu vent de ce Rockefeller qui dit commencer une collection,
33:10 mais bizarrement, personne ne parvient à lui faire acheter
33:13 la moindre toile de maître.
33:15 Martha Henry a elle aussi tenté de convaincre son voisin
33:20 de lui acheter une toile de Mondrian.
33:22 Nous regardions les toiles et il m'a dit
33:26 « Je ne peux pas acheter ces tableaux. »
33:29 Je lui demandais « Et pourquoi ? »
33:31 Il me répond « Parce que c'est vert. »
33:34 Et je lui dis « Mais de quoi tu parles ? Cette couleur, c'est bleu. »
33:39 La couleur était turquoise à vrai dire.
33:42 Et il lance « Mondrian n'aurait jamais utilisé ce vert. »
33:47 Je me dis « Ce gars est fou. »
33:50 Et je n'ai pas conclu la vente.
33:52 En 1990, la moindre toile de mon voisin
33:57 n'a pas fait la vente.
33:59 En réalité, Clark n'a pas assez d'argent.
34:02 Tout ce petit jeu sert uniquement à alimenter la rumeur autour de lui.
34:06 Comme à San Marino en Californie,
34:08 il est encore à la recherche d'une femme
34:10 qui pourrait lui offrir la vie aisée d'un vrai Rockefeller.
34:13 Un soir chez des amis, il rencontre Sandra Boss,
34:17 une jeune femme fraîchement diplômée de Harvard
34:20 et promise à une grande carrière dans la finance.
34:24 Sandra avait une sœur et il sortait avec la sœur
34:27 avant de se tourner vers elle.
34:29 Je pense qu'il se servait de sa sœur
34:34 pour se renseigner sur les goûts de Sandra,
34:37 pour ainsi provoquer leur rencontre,
34:40 lui montrer qu'il la connaît vraiment
34:45 et qu'ils sont faits l'un pour l'autre.
34:47 L'opération séduction fonctionne.
34:53 En 1993, Clark a 32 ans
34:55 quand il demande la main de sa nouvelle petite amie.
34:58 Il n'a pas de papier d'identité à son faux nom,
35:01 alors il trouve une astuce
35:03 et célèbre son union dans le Nantucket.
35:05 Lors d'une cérémonie Quaker,
35:07 un mouvement religieux peu regardant
35:09 sur les formalités administratives,
35:11 le mariage est prononcé sans prêtre ni famille proche.
35:14 Une femme d'affaires,
35:20 travaillant pour une compagnie internationale
35:22 qui gagnait beaucoup d'argent.
35:24 À cette époque,
35:25 Sandra gagnait plus d'un million de dollars par an.
35:28 Le couple s'installe à deux pas de Central Park.
35:32 Clark vit maintenant comme un vrai Rockefeller.
35:35 Les œuvres d'art sont désormais faciles à acquérir.
35:40 Sandra entretient son mari,
35:42 qui ne conduit pas,
35:43 ne paye pas au restaurant
35:45 et n'a jamais d'argent sur lui.
35:47 Pourtant, tout cela ne soulève aucune suspicion
35:50 auprès de ses proches.
35:52 Vous pouvez aller dans des clubs privés à New York
35:56 ou dans des hôtels comme le Carlyle,
35:58 que les célébrités fréquentent
36:00 car le personnel y est vraiment discret.
36:02 Vous pouvez très bien être Clark Rockefeller,
36:08 être dans la même pièce que David Rockefeller,
36:11 et personne ne viendra jamais vous dire
36:13 « Monsieur Rockefeller, votre oncle est ici ».
36:17 Il était installé à une table près de la fenêtre,
36:21 très haut dans un bâtiment qui surplombait tous les autres.
36:25 Après le repas, il a désigné un bâtiment du doigt et a dit
36:28 « Tu sais, cet endroit appartient à ma famille,
36:31 c'est le Rockefeller Center.
36:33 Tu voudrais venir avec moi le visiter ce soir ?
36:36 J'ai une clé dans ma poche. »
36:38 Et je me suis dit « Comment c'est possible ? »
36:42 qu'il n'y ait qu'une clé pour entrer dans ce bâtiment.
36:45 Je n'ai jamais vu la clé, mais c'était un magicien.
36:49 En tapotant sa poche, il m'a fait croire qu'il avait une clé.
36:53 C'était un vrai illusionniste.
36:55 Cette vie luxueuse dans le New York chic va durer cinq ans,
37:00 mais Clark s'ennuie.
37:02 Toujours inspiré par son livre, le Preppy Handbook,
37:06 il veut maintenant faire un travail de créateur.
37:09 Comme s'il voulait mettre une touche finale à son personnage de wasp,
37:13 riche et élégant.
37:15 En 1998, à 37 ans, il change une nouvelle fois de vie.
37:21 Il convainc sa femme de s'établir à deux heures de route de New York,
37:25 dans le New Hampshire.
37:27 Corniche.
37:36 Des grands espaces, des paysages enneigés et un silence religieux.
37:42 Dans ce décor placide, le couple trouve cette imposante maison coloniale.
37:53 Perdue au milieu d'une nature un peu inquiétante,
37:56 elle surplombe la rivière.
37:58 Le premier voisin est à plusieurs kilomètres.
38:01 C'est un peu comme un peu de la vie.
38:04 Mais à plusieurs kilomètres.
38:06 C'est un village paisible, de 1600 habitants, sans histoire.
38:11 Clark reprend ses habitudes.
38:15 Il tente des approches de séduction auprès de ses voisins.
38:19 En commençant par John Hammond, le forgeron de la ville.
38:23 Il voulait faire du cidre.
38:30 Chaque automne, je fais moi-même du cidre.
38:34 C'est comme ça que je l'ai rencontré.
38:37 Je lui en ai fait goûter et on a parlé de pommiers.
38:41 Mais ici, à Corniche, dans ce paysage qui n'est pas sans rappeler sa ville natale,
38:46 quelque chose ne fonctionne pas.
38:49 Son mode opératoire habituel semble ne pas prendre sur les habitants.
38:54 Dans cette ville, on s'offiche de qui tu es,
38:58 mais on s'intéresse à ce que tu fais.
39:01 Les gens ne sont pas intéressés par votre argent ni par votre réputation.
39:05 Est-ce que vous êtes un bon voisin ? Est-ce que vous êtes agréable ?
39:09 Est-ce que vous participez aux activités de la communauté ?
39:12 Clark essaye de s'adapter, mais ses manières ne passent pas.
39:19 Par exemple, lors d'une assemblée municipale,
39:23 il propose de régler des travaux pour la ville qui s'élève à plus de 100 000 dollars.
39:27 Mais il met des conditions.
39:30 Clark s'est levé et il a annoncé
39:35 « J'aimerais signer un chèque pour la police municipale
39:39 à condition que la ville me cède l'église pour un dollar. »
39:43 « Ce n'est pas comme ça qu'on procède ici. »
39:51 Il voulait faire les choses à sa façon,
39:54 et si ça ne fonctionnait pas, il s'énervait.
39:57 Son accès de colère trahit ses premiers signes de faiblesse.
40:03 Dans ce petit village, dans cette Amérique reculée,
40:07 et pour la première fois depuis 30 ans, il perd le contrôle de la situation.
40:12 On pourrait émettre l'hypothèse que la situation à Corniche
40:19 était similaire à sa ville d'enfance,
40:22 parce que c'était une petite ville.
40:24 Bien souvent, les rêves les plus grandioses peuvent être percés à jour,
40:29 être détruits et s'effondrer comme un château de cartes.
40:34 Les voisins remarquent les comportements de plus en plus étranges du nouvel arrivant.
40:40 Un jour, ils se mettent à développer une obsession féroce pour la sécurité.
40:49 Il a acheté deux voitures de sécurité qui ressemblaient à des véhicules de police.
40:54 Il les a garées dans son allée devant la maison, il y a mis des mannequins.
41:00 Prise par son travail, Sandra Boss passe la plupart de son temps à Boston, non loin de là.
41:08 Clark, lui, passe des semaines entières seul dans l'immense maison.
41:12 Il devient très méfiant et paranoïaque.
41:17 Walter Kirn, qui lui rend visite au début des années 2000, découvre une maison à l'abandon,
41:22 aux allures de bunker et dans laquelle il vit presque reclus.
41:26 C'était une maison très particulière, un vieux manoir,
41:31 une grande maison ancienne en mauvais état et en travaux.
41:34 Il n'y avait pas de fenêtres, on aurait dit une maison hantée,
41:39 comme dans les contes d'horreur.
41:41 Elle était très sombre et très froide, quasiment vide.
41:46 Il ne finissait aucun projet, il passait de l'un à l'autre.
41:50 Les personnes atteintes de troubles de la personnalité de ce type
41:56 sont vulnérables et assujetties à une rupture émotionnelle ou physique.
42:03 Le 23 mai 2001, un événement va secouer son petit monde fictif.
42:09 À 40 ans, il devient papa.
42:13 Elle s'appelle Ray, il la surnomme Snook.
42:16 Elle devient ce qu'il a de plus cher au monde.
42:19 Il prenait vraiment soin de sa fille.
42:24 Il l'aimait, il la protégeait et passait beaucoup de temps avec elle.
42:28 C'était sûrement la première fois de sa vie qu'il aimait quelqu'un.
42:39 Pendant cinq ans, Clark élève sa fille quasiment seul.
42:43 Il est obsédé par son éducation et ses capacités intellectuelles.
42:48 Il la traitait un peu comme un singe savant.
42:56 « Viens là, montre-leur que tu sais parler, fais ci, fais ça. »
43:02 Il était clair qu'il n'était pas juste fier d'elle,
43:07 mais il lui avait appris des choses et il voulait la mettre en avant.
43:11 Pour lui donner la meilleure scolarité possible, le couple quitte Corniche en 2006.
43:19 C'est à Boston que va s'écrire la dernière partie de son aventure, rocambolesque.
43:24 Dans cette ville, une des plus anciennes du pays,
43:34 subsistent de nombreuses traces de l'époque coloniale,
43:37 imposant un cadre sévère et conservateur.
43:40 La famille Rockefeller s'installe dans une maison du quartier le plus chic de la ville, à Beacon Hill,
43:46 dans cette rue aux allures britanniques.
43:49 Ici, Clark vit une vie de père au foyer
43:56 et devient de plus en plus exigeant avec l'éducation de sa fille.
44:03 Si en apparence tout va bien, en réalité, le couple bat de l'aile.
44:07 Après dix ans de mariage, les premiers soupçons s'éveillent chez Sandra.
44:12 En 2007, elle fait appel à Frank Hrudevich,
44:21 un détective privé, pour préparer une demande de divorce.
44:24 Les premiers résultats de son enquête sont très étonnants.
44:28 On ne pouvait trouver aucune information sur Clark Rockefeller avant 1993.
44:33 En somme, il semblait être né à l'âge de 38 ans.
44:37 Il nous a dit qu'il était né le 29 février 1960 à New York.
44:42 Cela correspondait bien à un Rockefeller, mais ce n'était pas lui.
44:46 Clark, qui est au courant de l'enquête, tente de le mettre sur une fausse piste.
44:51 On a obtenu assez d'informations sur Clark Rockefeller,
44:55 ce qui nous a incité à continuer cette enquête.
44:58 Il avait toujours une réponse prête quand on le soupçonnait de mentir.
45:02 Mais malgré ses efforts, son imposture est en partie démasquée.
45:08 Sandra obtient très facilement le divorce et la garde exclusive de leur fille.
45:13 Elle veut être la seule à avoir la garde, et Clark est dévasté.
45:20 Elle est le centre de sa vie, la seule chose dans sa vie qu'il chérisse.
45:24 Et après le divorce, il me répétait sans cesse,
45:28 « Walter, je ne sais pas comment je vais continuer à vivre ».
45:32 Il aurait pu disparaître.
45:35 Il a obtenu de l'argent du divorce.
45:37 Il aurait pu aller n'importe où avec une nouvelle identité,
45:40 comme il souhaitait le faire avec sa fille.
45:42 Mais il a été séparé de sa famille.
45:46 Il aurait pu aller n'importe où avec une nouvelle identité,
45:49 comme il souhaitait le faire avec sa fille.
45:51 Mais il a choisi de revenir.
45:53 Il n'avait aucune raison de revenir.
45:55 Clark vient de perdre la garde de sa fille,
46:00 mais il lui reste une dernière carte à jouer.
46:02 Il doit bientôt revoir sa fille sous la surveillance d'un assistant social.
46:07 Seul, isolé pendant des semaines,
46:10 Clark planifie une à une les étapes de son plan.
46:14 Clark savait que ce jour allait arriver depuis des mois.
46:17 Et il a beaucoup préparé le terrain pour se créer une nouvelle identité.
46:24 Utiliser l'argent de Sandra pour se trouver une cachette à Baltimore.
46:32 Et fomenter un plan pour kidnapper sa fille.
46:40 À ce moment, il a vraiment présenté d'authentiques émotions humaines envers sa fille.
46:45 Au moment où son enfant faisait partie de l'équation,
46:53 le rêve d'Hollywood, de Wall Street,
46:56 et le désir d'être un Rockefeller ont été rompus.
46:59 Le 27 juin, Clark a déclaré son élection.
47:08 Le 27 juillet 2008, Clark retrouverait dans le lieu le plus ouvert de la ville,
47:13 le parc public de Boston,
47:15 posé au milieu des immeubles à la vue de tous.
47:18 Les enfants qui jouent, les coureurs habituels,
47:22 le jardin offre au père et à sa fille des retrouvailles joyeuses.
47:25 C'est ici, dans cet endroit paisible,
47:28 que Clark Rockefeller va commettre l'erreur
47:31 qui fera s'écrouler toute sa vie d'imposteur comme un château de cartes.
47:35 Les heures passent, et Clark attend un moment d'inattention de la part du surveillant.
47:40 Le moment venu, il n'a pas une seule hésitation.
47:50 Il a violemment poussé le superviseur par terre,
47:54 il a saisi Ray, et l'a embarqué dans un véhicule qui l'attendait.
48:04 Une première voiture, une deuxième.
48:07 En quelques heures, il atteint New York,
48:10 puis la ville de Baltimore.
48:12 Là-bas, un appartement et un bateau l'attendent au nom de sa nouvelle identité, Chip Smith.
48:17 Pendant plusieurs jours, il garde sa fille ici.
48:21 À Boston, le procureur Daniel Conley et le FBI sont en alerte maximale.
48:27 Ray, sa fille, était notre priorité.
48:32 On était inquiets qu'il fasse du mal à l'enfant.
48:35 Il avait eu un divorce difficile avec son ex-femme.
48:39 Sandra avait peur de lui,
48:42 et on le sentait d'une certaine façon capable de violence.
48:46 Son portrait est diffusé en masse.
48:52 Et alors que les autorités semblent avoir perdu sa trace,
48:58 un homme signale avoir reconnu le faux Rockefeller.
49:02 Le gérant d'un immeuble, où il avait récemment acheté un appartement,
49:08 a reconnu son visage.
49:10 Il n'a pas reconnu Clark Rockefeller, bien sûr, mais Chip Smith,
49:14 et a informé la police.
49:16 Il possédait un catamaran qui était amarré dans les environs,
49:20 et la ruse était de lui faire croire qu'il y avait un problème avec l'embarcation,
49:24 qu'elle prenait l'eau,
49:26 et de le faire ainsi sortir de chez lui.
49:29 Il laisserait probablement sa fille dans l'appartement.
49:32 Ainsi, on la récupérerait, et on arrêterait son père.
49:36 Il s'est rendu sans aucune violence, sans résistance.
49:40 Il a coopéré avec la police.
49:43 La police ne sait pas vraiment à qui elle a affaire,
49:47 mais les résultats des analyses d'empreintes vont vite révéler une identité.
49:54 Ils ont comparé ces empreintes avec la base de données nationale,
49:58 et ils ont trouvé des empreintes identiques.
50:01 Ce n'était pas celle de Rockefeller,
50:04 mais celle d'un certain Christian Karl Gerhardstreiter.
50:08 Il disait à la police, "Non, je ne suis pas Christian Karl Gerhardstreiter.
50:12 "Je me fiche de ce que disent les empreintes digitales.
50:15 "Je suis Clark Rockefeller."
50:17 Les gens dont la personnalité est structurée de cette façon,
50:21 dans ce genre de situation,
50:24 en viennent à croire indéniablement à leur histoire,
50:28 et peuvent même oublier tout ce qui s'est passé avant,
50:32 où ils ont grandi, d'où vient leur famille.
50:36 Clark Rockefeller, Christopher Crowe,
50:41 Chris Chichester, Christian Gerhardstreiter
50:45 sont la seule et même personne.
50:49 Pire encore, Clark est un imposteur,
50:52 mais également un meurtrier.
50:55 Le corps de John Soyuz a été retrouvé en 1995.
51:00 La police californienne recherche Chris Chichester depuis plus de 20 ans.
51:05 Lorsque les masques tombent, Walter Kirn est sous le choc.
51:10 Je vois la nouvelle, et le sol s'est dérobé sous mes pieds.
51:17 Je me suis effondré.
51:20 Je ne pouvais pas y croire.
51:25 Je me suis rendu compte que tout ce qu'il m'avait raconté était un mensonge.
51:30 Tous les moments passés ensemble étaient de la fiction.
51:34 Non seulement il m'avait trompé, non seulement il m'avait menti,
51:38 mais en plus, la personne que je croyais connaître
51:42 était probablement un monstre de cruauté et de violence.
51:47 Le 3 septembre 2008, après 30 ans d'imposture,
51:51 à 47 ans, Christian Gerhardstreiter est jugé ici à Boston
51:55 pour l'enlèvement de sa fille.
51:58 Il plaide la folie.
52:01 L'État a essayé de prouver qu'il ne souffrait d'aucune maladie mentale,
52:08 lui empêchant de distinguer le bien du mal.
52:11 Mais la Défense a appelé à la barre un expert qui a confirmé
52:15 qu'il ne pouvait pas faire la différence entre le bien et le mal.
52:19 Et de ce fait, il ne pouvait pas se conformer à la loi.
52:22 Finalement, le jury s'est rangé du côté du procureur
52:25 et a jugé qu'il était sain au moment des faits.
52:28 Il a ainsi déclaré coupable.
52:31 Il purge sa peine à Boston pendant 5 ans
52:35 avant d'entamer son deuxième procès pour meurtre en mars 2013.
52:39 Christian a maintenant 52 ans. Il est absolument seul.
52:44 Ses parents sont décédés et aucun membre de sa famille
52:47 n'a voulu venir le voir en prison.
52:50 Il est condamné à la peine maximale, prison à perpétuité.
52:54 Walter Kirn a suivi toute l'affaire,
52:57 mais il n'a pas obtenu toutes les réponses.
53:00 Après le procès, il rend visite à son vieil ami.
53:03 Le souvenir de sa dernière rencontre lui glace encore le sang.
53:11 Quel est ton secret pour amener les gens à croire à tes mensonges ?
53:15 Il m'a regardé et m'a dit...
53:21 Walter, c'est très simple.
53:23 L'orgueil, l'orgueil, l'orgueil.
53:26 Je t'ai simplement traité comme la personne que tu espères être,
53:32 mais qui, au fond, a peur de ne pas l'être.
53:38 Et tu es devenu accro à cette impression d'être important,
53:42 et tu penses qu'il n'y a que moi qui peux te procurer ce sentiment.
53:46 C'est pour ça que tu reviens toujours vers moi.
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