Les surgelés, amis ou ennemis

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Les surgelés, amis ou ennemis

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00:00 Il est 19h. Dans cet immeuble près de Paris, tout a l'air calme.
00:04 Mais au deuxième étage, chez Angélique, c'est le rush du dîner.
00:08 Alors tout le monde est aux ordres.
00:09 - Je vais commencer à préparer le repas, d'accord ?
00:11 Parce qu'il est déjà 6h30 et à 7h, il faut qu'on soit à la table.
00:15 Angélique est maman de 3 enfants et en plus, elle travaille,
00:18 ce qui l'oblige parfois à rentrer tard.
00:20 Bref, elle n'a pas vraiment le temps de mijoter un bon petit plat.
00:23 Alors ce soir, c'est 100% surgelé.
00:26 Poêlé de légumes et cordon bleu pour tout le monde.
00:30 - Ils aiment bien les enfants.
00:31 Et nous aussi.
00:33 Elle n'a pas une minute à perdre, alors les surgelés, c'est l'idéal.
00:38 Les cordons bleus sont tout prêts, il suffit de les cuire.
00:41 Idem pour les légumes.
00:44 - Le fait d'utiliser des produits surgelés, ça me fait gagner
00:49 trois quarts d'heure, donc là, j'en ai à peu près pour 15 minutes
00:51 du temps de cuisson.
00:51 Angélique est une véritable accro à ses produits,
00:55 une addiction à laquelle son mari est habitué,
00:57 car c'est désormais surgelé à quasiment tous les repas.
01:00 - Là, pour lundi, j'ai prévu de leur faire des carottes
01:04 avec de la viande que j'ai congelée.
01:06 Mardi, ce sera du hachis parmentier.
01:10 Mercredi, riz cantonais.
01:12 Et ainsi de suite jusqu'à dimanche, avec des pâtes au jambon.
01:16 Les surgelés font tellement partie de la vie familiale
01:19 qu'Angélique a dû même investir dans un deuxième congélateur.
01:22 - Là, j'ai le frigo, là, j'ai un congélateur et là,
01:25 j'ai encore un congélateur.
01:27 - Les enfants, on va passer à table ?
01:28 Et ça ne rigole pas.
01:30 À leur dite, tout le monde est présent autour des surgelés.
01:33 - On fait légumes et viande avec des cordons bleus.
01:35 Qui veut d'abord les légumes ?
01:38 - Tout est réuni pour que ça fasse comme si c'était quelqu'un qui avait cuisiné.
01:43 Après, ça reste bien sûr des produits surgelés,
01:46 mais je pense de bonne qualité.
01:47 Donc, du coup, la différence est moindre.
01:50 Et surtout, Angélique gère avec autant de rigueur
01:53 le budget de la maison que son planning.
01:55 Et ce soir, entre les cordons bleus et la poêlée paysanne,
01:58 le repas lui est revenu à 9 euros, soit moins de 2 euros par personne.
02:02 - C'est étonnant, dis donc.
02:03 Un vrai repas deux fois moins cher qu'un sandwich.
02:06 Comment est-ce possible ?
02:07 Et que mange-t-on vraiment à ce prix-là ?
02:10 Il faut dire que les surgelés ont réalisé une spectaculaire percée
02:15 dans notre vie quotidienne.
02:17 Il y a 50 ans, ces produits étaient quasiment inexistants.
02:22 Aujourd'hui, en France, 95% des familles en consomment régulièrement.
02:26 Usines gigantesques, chaînes de fabrication à couper le souffle.
02:31 Avec quels moyens industriels et grandes surfaces
02:34 ont-ils réussi à imposer ce mode de consommation ?
02:37 - Il y a à peu près 500 et quelques références en surgelés.
02:41 Ça a doublé, le marché a doublé.
02:44 Mais derrière des packagings toujours plus alléchants,
02:46 la qualité est-elle au rendez-vous ?
02:48 Les surgelés peuvent-ils vraiment rivaliser avec des produits frais ?
02:52 Et surtout, avec quelles astuces les industriels arrivent-ils
02:55 à casser autant les prix sur les plats cuisinés ?
02:57 - On va éliminer un peu de pommes de terre.
03:01 On va en retirer 50 grammes.
03:03 Dans cette bataille, certains industriels comme Picard ou Toupargel
03:08 ne s'attaquent pas qu'aux petits prix.
03:09 Ils ont envahi les rayons haut de gamme, celui des traiteurs,
03:12 avec des préparations qui en jettent comme la coquille Saint-Jacques.
03:15 Parfois, ils se sont même inspirés de desserts créés par des grands chefs,
03:21 comme par exemple le désormais célèbre moelleux au chocolat.
03:24 Mais les fabricants suivent-ils toujours les recettes originales ?
03:28 - Voilà un cure-coulant, 20 grammes.
03:33 Vous voyez, il est vraiment dur, il est surgelé.
03:36 Vous allez découvrir les coulisses de l'impressionnante offensive
03:40 des produits surgelés que vous retrouvez dans vos assiettes.
03:49 L'irruption des surgelés dans nos supermarchés est à l'origine
03:52 de sanglantes batailles avec les produits frais.
03:54 Le premier rayon qui est attaqué de plein fouet, c'est celui des légumes.
03:58 Ils ont beau jouer de leur apparence naturelle,
04:01 les carottes sont présentées parfois encore toutes terreuses,
04:04 les haricots sont bien verts et les poireaux semblent très frais.
04:08 Seulement, voilà, ils sont périssables et pas toujours bon marché.
04:13 Comptez 1,50 euros le kilo de carottes ou encore 6,95 euros pour les haricots.
04:20 Tandis qu'à quelques mètres de là, au rayon surgelé,
04:22 derrière des emballages particulièrement soignés,
04:24 vous retrouvez des carottes qui ont l'air superbes, deux fois moins chères.
04:28 Et des haricots bien mûrs pour seulement 1,03 euros, soit cinq fois moins chers.
04:35 Alors par quel miracle les industriels du surgelé arrivent-ils à casser
04:39 autant les prix ?
04:40 Et leurs légumes sont-ils vraiment aussi bons que les frais ?
04:48 Pour répondre à ces questions, direction le nord de la France,
04:52 à côté de Lille.
04:53 Et plus particulièrement dans cette immense usine située au beau milieu des champs.
05:00 - OK, donc là, là, tu as de l'Italie.
05:06 C'est tout l'Italie, c'est ça qui démarre aujourd'hui.
05:07 Comme chaque matin, le directeur commercial Vincent Marli,
05:11 en casque rouge, n'a qu'une idée en tête.
05:13 Faire le point sur les livraisons du jour.
05:16 Il expédie dans ses cartons des milliers de tonnes de haricots verts surgelés
05:19 que vous avez beaucoup de probabilité de retrouver dans vos assiettes.
05:22 - Le haricot vert extra fin, vous allez le retrouver,
05:25 ce qui part d'ici, dans des magasins comme Leclerc, comme Carrefour,
05:28 comme Auchan, comme System U.
05:31 Donc je ne vais pas citer toutes les marques, mais il y en a beaucoup
05:34 avec qui on travaille.
05:35 Et pour cause, nous ne sommes pas n'importe où.
05:39 Bienvenue chez Pingwin, le numéro 2 européen du légume surgelé.
05:45 Il produit des betteraves, du chou sous toutes ses formes, des concombres.
05:49 En tout, plus de 40 variétés de légumes,
05:51 parmi lesquels un de ses produits stars, le haricot vert,
05:54 avec une promesse, toujours à prix cassé.
05:57 Dans son usine, le haricot vert est un légume clé.
06:01 Il représente 20% de sa production.
06:03 Mais pour en tirer le meilleur parti,
06:06 Vincent a dû régler un gros problème, celui de son prix.
06:09 Il varie énormément.
06:11 En pleine saison, en août, il ne coûte que 2 euros du kilo.
06:14 Mais en décembre, il en vaut plus du double, jusqu'à 5 euros,
06:18 car il vient de loin, d'Afrique.
06:20 - Vous allez retrouver aujourd'hui dans les magasins des produits
06:22 en provenance du Sénégal, par exemple,
06:24 qui sont peut-être à 4 à 5 euros du kilo.
06:27 Alors, pour l'acheter toujours moins cher,
06:29 Vincent a décidé de ne se fournir qu'en France et seulement
06:32 en juillet-août, les mois bon marché, mais à des quantités astronomiques
06:36 qu'il va pouvoir conserver en les surgelant.
06:39 Ainsi, il pourra revendre ses haricots toute l'année.
06:44 - Il va être vendu au consommateur dans un magasin,
06:46 à peu près 1,30 euro.
06:48 L'intérêt pour lui, c'est qu'il va le retrouver toujours au même prix.
06:52 La clé de son succès, c'est d'avoir réussi à geler les prix
06:56 de son haricot toute l'année.
06:57 En ce moment, à l'usine, c'est plutôt la saison de la carotte.
07:02 Et vous allez voir comment il rentabilise au maximum ce légume
07:04 pour vous le vendre le moins cher possible.
07:06 Il l'a acheté à son cours le plus bas, 6 centimes le kilo.
07:12 A ce prix, il en a fait rentrer 9000 tonnes qui déferlent
07:15 en cascades vers une étape encore plus spectaculaire.
07:18 Et voici le coeur de son business.
07:23 Derrière cette porte, oubliez les saisons.
07:26 C'est la Sibérie.
07:29 Il fait moins 40 degrés.
07:31 Une sorte de neige rose tapisse les murs et recouvre le sol.
07:41 - C'est simplement l'humidité de la carotte qui refroidit,
07:44 crée de la neige, en quelque sorte de la neige à la carotte.
07:47 Il y a quelques poussières de carotte dedans.
07:48 C'est le coeur de l'usine.
07:52 La machine à surgeler les légumes.
07:55 En quelques secondes, les carottes sont littéralement figées.
07:58 Et à cette température, elles peuvent se conserver indéfiniment.
08:02 Seul inconvénient avec cette méthode choc,
08:06 les légumes ont tendance à se coller entre eux pour former
08:09 des blocs qui n'ont vraiment rien d'appétissant.
08:11 Alors, l'usine a dû trouver une solution plutôt étonnante
08:14 pour éviter ce problème.
08:15 Faire danser les légumes.
08:18 - Alors là, t'as des mouvements de tapis,
08:27 exprès pour effectivement casser des blocs.
08:29 En fait, en surgélation, tu fais voler le produit,
08:33 tu fais envoyer de l'air par dessous, tu fais voler ton produit.
08:36 Et en fait, c'est hacker et c'est individuel.
08:39 Ensuite, tout est stocké dans un immense entrepôt,
08:42 à moins 24 degrés.
08:43 Avec le surgelé, Vincent a l'assurance de n'avoir aucune perte,
08:47 car il dispose d'un délai confortable pour les écouler.
08:50 Le rêve de tout commerçant, en mode frais,
08:54 les légumes ne tiennent pas plus de 10 jours.
08:56 Résultat, près de 15% partent à la poubelle chaque année.
08:59 Tandis qu'avec la surgélation...
09:01 - On va avoir un produit qui va se tenir comme ça pendant un an.
09:04 Qualité organoleptique maîtrisée, ça bougera plus comme du produit frais.
09:09 Vous avez bien entendu, pour Vincent,
09:10 ces légumes sont de qualité produits frais.
09:13 Alors qu'en est-il vraiment ?
09:14 Il y a un endroit où les produits surgelés n'ont vraiment pas la cote.
09:21 Ce sont les marchés.
09:22 Les évoqués donnent toujours l'impression de proférer un gros mot,
09:26 car pour beaucoup de consommateurs, ils sont moins bons que les produits frais.
09:29 - Il y a forcément des consommateurs dedans et on ne sait pas vraiment quoi, etc.
09:36 Je préfère acheter les produits frais et puis les faire cuire moi-même,
09:40 même si ça prend du temps.
09:41 - J'ai l'impression qu'on perd un peu tout ce qui est vitamines,
09:46 des choses qui peuvent paraître insensées.
09:48 Je préfère consommer du frais.
09:49 Des légumes moins bons et moins chargés en vitamines.
09:54 Alors réalité ou simple préjugé ?
09:56 Pour tirer cette affaire au clair,
09:59 nous avons décidé de réaliser un petit test, juste par acquis de conscience.
10:05 Nous avons acheté des haricots verts, des carottes et des poireaux
10:10 pour les faire analyser.
10:11 Cela sont frais du jour.
10:13 Ceux-ci ont trois jours de réfrigérateur et le dernier lot est surgelé
10:16 depuis au moins trois mois.
10:18 Pour cette expérience, nous avons fait appel à des spécialistes,
10:22 des scientifiques du laboratoire universitaire de Nancy.
10:25 - Si vous voulez venir voir les échantillons qu'on a reçus pour l'analyse.
10:31 Et le patron est une pointure.
10:33 Stéphane Dezobry est professeur en chimie des aliments.
10:36 Pour estimer la fraîcheur d'un légume, il va faire mesurer son taux de vitamine C.
10:41 C'est un composant essentiel qui nous aide à rester en bonne santé.
10:44 Pour évaluer leur taux de vitamine C, les échantillons frais et surgelés
10:51 vont être mis à rude épreuve.
10:52 Ils sont décortiqués, broyés et enfin plongés dans un composant chimique.
11:02 Dans cette éprouvette se trouve une partie des réponses à nos interrogations.
11:05 Les légumes surgelés conservent-ils toutes les qualités de leurs homologues frais ?
11:09 Le taux de vitamine C apparaît ici sous la forme de ces étonnantes courbes.
11:14 Ce sont les haricots qui vont parler les premiers.
11:16 Et là, surprise.
11:18 - On observe que finalement, dans le surgelé, on a une concentration
11:23 en vitamine C plus élevée que dans le frais ou que dans le produit
11:28 conservé trois jours au frigo.
11:31 C'est à peine croyable, mais les haricots surgelés contiennent
11:34 six fois plus de vitamine C que les frais achetés ce matin.
11:37 Et c'est la même chose pour les haricots qui ont passé trois jours au réfrigérateur.
11:41 Quant aux carottes surgelées, elles contiennent quatre fois plus de vitamine C
11:48 et les poireaux surgelés, 20 % de plus.
11:51 Et voici pourquoi c'est le délai de conservation qui fait toute la différence.
11:56 - Le produit frais est très sensible au stockage.
11:59 Et quand on achète des produits frais, c'est quand même une bonne chose
12:02 de les consommer très, très vite, parce qu'on sait que la vitamine C
12:06 diminue assez fortement en concentration dans ces produits,
12:10 même réfrigérés, même conservés au réfrigérateur.
12:12 En fait, après avoir été récoltés, les légumes peuvent perdre
12:17 jusqu'à 8 % de vitamine C par jour.
12:19 Résultat, dix jours après leur cueillette, des carottes ou des haricots
12:23 ne contiennent plus que 20 % de vitamine.
12:27 Mais alors, comment est-il possible que des légumes vendus frais
12:29 soient finalement en moins bonne forme que les légumes surgelés ?
12:32 La réponse, nous allons l'obtenir auprès d'un marchand primeur
12:36 en posant une question toute simple.
12:37 - Entre le champ, du coup, et chez vous, il y a combien de temps
12:39 qu'il se passe, à peu près ?
12:40 - Une petite semaine.
12:41 Entre les grégateurs directs, les rangistes, ici, une petite semaine.
12:49 Comme pour le gardien même.
12:51 4, 5 jours, 6 jours, 7 jours, ça dépend.
12:55 Ça dépend qu'on produit.
12:57 En clair, les légumes frais que vous achetez ont déjà quelques jours
13:00 de stockage et de transport au compteur.
13:02 Certains vendus par ce primeur mettraient jusqu'à une semaine
13:06 pour arriver sur ces étales.
13:08 Voilà pourquoi le taux de vitamine peut être très faible.
13:11 Alors, dans cette bataille entre le frais et les surgelés,
13:15 tout se joue entre le moment où l'on cueille les légumes
13:17 et le moment où on les déguste.
13:19 Les producteurs n'ont donc qu'une idée en tête,
13:21 multiplient les astuces pour réduire ce délai.
13:24 Pour enquêter sur cette stratégie, il faut retourner dans le nord
13:31 de la France, à l'usine Pingouin et s'intéresser aux carottes
13:35 qui étaient en cours de surgélation, mais en opérant un petit retour en arrière.
13:39 Ces carottes, elles viennent d'ici, un champ non loin de l'usine.
13:51 En ce moment, c'est la pleine saison. 4 500 tonnes sont en cours d'arrachage.
13:55 En parc à verte, Vincent, le responsable commercial de l'usine,
13:58 est venu inspecter la récolte avec en manteau noir un de ses collaborateurs
14:02 et au centre, le propriétaire du champ.
14:04 Une seule question les taraudes, les carottes sont-elles bien matures ?
14:08 - Nous, on recherche une maturité optimale qui va donner le goût optimum.
14:11 Donc, en fait, le goût va être donné par le sucre,
14:16 par l'ensemble du développement de la plante.
14:19 Et donc, c'est à son meilleur développement qu'elle aura le meilleur goût.
14:22 Et c'est le cas aujourd'hui.
14:24 Alors, Vincent déclenche une haletante course contre la montre,
14:28 afin de conserver le maximum de leur qualité.
14:30 Il faut les récolter à toute vitesse et surtout,
14:34 perdre le moins de temps possible pour aller les surgeler.
14:37 Et le problème numéro un, ce sont les délais de transport.
14:40 Pour les réduire, le groupe Pingouin fait construire ces usines
14:44 systématiquement en plein champ.
14:45 Selon Vincent, c'est la clé de tout.
14:47 - Les champs sont toujours à une distance assez courte de l'usine.
14:50 Pour pouvoir transformer rapidement, c'est le principe.
14:52 Donc là, les 2000 hectares qu'on a autour de cette usine
14:54 sont toujours, grosso modo, à maximum deux heures de l'usine.
14:59 Les légumes fraîchement récoltés viennent d'arriver à l'usine
15:03 après une heure de voyage.
15:04 Et là, tout va s'accélérer.
15:06 Les carottes sont lavées, triées et découpées à un rythme effréné.
15:13 Deux heures plus tard, elles pénètrent dans le tunnel de surgélation.
15:19 Au final, elles seront restées à l'air libre seulement trois heures
15:22 après avoir été récoltées.
15:23 C'est la tactique de choc du surgelé pour contrer les légumes frais
15:26 dans vos rayons.
15:27 Et encore, ce n'était que l'avant-garde de l'offensive.
15:35 Avec ces méthodes de production, les surgelés ont conquis
15:39 plus de 20% du marché des légumes.
15:41 Face à un tel succès, les industriels ne se sont pas arrêtés
15:45 en si bon chemin.
15:47 Les surgelés ont décidé de s'attaquer à un marché beaucoup plus juteux
15:50 et encore plus grand, celui des plats cuisinés.
15:53 Le succès a été encore plus foudroyant qu'avec les légumes.
15:57 Au bout de 40 ans, les surgelés représentent désormais 30% du marché.
16:01 Et vous allez comprendre pourquoi.
16:02 Parmi les acteurs qui ont contribué à attaquer le marché des plats
16:09 cuisinés, il y en a un qui a joué un rôle déterminant.
16:11 Nous avons retrouvé sa trace au bord de la Manche, dans le Pas-de-Calais.
16:16 Il habite cette demeure cossue, dans la petite ville d'Ardelau.
16:19 C'est un architecte de formation et rien ne le prédestinait
16:24 à se lancer dans le surgelé.
16:26 Son nom, François Théron.
16:28 Il a 70 ans.
16:29 Mais par-dessus tout, c'est un fin gourmet qui adore cuisiner,
16:33 notamment avec ses copains.
16:34 - Les champignons surgelés.
16:36 À tel point qu'à l'âge de 36 ans, il décide de changer de vie.
16:41 Il abandonne l'architecture pour ouvrir avec sa femme en 1978,
16:46 un restaurant un peu kitsch à Boulogne-sur-Mer.
16:48 Un établissement plutôt classique, sauf pour ses desserts.
16:52 Car François Théron fabrique lui-même des sorbets qui rivalisent
16:56 avec les plus grands glaciers de Paris.
16:58 - Voilà, départ.
17:02 Donc les glaces, les sorbets.
17:06 Nous sommes au début des années 90 et ces petits sorbets
17:10 vont bouleverser son destin en lui permettant de devenir
17:13 une des pointures dans le surgelé alors en pleine expansion.
17:16 Avec l'arrivée de poids lourds comme par exemple Findus.
17:19 Car depuis 10 ans, les industriels ont poursuivi leur offensive.
17:26 Après les légumes, il s'attaque au marché des plats cuisinés,
17:29 en commençant par les plus populaires, paella, pizza.
17:32 Findus investit massivement dans des campagnes de publicité
17:41 à la ritornelle en tétante.
17:43 - Tout le monde vient à la maison.
17:46 Et cette marque est très vite concurrencée par d'autres industriels,
17:49 comme par exemple Picard, qui inonde le marché
17:52 avec une production extrêmement variée.
17:54 Des entrées aux plats de résistance.
17:58 Une marque se voulant plus haut de gamme, avec des publicités
18:06 qui comparent ses desserts à des oeuvres d'art.
18:10 - 12 mini éclairs gourmands.
18:13 4 parfums exclusifs pour vous laisser tenter.
18:19 Et en recherchant de nouveaux desserts plus sélects,
18:22 Picard découvre par hasard les sorbets très riches en fruits
18:25 de François Théon.
18:26 La marque achète alors toute sa production.
18:28 - Donc ça, c'était le baseline.
18:33 C'est le retour au vrai savoir, qui est un petit peu les fondamentaux
18:38 de ce que souhaitait cette enseigne.
18:40 Voilà la stratégie pour s'imposer sur le marché.
18:44 Jouer sur des saveurs fortes dans des surgelés à l'époque souvent fades.
18:48 François Théon est embauché par Picard.
18:51 Il doit développer des produits plus élaborés que les seuls pizzas
18:54 qui encombrent le marché.
18:55 Et il décide de s'attaquer aux plats cuisinés qui contiennent
18:58 des produits nobles, comme par exemple la Saint-Jacques.
19:02 Dans sa ligne de mire, cette fois-ci, les traiteurs et leurs
19:07 plats tout préparaient, appétissant, mais plutôt cher.
19:10 Pour une coquille Saint-Jacques, compter 15 euros l'unité.
19:13 Mais il s'agit aussi de se différencier d'autres marques
19:17 qui revendent des coquilles à prix cassé, de qualité moyenne,
19:20 avec des pétoncles, la Saint-Jacques du pauvre, en provenance
19:23 du Pérou ou d'Argentine.
19:24 Alors, François Théon doit se débrouiller pour dénicher
19:28 de la vraie Saint-Jacques, mais pas trop chère.
19:30 - C'était en 95.
19:34 À Saint-Brieuc, j'avais entendu le matin qu'il y avait
19:36 des noix de Saint-Jacques sur le quai qui étaient invendues
19:39 parce que le marché s'effondrait.
19:41 Le frais n'absorbait pas la pêche.
19:44 Et j'ai proposé à mon président d'aller à Saint-Brieuc,
19:47 dans une unité de production, et de récupérer ces Saint-Jacques françaises.
19:52 Et pour trouver de vrais Saint-Jacques bon marché toute l'année,
19:55 François Théon va appliquer aux plats cuisinés les mêmes méthodes
19:59 qu'aux légumes, les acheter au moment où elles sont les moins chères.
20:02 - Évidemment, on ne les achète pas au moment de Noël,
20:03 puisque là, toute la pêche est consommée,
20:06 mais on les achète à d'autres périodes, bien évidemment,
20:08 en octobre, novembre.
20:10 Et comme pour les légumes, il va les surgeler dans la foulée.
20:13 Il peut ainsi les conserver autant qu'il le souhaite.
20:17 Et pour séduire la ménagère, il copie les traiteurs
20:21 jusque dans les moindres détails, comme par exemple,
20:23 la petite noix de beurre qui décore la coquille.
20:30 - L'esprit, à chaque fois que j'élabore un produit,
20:32 c'est que la ménagère arrive avec ce produit à table
20:35 et à chaque fois, elle a des compliments.
20:37 On est ravi de savoir que ses invités vont être...
20:43 Vont lui dire "c'est toi qui l'as fait" ou "tu as trouvé ça".
20:47 Et bien souvent, ça lui arrive de dire "c'est moi".
20:49 Et ça, c'est une grande fierté.
20:51 Deux mois après sa commercialisation,
20:54 cette coquille se hissera en tête des ventes.
20:57 Selon François Théron, Picard change alors de catégorie.
21:00 - Picard arrive à rivaliser avec les artisans
21:05 ou les traiteurs très connus dans chaque ville.
21:09 Et là, on arrive avec un produit effectivement exceptionnel.
21:12 Mais beaucoup moins cher, parce qu'il est acheté
21:15 par grande quantité à Morty.
21:17 Une coquille qu'il arrive à sortir à 6,50 euros.
21:20 Deux fois moins cher que chez un traiteur.
21:24 Avec cette recette, il gagne la confiance de Picard.
21:27 Il est chargé de pondre trois nouveaux plats par semaine.
21:29 Pour aller vite, François Théron revisite principalement des classiques.
21:33 Un magret de canard, sauce framboise pour le dimanche.
21:36 Mais aussi des recettes pour tous les jours.
21:38 Par exemple, il transformera les traditionnelles lasagnes bolognaises,
21:42 trop classiques à son goût, en lasagnes chèvre-épinards,
21:45 un peu plus originales.
21:46 En 15 ans, il aurait développé 750 recettes qui permettent à Picard
21:53 de devenir au début des années 2000, le leader du surgelé en France.
21:57 Une offensive qui finit par agacer un énorme concurrent.
22:04 Un mastodonte qui a décidé de riposter en mettant tout son poids
22:08 dans la balance, la grande distribution.
22:10 Elle contre-attaque en proposant elle aussi ses surgelés,
22:14 avec en ligne de mire des plats préparés extrêmement populaires,
22:18 comme par exemple les poêlés de légumes.
22:22 Toutes les marques en proposent.
22:23 Il y a la Campagnarde, la Paysanne, la Parisienne ou encore la Landaise.
22:29 Un produit surgelé qui s'impose vite, car en 10 minutes,
22:33 vous pouvez préparer un plat d'un kilo.
22:35 Et ce, sans avoir à laver, découper et cuire la demi douzaine
22:41 d'ingrédients qui le composent.
22:43 Picard propose sa Campagnarde à 3,95 euros le kilo.
22:48 Les hypermarchés décident alors de vendre leur poêlés à moins de 2,50 euros.
22:53 Mais quelque chose nous intrigue sur la poêlée landaise.
22:58 La recette comporte des ingrédients plutôt onéreux,
23:01 comme des gésiers et du magret de canard.
23:03 Alors, comment l'enseigne qui la commercialise fait-elle
23:06 pour la proposer aussi peu chère ?
23:08 Vous allez voir que pour en arriver là, il a fallu déployer
23:12 toute une série d'astuces sur lesquelles les grandes surfaces
23:14 restent plutôt discrètes.
23:17 Nous sommes donc partis sur la trace de cette fameuse poêlée landaise.
23:23 Et première surprise, ce plat surgelé n'est pas du tout fabriqué
23:27 dans les Landes, mais en Belgique, chez un très gros industriel
23:31 qui ne nous est pas inconnu, le groupe Pingwin,
23:34 le spécialiste des légumes surgelés en Europe.
23:36 A l'intérieur, nous retrouvons Vincent Marly, souvenez-vous,
23:44 l'expert en haricots et carottes.
23:46 Il est suivi par le chef cuisinier de l'usine, Christian Lemanac.
23:50 Le responsable des poêlées aujourd'hui, c'est lui.
23:53 Il a transformé cette partie de l'usine en impressionnante
23:57 machine à débiter de la poêlée de légumes.
23:58 Et au départ, la version landaise, elle ressemble à ça,
24:02 un nuage d'azote, car c'est ici que les ingrédients sont surgelés
24:07 à -186 degrés.
24:09 Un peu plus loin, nous découvrons enfin les composants de la poêlée,
24:14 du magret de canard, des pommes de terre, des haricots verts,
24:17 le tout agrémenté de petits secrets de la recette du chef.
24:20 - Et puis, on voit ici également qu'on a des morceaux de champignons.
24:24 Et puis, on a rajouté d'autres éléments pour faire une sauce
24:28 et un mix à l'intérieur.
24:29 Tous les ingrédients surgelés sont mélangés automatiquement
24:36 avec ce robot verseur, puis direction la ligne d'emballage.
24:41 L'usine en sache ainsi un demi-million de poêlées par an.
24:44 Et ce sont toujours des robots qui remplissent au gramme près
24:49 chaque sachet avant de quitter la Belgique pour vos assiettes.
24:52 Tout a été concocté par le chef Christian.
24:57 Il a des dizaines de recettes de plats cuisinés à son actif,
25:00 mais il se souvient particulièrement de celle de la poêle landaise,
25:04 car elle lui aurait donné pas mal de fil à retordre.
25:06 - Pour réaliser cette poêle landaise, on avait un budget d'environ
25:10 1,82 euros.
25:11 Donc, pas simple avec des ingrédients relativement nobles
25:16 comme du gésier et du magret de canard.
25:19 1,80 euros par paquet, c'est la limite à ne pas dépasser.
25:23 Tout en conservant gésier et magret pour bien concurrencer Picard.
25:27 Christian a dû donc faire des miracles.
25:29 Alors, voilà comment il s'y est pris.
25:31 Il n'a pas lésiné sur la pomme de terre parce que c'est l'ingrédient
25:34 qui coûte le moins cher.
25:35 - Je pars dans un premier temps sur la moitié en pomme de terre.
25:39 C'est à dire 500 grammes de pommes de terre.
25:41 Ensuite, il s'attaque aux haricots verts.
25:43 Il en verse 180 grammes, 100 grammes de champignons
25:47 et 50 grammes d'oignon.
25:49 Mais pour le gésier, comme le prix est très élevé,
25:52 il n'en mettra que 6% du plat.
25:54 Reste enfin le magret, le produit le plus cher.
25:57 - On a maintenant le magret de canard.
26:00 Donc là, c'est encore un produit qui est plus cher que le gésier.
26:04 Christian n'en mettra que 28 grammes, seulement 3% de la poêlée.
26:08 Mais il a dû trouver encore d'autres économies à réaliser.
26:11 - Le produit correspondait à leurs attentes.
26:15 Mais voilà, on était un petit peu au-dessus du budget initial.
26:22 Alors, avec la grande surface, ils auraient imaginé un petit tour de passe-passe.
26:27 - Un peu de pommes de terre.
26:31 On va en retirer 50 grammes.
26:33 Un peu de haricots verts.
26:38 Au lieu d'augmenter le prix,
26:39 il décide de mettre les consommateurs au régime en réduisant les portions.
26:42 - On va prendre des gésiers sur lesquels on va en retirer 8 grammes.
26:46 Et on est arrivé à notre 900 grammes,
26:49 ce qui correspond au 10% qu'on avait de trop par rapport à notre budget de départ.
26:54 Vous avez bien entendu, le paquet ne pèse plus que 900 grammes
26:57 au lieu de 1 kilo souhaité initialement.
26:59 Pour arriver à environ 1,80 €, il a supprimé 10% d'ingrédients.
27:04 - On est arrivé à ce grammage, justement,
27:06 pour que le prix consommateur soit attractif sur des produits
27:10 tels que ce style de poêlée, en fait.
27:13 Dans le marché du low cost, le poids est devenu un enjeu économique.
27:17 Et voilà pourquoi certains paquets pèseraient aujourd'hui 900 grammes.
27:20 Mais le consommateur est-il vraiment au courant de cette petite astuce ?
27:23 Pour Christian, il n'y a pas de problème.
27:25 - Aujourd'hui, le consommateur lambda regarde quand il achète un sachet.
27:31 C'est ce qu'il achète, s'il achète 1 kilo, 1,5 kilo,
27:34 puisqu'il existe aussi, ou 900 grammes.
27:37 Non, je pense que le prix est bien indiqué sur le grammage.
27:40 Je pense que non, il est conscient du produit qu'il achète.
27:44 Mais nous ne sommes pas au bout de nos surprises,
27:47 car dans ce plat cuisiné, le poids ne serait peut-être pas l'unique élément
27:51 qui aurait permis de rentrer dans le budget.
27:52 Dans un instant sur D8, vous découvrirez les autres astuces
27:59 des industriels pour vous faire acheter toujours plus de surgelé.
28:02 Vous verrez comment, pour vous appâter,
28:04 ils se sont attaqués à des desserts stars issus de la haute gastronomie,
28:07 comme le coulant au chocolat.
28:09 - Et là, c'est le joyeux de la marque.
28:16 Vous découvrirez ensuite ce qui se cache dans la composition
28:20 d'un des produits les plus populaires de vos rayons, le jambon.
28:22 - Tout est imaginable.
28:28 Depuis les chaînes de fabrication du géant Hertha
28:31 jusqu'aux producteurs de charcuterie low cost,
28:33 plongez dans les coulisses de votre jambon quotidien.
28:35 Dans le marché du low cost, le poids est devenu un enjeu économique.
28:43 Et voilà pourquoi certains paquets pèseraient aujourd'hui que 900 grammes.
28:46 Mais le consommateur est-il vraiment au courant de cette petite astuce?
28:49 Pour Christian, il n'y a pas de problème.
28:52 - Aujourd'hui, le consommateur lambda regarde quand il achète un sachet,
28:56 s'il sait ce qu'il achète, s'il achète un kilo, un kilo et demi,
28:59 puisqu'il existe aussi, ou 900 grammes.
29:01 Non, je pense que le prix est bien indiqué sur le grammage.
29:05 Je pense que non, il est conscient du produit qu'il achète.
29:09 Mais nous ne sommes pas au bout de nos surprises,
29:12 car dans ce plat cuisiné, le poids ne serait peut-être pas
29:15 l'unique élément qui aurait permis de rentrer dans le budget.
29:17 Quand on examine les ingrédients sur le paquet,
29:20 une question nous vient à l'esprit.
29:22 Quelle est la provenance des produits les plus coûteux,
29:25 comme le magret de canard?
29:27 Et voici la réponse de Christian, le chef cuisinier.
29:30 C'est exact, mais ce serait peut-être un peu plus compliqué.
29:41 Discrètement, nous vérifions sur un carton.
29:44 Il est bien indiqué fabriqué en France.
29:46 Mais alors vient il bien du sud ouest, comme le suggère l'appellation
29:50 poilélandaise? De retour au bureau, nous retrouvons le fournisseur sur Internet.
29:56 Il est bel et bien installé dans l'Hexagone, mais pas du tout dans le sud ouest.
29:59 En Bretagne, à Kevin.
30:01 En l'interrogeant sur ces produits, nous allons même découvrir que
30:05 ces magrets de canard n'auraient de France que le nom.
30:08 Il proviendrait en fait de beaucoup plus loin.
30:10 Aujourd'hui, ce sont des magrets qui sont achetés essentiellement dans les pays de l'Est,
30:16 que l'on va cuire et fumer en même temps, ensuite émincer et surgeler et cuire.
30:20 - Vous ne faites pas du tout de magrets français?
30:22 - Du tout. On ne pourra pas vous vendre de français.
30:25 C'est Hongrie, Bulgarie, Pologne.
30:27 On est sur du Hongrois, par exemple.
30:29 En fonction des disponibilités, des prix, on va aller le chercher chez un ou chez l'autre.
30:33 Ces canards seraient donc importés d'Europe de l'Est.
30:37 Ils seraient simplement fumés et surgelés en Bretagne.
30:40 Une transformation française qui permet aux fournisseurs bretons d'imposer
30:45 tout à fait légalement la mention fabriquée en France sur ces cartons.
30:52 Et voilà comment les poêlés sont devenus un des produits stars des hypermarchés.
30:55 Il faut dire que les surgelés sont devenus incontournables.
30:59 Plus aucun domaine de l'alimentaire ne leur échappe.
31:02 Les légumes, les plats traiteurs et aujourd'hui,
31:06 ils s'attaquent à un nouveau secteur, la haute gastronomie.
31:10 Foie gras, truffes et surtout un dessert star issu des grands restaurants.
31:17 Le moelleux au chocolat derrière lequel se joue une bataille économique.
31:21 Sans merci.
31:22 L'étonnante affaire du moelleux au chocolat surgelé a débuté ici,
31:33 en plein massif central.
31:34 Dans le petit village de La Guiole.
31:38 Un peu à l'écart, avec une vue imprenable sur les hauts plateaux de la région.
31:44 Une bâtisse contemporaine.
31:45 C'est un des restaurants les plus réputés de France.
31:49 Trois étoiles dans les guides gastronomiques.
31:52 C'est le fief de Michel Bras, grand chef cuisinier depuis plus de 45 ans.
31:55 Et désormais de son fils Sébastien, qui a pris la relève en 2002.
31:59 - Ici, on est au salon où les clients prennent l'apéritif,
32:02 les cafés en fin de repas.
32:04 C'est la basse saison, l'établissement est fermé.
32:06 Et les Bras en profitent pour réfléchir aux nouvelles recettes de 2016.
32:10 - Il devrait être enneigé à cet époque.
32:12 - Je vais essayer d'en cuire un peu.
32:14 Ils sont connus pour réaliser des desserts particulièrement créatifs.
32:17 Comme leur mille feuilles à tuile verticale.
32:21 Leur roulet au caramel.
32:23 Ou encore une poire belle-Hélène revisitée.
32:26 Et surtout pour une pâtisserie mondialement connue.
32:29 Un gâteau unique en jeu d'une bataille insoupçonnée.
32:33 Le coulant au chocolat.
32:35 Une histoire pour laquelle il faut faire un retour dans le temps.
32:39 Tout commence en 1979, toujours dans l'aubrac.
32:46 À cette époque, Michel Bras réfléchit à un dessert inédit.
32:51 Confectionner un gâteau croquant à l'extérieur et fondant à l'intérieur.
32:55 Le coulant au chocolat.
32:57 Seulement voilà, aucun chef n'avait encore réussi à combiner du croquant et du coulant.
33:02 - Première étape dans la fabrication du coulant, la confection de la ganache.
33:09 Sébastien commence par fabriquer le coulant, le coeur de son dessert.
33:14 Avec cette crème au chocolat.
33:16 - On l'a, je le contrôle, parce qu'on ne sait jamais s'il y a des déliances.
33:20 Je porte à ébullition les liquides et le beurre.
33:23 Sébastien ajoute du chocolat et fait fondre le tout.
33:27 Voici la texture qu'il souhaite obtenir au coeur de son biscuit.
33:31 Mais pour le moment, le coulant est techniquement inutilisable.
33:35 - Si vous voulez, au départ, c'était ce chocolat que je voudrais trouver à l'intérieur du biscuit en deuxième phase.
33:43 Mais pour le tenir, ce chocolat, quand il fallait le couler dans le biscuit, c'était mission impossible.
33:48 On n'arrivait pas parce qu'il y en avait partout.
33:51 Impossible de retenir le coulant dans le gâteau.
33:53 Il s'échappait de partout.
33:54 Il fallait trouver un moyen de le solidifier avant de le mettre au four.
33:58 - Un jour, j'ai eu le flash, je ne sais pas comment, l'idée de le surgeler et d'incorporer ce noyau dur à l'intérieur du biscuit de chocolat.
34:09 Si je n'avais pas eu la surgélation, il n'aurait jamais existé.
34:12 Les coeurs coulants sont donc envoyés au surgélateur pour les solidifier.
34:17 Ils y resteront une trentaine de minutes.
34:20 Pendant ce temps là, Michel s'attaque aux biscuits croquants qu'il répartit dans des petits moules en fer blanc.
34:28 Ce sera la partie craquante de son dessert.
34:31 Ensuite, il va rechercher dans le surgélateur son coulant solidifié.
34:38 - Voilà les noyaux qu'on a coulés tout à l'heure, qui étaient liquides.
34:42 Et il les introduit au beau milieu de ces gâteaux croquants.
34:46 Il ne reste plus qu'à les faire cuire.
34:50 Et au bout de 20 minutes, le tour est joué.
34:55 - Ils ont l'air pas mal.
34:57 Et voilà, le bijou n'est-il pas beau ?
35:05 Le gâteau reste croustillant, tandis que le coeur surgelé a entièrement fondu.
35:09 Une cascade de chocolat s'échappe de l'intérieur.
35:12 - Mon Dieu, tout ce chocolat.
35:14 - Ça sent bon ça.
35:17 - Tu es rejeuni de 40 ans là, c'est ça ?
35:20 - Eh oui.
35:20 Le gâteau semble au point.
35:22 Les bras sont ravis et leur client encore plus quand ils le découvrent
35:26 pour la première fois au printemps 1981, il y a plus de 35 ans.
35:30 - Bon, maintenant, tout le monde le connaît, mais je sais qu'au départ,
35:33 moi, je me camouflais derrière la porte d'accès à la salle
35:37 et je regardais la réaction des clients.
35:39 C'était étonnant de les voir comme ils étaient épanouis quand le chocolat coulait.
35:43 Les bras ont réussi leur pari.
35:46 Leur dessert fait un carton.
35:49 Et comme ils sont les seuls à savoir comment le réaliser,
35:51 leur notoriété explose.
35:53 Michel Bras intègre, 18 ans après, le club très fermé des chefs
35:57 triplement étoilés.
35:58 Il est désormais considéré comme un des 10 meilleurs cuisiniers du monde.
36:03 Mais il va connaître un revers dans ce parcours sans faute.
36:07 Il va perdre l'exclusivité de son dessert star.
36:12 Car un beau jour, Michel Bras décide de publier un livre de recettes
36:17 qui va aiguiser la curiosité de toute l'industrie alimentaire.
36:22 - Ça, c'est le premier livre que j'avais écrit.
36:27 Donc là, il y avait le coulant, c'était 92.
36:30 Et là, il va se révéler un peu trop naïf.
36:34 Il se met à décrire par le menu la façon de réaliser son dessert,
36:38 incluant l'étape clé jusqu'ici inconnue de tous,
36:41 celle du coulant solidifié par surgélation avant d'être introduit dans le gâteau.
36:47 - Alors, il y a tous les divers process de fabrication.
36:52 Et quand on le glisse sur l'assiette et puis quand on l'ouvre, voilà.
36:55 Coulant majesté.
36:57 - Dans ce livre, on dévoilait tous les secrets du coulant.
37:01 - Ah oui, c'est la vraie recette.
37:03 - Et qui n'a pas bougé encore.
37:05 - Non, non, non, non.
37:07 - Elle n'a pas bougé.
37:08 - Finalement, vous avez dévoilé à l'ennemi.
37:11 - Ouais, bon.
37:12 Les bras s'en moquent un peu.
37:17 En revanche, à 800 kilomètres de là,
37:19 il y a un autre professionnel de la cuisine qui lui a senti tout le profit
37:23 qu'il pourrait retirer de ce dessert star.
37:25 Il s'agit de François Théron, en charge des nouvelles recettes chez Picard.
37:29 En janvier 2000, il développe pour la marque son propre moelleux au chocolat,
37:34 mais en cassant les prix.
37:36 François Théron sort son gâteau à 1,95 euros, prix public.
37:41 - Et là, c'est le joyeux de la marque.
37:50 Parce que c'est un produit à grand succès, il s'en vaut à peu près 2 millions par an.
37:55 Vous allez tout comprendre.
37:58 On va ouvrir cette gourmandise.
38:02 L'industriel du surgelé a réussi à fabriquer un dessert très ressemblant
38:08 à celui issu de la haute gastronomie, tout en étant accessible aux consommateurs.
38:12 - On a une réalisation qui se fait en quelques minutes, magique, pratique,
38:17 dans lequel on retrouve le crouté, le croustillant et le coulant.
38:21 Rien qu'avec ce gâteau, la marque réaliserait un chiffre d'affaires
38:25 de 4 millions d'euros par an.
38:27 - C'est l'un des produits qui m'a apporté le plus de satisfaction,
38:32 mais pas qu'à moi, bien évidemment.
38:33 - Oui, aux actionnaires aussi.
38:35 - Je pense que les actionnaires étaient ravis.
38:39 - Ils sont toujours.
38:39 Fort de ce succès, toute la concurrence s'est ruée sur le moelleux au chocolat.
38:46 Et dans son aubrac natal, Michel Bras, l'inventeur de la recette,
38:51 n'en revient toujours pas.
38:52 - Moi, je les collectionne, les boîtes.
38:57 Certaines répliques sont même signées par des chefs étoilés.
38:59 - C'est quoi, ça ? - C'est trois gros.
39:01 - C'est quand même incongru que ce moelleux au chocolat soit signé par deux autres chefs.
39:05 - Ils peuvent raconter tout ce qu'ils veulent tous.
39:09 Le coulant, je l'ai vu naître.
39:10 Je l'ai vu couler la première fois.
39:12 Reste un dernier mystère dans cette bataille du moelleux.
39:16 Comment les poids lourds du surgelé ont-ils réussi à combiner
39:19 d'une manière industrielle du croquant et du coulant dans un même gâteau ?
39:23 Un secret si bien gardé que seule une usine près de Rennes
39:30 a accepté de nous révéler comment ils s'y sont pris.
39:32 - Donc là, comme on voit, il fait froid.
39:36 A sa tête, Anne Fouché, dont la famille est dans les gâteaux depuis 45 ans.
39:40 Voici ces moelleux au chocolat qu'elle a réussi à fabriquer à échelle industrielle.
39:44 - 20 grammes.
39:46 Il est vraiment dur. Il est surgelé.
39:49 Depuis 15 ans, Anne Fouché s'est spécialisée dans la fabrication de ce dessert star.
39:56 Chaque mois, son usine en produit 350 000.
40:00 Elle en connaît la recette par coeur.
40:05 - Là, vous avez mélangé chocolat et farine ?
40:09 - De l'eau, du sucre et vous rajoutez les oeufs.
40:13 Ces coulants, Anne les revend 60 centimes pièce.
40:17 Mais pour arriver à ce petit prix, on est bien loin des cuisines alléchantes des bras,
40:22 père et fils.
40:23 Avant de passer au four, ces moelleux ressemblent à ça.
40:27 Une mixture pas très appétissante.
40:30 Mais pour faire des moelleux à l'échelle industrielle,
40:33 il faut un peu s'éloigner de la recette étoilée.
40:36 Et voici pourquoi.
40:37 Si Anne veut revendre ses moelleux 60 centimes pièce,
40:41 ils ne doivent pas lui coûter plus de 35 centimes pour qu'elle s'y retrouve.
40:44 Alors, elle compresse les coûts grâce au volume.
40:47 - Chaque sac correspond à une tonne de sucre et ceux du bain,
40:53 chacun, à une tonne de farine.
40:55 Vous allez reconnaître tous les ingrédients, comme à la maison.
40:59 Comme à la maison, enfin, pas tout à fait.
41:02 Par exemple, chez elle, les oeufs arrivent par barrique de 1000 litres.
41:05 C'est 30% moins cher que des oeufs frais,
41:07 mais c'est surtout beaucoup plus pratique à préparer.
41:09 - C'est par coup de dizaines de kilos dans chaque recette,
41:14 donc à 20 grammes l'oeuf.
41:17 Des oeufs liquides et plus étonnant dans la réserve, pas de beurre.
41:22 En guise de matière grasse, des hectolitres d'huile.
41:25 - Là, ce sont des cuves d'huile,
41:30 où on nous dit de la matière grasse végétale,
41:33 puisque nos gâteaux, et notamment le coeur coulant,
41:37 sont fabriqués avec de l'huile, matière grasse végétale,
41:40 et non pas du beurre, qui réagit très mal au chocolat.
41:43 Pourtant, Michelle Braa utilise bel et bien du beurre dans sa recette.
41:47 C'est même ce qui donne le crémeux de la ganache.
41:50 Mais cet ingrédient coûte trois fois plus cher que l'huile de colza.
41:53 Et c'est là où Anne Fouché a dû se casser la tête
41:56 pour trouver une technique meilleur marché que celle des bras.
42:00 Elle est parvenue à créer une pâte unique,
42:01 qui va être à la fois dure à l'extérieur et molle à l'intérieur.
42:05 - Vu que c'est une pâte liquide,
42:06 on va avoir un gâteau couté à l'extérieur et moelleux à l'intérieur.
42:12 Donc, deux textures différentes, alors qu'on en a qu'une.
42:15 En fait, ici, l'étape de la ganache de Michelle Braa,
42:18 qui donne le coeur coulant, a été supprimée.
42:21 C'était l'une des étapes les plus coûteuses en main d'oeuvre.
42:24 Pour remplacer les employés, elle a tout simplement investi
42:27 dans un immense four, le coeur de son secret.
42:30 - Le gâteau ne cuit pas de façon uniforme.
42:36 On le cuit tantôt de manière beaucoup plus élevée au dessus.
42:42 Après, on va cuire dessous, plus lentement, plus doucement.
42:46 A la fin de la cuisson, ça permet d'avoir ces doubles textures
42:49 et de ne pas tout cuire bien haut la main, tout le gâteau.
42:53 Et il ne faut pas qu'il soit homogène.
42:55 Pendant plus de 30 minutes, les coulants passent sous 300 brûleurs
42:59 disséminés tout au long de leur parcours.
43:01 Et à la sortie, voilà le résultat.
43:04 - Il a bien l'aspect brillant, on veut, lisse sur le dessus.
43:11 Et on va voir s'il a bien la double texture.
43:14 Donc là, on a bien une petite coute.
43:15 Et quand je perce la coute, on a bien la texture très moelleuse.
43:19 Donc, c'est bien un coeur coulant.
43:21 En fait, voilà l'astuce.
43:24 Anne n'introduit pas du coulant à l'intérieur de son gâteau,
43:27 mais elle a juste trouvé le moyen de contrôler la cuisson
43:30 pour que la pâte ne soit pas complètement cuite dedans.
43:32 Et c'est une fois terminé que les gâteaux sont envoyés à la surgélation.
43:37 À partir de là, ils peuvent être conservés 18 mois.
43:41 Idéal pour les restaurateurs.
43:43 Que ce soit dans sa cuisine ou au restaurant,
43:48 cette pâtisserie illustre parfaitement une des armes les plus efficaces
43:51 des surgelés pour pénétrer tous les marchés de l'alimentaire.
43:55 Donner l'impression du fait maison,
43:57 mais issu d'une production industrielle à très grande échelle.
44:01 Sous-titrage Société Radio-Canada

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