- il y a 2 ans
Pierre Haski, éditorialiste France Inter, et le directeur de la publication de Libération, Dov Alfon, sont les débatteurs du jour. Le thème : "Un mois après : quel bilan tirer du conflit Israël/Hamas ?" Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10/le-debat-du-7-10-du-lundi-06-novembre-2023-7577427
Catégorie
🗞
NewsTranscription
00:00 Léa Salamé, Nicolas Demorand, le 7/10.
00:04 Débat ce matin, un mois presque jour pour jour après l'attaque d'Israël par le Hamas.
00:09 C'était le 7 octobre dernier.
00:12 Quel regard porter sur ce conflit Israël-Hamas qui a atteint une intensité jamais vue ?
00:19 Y a-t-il des voies de sortie ?
00:20 Ou la question est-elle à ce stade aujourd'hui prématuré ?
00:24 On en parle ce matin avec deux grands connaisseurs de la région.
00:27 Yandov Walfon, directeur de la rédaction du quotidien Libération, ancien rédacteur
00:32 en chef du quotidien israélien Aaretz.
00:35 Pierre Haski, éditorialiste à France Inter.
00:39 Dans le 7/10, président de Reporters sans frontières.
00:42 Vous fûtes Naguer, correspondant de Libé d'ailleurs à Jérusalem.
00:48 Bonjour à tous les deux, merci d'être là.
00:50 Avant d'entrer dans les détails militaires et politiques de ce conflit, d'abord un mot
00:53 à froid.
00:54 Si on peut dire à froid parce que ça reste très chaud malheureusement.
00:57 Quelles sont les mots qui vous ont marqué ce dernier mois depuis le massacre du 7 octobre
01:03 et la riposte israélienne qui a suivi ?
01:05 S'il y a un mot, un moment, une image l'un et l'autre de Walfon ?
01:11 Comme les images sont assez horribles, j'ai envie de parler de son.
01:15 Je pense que ce qui a frappé quand même le 7 octobre, c'est ce silence soudain.
01:19 D'abord le silence du choc face à ce massacre.
01:23 Après, un silence gêné, faut-il être pour le fort ? Donc l'état d'Israël.
01:30 On n'en a pas l'habitude, on est toujours du côté des faibles, qu'est-ce qu'on
01:34 fait maintenant ?
01:35 Et puis soudain, ce silence est tourné en cacophonie.
01:39 Comme les réseaux sociaux sont des chambres à écho puissantes, il n'y a plus du tout
01:43 de médias généralistes, de journal où on aurait deux opinions, une situation complexe.
01:49 Non, il faut être pour un côté et contre l'autre.
01:53 Il faut refuser la complexité de la situation.
01:56 Et c'est navrant, mais c'est comme ça.
01:58 Pierre ?
01:59 J'allais dire exactement la même chose.
02:00 C'est-à-dire ?
02:01 C'est étonnant.
02:02 Sans débat, je ne voudrais pas dire.
02:03 Oui, je sais, mais je ne vais pas dire le contraire par provocation.
02:05 Moi, ce qui me frappe, c'est l'incapacité à pleurer les morts des deux côtés.
02:12 On est obligé de pleurer soit les morts d'un côté, soit les morts de l'autre.
02:16 Il y a cette injonction permanente partout, aussi bien dans nos sociétés occidentales
02:22 qui devraient être lointaines du front comme dans la région, à choisir ses morts.
02:28 Et ça, c'est aujourd'hui, dans le feu de l'action, je trouve que c'est la chose
02:32 la plus glaçante qui soit.
02:35 Israël continue et poursuit et intensifie son offensive sur Gaza.
02:39 Elle encercle Gaza City.
02:40 Alors, nous parlons, vous avez dit ici, Dov Alfon, très peu de temps après l'attaque
02:46 du 7 octobre, que l'opération terrestre prévue et annoncée par Tsaïr serait un
02:51 piège pour Israël.
02:52 Vous le pensez toujours ?
02:53 Oui, certainement.
02:54 D'abord, un piège moral, comme il est évident que déjà l'opinion a changé de côté
03:01 et maintenant on va être face à une tuerie certaine côté israélien et côté palestinien
03:07 dans ce face-à-face militaire, mais aussi piège militaire.
03:11 C'est assez sûr.
03:12 D'ailleurs, l'armée israélienne qui a pris trois semaines pour arriver enfin aux
03:18 portes de Gaza l'a fait, entre autres, par précaution.
03:21 Il fallait déjà prendre ses troupes qui, la moitié des réservistes, en fait, étaient
03:26 mobilisés dans des manifestations contre Netanyahou, a signé des pétitions contre
03:31 ce gouvernement.
03:32 Et donc, il a fallu les isoler, les remettre dans le bain, les réentraîner et les ramener
03:38 de la Cisjordanie à la ligne de Gaza, puisque Netanyahou et ce gouvernement d'extrême
03:44 droite les avaient envoyés là où la colonisation...
03:47 Un piège ?
03:48 Oui, ils n'étaient pas prêts.
03:49 Ils n'étaient absolument pas prêts.
03:50 Non, au contraire, on est dans une autre temporalité où ils sont allés beaucoup
03:54 plus vite qu'ils ne pensaient.
03:55 Puisqu'ils encerclent déjà Gaza City.
03:58 Les combats ont certes été rudes, mais ils ont traversé la bande de Gaza par le nord,
04:03 par l'est et par le sud à une vitesse où ils ne comptaient pas y être assez rapidement.
04:10 A ce point-là, et maintenant, le vrai combat va commencer incessamment sous peu.
04:15 Pierre Aski, vous pensez aussi que c'est un piège ou qu'au fond, ils n'avaient pas
04:18 le choix après la tuerie du 7 octobre, il fallait, en tout cas pour l'opinion publique
04:22 israélienne, montrer qu'ils rentraient dans Gaza et qu'ils allaient tuer des membres
04:26 du Hamas ?
04:27 Il y a la double nature de cette opération.
04:29 D'un côté, il y a une opération militaire qui vise effectivement à démanteler, à
04:33 éradiquer, à détruire les installations du Hamas.
04:35 Et de l'autre côté, il y a une partie psychologique qui est la vengeance après ce qui s'est
04:39 passé.
04:40 Je pense qu'on ne le verbalise pas et personne ne le verbalisera en Israël.
04:45 Mais il y a une part de vengeance dans cette brutalité des bombardements aveugles qui
04:50 ont été menés et qui ont fait énormément de victimes civiles, qui est un des éléments
04:56 du piège dont on parlait.
04:58 C'est-à-dire qu'aujourd'hui, Israël a mis le feu à la planète, il faut bien le
05:01 dire, en termes d'opinion publique, de réaction, et pas seulement dans le monde arabo-musulman.
05:08 On le voit aux Etats-Unis.
05:09 Mais comment vous expliquez qu'Israël ait ainsi perdu la bataille de l'opinion mondiale
05:13 après avoir subi un massacre aussi terrible ?
05:16 Je ne suis pas sûr qu'elle l'a perdue, mais elle est en mauvaise posture certainement
05:21 pour la gagner.
05:22 Je crois qu'il est absolument impossible pour des personnes occidentales de voir des
05:29 bombardements aveugles sur ce qui est une population civile.
05:33 Alors on peut dire "nous avions demandé à ce que tout le monde passe par le sud,
05:37 nous avions demandé à évacuer tout Gaza".
05:40 Mais d'abord, le peuple palestinien ayant un traumatisme d'exode, on peut bien comprendre
05:46 qu'il reste sur place.
05:47 Et après, il y a des vieillards, il y a des familles, il y a plein de gens qui ne veulent
05:51 pas partir de chez eux.
05:53 Et donc ceux-là sont bombardés, beaucoup sont morts, des centaines certainement, des
05:57 milliers peut-être, selon le ministère de la Santé palestinien contrôlé par le Hamas.
06:02 Et donc on est face à une tuerie aveugle qui peut ressembler, et là je suis d'accord
06:08 avec Pierre, au massacre commis par le Hamas le 7 octobre.
06:12 Et donc l'opinion mondiale est forcément divisée entre ces deux images terribles.
06:16 Je crois qu'il y a la rencontre de plusieurs imaginaires et en particulier, on le voit
06:23 aux Etats-Unis, cette question est identifiée à un problème décolonial, post-colonial.
06:30 De dominant et de dominé.
06:31 On a entendu Obama dire ça, hier il y a parlé.
06:35 Comment vous interprétez les mots d'Obama ?
06:38 Il y a eu deux déclarations intéressantes ce week-end, Obama et Bernie Sanders.
06:42 Oui tout à fait.
06:43 Obama c'est intéressant parce que les démocrates sont divisés.
06:46 Et en fait on dit même que Biden pourrait perdre les élections à cause de ça.
06:51 Une des élues d'origine palestinienne, démocrate à la Chambre, a dit "Monsieur
06:56 Biden, vous êtes complice d'un génocide et on s'en souviendra en 2024".
07:00 La jeunesse démocrate est dans la rue pour la Palestine parce qu'elle est dans cet
07:05 imaginaire post-colonial et elle identifie la question israélo-palestinienne à la dernière
07:11 crise coloniale qui reste.
07:13 Et c'est en ça qu'Israël est aujourd'hui en position de faiblesse parce que ce qui
07:19 est effectivement une question coloniale avec la Cisjordanie et Gaza ne l'est évidemment
07:24 pas à propos d'Israël proprement dit.
07:27 Or il y a un lot commun qui est en train d'être fait autour de la question israélienne et
07:31 Israël n'a pas un discours qui est suffisamment fort aujourd'hui pour répondre.
07:36 Donc on est en démarrage et brouillé.
07:37 Et c'est vrai qu'à côté de ça, Bernie Sanders, qui est considéré quand même aux
07:41 Etats-Unis comme le plus pro-palestinien des leaders, qui dit "Bah non, je ne demande
07:47 pas le cessez-le-feu parce que quand on vous a massacré votre peuple comme ça, il faut
07:52 se venger et il faut aller tuer le Hamas".
07:54 C'était très étonnant dans la bouche de Bernie Sanders qui, je le rappelle, vraiment
07:59 pour les Américains, on est au maximum du soutien pour la Palestine.
08:02 Il est très très à gauche sur ces questions, mais il est aussi un réaliste d'une certaine
08:06 manière.
08:07 Il a toujours été réaliste sur les questions économiques.
08:10 Il l'est aussi sur les questions géopolitiques.
08:12 Il est évident qu'appeler un cessez-le-feu aujourd'hui entre le Hamas et Israël est
08:19 absolument nul de sens.
08:20 On peut demander une trêve humanitaire, on peut demander d'arrêter des bombardements,
08:23 mais dire "il va y avoir un cessez-le-feu", c'est impossible.
08:27 Je ne suis absolument pas d'accord sur ce point parce que, franchement, quelle est la
08:34 logique militaire de cette opération ? Ok, Israël a la supériorité absolue et parviendra
08:41 à éradiquer le Hamas.
08:42 C'est ça ce qui a été posé comme objectif.
08:45 Et aura semé les germes de la haine des 20 prochaines années.
08:50 Il y a quelque chose qui me dépasse pour avoir connu cette région.
08:54 Quand on regarde la chronologie, 67 conquêtes des territoires, 20 ans plus tard, c'est-à-dire
08:59 ceux qui sont nés à ce moment-là font la première intifada avec des pierres, la deuxième
09:03 intifada 13 ans plus tard avec des kalachnikovs, et 23 ans plus tard vous avez aujourd'hui
09:08 des massacres.
09:09 Il y a un moment où on peut penser que parce qu'on va raser le Hamas à Gaza, on va avoir
09:16 la paix dans cette région, même si Israël reprend le contrôle, puisque c'est une
09:20 des hypothèses sur la suite, c'est que l'armée israélienne garde le contrôle
09:24 de Gaza pendant une période sans doute infinie et indéterminée.
09:28 C'est une vue de l'esprit, en tout cas.
09:33 Ou alors on expulse les Palestiniens, mais garder 2 millions de Palestiniens qui auront
09:37 subi ce qu'ils sont en train de subir.
09:39 Donc l'idée de poursuivre cette guerre jusqu'à un objectif qu'on ne connaît
09:43 pas et que les Israéliens eux-mêmes ne connaissent pas.
09:46 L'objectif militaire est très clair pourtant, de démanquer les infrastructures du Hamas
09:55 et d'éradiquer le Hamas sur place.
09:57 Par contre l'objectif politique est absolument invisible, comme on ne sait pas quelle pourrait
10:02 être la solution.
10:03 Mais est-ce que la solution du coup va être soit un génocide des Juifs en Palestine,
10:10 donc un pays entre le fleuve et la mer, et c'est tout, c'est notre Palestine, et
10:16 les Juifs qui seront dedans auront un génocide exactement comme le 7 octobre, ou un génocide
10:21 palestinien, comme vous le disiez, on entre dans Gaza, on massacre tout.
10:26 Il peut absolument une troisième voie.
10:28 Et donc c'est ce que nous sommes en train de chercher.
10:31 Je pense qu'une force internationale qui commence, entre autres Blinken, le secrétaire
10:37 d'état américain, commence à esquisser des contours d'un envoi d'un contingent
10:42 international qui serait à Gaza, reste à trouver encore les volontaires, il faut bien
10:47 d'abord éradiquer le Hamas, aucune force de l'ONU n'arrivera à rester en vie et
10:54 en contrôle si le Hamas est toujours à Gaza.
10:56 Est-ce que c'est possible concrètement, réalistiquement d'éradiquer le Hamas ?
11:00 S'ils tuent les 3 ou 4 ou 6 chefs militaires du Hamas, est-ce que demain il n'y a pas
11:05 une nouvelle organisation qui s'appellera différemment et qui reprendra la charte
11:09 du Hamas ?
11:10 Demain non, mais après demain oui.
11:12 Donc c'est un lap de temps très court où il va falloir effectivement proposer aux
11:16 palestiniens.
11:17 La question qui est posée c'est que, il y a 30 ans, ces forces existaient déjà.
11:24 Le Hamas a saboté le processus de paix d'Oslo, de même que des extrémistes juifs ont tué
11:29 Rabin.
11:30 Ces forces étaient marginales il y a 30 ans, elles n'étaient pas au centre du jeu.
11:33 Aujourd'hui, le Hamas est la principale force palestinienne et les extrémistes juifs,
11:38 c'est-à-dire les héritiers des assassins de Rabin, sont au gouvernement, dans la coalition.
11:41 Donc il y a un moment où il faut retrouver les moyens politiques de les remarginaliser.
11:45 Les moyens politiques et après il y a les interlocuteurs, vous le savez très bien tous
11:49 les deux, il n'y a pas aujourd'hui d'interlocuteurs, ni en Israël, ni en Palestine.
11:53 Et les américains, ils ont trois mois et après ils sont en campagne présidentielle.
11:57 Oui mais la grande question, la grande inconnue de cette guerre, c'est qu'on sait que
12:03 les deux sociétés vont vivre des bouleversements politiques majeurs.
12:07 Qui va gouverner Israël après cette guerre ?
12:10 On ne le sait pas aujourd'hui.
12:12 Parce que Netanyahou est out et il y aura un Big Bang d'une manière ou d'une autre
12:17 avec des forces que nous ne voyons pas aujourd'hui.
12:20 Et pareil du côté palestinien, le Hamas est discrédité et Mahmoud Abbas est affaibli.
12:25 Donc il y aura nécessairement là aussi recomposition.
12:28 Et c'est peut-être de cette recomposition que peut sortir cette troisième voie dont
12:33 nous parlons et que nous esquissons.
12:34 Mais tout ça était très hypothétique.
12:37 Vous y croyez, la recomposition de Valfront ?
12:39 Oui, elle est nécessaire et elle va sans doute arriver dans les deux camps.
12:42 Mais par contre, nous avons aussi les Américains à prendre en ligne de compte.
12:45 Puisque le seul président américain démocrate qui n'a pas eu ces deux termes est Jimmy Carter.
12:50 Il s'est sacrifié sur l'idée de Camp David, de la paix entre Israël et l'Égypte.
12:56 Et a consacré un énorme temps et énergie à cela.
13:01 Et ma foi, Biden qui est maintenant sous pression de ne pas courir pour un second mandat, il
13:07 a l'air en tout cas très volontaire pour esquisser un plan y compris absolument en
13:14 Palestine.
13:15 Israël-Palestine pour lui est une priorité.
13:17 Et devenue une priorité de force.
13:19 Il n'était pas là-dessus du tout.
13:21 Ce n'était pas prévu.
13:22 Et maintenant, il semble tout à fait engagé dedans.
13:24 Donc oui, pourquoi pas.
13:25 Merci à tous les deux.
13:26 Merci.
13:27 Dov Alfon, Pierre Aski.
13:28 À suivre, Léa, votre invitée aujourd'hui, Frédéric Beigbeder.
13:32 Juste après, Peguili.
Recommandations
13:56
13:35
15:06
14:18
13:28
15:09
15:08