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00:08 Je suis Philippe Baumier, directeur aéronautique au sein de la direction technique et des programmes à l'ONERA,
00:18 qui est l'Office National d'Études et de Recherche Aérospatiale.
00:22 Quel a été votre parcours d'étudiant ?
00:26 J'ai une formation scientifique. Après un baccalauréat C, j'ai intégré les écoles préparatoires,
00:33 donc ma tuite MADSPE, et puis après avoir passé les concours, j'ai été admis à l'école centrale de Paris,
00:42 où j'ai poursuivi mon coursus ingénieur, avec une troisième année spécialisée en mécanique des structures.
00:52 Quel a été votre parcours professionnel à la suite de votre parcours d'étudiant ?
00:56 Mon parcours professionnel est assez simple, puisque j'ai directement après mes études frappé à la porte de l'ONERA,
01:05 et j'y suis resté. Ce parcours à l'ONERA a été ponctué par trois postes différents, trois phases.
01:13 J'ai commencé par mener des études et recherches pendant 13 ans dans le domaine de l'aérodynamique,
01:21 l'aérolasticité, l'aéroacoustique et les rotors d'hélicoptère.
01:25 Ensuite, j'ai eu la chance de diriger une équipe de recherche pendant 12 ans,
01:32 toujours dans le domaine de l'aérodynamique, mais en élargissant un petit peu le périmètre de mes compétences.
01:38 C'était des voilures tournantes au sens large, donc les hélicoptères, les hélices, les turbomachines.
01:44 Et puis, plus récemment, depuis 2-3 ans, j'ai intégré la direction générale au sein de la direction technique et des programmes.
01:54 Avez-vous une rencontre particulière durant votre carrière qui vous a influencé pour vous orienter par la suite dans une carrière liée à l'aéronautique ?
02:04 Des personnalités qu'on ne voit pas forcément dans le cadre de notre format d'éducation, dans les écoles d'ingénieurs ou autres ?
02:15 Oui, alors si j'avais un seul nom à citer, je citerais Jean-Jacques Philippe,
02:23 qui était le premier coordinateur hélicoptère à l'ONERA.
02:31 Dès que je suis arrivé à l'ONERA, il était déjà présent et qui a été le père des études et recherches sur les hélicoptères qu'il a dû lancer dans les années 50 à peu près.
02:44 C'est une forte personnalité, très connue de toute la maison, y compris des gens qui ne travaillaient pas sur les hélicoptères.
02:53 Il m'a influencé parce qu'il savait insuffler une motivation dans les équipes.
03:01 Il était tout au long de la hiérarchie, mais on le voyait tous les jours dans les bureaux.
03:06 Il n'avait qu'un seul objectif, c'était promouvoir la recherche, faire en sorte que les gens travaillent ensemble et aillent de l'avant.
03:14 Cela m'a vraiment donné l'envie de continuer dans le domaine de la recherche, dans l'aérodynamique en particulier, et sur les hélicoptères pendant 13 ans.
03:27 C'est quelqu'un qui a marqué ma carrière au moins à la limite.
03:32 Vous témoignez pleinement de votre passion pour les hélicoptères, et notamment le développement de projets avec le partenaire industriel d'excellence qui est Airbus Hélicoptères.
03:41 Pouvez-vous nous faire part d'un ou deux projets développés entre Lonerra et Airbus Hélicoptères ?
03:49 J'ai eu la chance de participer à un projet avec le recul qu'on peut considérer comme un projet phare, en coopération directe avec Airbus Hélicoptères,
04:02 sur le développement de rotors d'hélicoptères silencieux.
04:08 C'est une histoire qui remonte maintenant un certain nombre d'années, on ramène aux années 90,
04:16 lorsque Eurocopter, aujourd'hui Airbus Hélicoptères, est venu taper à la porte et nous voir Lonerra, le centre de recherche, et puis son équivalent européen, le DLR, en nous disant
04:29 "On fait des super hélicoptères, mais on a un problème, les rotors sont bruyants.
04:34 Dérouillez-vous, proposez-nous des concepts, dessinez-nous des rotors qui feraient deux fois moins de bruit que les rotors actuels."
04:42 On a commencé à se poser des questions, à mener des études, à écrire des équations, à développer des modèles, à imaginer des formes de pales,
04:54 en coopération entre les aérodynamiciens, les acousticiens, les gens de la mécanique des structures.
05:01 On a compris les phénomènes physiques qui étaient à l'origine du bruit, on en a déduit des formes de pales un petit peu tarabiscotées, enfin pas rectangulaires, mais à double flèche.
05:13 Ces pales, on les a conçues, on les a fabriquées, on les a testées en soufflerie, tout ça avec le regard bienveillant de l'industriel à côté,
05:23 qui n'était pas complètement partie prenante du projet, mais qui le regardait avec intérêt.
05:27 Et les essais qu'on a pu faire, grâce à nos moyens d'essai, nos grandes souffleries, ont démontré qu'effectivement ce concept permettait de réduire le bruit de 50%.
05:37 Donc ça a été le début de l'histoire. On a eu d'autres projets qui se sont poursuivis, ensuite en coopération entre Lonerra et Airbus Hélicoptères,
05:50 pour traduire ce concept sur un vrai hélicoptère qui vole, puisqu'en soufflerie on a passé des modèles réduits uniquement.
06:02 Et plus récemment, Airbus Hélicoptères a annoncé le développement de son futur appareil, successeur du Dauphin, le H160,
06:14 qui va être équipé de pales à double flèche, dites silencieuses, donc 50% de moins de bruit,
06:20 qui donc ont trouvé leur origine dans ce projet auquel j'ai eu la chance de participer.
06:25 Donc ça c'était une réussite, on est parti quelque part de la feuille blanche, et puis on va voir voler quelque chose avec du Lonerra Inside.
06:36 Et puis voilà, on est fiers de voir qu'il y a des débouchés tout à fait concrets aux études et recherches que l'on peut faire.
06:45 Alors ça c'est un exemple en droit de passé. Plus récemment, alors c'était pas Airbus Hélicoptères,
06:50 mais vous avez peut-être entendu parler de la démonstration de décollage et atterrissage faite par Airbus,
06:58 avec un avion automatique, donc basé sur des systèmes d'imagerie, avec du traitement d'images derrière, avec des techniques d'intelligence artificielle.
07:10 Et c'est des équipes de Lonerra qui ont travaillé en plateau, donc avec Airbus, pour arriver à faire cette démonstration.
07:17 C'était un exemple un peu plus récent, mais tout à fait emblématique aussi, et dont on est particulièrement fiers.
07:24 Est-ce que vous avez des projets à faire avec Lonerra ?
07:29 Oui, je crois qu'on est au cœur du métier de Lonerra. C'est-à-dire qu'on fait le pont entre des technologies à mon,
07:38 très très, enfin avec la science, entre guillemets, pure et dure, et puis le produit. On fait de la recherche appliquée, de la recherche finalisée.
07:46 C'est ça qui m'a plu quand je suis rentré à Lonerra, et je pense que c'est ça qui peut attirer des futures générations d'ingénieurs et chercheurs
07:55 qui ne manqueront pas de frapper à la porte.
07:58 Alors, dans le cadre de grands projets, quelles sont les grandes lignes qui permettent de passer de l'étape de concept innovant à celui de technologie industriale ?
08:11 Ah, ça c'est un vaste thème. La clé du succès, il me semble, et d'ailleurs c'est très bien illustré dans le projet dont je parlais,
08:24 le projet sur les pales d'hélicoptère, la Blue Edge, c'est d'avoir du début à la fin, dans tout ce processus de maturation technologique,
08:32 ensemble, le centre de recherche, les centres de recherche, les académiques et les industriels.
08:38 Alors avec des implications différentes en fonction de la maturité du projet.
08:42 Au début, forcément, c'est les centres de recherche qui vont travailler sur des concepts de base pour faire des démonstrations partielles.
08:49 Et à la fin, ça va être pris en main complètement par l'industriel parce que nous n'avons pas la vocation, nous, Lonerra, à faire voler un appareil, bien entendu.
08:57 Mais avoir l'industriel dès le départ, au moins en observateur d'un projet, c'est la garantie qu'ils vont être partie prenante et qu'à un moment donné,
09:10 il pourra y avoir un déclic qui va leur faire dire "Ah, là, il y a vraiment quelque chose, je suis prêt à prendre la main, à investir,
09:17 pour voir s'il y a vraiment un débouché concret sur mes appareils". C'est vraiment ce travail en commun qui est, je pense, la clé du succès.
09:28 Pouvez-vous nous présenter ce que représente Lonerra ?
09:33 Lonerra, c'est l'Office national d'études et recherches aérospatiales. C'est un établissement public, caractère industriel et commercial, créé en 1946.
09:44 En quelques mots, Lonerra, c'est 2000 personnes. Les trois quarts sont des ingénieurs et chercheurs, donc des scientifiques de haut niveau,
09:54 qui mènent une recherche appliquée pour l'aéronautique, l'espace et la défense.
10:00 Et une des caractéristiques, c'est que nous opérons à Lonerra un parc de soufflerie, de moyens expérimentaux, unique en Europe.
10:10 C'est le plus grand parc de soufflerie en Europe. Il nous permet d'asseoir notre expertise sur ce qu'on appelle le triptyque modélisation, simulation, expérimentation.
10:25 C'est-à-dire qu'on fait des expérimentations pour comprendre des phénomènes. Une fois qu'on les a compris, on est capable de les modéliser.
10:31 Et quand on les a modélisés, ces modèles, on les met dans des codes de simulation numérique pour faire des prévisions.
10:37 C'est vraiment la carte d'identité de Lonerra. Nous sommes présents dans plusieurs régions en France.
10:44 On a trois centres en région parisienne, deux en région toulousaine, un centre à Maudan, un centre à Saint-Nombre-Provence et un centre...
10:51 Toutes les grandes industries s'engagent pleinement dans le développement d'une approche globale pour réduire l'empreinte environnementale.
11:01 Qu'en est-il de Lonerra ?
11:04 Lonerra, en tant que centre de recherche et partenaire majeur du secteur aéronautique, est pleinement dans cette démarche.
11:14 La réduction de l'empreinte environnementale est au cœur de nos recherches.
11:21 Ou bien dans une approche, on va dire, incrémentale. C'est-à-dire qu'on poursuit ce qu'on a fait depuis des dizaines d'années pour réduire la consommation des avions,
11:32 en jouant sur l'avion, en jouant sur les performances des moteurs, en jouant sur l'intégration motrice, la façon dont le moteur est intégré à l'avion,
11:39 mais aussi en imaginant des ruptures. Et les ruptures, aujourd'hui telles qu'on les voit, ça va être des ruptures relatives aux sources d'énergie.
11:49 Le kérosène qui est utilisé actuellement dans les avions est efficace, mais il produit beaucoup de gaz à effet de serre, le CO2 en particulier.
12:01 Et on s'est fixé comme objectif, à l'horizon 2050, de réduire de moitié les émissions de CO2 de l'aviation par rapport à 2005.
12:11 Ce qui est un vrai challenge, compte tenu du fait que le trafic aérien aura à peu près triplé d'ici 2050.
12:20 Donc, il nous faut envisager plusieurs voies pour atteindre cet objectif ambitieux.
12:26 Une première voie, c'est celle de l'utilisation des carburants alternatifs, ou bien des biocarburants ou bien des carburants de synthèse.
12:33 On reste dans des carburants qui produisent du CO2, mais on n'utilise pas de l'énergie fossile.
12:38 Et puis, ensuite, il y a une deuxième voie qui est de changer complètement de paradigme.
12:43 Et là, on s'oriente ou bien vers l'avion électrique ou plus électrique, ce qu'on appelle l'avion hybride, donc de l'hybridation thermique-électrique.
12:53 Donc ça, c'est une vraie révolution.
12:56 Et une deuxième révolution qui pourrait avoir lieu, peut-être à un horizon un petit peu plus lointain,
13:01 c'est d'utiliser d'autres combustibles, comme par exemple l'hydrogène,
13:06 qui permettrait de décarboner complètement l'aviation, puisque quand on fait brûler de l'hydrogène, en final, qu'est-ce qu'on obtient ?
13:14 On obtient de la vapeur d'eau.
13:16 On peut poser d'autres problèmes, notamment par rapport aux traînées de condensation, qui ont aussi un impact climatique,
13:23 mais qu'il est important d'étudier.
13:26 Et tout ceci va avoir un impact non négligeable sur les configurations des avions,
13:32 parce que si on change les sources d'énergie, on va changer les moteurs, on va changer plein de choses.
13:37 Et donc, la forme des avions, telle qu'elle est aujourd'hui,
13:40 elle va être amenée à changer de façon significative, pour atteindre cet objectif de réduction de l'empreinte environnementale.
13:47 Donc on est un petit peu à un tournant, et c'est extrêmement motivant pour tous les gens qui sont dans ces études et recherches dans le domaine aéronautique.
13:56 Alors, que conseillez-vous aux jeunes générations intéressées par les sciences en général, et l'aéronautique en particulier ?
14:08 Alors, j'aurais deux conseils.
14:12 Le premier, commencez par vous spécialiser dans un domaine qui vous tient à cœur.
14:18 Creusez, choisissez votre discipline, le contexte dans lequel vous voulez devenir un spécialiste,
14:26 d'une discipline donnée, d'un domaine donné, peu importe.
14:29 Il sera toujours temps, à un moment donné, d'élargir le spectre pour avoir une vue d'ensemble,
14:34 et atteindre le grade de la pluridisciplinarité dont on parle beaucoup.
14:41 Mais mieux vaut être pluridisciplinaire en ayant un cœur de métier où on sait de quoi on parle,
14:48 plutôt que d'être incompétent dans tous les domaines.
14:51 Et c'est toujours plus facile d'aller dans ce sens-là, plutôt que de commencer par avoir une vue d'ensemble,
14:56 et puis de se spécialiser après.
14:58 Je crois que c'est Cédric Vidani qui avait dit quelque chose qui en substance allait dans ce sens-là.
15:04 Donc ça c'est le premier conseil.
15:06 Le deuxième conseil, si vous en avez la possibilité, faites une expérience de R international,
15:12 faites une expérience de coopération.
15:14 C'est extrêmement enrichissant.
15:16 Je l'ai personnellement vécu avec nos équivalents en Europe allemands, le DLR.
15:23 J'étais amené aussi à coopérer avec la NASA, avec l'US Army.
15:26 Il n'y a rien de plus motivant que de voir comment les autres travaillent,
15:30 et de créer des synergies pour avancer plus vite.
15:36 Voilà, c'est un peu les deux conseils que j'ai.
15:39 Au niveau des jeunes ingénieurs notamment, on a toujours eu un écho,
15:44 ceux qui vont travailler aux Etats-Unis,
15:47 lorsqu'on s'attaque à un grand projet scientifique,
15:50 on va s'adapter à la démarche expérimentale, les différentes étapes.
15:56 On nous fait souvent l'écho qu'en fait,
15:59 le fonctionnement français et européen est qualitatif et très intéressant,
16:04 mais quand on va à l'étranger, on est un petit peu bouleversé, gêné par les différentes étapes.
16:09 Ils ne fonctionnent pas trop comme nous.
16:11 Je crois que c'est ce qui fait la richesse des échanges à l'international.
16:18 Personne ne fonctionne exactement de la même façon,
16:21 et on se fait sa propre idée.
16:24 Moi personnellement, c'est vrai que dans mon cursus d'études,
16:30 j'ai fait des manips, mais ce n'était pas forcément ce qui me branchait,
16:34 parce qu'on n'insistait pas beaucoup là-dessus.
16:36 En étant à l'honneur, en ayant vu un petit peu comment ça se passe à l'extérieur,
16:40 on change un petit peu de philosophie, on se dit « ah oui, c'est quand même extrêmement important ».
16:45 Donc il faut croiser les expériences, et quoi de mieux que de la coopération internationale pour ça.
16:50 Pour finir, les associations scientifiques et techniques au sein de notre société
16:56 sont-elles une nécessité pour vous ? Et pourquoi bien entendu ?
17:02 Une nécessité sans doute, ça contribue à ce qu'on appelle vulgairement le réseautage,
17:08 mais je dirais qu'il faut aller au-delà du réseautage.
17:14 J'ai des cartes de visite, j'ai des bons contacts, c'est peut-être très valorisant,
17:22 mais ce qui est le plus important, c'est que c'est grâce à ces sociétés savantes
17:26 qu'on arrive finalement à se dire « ah ben tiens, j'aurais peut-être besoin de compétences
17:33 ou de spécialistes de tel domaine, et la discussion que je viens d'avoir,
17:38 ça me permettrait peut-être d'aller voir ce qui se fait dans tel labo,
17:41 et d'aller voir un petit peu en haut de la du cadre, parce que je vous ai beaucoup parlé d'aéronautique.
17:45 Aujourd'hui, l'aéronautique elle maîtrise un certain nombre de choses,
17:48 mais elle va devoir utiliser ce qui se passe dans d'autres domaines.
17:52 J'ai parlé des nouvelles sources d'énergie, l'électrification, les batteries,
17:57 c'est pas nous qui allons les développer, il y a des spécialistes pour ça,
18:00 des spécialistes de l'énergie. Et grâce à ces sociétés savantes,
18:04 on a accès à des compétences de milieu que l'on ne connaît pas forcément,
18:12 et ça stimule la créativité.
18:16 Très bien, merci monsieur.
18:18 Merci.
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