Alain Juppé _ si la France savait - Les coulisses et les secrets de Matignon -Do

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Comme Laurent Fabius, il a occupé les plus hautes fonctions mais il ne sera jamais président de la République. C'était pourtant son ambition. Une ascension rapide, l'entrée dans le premier cercle de Jacques Chirac, le gouvernement durant les deux premières cohabitations, ses relations cordiales avec François Mitterrand : Alain Juppé raconte avec une grande liberté de ton les principales étapes d'un parcours qui l'a conduit à Matignon. Son récit de la grande crise sociale de 1995 est d'une grande lucidité. La dissolution ratée de 1997, la condamnation de 2004, l'exil au Québec, le retour victorieux à Bordeaux, le Quai d'Orsay sous Nicolas Sarkozy, l'échec à la primaire de 2016 : sur tous ces épisodes politiques, le témoignage de l'ancien Premier ministre est précieux. Un vrai moment de vérité.

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00:36 Les palais de la République,
00:37 lieu de pouvoir et de secret comme cet hôtel de Matignon
00:40 où travaille le Premier ministre et son équipe.
00:43 C'est là que Georges-Marc Benhamou et Patrice Duhamel,
00:45 deux observateurs de la vie politique,
00:47 ont choisi de retrouver durant l'été et l'automne 2019
00:50 certains anciens locataires des lieux.
00:53 Quel a été leur parcours ?
00:54 Comment ont-ils vécu leurs années de pouvoir ?
00:56 Qu'ont-ils retenu des périodes de crise ?
00:59 Que peuvent-ils révéler aujourd'hui qu'ils n'ont pas pu dire auparavant ?
01:02 C'est l'objectif de ces entretiens.
01:04 Quand on a été Premier ministre,
01:06 Matignon reste pour toujours un jardin secret.
01:08 Depuis 1976, la tradition veut que chaque nouveau chef de gouvernement plante son arbre.
01:13 Le visiteur du jour, c'est Alain Juppé,
01:15 et son arbre, c'est l'arbre caramel.
01:17 Monsieur le Premier ministre, si la France savait, c'est l'objet de ce film,
01:38 s'il y avait un sujet, une rectification au regard de l'histoire,
01:42 quel est le fait historique que vous avez envie de rectifier ?
01:46 Je ne sais pas si on peut rectifier l'histoire.
01:50 En tout cas, il y a une idée qui a pénétré dans les têtes
01:53 et qui est considérée comme un fait acquis,
01:55 c'est que les grèves de décembre 1995,
01:59 qui ont été massives, c'est vrai,
02:01 ont stoppé l'ensemble des réformes que mon gouvernement avait entreprises
02:05 sous l'impulsion de Jacques Chirac.
02:07 Et je crois que ça ne correspond pas à la vérité historique.
02:09 Je prends un seul exemple, la réforme de l'assurance maladie
02:13 a été intégralement réalisée par des ordonnances
02:16 qui ont été publiées au printemps 1996.
02:19 Voilà un point d'histoire sur lequel, peut-être,
02:22 on pourrait rétablir la réalité des choses.
02:24 Alain Juppé est le plus fidèle des Chiraciens,
02:31 l'un des plus proches de ce président que ses amis appelaient "le Grand".
02:36 Écoutez, je suis venu dans ce département des Landes
02:40 à l'invitation et pour soutenir mon ami Alain Juppé
02:43 pour les prochaines élections législatives.
02:45 Le parcours de Juppé est celui d'un surdoué de la politique
02:51 qui, cependant, n'aura pu atteindre le sommet, l'Élysée.
02:54 Aujourd'hui, Juppé déclare qu'il n'a pas de plan de carrière.
02:59 Il en agace plus d'un, par sa réussite
03:02 et sans doute aussi par sa franchise,
03:04 car il ne cache pas son désir d'aller beaucoup plus loin.
03:07 Bien avant Matignon, le quai d'Orsay et la mairie de Bordeaux,
03:11 il y eut monde marçant.
03:12 C'est là que commence l'histoire du futur Premier ministre.
03:15 J'ai vécu constamment, jusqu'à l'âge de 16 ans, 17 ans,
03:23 dans ce qui était une petite ville à l'époque.
03:25 J'ai écrit méchamment, et là aussi j'en demande pardon à mes concitoyens,
03:29 que c'était la ville la plus emmerdante que j'aie jamais connue dans ma vie.
03:32 C'était une petite ville, il ne s'est passé pas grand-chose.
03:34 J'avais créé quand même au lycée une association
03:37 qui s'appelait l'Association des jeunesses littéraires et musicales montoises.
03:41 Nous avions un journal qui s'appelait Le Grelo.
03:43 J'y tenais la rubrique cinématographique et j'y commettais des poèmes
03:48 sous le pseudonyme de Pierre Odilon, je crois,
03:53 parce que j'étais tombé amoureux d'une lycéenne qui s'appelait Odile.
03:57 Donc voilà, c'était ça mon enfance, c'était monde marçant.
04:00 Et donc quand même une impression un peu d'étouffement.
04:03 Monté à Paris donc, comme une évidence.
04:06 Le jeune Juppé est un étudiant brillant.
04:08 Normale sup, Science po et l'ENA promotion Charles de Gaulle
04:12 avant de rejoindre l'Inspection générale des finances.
04:14 Le Graal pour ce jeune landais.
04:17 Le 19 décembre 1964, Alain Juppé connaît sa première grande émotion politique.
04:22 Le discours de Malraux pour le transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon.
04:27 Je déambulais dans les rues du Quartier Latin et puis la rue Soufflot.
04:31 Donc je vois arriver ce cortège, il faisait un froid de gueux.
04:34 J'étais dans la foule. Tout d'un coup, j'entends cette voix.
04:37 Et pendant que de Gaulle lui donnait la collade,
04:40 une larme lourde de reconnaissance, de fierté et de farouche volonté
04:45 coulait doucement le long de la joue pâle de notre camarade Moulin.
04:49 Comme il avait la tête levée, nous pouvions voir encore au travers de sa gorge
04:55 les traces du coup de rasoir qu'il s'était donné en 40
04:59 pour éviter de céder sous les tortures de l'ennemi.
05:02 Ça m'a complètement noué les tripes.
05:04 C'est vrai, j'ai trouvé ça absolument bouleversant.
05:07 Et je le répète, c'était plus d'une certaine manière la solennité et la beauté.
05:12 La beauté du texte, la beauté de la voix, la beauté de la mise en scène,
05:16 d'une certaine façon qui m'a un peu bouleversé.
05:19 – Et c'est la première fois que vous voyez physiquement le général de Gaulle qui est là.
05:22 – Oui, oui, oui, de loin.
05:24 Je ne l'ai jamais approché le général de Gaulle.
05:26 Je l'ai vu deux fois, je crois, d'assez près, là, rue Soufflot.
05:32 Une fois à Bonne-Marsan aussi, il était venu en 58, je crois,
05:37 faire une réunion sur la place de la Poste.
05:39 En 58, j'avais 13-14 ans, 13 ans.
05:41 Et donc j'avais été voir un peu ce qui se passait
05:43 parce que mon père avait été résistant dans les corfrancs-pommières
05:47 et donc il était gaulliste.
05:49 Et donc lui a toujours été engagé de ce côté-là.
05:52 Donc j'avais déjà un peu ce rattachement, cette filiation.
05:56 – Au milieu des années 70, en s'engageant auprès de Jacques Chirac,
06:01 Juppé reste fidèle à la tradition familiale gaulliste.
06:04 – Cet après-midi, le décor a changé avec la mort de l'UDR
06:09 et la naissance du Rassemblement pour la République.
06:11 – Puis c'est l'aventure du RPR.
06:13 Alain Juppé suit Jacques Chirac à la mairie de Paris
06:15 et va vivre à ses côtés la campagne présidentielle de 1981.
06:19 [Cris de joie]
06:24 François Mitterrand l'emporte.
06:25 C'est la première alternance politique depuis 23 ans.
06:28 Mais cinq ans plus tard, l'opposition gagne les législatives.
06:32 Ce sera la première cohabitation de la Ve République.
06:35 Jacques Chirac devient Premier ministre et Alain Juppé sort de l'ombre.
06:39 Il entre au gouvernement où il va occuper un poste clé.
06:42 – Le ministre des Finances, Édouard Balladur,
06:44 est suivi de son jeune ministre délégué au budget, Alain Juppé,
06:48 le financier de l'Hôtel de Ville.
06:50 [Cris de joie]
06:52 – Très sollicité par les photographes et les journalistes.
06:55 [Cris de joie]
06:58 – Et là, au cœur du pouvoir, il apprend à connaître François Mitterrand.
07:01 – Une image tout à fait historique.
07:03 – C'est quoi votre réaction vis-à-vis de Mitterrand ?
07:05 Il vous impressionne ?
07:08 – Non, très clairement, et d'ailleurs ça l'a marqué aussi un peu,
07:12 pour moi c'est un adversaire, c'est clair, il est le président de la République,
07:16 on est parfaitement respectueux, ça va de soi, de la fonction,
07:19 mais politiquement c'est quelqu'un qui ne partage pas la politique que nous menons,
07:26 et qui cherche tous les moyens divers, constitutionnels ou autres, de nous contrarier.
07:32 Et donc ça m'amène aussi à avoir des positions qui sont assez marquées politiquement,
07:38 ce qui me vaudra en 93, lorsque je le rencontre pour la première fois
07:42 en tant que ministre des Affaires étrangères, cette phrase de sa part,
07:46 "je n'étais pas très favorable à votre domination
07:48 parce que je vous ai toujours considéré comme quelqu'un de sectaire",
07:50 effectivement c'était peut-être le souvenir de 86-88
07:54 où il n'y avait pas beaucoup de chaleur dans la relation que nous avions.
07:57 – Mais en 86 vous le voyez quand même tous les mercredis en Conseil des ministres,
08:01 c'est ça ? – Oui, mais enfin non.
08:02 – Mais c'est aussi glacial qu'on l'a raconté ?
08:06 – Oui, oui, c'était très glacial, puis il ne se passait rien au Conseil des ministres,
08:12 parce que toutes les négociations étaient en train,
08:14 et bien évidemment on n'allait pas exposer d'éventuelles divergences
08:18 entre les ministres au Conseil des ministres devant le président de la République,
08:21 en le faisant arbitre des discussions éventuelles au sein du gouvernement.
08:25 [Musique]
08:28 – Dans ce premier gouvernement de cohabitation,
08:31 le jeune ministre fait ses classes, rapidement, avec toutefois une difficulté,
08:36 sa relation complexe avec le tout puissant ministre d'État, Édouard Balladur.
08:41 Pour bien voir quelle était la structure du gouvernement,
08:44 et quel était le comportement des personnes en 86,
08:48 il y avait un ministre d'État de l'économie, des finances etc. qui était Édouard Balladur.
08:53 Et puis il y avait un ministre délégué chargé du budget,
08:55 et Édouard Balladur ne se faisait pas faute de m'appeler toujours monsieur le ministre délégué,
09:01 et je l'appelais monsieur le ministre d'État.
09:03 Ce n'est pas un secret non plus là que nos relations un peu au début ont été un peu tendues.
09:08 C'est très amusant parce que dans la période précédente, de 81 à 86,
09:13 j'ai beaucoup travaillé avec Édouard Balladur,
09:16 qui était devenu le conseiller proche de Jacques Chirac, il faut bien le dire.
09:20 Et j'avais avec Édouard Balladur des relations,
09:23 d'abord de respect mutuel sur le plan intellectuel disons,
09:27 et même sur le plan personnel extrêmement tafable, ça se passait très bien.
09:31 Et puis quand il est arrivé au ministère des Finances,
09:36 tout d'un coup le vertige du pouvoir l'a pris, il est devenu assez désagréable,
09:39 et j'étais vraiment le ministre délégué.
09:41 Je n'ai pas aimé ça, et j'ai commencé à rouer dans les brocards.
09:45 Et un jour Chirac m'a dit "mais si vous ne le supportez pas, on va changer,
09:50 je suis prêt à vous mettre au ministère de l'Éducation,
09:52 je sais que vous aimez bien ces questions-là,
09:54 mais vous feriez une connerie parce que le budget,
09:56 l'apprentissage c'est quand même essentiel dans les rouages de l'État".
09:59 Alors j'ai réfléchi, je lui ai dit "ok, je vais mettre de l'eau dans mon vin,
10:03 il faudrait que Balladur en mette aussi un petit peu",
10:04 et finalement ça s'est bien passé naturellement.
10:06 Donc tout ça pour vous dire que les relations avec Mitterrand,
10:10 c'était le Premier ministre et Balladur.
10:13 Moi je ne le voyais pas,
10:14 je n'avais pas discuté les arbitrages budgétaires avec Mitterrand.
10:17 En période de cohabitation, le président n'est pas dans le circuit
10:22 de fonctionnement de l'administration, c'est très différent
10:24 pour le ministre des Affaires étrangères que j'étais en 1993.
10:27 En mars 1993, l'opposition remporte largement les législatives.
10:31 C'est la deuxième cohabitation.
10:33 Alain Juppé devient ministre des Affaires étrangères.
10:36 Au Quai d'Orsay, il va observer François Mitterrand.
10:39 De plus près cette fois.
10:41 Une vraie proximité s'installe entre ces deux hommes, ces deux adversaires.
10:44 Visiblement, le courant passe entre le président de gauche
10:51 et le ministre de droite.
10:53 Mais au moment où le dossier explosif de l'ex-Yougoslavie
10:57 vient diviser l'Europe, des divergences apparaissent
10:59 entre Mitterrand et son ministre des Affaires étrangères.
11:02 Mitterrand avait une culture historique où tout le monde salue.
11:05 C'était un avantage et un inconvénient.
11:07 C'est que parfois, il attachait trop d'importance au poids de l'histoire.
11:10 Pour lui, la Serbie, c'était l'allié de 14-18.
11:14 Donc, il n'était pas question de s'antagoniser avec la Serbie.
11:17 Pour moi, la Serbie, c'était, avec des responsabilités partagées,
11:21 un pays qui pratiquait le nettoyage ethnique dans l'ex-Yougoslavie.
11:25 Et donc, il a fallu que je le fasse un peu évoluer sur ces questions-là.
11:29 Et je crois pouvoir y être arrivé, on a complètement oublié,
11:32 on a dit que la communauté internationale avait été totalement inefficace.
11:37 À cette époque-là, ce n'est pas tout à fait vrai.
11:39 On a oublié l'ultimatum de Sarajevo, où j'avais convaincu Mitterrand
11:43 de faire lancer par l'OTAN un ultimatum aux Serbes,
11:47 en leur disant "si vous ne retirez pas vos armes loutres
11:49 qui pylônent Sarajevo avant de tel jour, telle heure,
11:52 eh bien à ce moment-là, nous interviendrons".
11:54 Et ça a marché, les Serbes se sont retirés.
11:55 Donc, vous voyez là, ce dialogue sur la Serbie a été intéressant.
11:59 Vous avez mis du temps à le convaincre,
12:00 parce que sur ses positions, il était horriblement braqué.
12:03 Il n'a pas été jusqu'au bout de cette logique.
12:07 Il a en particulier refusé qu'on aille un coup plus loin,
12:10 c'est-à-dire qu'on transforme la mission de l'ONU
12:13 en une véritable mission d'intervention.
12:15 Qui l'a fait ? C'est Chirac.
12:17 Chirac arrive en juin 1995, donc l'élection,
12:22 et il prend une première décision que Mitterrand n'aurait pas prise,
12:27 même si je l'avais poussée en ce sens.
12:30 Il y a un pont à la sortie de Sarajevo,
12:32 qui s'appelle le pont de Verbiana,
12:34 et il y a des militaires français, des casques bleus français,
12:37 qui ont été pris à notage par les Serbes.
12:38 Et qui sont ridiculisés, parce que la consigne de l'ONU,
12:41 c'est "on ne riposte pas".
12:43 Et Chirac dit "c'est terminé".
12:44 Quand des soldats français, fustiles sur casques bleus,
12:47 sont attaqués, ils ripostent.
12:48 Et ça a été le basculement finalement du conflit,
12:51 qui a amené ensuite aux accords de Dayton,
12:53 et donc à la résolution de la crise.
12:55 Vous voyez quand même que Mitterrand n'a pas été jusqu'au bout.
12:58 Et puis, il y a le drame du Rwanda,
13:05 le génocide d'Etutsi qui en 1994 fait plus de 800 000 victimes.
13:09 Pour Alain Juppé, le sujet reste ultra sensible.
13:12 Au Quai d'Orsay, en lien avec l'Élysée,
13:18 Alain Juppé est en charge du dossier.
13:20 25 ans après, ses souvenirs sont intacts.
13:23 Sur le Rwanda, je suis d'une sensibilité extrême,
13:29 parce que je ne cesserai de me battre contre ce que je considère
13:33 comme une véritable entreprise de falsification historique
13:37 sur le rôle de la France, au moins sur ce que j'ai connu du rôle de la France,
13:41 c'est-à-dire de la période qui va de 1993 à 1995,
13:46 lorsque j'étais au Quai d'Orsay.
13:49 Aujourd'hui encore, la polémique se poursuit.
13:51 Des questions se posent toujours sur l'action de la France au Rwanda
13:53 durant cette période.
13:54 Y a-t-il eu, comme l'affirment certains,
14:03 une responsabilité ou une complicité de la France ?
14:07 La France ne peut d'aucune manière être suspectée
14:12 d'avoir été complice de la préparation puis de l'exécution du génocide.
14:15 Ça, c'est un mensonge historique.
14:18 Qu'est-ce que nous avons essayé de faire ?
14:19 Avec l'accord de Mitterrand, qui était président de la République.
14:22 C'est pousser à la réconciliation des Hutus et des Tutsis.
14:25 Et ça s'appelle le processus d'Arusha.
14:28 Donc en Ouganda, des réunions ont eu lieu
14:30 et ont abouti à la conclusion, à la fin de l'année 1993,
14:33 d'accords qui prévoyaient la mise en place d'un gouvernement
14:37 de réconciliation nationale dans lequel le parti de Kagame,
14:43 le FPR et puis celui des Bermyanas se retrouvaient.
14:45 Et nous avons réussi.
14:47 J'ai même reçu à l'époque un télégramme de félicitations
14:49 de M. Kagame remerciant la France d'avoir contribué à tout cela.
14:53 Donc je ne vois pas à quel titre on pourrait nous reprocher
14:57 d'avoir été plus ou moins complice de je ne sais quelle préparation du génocide.
15:02 Génocide, destruction systématique d'un groupe ethnique.
15:08 C'est la définition.
15:11 Et c'est la raison pour laquelle j'ai, comme vous l'avez fait moi-même,
15:15 il y a quelques jours, utilisé ce terme de génocide
15:18 puisque c'est bien de cela qu'il s'agit, Oruanda.
15:21 La France condamne le génocide.
15:23 On a passé complètement sous silence ma déclaration à Bruxelles,
15:26 réitérée à l'Assemblée nationale dès le mois de mai,
15:29 dans laquelle je dis, en ce moment, Oruanda se passe un véritable génocide.
15:34 Tout le monde se tire.
15:36 Les Belges se tirent, l'ONU se tire.
15:38 Et le secrétaire général des Nations Unies le reconnaîtra après et s'excusera.
15:42 La seule initiative qui est prise à ce moment-là, c'est la France,
15:45 qui dit on ne peut pas laisser faire sans réagir.
15:47 Ce sera alors l'opération turquoise.
15:51 En juin 1994, 2 500 militaires français sont déployés sur le territoire ouandais.
15:56 Une opération encore contestée aujourd'hui.
15:59 Un accueil triomphal dans cette partie du Panda.
16:02 Pour moi, l'intervention turquoise est à l'honneur de la France,
16:06 des militaires français et de la France qui a protégé des centaines de milliers de vies.
16:10 Voilà ma lecture de ce qui s'est passé.
16:12 Et Balladur était très vigilant, je le soutenais à fond là-dessus,
16:16 sur la définition de l'opération dans le temps et dans l'espace et dans la mission.
16:20 C'est une opération humanitaire qui ne vise pas à prendre position pour les uns contre les autres.
16:25 C'est limité dans l'espace, sur la zone géographique,
16:29 où les populations sont en train de refuer.
16:30 Et dans le temps, la mission, si c'est trois mois ou quatre mois,
16:34 doit se mettre en place pendant trois mois, le temps de laisser à l'ONU
16:38 de prendre ses responsabilités et d'envoyer un dispositif plus pérenne.
16:42 Voilà la vérité sur l'opération du Rwanda.
16:44 Durant ces deux années, de 1993 à 1995,
16:54 François Mitterrand et Alain Juppé ont beaucoup voyagé, beaucoup échangé.
16:58 François Mitterrand, le président qui cloisonnait tant ses relations,
17:02 se confie volontiers à Alain Juppé, son ministre des Affaires étrangères.
17:06 François Mitterrand est alors un homme malade, un président qui souffre.
17:09 Il recevait chaque ambassadeur personnellement.
17:17 L'ambassadeur faisait son petit discours, Mitterrand lui répondait,
17:20 et ensuite, il s'installait autour d'une table et d'un café pour un petit entretien.
17:27 D'autres présidents de la République faisaient ça davantage à la chaîne.
17:31 Et entre deux audiences, il y en avait cinq ou six dans l'après-midi,
17:35 il s'allongeait sur la banquette, épuisé. Et j'étais là.
17:38 Il y a eu cette espèce de relation humaine qui s'est créée,
17:43 quand je l'ai vu, avec ce courage extraordinaire,
17:46 continuer à assumer sa fonction, parce qu'il l'assumait, intellectuellement,
17:50 et même physiquement, alors qu'il était déjà extraordinairement diminué.
17:54 Donc voilà, ça explique peut-être cette dimension personnelle.
17:57 Et suite à ça, vous avez appris à l'aimer ?
17:59 Il était charmeur.
18:02 Tous les hommes politiques aiment être charmés.
18:05 Donc j'ai aimé être un peu charmé, c'est vrai, tout en restant lucide.
18:09 Et puis ça a été plus loin que cela, puisque...
18:13 Ça, c'était en l'été 94, je crois.
18:16 Il était à Latché en vacances, et j'étais à Osgore.
18:19 Il m'a invité à déjeuner, non pas à Latché, mais autour du golfe de Seignos.
18:25 Il est arrivé à deux heures de l'après-midi, actuellement.
18:29 On a déjeuné, puis ensuite, on a bu le café en tête à tête.
18:32 J'étais complètement tendu, parce que je devais aller à une corrida à Dax
18:37 à 6 heures, et je voyais 4 heures, 5 heures.
18:40 Et là, il a longuement parlé.
18:42 Je me souviens de cette phrase en me disant,
18:46 "Tenez-vous prêts, ce sera votre tour un jour."
18:50 Bon, ça flotte.
18:52 L'élection présidentielle de 1995 approche.
18:56 Alain Juppé travaille activement à la préparation de la campagne de Jacques Chirac.
19:00 Nous avons au Rassemblement pour la République
19:03 un candidat déclaré depuis plusieurs semaines déjà.
19:08 Pendant ce temps, le Premier ministre Édouard Balladur
19:10 est encore au Zénith dans les sondages.
19:13 Est-ce que vous connaissez quelqu'un qui n'échangerait pas volontiers
19:15 ses sondages contre les miens ?
19:17 Puis c'est l'affrontement Balladur-Chirac.
19:22 Les deux amis de 30 ans se déchirent.
19:24 Pour Alain Juppé, la stratégie d'Édouard Balladur
19:27 reste, 25 ans après, un sujet d'étonnement et de réflexion.
19:31 J'avoue que je n'ai pas bien vu se créer le fossé
19:36 qui a abouti à la séparation,
19:38 à ce que j'ai ressenti moi, comme Chirac, d'ailleurs, une trahison.
19:41 En 92, quand Balladur a basculé et qu'on a bien compris
19:45 que s'il voulait aller à Matignon,
19:47 c'était pas pour se limiter à l'objectif Matignon,
19:49 mais qu'il y avait derrière une autre ambition présidentielle.
19:52 Voilà, ça, ça a été compliqué à vivre pour moi
19:54 parce que j'avais avec les deux hommes des relations très étroites
19:58 et je pensais qu'ils allaient être, naïvement encore,
20:03 peut-être que j'utilise trop souvent ce mot de naïveté en parlant de moi,
20:07 je pensais que l'équipe Chirac-Balladur, ça allait fonctionner
20:10 et que ça allait nous permettre de gagner l'élection présidentielle.
20:13 Imaginez un petit peu si la majorité se rassemblait dès le premier tour
20:19 derrière un seul et même candidat.
20:21 Et si ce seul et même candidat était celui qui rassemblerait le plus,
20:26 Édouard Balladur ?
20:27 Cela veut dire que nous pourrions dire à nos compatriotes
20:30 qui croient en nos idées qu'à la prochaine élection présidentielle,
20:34 notre candidat peut être élu dès le premier tour.
20:37 Et puis il y a l'attitude de Sarkozy là aussi,
20:39 qui pour moi est une grande surprise.
20:42 Il était quand même jusqu'en 91-92 dans l'équipe rapprochée
20:46 qui préparait la campagne de Chirac,
20:48 avec l'autre Chirac et quelques autres.
20:50 Et puis quand je le vois basculer du côté de Balladur,
20:54 ça a été pour moi aussi un choc.
20:57 7 mai 1995, Chirac est élu président.
21:04 Grâce à une campagne menée tambour battant,
21:06 il a réussi à inverser la courbe des sondages.
21:08 À ce côté notamment le trio de chocs qui l'a aidé à conquérir l'Elysée,
21:13 Alain Juppé, Philippe Séguin et l'UDF Alain Madelin.
21:16 Il a battu Édouard Balladur au premier tour
21:18 et Lionel Jospin au second.
21:20 Pour Alain Juppé, c'est une soirée mémorable et particulière.
21:24 - Quel souvenir vous avez du soir de la victoire ?
21:27 - Ça va vous surprendre, un souvenir d'inquiétude.
21:31 J'étais à la venue d'Yannin et Chirac est arrivé.
21:36 Un enthousiasme délirant.
21:37 J'ai dit que j'étais inquiet parce que j'étais avec ma femme Isabelle.
21:40 Elle était enceinte, jusqu'au demain,
21:42 elle est accouchée au mois d'octobre suivant.
21:45 Et on a été pris par la foule.
21:47 Elle a été bousculée et j'ai fini la soirée dans l'hôpital de campagne
21:52 qui était installé dans les locaux où il y avait des médecins
21:54 qui traitaient les gens qui avaient eu des malaises.
21:56 Isabelle avait un malaise et donc je n'ai pas suivi
21:59 chez Chirac Place de la Concorde parce que je suis resté auprès de ma femme.
22:02 Mais bon, c'était rien.
22:03 Clara est arrivée en temps et à l'heure.
22:05 Alain Juppé n'a pas 50 ans lorsqu'il quitte le Quai d'Orsay
22:13 pour rejoindre Matignon.
22:15 Il devient le premier chef de gouvernement du président Chirac.
22:18 À quel moment vous avez su, avant j'imagine le soir du deuxième tour,
22:25 que ce serait vous le Premier ministre ?
22:27 Parce qu'on parlait de vous, on parlait de ce gars.
22:30 Je ne sais pas quand je l'ai su et je me demande si je ne l'ai jamais su.
22:34 Parce que ça me surprit beaucoup de mes amis ou de mes adversaires
22:41 ou de mes jaloux.
22:43 Et un peu moi-même, je n'ai jamais eu véritablement de discussion
22:46 avec Chirac là-dessus.
22:48 J'avais la certitude au fond de moi-même que ce serait moi.
22:52 Mais je lisais les commentaires comme chacun s'égainit, hésite, etc.
22:57 Et Chirac ne m'a jamais rassuré, ne m'a jamais dit,
23:00 j'ai décidé ce sera vous.
23:02 Pourquoi ? Je n'en sais rien.
23:03 Peut-être parce que ça lui paraissait tellement évident
23:06 et tellement acquis entre nous qu'il n'éprouvait pas le besoin de le dire.
23:12 Est-ce que pendant cette période, l'ombre de Séguin n'était pas un peu gênante ?
23:17 Non, je n'ai jamais eu de confrontation violente avec Séguin.
23:22 Il ne m'aimait pas.
23:24 Pourquoi ?
23:26 Je ne l'aimais pas parce qu'il ne m'aimait pas.
23:28 On était concurrents, c'est vrai.
23:31 C'est un peu dommage.
23:32 Nous n'avions pas le même caractère.
23:34 Je n'ai jamais compris pourquoi Chirac en avait peur à ce point.
23:39 Peur de ses colères sans doute.
23:42 Et pourquoi il était aussi, comment dire, complaisant ou tolérant avec lui,
23:48 même quand il lui mettait sinon des bâtons dans les roues,
23:51 du moins quand il gênait son action.
23:53 Enfin c'était ainsi, il fallait vivre avec.
23:54 Il n'a pas supporté que Chirac dise la fameuse phrase à l'âge du P,
23:59 qui est sans doute le meilleur d'entre nous.
24:00 Pour ça, il n'a pas été le seul.
24:02 Oui, mais enfin spécialement lui.
24:04 C'est la plus grosse pierre dans mon jardin que Chirac n'ait jamais envoyée,
24:07 je le lui dis d'ailleurs.
24:09 C'était un coup sûr, fédéré, toutes les jalousies.
24:13 Et ça n'a pas manqué.
24:15 Je rectifie quand même un peu le tir.
24:19 Au crédit de Chirac, il a dit Alain Juppé qui est probablement le meilleur d'entre nous.
24:24 Donc il y avait quand même un petit bémol.
24:26 Probablement ça laissait un espoir à quelques autres.
24:28 Personne ne l'imagine alors, mais lorsqu'il est nommé à Matignon,
24:31 et malgré son parcours, Alain Juppé ne s'estime pas véritablement prêt.
24:36 Mon seul problème, c'est que, ça je le confesse aujourd'hui,
24:42 je n'étais pas vraiment préparé.
24:45 Alors oui et non.
24:47 Oui parce que, je l'ai rappelé tout à l'heure,
24:49 j'avais quand même une certaine expérience de la chose publique, du gouvernement,
24:53 des partis, de la vie politique, du monde politique,
24:55 depuis une bonne trentaine d'années.
24:59 Mais non parce que je ne m'étais pas vraiment investi dans la préparation d'une équipe,
25:03 dans la réparation d'un projet, au-delà du projet présidentiel,
25:07 qu'il faut appliquer, mais après il y a la déclinaison gouvernementale.
25:10 Et donc, je dois dire qu'un de mes pires souvenirs de cette période,
25:14 c'est la préparation de mon discours d'investiture.
25:16 Vous savez comment ça se prépare un discours,
25:18 on demande au ministre de vous envoyer des contributions,
25:20 je me suis retrouvé avec des piles de trucs,
25:22 il fallait assurer la synthèse, je voulais faire comme synthèse l'emploi,
25:28 priorité absolue, l'emploi, l'emploi, l'emploi.
25:30 Concentré, presque tendu, Alain Juppé entame le discours qu'il prépare depuis sa nomination.
25:35 Des thèmes sans surprise, et un maître mot, l'emploi.
25:39 Le renouveau du pacte républicain passe par une mobilisation générale contre le chômage,
25:44 telle est l'ambition que vous propose le gouvernement.
25:48 Et donc le résultat c'est que j'ai fait un discours d'une heure et demie,
25:50 qui était chiant, il faut bien dire les choses comme elles sont,
25:52 sans véritablement de souffle, et que l'Assemblée n'a pas été transportée.
25:57 Son discours de politique générale ne marque pas les esprits.
26:00 En revanche, six mois plus tard, l'annonce par Juppé de la réforme des retraites
26:03 et de la sécurité sociale est, dans un premier temps, bien accueillie.
26:07 Le discours que j'ai prononcé, qui avait reçu d'ailleurs un accueil enthousiaste
26:10 de l'Assemblée nationale, avec, comme on dit en bon français,
26:13 une "standing ovation", c'était la réforme de l'assurance maladie,
26:17 puisque le choc que j'ai eu en arrivant à Matignon, on en reparlera sans doute,
26:21 ça a été le trou de la sécu, souvenez-vous, c'était une expression assez usuelle à l'époque.
26:26 Et donc il fallait absolument prendre à brand le corps cette question de l'assurance maladie.
26:32 Et j'ai malheureusement, ça a été une erreur de ma part,
26:36 ajouté dans mon discours, qui était principalement consacré à cette réforme,
26:40 une phrase, un membre de phrase, dans lequel j'évoquais la nécessité
26:45 de s'attaquer à la réforme des régimes spéciaux de retraite.
26:48 Et c'est ça qui a mis le feu aux poudres, d'abord à la SNCF,
26:51 puis par effet de contagion dans d'autres secteurs de l'économie.
26:55 Mobilisation donc très importante, que ce soit dans les petites, les moyennes,
26:59 ou les grandes villes de France.
27:01 L'appel à manifester lancé aujourd'hui par la CGT, force ouvrière, a largement été subi.
27:07 Son but, se faire entendre par le gouvernement.
27:09 Ni train, ni transport en commun, ni ramassage d'ordures,
27:13 la capitale girondine tourne au ralenti.
27:16 La manifestation s'est terminée devant le théâtre,
27:18 où l'effigie du maire de Bordeaux, Alain Juppé, a été brûlée.
27:21 Comment vous vivez vous-même, à titre personnel, intime,
27:25 ce blocage assez terrifiant du pays en décembre 1995 ?
27:29 Douloureusement, bien évidemment.
27:31 J'ai dit, connaissez mon esprit de provocation parfois,
27:35 que j'étais brûlé à un effigie très régulièrement,
27:38 notamment sur la place Péberland à Bordeaux,
27:41 chaque fois que je rentrais dans ma ville pour exercer mes fonctions de maire,
27:45 puisqu'à l'époque on cumulait,
27:46 et je disais que ce n'était pas très douloureux d'être brûlé à un effigie
27:51 et que je le supportais assez bien.
27:53 Cela dit, ça a été une période extrêmement compliquée, bien sûr,
27:56 mais vous savez, quand on est dans une fonction comme celle-là,
27:59 comme celle de Premier ministre,
28:01 en tout cas c'était mon attitude,
28:04 on ne se laisse pas aller à des états d'âme.
28:06 Plus de 100 000 manifestants se sont retrouvés
28:08 dans une ambiance prise de la Bastille,
28:10 pour crier une nouvelle fois leur hostilité au plan Juppé.
28:14 Pour les leaders syndicaux, le Premier ministre doit cesser
28:17 de miser sur un pourrissement du conflit.
28:19 Mon impopularité était forte et je n'arrivais pas à remonter la pente.
28:22 Je recevais pourtant des conseils en communication,
28:25 pour être meilleur à la télévision, etc.
28:28 Mais j'ai dit un jour à Chirac,
28:30 écoutez, peut-être que la solution c'est de changer de Premier ministre.
28:33 Donc moi, mon mandat est naturellement à votre disposition,
28:36 et Chirac m'a dit, il n'en est pas question, vous allez continuer le boulot.
28:39 Et donc j'ai continué.
28:42 Je crois que quand on regarde un peu les couples,
28:45 président-Premier ministre depuis une vingtaine d'années,
28:48 ou une trentaine d'années, ou même si on remonte plus loin dans le temps,
28:51 la relation que j'ai eue avec Chirac est assez exceptionnelle.
28:54 Moi j'ai eu la chance d'avoir une espèce d'entente,
28:57 parfois simplement tacite,
29:00 qu'il soit besoin d'aller très au fond des choses,
29:02 parce qu'on savait qu'on était sur la même ligne.
29:04 Une entente très forte avec Chirac.
29:06 Pendant les événements de 1995, de fin 1995,
29:09 jamais je n'ai reçu de message de Chirac me disant,
29:13 il faut céder, il faut partir, etc.
29:16 Jamais. Il m'a toujours soutenu avec une confiance absolument inébranlable.
29:21 Donc ça pour moi, ça a été extrêmement fort,
29:24 mais ce n'est pas moins que je sentais la faiblesse
29:27 que j'avais dans l'opinion publique.
29:30 Alors comment est venue ensuite l'idée de la dissolution ?
29:33 On ne le saura jamais parce que personne, compte tenu du résultat,
29:36 ne revendique d'avoir eu cette brillante idée, naturellement.
29:39 Mes chers compatriotes,
29:41 après consultation du Premier ministre,
29:44 du président du Sénat, du président de l'Assemblée nationale,
29:49 j'ai décidé de dissoudre l'Assemblée nationale.
29:53 C'est quelque chose qui est venu comme ça, petit à petit,
29:56 avec quand même quelques raisons objectives, de ma part en particulier.
29:59 Je m'y suis rallié assez vite. Pourquoi ?
30:02 Et là encore, c'était peut-être une vision un peu théorique,
30:06 technocratique des choses.
30:08 On a complètement oublié qu'en toute hypothèse,
30:11 il y avait des élections au printemps 1998.
30:14 Et on a oublié que la France devait se qualifier pour l'euro en janvier 1998.
30:19 Et nous n'étions pas totalement prêts, en termes de dette, en termes de déficit.
30:24 Nous n'étions pas tout à fait dans les clous.
30:26 Il y avait donc un dernier effort à faire,
30:28 un dernier coup de collier à faire pour se qualifier.
30:31 Et ça, c'était pour moi l'objectif numéro un de mon gouvernement.
30:34 Et j'ai dit à Chirac, pour ça, il faut que nous obtenions un mandat populaire.
30:38 Il faut dire aux Français, nous allons avoir des efforts à faire,
30:41 nous vous appelons à faire des efforts, voilà pourquoi.
30:44 Est-ce que vous adhérez à cette vision ou pas ?
30:46 Ça avait un sens.
30:49 Malheureusement, certains conseillers en communication ont dit à Chirac,
30:54 il ne faut pas parler de l'Europe. C'est impopulaire.
30:57 Si vous mettez l'enjeu là-dessus, vous êtes sûr de vous planter.
31:01 Exit l'Europe, qu'est-ce qui est resté ? Rien.
31:04 Et on a été infoutus d'expliquer aux électeurs
31:07 pourquoi on leur demandait de revenir aux urnes un an avant la date fixée,
31:12 pour quel mandat, et on y a vu une espèce de manip politique ou politicienne
31:16 qui ne correspondait à aucune attente de l'opinion publique.
31:19 La deuxième raison pour laquelle j'ai été finalement rallié à la dissolution,
31:25 c'est que quand même, là aussi, il faut rectifier un peu les choses,
31:28 on était sûr de gagner.
31:30 Aujourd'hui, tout le monde est convaincu qu'on savait qu'on allait perdre.
31:33 Non. Tous les sondages nous donnaient assez largement gagnants,
31:37 quelques mois avant les élections.
31:39 Et donc je me disais, après tout, pourquoi pas y aller, on va être élu,
31:42 et après on aura cinq ans. Et là, ça change tout.
31:44 Ces cinq ans-là, on peut mener à bien les réformes.
31:47 Voilà les deux raisons qui ont fait que petit à petit,
31:50 du côté de l'Élysée, du côté de Matignon, avec de fortes réticences,
31:53 parce qu'évidemment, maintenant, tout le monde était contre.
31:56 De soi, tous les bons conseillers expliquent,
31:58 "Ah, j'ai mis en garde Chirac, etc."
32:00 Il ne fallait pas le faire. On ne peut pas le souvenir
32:02 qu'il y ait eu une telle levée de boucliers à l'époque.
32:04 Cette dissolution sera une opération boomerang.
32:08 Le pari de Jacques Chirac est perdu.
32:10 La gauche remporte les législatives
32:12 et Lionel Jospin remplace Juppé à Matignon.
32:15 Jamais on n'avait vu passation des pouvoirs aussi courte entre deux premiers ministres.
32:20 Cinq ans plus tard, le 21 avril 2002,
32:23 c'est un véritable séisme politique.
32:25 En tête, Jacques Chirac, 20 % des voix.
32:27 Énorme surprise, Jean-Marie Le Pen.
32:29 Lionel Jospin, premier ministre sortant, est éliminé au premier tour.
32:34 J'assume pleinement la responsabilité de cet échec
32:39 et j'en tire les conclusions en me retirant de la vie politique.
32:43 Entre les deux tours, l'heure est au Front républicain contre Jean-Marie Le Pen.
32:48 Une foule, black, blanc, beurre.
32:50 Le résultat du second tour est inédit par son ampleur.
32:54 Jacques Chirac est élu président de la République avec 82,1 % des voix.
33:01 C'est un coup de tonnerre et je crois que ça a d'une certaine manière déstabilisé Jacques Chirac.
33:08 Il ne s'attendait pas à cette confrontation, à ce score,
33:13 qui d'une certaine manière, alors je ne sais pas quel est le qualificatif qu'il faut...
33:18 Adopter ce qu'on peut dire anormal, il n'est pas normal puisqu'il est ce qu'il est.
33:23 Mais enfin, qui est quand même assez stupéfiant
33:26 et qui lui confère une responsabilité à laquelle il n'était sans doute pas préparé,
33:30 c'est-à-dire celle de représenter les deux tiers de l'électorat
33:35 et donc un électorat beaucoup plus composite que celui auquel il pouvait s'attendre
33:39 pour soutenir la politique qu'il avait proposée.
33:41 Donc je le sens un peu pas ébranlé mais choqué par cette nouvelle réalité politique qui s'impose à lui.
33:49 On dira par la suite qu'il n'en a peut-être pas tiré l'ensemble des conclusions qu'il aurait dû en tirer.
33:55 De quelles ?
33:57 De rassembler davantage et donc de tenir compte de l'hétérogénéité de cet électorat.
34:03 [Musique]
34:11 La réponse à ce séisme politique n'a peut-être pas été exactement à la hauteur.
34:17 Et là, Chirac vous propose d'être Premier ministre.
34:20 Je ne suis pas sûr qu'il l'ait formulé en ces termes, mais enfin, on s'est parlé bien sûr
34:25 et j'ai senti que l'hypothèse n'était pas complètement écartée.
34:29 C'est moi qui l'ai écartée en lui disant, voilà, je suis sous le coup d'un procès
34:33 qui se déclenchera dans l'année ou les deux ans qui viennent.
34:36 Et donc je ne peux pas, sans anticiper sur le jugement qui sera rendu,
34:39 affaiblir la fonction de Premier ministre dans un tel contexte.
34:44 Et donc oublions, oublions cette hypothèse et on est passé tout de suite à autre chose.
34:49 Le dernier sourire d'Alain Juppé à son arrivée au tribunal de Nanterre.
34:53 Le jugement va lui tomber sur la tête comme une chape de plomb.
34:57 Le 1er décembre 2004, la Cour d'appel de Versailles condamne finalement Alain Juppé
35:02 à 14 mois de prison avec sursis et un an d'inéligibilité pour prise illégale d'intérêt
35:07 dans l'affaire des emplois fictifs de la Mérite Paris.
35:10 Ce qui se passait au RPR était de notoriété publique.
35:16 C'était évidemment une responsabilité collective.
35:18 Tout le monde savait très bien qui était payé par qui et qui faisait quoi.
35:22 C'est évident.
35:23 On sait très bien que le financement des partis politiques a donné lieu pendant des années et des années
35:27 à des pratiques qui étaient à la fois illégales ou en marge de la loi.
35:30 Parce que la loi d'ailleurs ne fixait pas de règles.
35:32 Petit à petit, à partir des années 90, la loi a commencé à poser des bornes.
35:37 Je suis arrivé juste dans la période de transition et j'ai trinqué à cause de ça.
35:42 J'étais le chef, c'était à moi d'y mettre un terme plus rapidement que je n'avais entrepris de le faire.
35:48 Donc j'en ai porté la responsabilité et je recommencerai exactement dans les mêmes termes aujourd'hui si c'était à refaire.
35:55 Je dis aux Bordelaises et aux Bordelaises tout simplement que je les aime.
35:59 J'ai trouvé un mot landais pour résumer ma pensée.
36:03 Ce sera tout simplement "adichatz".
36:05 Et c'est au bord des larmes que l'ancien Premier ministre quitte Bordeaux ce jour-là.
36:09 C'est l'exil au Québec pour Alain Juppé et sa famille.
36:15 J'ai eu droit à ce maillot, à mon nom, avec un numéro.
36:18 Il donne des cours à l'École nationale d'administration publique de Montréal.
36:22 Après des débuts difficiles, l'ancien Premier ministre est adopté par les enseignants et les étudiants.
36:27 Les Juppé s'adaptent bien à ce pays qu'il découvre.
36:30 Bonne après-midi Monsieur Juppé.
36:33 Bonjour.
36:34 Est-ce qu'à un moment vous vous êtes dit "je vais tout envoyer balader et quoi qu'il arrive je ne reviendrai pas"
36:41 parce que ce n'est pas tout à fait dans cet état d'esprit que vous êtes parti quand même ?
36:44 Si, je me suis dit ça.
36:45 J'ai même été, j'ai fait quelques bêtises à l'époque, jusqu'à vendre ma maison de Bordeaux.
36:50 Il y a une très belle maison que ma femme adorait et nos enfants aussi.
36:55 Et puis je me suis dit bon voilà, il faut rompre avec tout ça.
36:58 J'avais besoin d'argent en plus et donc j'ai vendu cette maison.
37:02 Je m'en mords encore les doigts.
37:04 Donc c'est pour vous dire que j'étais plutôt dans un état d'esprit de rupture.
37:07 Mon arrivée au Québec a été difficile.
37:11 Parce que quelques bons esprits m'avaient savonné un peu la planche, il a fallu que je fasse mes preuves.
37:16 Je crois que je les ai faites.
37:18 Parce que quand je suis parti, je n'étais pas du tout dans la même situation que quand je suis arrivé.
37:22 Quand je suis parti, l'ensemble de la communauté universitaire dans laquelle j'enseignais m'a rendu un hommage qui m'a beaucoup touché.
37:29 Pour le travail que j'avais fait.
37:31 Donc vous voyez, j'ai joué le jeu à fond.
37:34 Je me suis donné à la préparation de mes cours, en relation avec mes étudiants.
37:38 Donc ça m'a changé de vie.
37:40 Ça a été un grand moment de bonheur et de bonheur familial.
37:42 Parce que j'ai eu un style de vie évidemment radicalement différent.
37:44 Quand vous êtes professeur, vous travaillez, il faut préparer les cours.
37:47 C'était une lourde tâche.
37:48 Mais bon, ça n'a rien à voir avec un peu du temps d'un maire ou d'un homme politique en France.
37:53 Et donc j'ai pu retrouver de la sérénité.
37:56 La question c'est de poser à un moment donné, rentrerais-je ou ne rentrerais-je pas ?
38:02 Et on a hésité.
38:05 J'ai fait un jour un conseil de famille.
38:08 Ma femme, mes deux filles.
38:11 Et j'ai posé la question, on reste à Montréal ou on rentre à Paris ?
38:16 Montréal a obtenu trois voix et une abstention, la mienne.
38:21 Après, deuxième vote, on reste à Montréal ou on rentre à Bordeaux ?
38:27 Et là, je crois que le vote a été partagé.
38:32 Mais j'ai eu voix prépondérante.
38:34 Donc ça a été Bordeaux.
38:36 Donc on est rentré à Bordeaux parce que d'abord, j'avais le sentiment de ne pas avoir achevé ma tâche dans ma ville.
38:42 Et ensuite parce que j'avais besoin de me faire relégitimer par le suffrage populaire.
38:47 J'avais été humilié.
38:50 Mon honneur avait été un peu sauvé par le jugement de la Cour d'appel
38:55 qui avait écrit noir sur blanc que je n'avais pas mis un euro dans ma poche.
38:58 Que je ne m'étais rendu coupable d'aucun enrichissement personnel.
39:01 Ça, ça m'avait déjà un peu libéré de ce poids.
39:04 Et j'avais envie de retrouver la confiance de mes concitoyens.
39:07 Bonjour. Merci.
39:09 Il revient par la grande porte, à la mairie de Bordeaux.
39:12 Octobre 2006.
39:14 Moins de trois mois après son retour de Montréal,
39:16 Alain Juppé est réélu maire de Bordeaux dès le premier tour avec 56% des voix pour sa liste.
39:21 Après une période difficile, c'est un nouveau départ.
39:25 Un nouveau départ, comme pour dire que l'affront de sa condamnation est désormais passé.
39:30 La présidentielle de 2007 approche. La succession de Chirac s'ouvre.
39:35 Pour Alain Juppé, l'heure n'est pas aux États-Dames.
39:38 J'ai porté mon soutien à Nicolas Sarkozy pour l'élection présidentielle de 2007.
39:42 Je ne suis pas sûr que ça ait fait totalement plaisir à Jacques Chirac,
39:48 qui d'abord n'avait pas exclu l'hypothèse de se représenter
39:53 et qui n'avait pas non plus exclu l'hypothèse que ce soit moi.
39:56 Il porte les couleurs de notre formation politique.
40:00 J'ai pensé assez vite qu'après un septennat et un quinquennat,
40:06 Jacques Chirac n'était plus en situation 2.
40:09 Et j'ai pensé que, étant encore sous le coup de ma condamnation,
40:13 qui était relativement récente, 2004, je n'étais pas non plus dans la course.
40:17 Et que donc le seul candidat qui était en mesure de porter des couleurs, c'était Nicolas Sarkozy.
40:22 C'est la raison pour laquelle, dans un blog que j'ai fait début janvier 2007,
40:26 je lui ai apporté mon soutien.
40:28 Début 2011, Alain Juppé retrouve le quai d'Orsay sous l'autorité d'un Nicolas Sarkozy hyperactif et omniprésent.
40:35 C'est le temps des printemps arabes.
40:37 Libye, Syrie, les dossiers chauds s'accumulent.
40:41 Fallait-il rester totalement indifférent face à ce phénomène ?
40:47 Fallait-il continuer à cautionner tous les dictateurs du pourtour de la Méditerranée ?
40:51 Je pose la question aujourd'hui.
40:53 C'est tellement facile de dire "ah, il fallait faire autrement".
40:57 Faire autrement, c'était quoi ?
40:59 C'était rester dans le statu quo et conserver les dictateurs.
41:03 La Libye, Kadhafi.
41:05 Je voudrais rappeler quand même que quand Nicolas Sarkozy, avec mon accord complet,
41:09 a décidé d'intervenir, avec le soutien de Cameroun et de la Grande-Bretagne,
41:15 nous en avons la certitude.
41:17 Des colonnes de blindés se dirigeaient vers Benghazi pour réprimer le soulèvement de la population.
41:23 La population de Benghazi s'était soulevée contre le dictateur.
41:27 Le choix est très clair.
41:28 On laissait se perpétuer un bain de sang ou on l'intervenait.
41:32 On est intervenu.
41:33 Notre tort, il faut bien dire qu'à partir de 2012, nous n'étions plus aux manettes gouvernementales,
41:40 c'est de ne pas avoir accompagné ce processus de démocratie.
41:43 Et on a laissé les Libyens se débrouiller eux-mêmes.
41:45 Ce qu'ils souhaitaient d'ailleurs.
41:47 Les responsables libyens avaient de l'argent, le pétrole, qu'ils ont commencé à vendre.
41:53 Et donc ils nous ont dit "très bien, vous avez aidé à renverser la dictature,
41:58 maintenant basta, on se débrouille tout seul".
41:59 Et on n'aurait pas dû effectivement se retirer comme on l'a fait.
42:03 Et la communauté internationale aurait dû être plus active.
42:06 Peut-être pas la France seule, sûrement pas la France seule,
42:09 mais enfin un groupe des amis de la Libye par exemple,
42:11 qui a aidé à reconstruire une véritable démocratie.
42:13 On s'y force aujourd'hui, avec malheureusement les succès que vous savez.
42:17 C'est vrai que rétrospectivement, on n'a pas joué ce rôle et on aurait dû le jouer.
42:21 Concernant la Libye, vous avez dû alors cohabiter avec un ministre des Affaires étrangères off,
42:26 Bernard-Henri Lévy, qui avait l'oreille du président Sarkozy.
42:29 Vous avez vu que je suis d'une assez grande liberté de parole dans cette émission-là, joker.
42:34 Pourquoi ?
42:36 Parce que je n'aime pas dire tellement du mal des autres.
42:40 À l'été 2014, Alain Juppé a 69 ans.
42:44 Il s'interroge.
42:45 Doit-il se lancer dans l'aventure de la présidentielle de 2017 ?
42:48 Doit-il tenter de grimper la dernière marche ?
42:51 Accepter de fendre l'armure pour séduire les Français ?
42:54 Bonsoir Alain Juppé.
42:58 Bonsoir.
42:59 Il y a eu un moment qui a beaucoup frappé les gens, je crois.
43:03 C'est une émission politique de France 2,
43:05 où il y a un sondage absolument faramineux à la fin de l'émission.
43:09 Et on vous voit singulièrement ému.
43:11 Est-ce que vous vous êtes dit à ce moment-là, ça y est, maintenant je suis aimé des Français ?
43:16 Ça m'amuse beaucoup votre question, parce que je me souviens très bien de cette émission.
43:24 C'était avant même que je ne déclare ma candidature à la primaire.
43:27 Le succès de l'émission a été un des éléments d'ailleurs qui m'a convaincu d'être candidat.
43:31 Je dis que ça me fait sourire parce que le nombre de fois où les journalistes,
43:36 les médias et l'opinion se sont dit, tiens, mais ce mec, il a peut-être un cœur,
43:43 ce nombre de fois est assez élevé.
43:45 Ça aussi c'est une idée qui s'est installée, que j'étais insensible, dur.
43:51 Puisque même Mme Bernadette Chirac, pendant les primaires, a expliqué que j'étais un homme dur.
43:57 Voilà, cette idée s'est installée.
44:01 Bon, alors je ne vais pas vous dire ce qu'elle m'inspire, sinon le sentiment d'une profonde incompréhension.
44:06 Je suis timide, plutôt discret, plutôt réservé.
44:10 Bon, je ne me précipite pas comme ça tout de suite pour tutoyer ou embrasser les gens,
44:15 c'est ainsi, je n'ai pas envie de changer d'ailleurs, c'est mon tempérament.
44:18 Mais je crois avoir une forme de sensibilité qui est aussi réelle que d'autres qui le montrent plus.
44:24 Et c'est ce qu'on a perçu dans cette émission.
44:25 À l'issue de cette intervention, de la part des Français qui ont regardé cette émission,
44:29 ce chiffre monte à 61% des Français qui disent "Oui, Alain Juppé ferait un bon président pour la France".
44:35 Alain Juppé, est-ce que vous souhaitez réagir ?
44:37 Merci, merci aux Françaises et aux Français.
44:40 On continue.
44:41 Vous avez l'air ému.
44:44 Oui, un peu.
44:46 Il y avait aussi ce témoignage d'une travailleuse sociale qui parlait de son expérience.
44:51 Ça m'avait beaucoup surpris qu'au lieu de l'envoyer sur les roses, tout le monde s'y attendait.
44:57 J'ai été aller lui parler et essayer de la comprendre.
45:00 Ça m'a surpris.
45:02 Ce qui me console, c'est qu'on n'est pas élu pendant un quart de siècle maire d'une grande ville
45:07 si on n'est pas capable de créer une relation affective et personnelle avec son électorat.
45:12 La première fois, on peut surprendre, pas la deuxième.
45:16 Tout ça, j'en tire la conclusion que je ne suis peut-être pas un type aussi infréquentable qu'on peut bien le dire.
45:22 Conforté par les sondages, Alain Juppé se lance dans la campagne de la primaire de la droite et du centre.
45:27 Pendant très longtemps, il fait figure de favori devant François Fillon et Nicolas Sarkozy.
45:32 On va gagner ! On va gagner !
45:40 Avec vos sourires, on a l'impression que vous pensez un peu avoir gagné ce débat.
45:44 Je ne suis pas immodeste.
45:46 Mais la campagne est rude. Son positionnement est jugé trop centriste.
45:50 Et le maire de Bordeaux est attaqué de toutes parts, notamment sur les réseaux sociaux.
45:55 Virginie Kallmels, qui participait activement à la campagne, m'avait alerté en me disant
45:59 "Faites attention, ça fait des dégâts, notamment dans l'électorat catholique conservateur, qui est l'électorat de Fillon.
46:06 Donc faites attention, je vais balayer son or au verre de main.
46:09 Je suis arrivé un jour à la faculté d'Assas pour faire un topo devant un grand amphi, qui s'est très bien passé d'ailleurs.
46:16 Et dans l'entrée, sur la rue, il y avait une grande mode role "Bienvenue au grand mufti de Bordeaux".
46:21 Et la fachosphère, bon, premier élément, qui a joué peut-être à la marge, mais qui a joué.
46:27 Deuxième élément, peut-être un peu circonstanciel là aussi, qui se discute,
46:32 c'est que je n'ai pas été très à l'aise dans les débats télévisés.
46:35 Pour vous faire une confidence, je n'aime pas débattre à dix, je préfère être tout seul.
46:39 Comme ça, j'explique ce que j'ai à expliquer.
46:41 Donc je n'ai pas été très à l'aise et Fillon a été plutôt bon.
46:44 Et puis la vraie question de fond, c'est celle du thème que j'avais choisi,
46:49 auquel je me suis cramponné et que je ne regrette pas d'avoir choisi,
46:53 qui est celui de l'identité heureuse, que j'ai mal expliqué.
46:57 Parce que les Français ont compris que je leur décrivais une espèce d'Éden dans laquelle ils vivaient.
47:03 Ils n'avaient pas le sentiment de vivre dans l'Éden.
47:05 Ce n'était pas un constat l'identité heureuse, c'était un projet.
47:08 Je l'ai dit à plusieurs reprises, moi je ne me sens pas être candidat à la fonction suprême
47:12 en disant aux Français "on va être malheureux ensemble".
47:14 Non, on va essayer d'être plus heureux qu'on ne l'est aujourd'hui,
47:18 tout en affirmant qui nous sommes, nous avons droit au bonheur.
47:21 C'était ça l'identité heureuse et ça a été évidemment déformé par mes adversaires
47:26 qui ont vu de la naïveté.
47:28 Mon programme, paraît-il, était de la tisane.
47:32 69% pour François Fillon, 30% pour Alain Juppé.
47:36 Et la poignée de main, ce symbole effectivement des deux candidats.
47:41 C'est vrai que, rétrospectivement, certains me disent
47:56 "mais tu as fait une campagne pour la primaire qui était une campagne pour l'élection présidentielle".
48:02 Tu t'es trompé un peu de concours de beauté, si je puis dire.
48:06 C'est peut-être vrai, c'est peut-être vrai.
48:09 Mais j'assume pleinement ma responsabilité, c'est moi qui ai voulu cette primaire,
48:13 parce que je pensais que c'était une façon d'éviter un combat fratricide
48:18 au premier tour de l'élection présidentielle, que ça clarifierait les choses.
48:21 Et pendant les trois quarts du chemin, ou les quatre cinquièmes même,
48:25 j'ai pensé avoir eu raison.
48:27 Le couple Fillon au cœur de la polémique.
48:29 Ce soir, la justice ouvre une enquête sur des soupçons d'emploi fictifs de l'épouse de François Fillon.
48:34 Elle a perçu 500 000 euros en tant qu'attaché parlementaire.
48:38 Un coup dur pour le candidat de la droite à quatre mois de la présidentielle.
48:42 Échaudé par son échec, Alain Juppé reste en retrait.
48:45 Mais c'est l'heure des grandes manœuvres.
48:47 Et en coulisses, l'ancien président Sarkozy s'active.
48:53 Quelques jours avant la manifestation du Trocadéro,
48:57 ça devait être début mars, 4 ou 5 mars, je ne sais plus très bien,
49:01 on me dit "il faut appeler Sarkozy pour que vous vous mettiez d'accord".
49:06 Je n'avais pas envie.
49:08 J'ai fini par m'y résoudre.
49:10 On se parle le vendredi ou le samedi,
49:12 et il me dit "Fillon est mort, il faut le décrocher.
49:15 Nous allons aller le voir ensemble pour le convaincre de se retirer
49:18 et comme il faut lui souviendre la mise, on va lui laisser le parti".
49:22 Je n'ai pas osé demander, mais dans ce cas-là, quel est le candidat ?
49:26 Ce n'était pas très clair dans le message que je recevais.
49:30 Voilà.
49:31 Et puis, je dis "ok, on va voir".
49:34 Il y a le Trocadéro.
49:36 Et surtout, l'émission, le journal télévisé du soir.
49:39 – Allez-vous retirer votre candidature, oui ou non ?
49:44 – La réponse est non.
49:45 – Jamais, à aucun… ?
49:47 – La réponse est non.
49:49 Malgré les pressions insistantes et le spectre d'une défaite annoncée,
49:52 François Fillon refuse de se retirer.
49:55 Il n'y aura pas de plan B pour la droite.
49:57 Alain Juppé choisit de sortir du jeu politique.
50:00 [Musique]
50:04 – Je confirme, une bonne fois pour toutes,
50:08 que je ne serai pas candidat à la présidence de la République.
50:11 – Il m'arrive d'être un peu orgueilleux.
50:17 J'ai dit que je ne me sentais pas l'âme d'un plan B.
50:21 Je suis un plan A, pas un plan B.
50:23 – Chirac aurait été dans cette situation ?
50:25 Il aurait agi comme vous ?
50:26 – Je n'en sais rien.
50:28 Peut-être pas.
50:29 Il aurait peut-être foncé.
50:31 C'est un reproche que quelqu'un m'a fait récemment,
50:35 en revenant sur cette campagne, qui apparemment intéresse encore,
50:39 qui m'a dit, ça m'a fait un peu de peine d'ailleurs,
50:43 mais vous avez manqué de gnac.
50:46 Dans la campagne déjà, de la primaire et après.
50:49 Est-ce que vous en aviez vraiment envie ?
50:52 Ça m'a fait de la peine, parce que oui, j'en avais envie, j'y croyais.
50:56 Et je rappelais ce meeting au Zénith,
50:59 Sarkozy avait dit "mais Juppé ne remplira jamais le Zénith".
51:02 J'avais commencé en disant "j'ai la pêche, la super pêche".
51:05 Ça m'avait beaucoup frappé.
51:07 Vous voyez qu'il m'arrivait d'avoir des discours un peu toniques.
51:10 Et je garde cette campagne à souvenirs merveilleux.
51:13 J'ai signonné à peu près les 100 départements français,
51:15 y compris les départements et les collectivités d'Outre-mer.
51:18 J'ai rencontré des milliers de gens,
51:20 des dialogues formidablement directs, sincères, simples, etc.
51:26 Donc voilà, je n'ai aucune abertume sur cette période.
51:29 Je n'ai pas gagné, je n'ai pas gagné, c'est un signe.
51:32 [Musique]
51:35 [Musique]
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51:54 [Musique]
52:00 [Musique]
52:07 [Musique]
52:10 [Musique]
52:13 [SILENCE]

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